Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, sur les priorités de la présidence française du Conseil de l'Union européenne en matière économique, à Paris le 25 janvier 2022.

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  • Bruno Le Maire - Ministre de l'économie, des finances et de la relance

Circonstance : Audition par la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen sur les priorités de la présidence française du Conseil de l'Union européenne

Texte intégral

Bonjour madame la présidente. Bonjour à tous.

Bravo d'abord à chacun des présidents et présidentes pour leur réélection, je les félicite.

Et je suis très heureux de vous retrouver aujourd'hui pour cette audition sur les questions économiques et financières.

Une remarque d'abord sur la situation économique actuelle en Europe. Nous sortons de la crise économique la plus grave depuis 1929 et nous en sortons plus forts avec des niveaux de croissance et d'emploi particulièrement satisfaisants partout en Europe. De ce point de vue, la manière dont la crise économique a été gérée par tous les pays européens est un succès et la relance est également un succès européen.

La manière dont nous avons travaillé ensemble, la stratégie que nous avons adoptée, donnent les résultats que nous voyons aujourd'hui sur la croissance, l'emploi et l'investissement en Europe. Je voudrais comparer de ce point de vue-là la manière dont nous avons répondu à la crise de 2010-2011 et la manière dont nous avons répondu en 2020-2021 en tirant les leçons de cette crise précédente.

En 2010-2011, nous avons estimé que l'urgence était au rétablissement des finances publiques. Moyennant quoi, en rétablissant trop vite et de manière trop brutale les finances publiques, nous avons tué la croissance, crée de la dette, augmenté le chômage.

En 2020-2021, nous avons adopté une stratégie radicalement différente. Nous avons protégé les salariés, protégé des entreprises. Nous avons tous adopté les mêmes solutions avec le prêt garanti par l'État, avec le fonds de solidarité, avec l'activité partielle. Nous avons relancé l'activité économique et grâce à la croissance, nous avons évité les faillites, fait baisser le chômage et engagé la réduction des déficits et de la dette. Il me semble que cette révolution copernicienne dans la réponse à la crise économique est à mettre au crédit de l'Europe.

Cette méthode, comme président de l'Ecofin, je souhaite que nous continuions à l'appliquer pour la reprise comme pour le rétablissement des finances publiques. L'écoute, la discussion, le dialogue, le respect de tous les Etats membres et la coordination la plus étroite possible dans notre réponse économique pour qu'elle ait la plus grande puissance possible.

C'est ce que nous ferons à l'Ecofin informel des 26 et 27 février et c'est ce que je souhaite faire aujourd'hui en ayant ce dialogue avec la commission des affaires économiques du Parlement européen pour lequel je vous remercie. Tous les textes que nous étudierons ne seront évidemment pas tous traités dans ce format. Ils peuvent être traités aussi en commission industrie, commission marché intérieur, commission environnement. Mais néanmoins, il me semble indispensable, je le redis, d'adopter la coordination la plus étroite possible.

Notre objectif avec le président de la République, c'est de tirer les leçons de cette crise pour construire un nouveau modèle économique européen. Et nous voulons que la présidence française du Conseil de l'Union européenne nous permette de jeter les bases de ce nouveau modèle économique européen, c'est l'ambition française des six mois de présidence.

À quoi peut ressembler ce nouveau modèle économique européen ?

D'abord, il doit être durable, respectueux de l'environnement. Plus un citoyen européen n'acceptera de payer par des atteintes à la planète un surplus de croissance.

Nos concitoyens, nos compatriotes veulent que nous arrivions à concilier plus de prospérité et plus de respect de la planète. Une croissance plus forte et une croissance plus durable, c'est le premier objectif de ce modèle économique européen et c'est ce qui le distingue du modèle chinois ou du modèle américain.

En deuxième lieu, nous voulons un modèle économique juste, un modèle qui permet de réduire les inégalités, un modèle qui permet aux salariés d'occuper toute leur place dans les entreprises, de participer à la décision dans les entreprises. Un modèle qui permet de mieux répartir le capital et le travail. C'est ce que nous avons fait en France en développant l'intéressement et la participation. C'est ce que font beaucoup de pays européens en augmentant les salaires minimums.

Enfin, en troisième lieu, nous voulons un modèle économique innovant, car nous savons parfaitement qu'il n'y a plus de souveraineté politique sans souveraineté technologique et que, par conséquent, si nous voulons un continent européen souverain, nous devons avoir un continent européen innovant. Les deux sont totalement liés. Vous ne pouvez pas dire que le continent européen est souverain si sa 5G vient de Chine, que ses lanceurs sont américains ou que ses satellites sont russes. Donc, il est indispensable que nous continuions à être un grand continent d'innovation comme nous le sommes depuis des siècles.

Voilà l'ambition française pour cette présidence, c'est comme cela que l'a fixé le président de la République. Bâtir ce nouveau modèle économique européen, écologique, juste et innovant. Ce sont les ambitions que nous nous sommes fixées qui seront au coeur des échanges entre les chefs d'Etats lors du conseil informel de la mi-mars.

Dans ce modèle économique, je voudrais revenir sur ce que cela signifie en termes de décisions politiques et d'actes juridiques. Si nous voulons un modèle économique durable, il est indispensable que nous investissions massivement dans la décarbonation de notre économie. Nous le faisons tous, je crois, de manière massive, mais il est indispensable également que nous protégions notre économie et que nous rétablissions un équilibre économique sur les questions environnementales. Cela veut dire que le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières sera une des priorités absolues de la présidence française du Conseil de l'Union européenne.

Nous ne pouvons pas demander à nos industries métallurgiques, à nos industries cimentières d'investir des dizaines de milliards d'euros partout en Europe pour réduire leurs émissions de carbone, pour faire appel à l'hydrogène ou à l'électrification pour réduire ses émissions de carbone, et dans le même temps, continuer à importer du ciment ou de l'acier de Chine, de Turquie, d'Inde ou d'ailleurs, qui ne respectent pas les mêmes conditions environnementales et qui sont moins coûteux. Ce serait de la compétition inégale entre puissances économiques. Nous souhaitons donc que le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières soit une priorité absolue de notre présidence. Les groupes de travail se réunissent à un rythme soutenu. Nous aurons une discussion à l'Ecofin le 15 mars. Et nous souhaitons pouvoir adopter ce mécanisme sous présidence française du Conseil de l'Union européenne.

Nous voulons, je le disais tout à l'heure, une croissance durable, mais aussi une croissance juste. De ce point de vue, et je le dis pour avoir livré ce combat avec beaucoup d'acharnement depuis maintenant près de 5 ans, la manière dont nous traitons les questions fiscales, notamment vis-à-vis des géants du numérique, est une priorité absolue également de la présidence française.

Nous avons réussi à obtenir un accord à l'OCDE sur la fiscalité internationale. Cet accord est un succès européen. Je sais bien que les États-Unis sont arrivés à la dernière minute comme la cavalerie pour sauver un accord qui commençait à flancher légèrement sur le côté.

Mais je rappelle aussi que s'il y a eu un accord, si le dossier est resté sur la table, s'il y a eu un consensus, c'est parce que depuis le début, depuis 2017, la France et les Etats européens se sont mobilisés pour cet accord.

L'administration américaine a volé au secours de la victoire, mais la victoire est une victoire européenne en matière de taxation internationale, ne l'oublions jamais. De ce point de vue-là, j'estime qu'il est indispensable que nous avancions dans la mise en oeuvre juridique de l'accord OCDE qui, je le redis, est d'abord et avant tout un succès européen.

Sur le pilier un, la taxation des géants du digital, cela relève d'un traité international à l'OCDE, donc il ne pourra pas être traité dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, même si nous souhaitons que ce volet soit ouvert et nous continuons à le défendre parce que c'est pour nous comme beaucoup d'État européen, un paquet, pilier 1 et pilier 2, et qu'il ne faut pas séparer les deux sujets.

S'agissant en revanche du pilier 2, la taxation minimale, il s'agit d'une proposition de directive. Nous souhaitons que la directive européenne sur la transposition de la taxation minimale soit adoptée sous présidence française du Conseil de l'Union européenne, et je mettrai autant d'énergie à obtenir cette adoption de la directive européenne sur la taxation minimale, que j'en ai mise à maintenir ouvert la taxation du géant du numérique est une question de justice et d'efficacité fiscale absolument indispensable pour le XXIème siècle.

Un modèle juste, c'est un modèle qui respecte aussi le consommateur, qui respecte la confidentialité de ses données, qui respecte les équilibres économiques entre les grands acteurs du digital, et de ce point de vue-là, les deux textes Digital Services Act (DSA) et Digital Market act (DMA) sont absolument stratégiques pour l'Europe, car ils définissent un nouveau cadre politique sur le fonctionnement de l'activité digitale. C'est cela l'enjeu, ce n'est pas uniquement essayer de réguler les places de marché, ce n'est pas uniquement réguler l'accès aux contenus, c'est essayer de concevoir au niveau européen un nouveau cadre stratégique de régulation des activités digitales, qui nous distingue de la mainmise chinoise sur le digital, qui n'est pas notre genre de beauté, car nous ne sommes pas un régime autoritaire, nous sommes des démocraties, nous en sommes fiers.

Ce n'est pas non plus la liberté totale laissée par les Etats-Unis, c'est un modèle de régulation original et propre à l'Europe. Donc merci à Stéphanie Yon-Courtin pour sa mobilisation sur le texte de DMA, chère Stéphanie, je crois que c'est un point absolument essentiel.

Enfin, une croissance innovante, c'est un des éléments clés, je le disais, de ce modèle de croissance, durable, juste, innovant. Cela suppose d'avancer, même si ce n'est pas directement dans le champ de compétence de la présidence, sur les PIIEC (batteries électroniques, hydrogène, cloud, santé). Je pense que nous aurons l'occasion de revenir dessus mais de l'innovation dépend notre capacité à faire progresser ces projets importants d'intérêt collectif européens sur lesquels, là aussi, nous mettrons toute notre énergie.

Enfin, dernier point et pardon d'être un peu long sur mon introduction, mais cela permet de bien couvrir tous les sujets, il va falloir pour bâtir ce nouveau modèle économique européen réfléchir de manière beaucoup plus offensive à la question de son financement.

L'un des drames européens, c'est que nous avons des idées, nous avons des innovations, nous avons des chercheurs, nous avons des laboratoires, nous avons des technologies, mais quand il faut trouver les financements nécessaires pour atteindre la masse critique, là nous ne sommes plus au rendez-vous parce que nous n'avons pas assez progressé sur les marchés de capitaux, la finance durable et l'ensemble des sujets qui garantissent la profondeur de financement dont nous avons besoin.

De ce point de vue-là, l'union bancaire et l'union des marchés de capitaux qui sont très soutenus par le président de l'Eurogroupe, Pascal Donohoe, sont des sujets majeurs.

Je remercie de ce point de vue-là Jonás Fernández pour son travail sur Bâle III, sujet qui paraît technique mais qui est éminemment politique.

Merci également à Markus Ferber sur le sujet Solvabilité II, qui est une des conditions sine qua non de la valorisation des actions dans le bilan des assureurs. C'est donc un sujet qui est plus politique qu'il n'y paraît. Cette finance, elle doit évidemment être durable.

Nous adopterons sous présidence française du Conseil de l'Union européenne le standard d'obligation verte. Nous adopterons sous présidence française du Conseil de l'Union européenne, les rapports de durabilité des entreprises et nous aurons l'occasion, j'imagine, de parler taxonomie lors de notre échange ce matin.

Enfin, il faut protéger les transactions financières. Cela suppose de réguler la finance numérique avec les règlements, MiCA et DORA ont une grande importance.

Merci aux rapporteurs Billy Kelleher et Stefan Berger pour leurs travaux essentiels sur ce sujet. Il faut également poursuivre la lutte contre la criminalité financière. Elle fait partie du modèle économique et financier européen et je remercie Luis Garicano de porter le texte sur la création d'une autorité européenne.

Enfin, un tout dernier mot pour vous dire que ce projet de création d'un nouveau modèle économique européen durable, juste, innovant, reposant sur un financement nouveau et plus profond à l'échelle du territoire européen, ne doit pas nous interdire de restaurer l'équilibre de nos finances publiques. Cela fera partie des débats majeurs que nous aurons au sein du groupe Ecofin.

Je veux dire à quel point le vieux débat entre les cigales et les fourmis, ceux qui dépensent et ceux qui épargnent, est un débat dépassé et que le vrai débat qui nous rassemble tous aujourd'hui, c'est de trouver le bon équilibre entre le nécessaire rétablissement de nos finances publiques et l'investissement tout aussi nécessaire dans les nouvelles technologies et dans la transition écologique.

Merci encore de votre écoute et merci surtout d'avoir pris l'initiative d'organiser cet échange utile entre nous.


Source https://www.economie.gouv.fr, le 26 janvier 2022