Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sur le thème « Les oubliés du Ségur de la santé – investissements liés au Ségur à l'hôpital ».
Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l'auteur de la demande dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l'issue du débat, l'auteur de la demande dispose d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Mes chers collègues, je vous rappelle que le port du masque est obligatoire dans l'hémicycle, y compris pour les orateurs s'exprimant à la tribune, conformément à la décision de la conférence des présidents.
J'invite par ailleurs chacune et chacun d'entre vous à veiller au respect des gestes barrières.
(...)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, alors que nous faisons face – comme vous l'avez rappelé – à une cinquième vague épidémique, qui demande des efforts massifs à nos soignants, il paraît plus pertinent que jamais de faire le point sur les actions menées par le Gouvernement pour les soutenir dans le cadre du Ségur de la santé.
Je le souligne d'entrée de jeu : après plus de dix ans de sous-investissement dans les ressources humaines et les structures de l'hôpital public, le Ségur de la santé est de loin le plus important plan de soutien à notre système de soins jamais proposé par une majorité présidentielle.
Cette ambition, c'est d'abord celle du Président de la République qui a pris à Mulhouse, le 25 mars 2020, l'engagement devant la Nation entière d'un plan massif d'investissement.
Le Gouvernement a concrétisé cette promesse en permettant à l'hôpital de prendre un nouveau départ fondé sur la concertation, en juillet 2020, de l'ensemble des acteurs de santé, ainsi que sur les enseignements tirés de la crise sanitaire.
Le Ségur de la santé s'articule autour de quatre grandes priorités : revaloriser les métiers et les carrières de ceux qui soignent ; définir une nouvelle politique d'investissement massive ; simplifier le quotidien et l'organisation des équipes de santé ; enfin, fédérer les acteurs de santé dans les territoires au service des usagers.
Commençons par les carrières des personnels soignants, des médecins et des professionnels de santé. La première urgence à laquelle nous nous sommes attelés était de reconnaître et de revaloriser leurs compétences.
À travers les accords du Ségur signés par le Premier ministre le 13 juillet 2020, nous sommes parvenus ensemble à une revalorisation d'ampleur : une hausse des rémunérations de plus de 1,5 million de personnels de santé pour 8 milliards d'euros par an.
Dès décembre 2020, les personnels non médicaux et les sages-femmes de la fonction publique ont au moins bénéficié d'une revalorisation socle de 183 euros par mois. Je dis bien « au moins », puisque, depuis octobre 2021, nous avons également revalorisé les grilles des personnels soignants, médico-techniques et du secteur de la rééducation.
Aides-soignants, infirmiers spécialisés ou non, cadres de santé, kinésithérapeutes, manipulateurs radio, ergothérapeutes, psychomotriciens, et j'en passe : tous sont concernés.
Parlons concrètement : le Ségur de la santé représente ainsi pour un infirmier de la fonction publique une revalorisation de 290 euros net en début de carrière, 335 euros après cinq ans de carrière, et 530 euros en fin de carrière.
Les personnels médicaux ne sont pas en reste : nous avons fusionné les quatre premiers échelons de rémunération et amélioré leur fin de carrière en créant trois nouveaux échelons. Nous avons également mis en place des primes managériales pour les chefs de service et de pôle ou encore revalorisé leur indemnité d'engagement de service public exclusif. Leurs carrières seront ainsi plus dynamiques et plus attractives.
Concernant l'avenir de notre système de santé, nous avons revalorisé les indemnités de stage des étudiants en santé et des internes pour accompagner les vocations.
Surtout, loin de l'idée selon laquelle il y aurait des « oubliés » du Ségur de la santé, nous avons choisi, de manière responsable, de répondre aux problèmes spécifiques des professions concernées par une perte d'attractivité – et nous parlons bien du secteur de la santé. Toutes les professions ne sont pas concernées de la même manière par ce phénomène ni au même moment.
C'est donc sur le fondement avéré de la perte d'attractivité des métiers que nous avons étendu à plusieurs reprises les revalorisations prévues, au-delà de l'ambition initiale, notamment à des personnels non médicaux.
Le Premier ministre a confié dès l'automne 2020 à Michel Laforcade la mission de mener une réflexion et d'engager des négociations relatives à l'extension des revalorisations du Ségur aux professionnels paramédicaux des secteurs proches des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
Dès lors, deux protocoles ont été signés avec les organisations syndicales. Depuis le 1er octobre 2021, l'intégralité des personnels non médicaux des structures sanitaires et médico-sociales financées par l'assurance maladie bénéficie des 183 euros net mensuels supplémentaires.
Depuis le 1er janvier, ils ont été rejoints par les personnels des structures médico-sociales publiques et privées non lucratives qui interviennent dans le secteur du handicap ou des soins à domicile.
Je le répète : nous avons cherché à donner l'ampleur la plus large possible à l'ambition initiale du Ségur de la santé.
Parallèlement, deux autres chantiers sont en cours. Le premier concerne l'attractivité des métiers du social, le second l'harmonisation du cadre conventionnel du secteur privé non lucratif, c'est-à-dire des conditions de travail de tous les salariés des nombreuses et belles associations qui oeuvrent dans le champ des solidarités et de la santé.
Ces deux chantiers sont distincts du Ségur de la santé et méritent d'être menés dans un cadre spécifique.
Le Premier ministre a fixé ce cadre à travers une conférence des métiers qui devra réunir tous les partenaires sociaux, mais aussi tous les financeurs, au premier rang desquels figurent, outre l'État, les départements ainsi que d'autres entités.
La tenue de cette conférence a été retardée par le contexte sanitaire, mais elle aura lieu dans les prochaines semaines. Sa préparation a été confiée à deux experts, MM. Jean-Philippe Vinquant et Benjamin Ferras, membres de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS).
Notre objectif est d'apporter des améliorations concrètes aux professionnels du secteur social et médico-social, tout en assurant une révision en profondeur des conditions d'exercice de leurs métiers et du déroulement de leurs carrières.
Pour en revenir au Ségur de la santé, il représente des efforts considérables pour rendre les carrières des soignants plus attractives et témoigner de la reconnaissance de la Nation à leur égard, efforts qui ont culminé à près de 10 milliards d'euros de dépenses depuis la signature des accords en juillet 2020.
L'attractivité de ces professions tient également à la possibilité, pour ceux qui les exercent, de travailler avec les moyens nécessaires à la réalisation de leurs missions et d'avoir confiance en la pérennité de leurs établissements de proximité. Le Ségur de la santé investit donc massivement dans les structures, pour améliorer les conditions de travail des soignants.
Je citerai un chiffre : au niveau national, le volet investissement du Ségur représente 19 milliards d'euros, dont 6 milliards d'euros issus du plan France Relance. C'est une somme colossale par rapport aux plans d'investissement précédents, qui équivaut à l'addition des plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012, à laquelle il faut encore ajouter 50 % du montant total de ces deux plans.
J'insiste sur ce point pour couper court aux critiques qui peuvent nous être adressées : c'est plus que lors des trois précédents quinquennats réunis ! C'est aussi une somme nécessaire pour répondre aux ambitions que nous nous sommes fixées.
Pour transformer notre système de santé dans les territoires, le Ségur prévoit 9 milliards d'euros d'aides visant à favoriser la réalisation de projets structurants pour les établissements sanitaires et médico-sociaux, impliquant la construction de nouveaux bâtiments ou encore la rénovation de chambres d'hospitalisation pour améliorer le confort des patients.
Enfin, le Ségur c'est aussi 2 milliards d'euros pour le numérique en santé.
En mars 2021, le Premier ministre, le ministre des solidarités et de la santé et moi-même avons lancé la stratégie nationale d'investissements en santé à Cosne-Cours-sur-Loire, avec le parti pris déterminé d'une déconcentration des enveloppes et d'une forte dimension territoriale, pour être au plus près des besoins en santé de nos bassins de vie.
L'action des agences régionales de santé (ARS) a évolué : la réforme s'est caractérisée par un changement de méthode et de vitesse sans précédent par rapport à ce qui se faisait auparavant. Il a ainsi été demandé aux ARS de mener en un temps record des concertations territoriales avec l'ensemble des acteurs de santé et des élus impliqués, pour définir les besoins selon une logique non pas d'établissements, mais de territoires de santé.
Avec cette méthode, le seuil d'éligibilité des projets au niveau national est passé de 50 millions d'euros à 150 millions d'euros. Les projets sont désormais accompagnés pour éviter tout effet couperet après de longues années de mobilisation des acteurs locaux. Enfin, le délai d'instruction est passé de cinq à trois ans.
Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j'ai malheureusement épuisé mon temps de parole. Je profiterai donc de l'occasion qui m'est donnée de répondre à vos questions pour parachever mon propos.
- Débat interactif -
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l'auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n'ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, depuis le début de la crise sanitaire, tous les personnels des secteurs de la santé et du médico-social sont mobilisés pour assurer la prise en charge des patients. À cette occasion, ils nous alertent sur les difficultés systémiques auxquelles ils se heurtent.
Bien avant cette pandémie, ils remettaient déjà en cause les politiques de restriction budgétaire menées depuis près de vingt ans. Confronté à l'ampleur de leur mobilisation, votre gouvernement a été contraint d'organiser un Ségur de la santé. Dont acte !
Un an et demi après, c'est l'insatisfaction générale qui règne. Nous constatons, en prime, une division des personnels selon leur catégorie socioprofessionnelle, car vous en avez exclu certains du bénéfice des mesures du Ségur. En conséquence, les démissions et les départs de l'hôpital se succèdent.
Ce Ségur, quoi que vous en disiez, madame la ministre, n'a rien changé au profond malaise du monde de la santé : il ne répond ni au manque d'attractivité de ces professions ni à la dégradation de leurs conditions de travail.
Quant aux investissements, qui consistent essentiellement en la reprise d'une partie de la dette hospitalière, ils sont conditionnés à un retour à l'équilibre et, donc, à de nouvelles suppressions de postes.
La crise sanitaire a démontré la nécessité de former davantage de personnels dans les secteurs de la santé et du médico-social.
Madame la ministre, quel plan de formation et de reconnaissance des métiers le Gouvernement envisage-t-il ?
Sur les 15 000 recrutements prévus dans le cadre du Ségur de la santé, nous savons que 7 500 d'entre eux seulement correspondraient à des créations de postes, l'autre moitié correspondant à des postes vacants. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Madame la sénatrice, c'est parfaitement votre droit de parler des oubliés du Ségur, puisque c'est le thème du débat qui nous réunit ce soir.
Pour autant, je voudrais insister sur deux points.
En premier lieu, le Ségur a tout de même permis de revaloriser immédiatement les rémunérations de 1,5 million de personnes, dont 600 000 par l'attribution d'un complément de traitement indiciaire (CTI). À cela, il faut ajouter la hausse des rémunérations de 70 000 professionnels de santé à la suite des accords Laforcade et celle de 66 000 autres personnels soignants après les derniers efforts que nous venons de consentir.
En second lieu, je rappelle que, grâce à la réforme de l'avenant 43 à la convention collective de la branche de l'aide à domicile, dont aujourd'hui on voudrait se plaindre, ce sont 210 000 personnes supplémentaires qui ont obtenu une revalorisation salariale ; elles le méritaient depuis très longtemps, et cela n'avait pas été fait jusqu'à présent.
Alors, bien sûr, certains continueront de ne parler que de ceux que l'on a oubliés mais, au total, sachez que les hausses de rémunérations décidées par le Gouvernement profitent à 1,86 million de personnels de santé et médico-sociaux.
Par ailleurs, nous allons bientôt lancer un nouveau plan pour renforcer l'attractivité des métiers de la santé : c'est l'axe 2 du Ségur de la santé.
Nous suivons de très près l'avancée des négociations et attendons des réponses rapides, notamment sur les moyens à engager. Ce volet relatif à la mise en oeuvre de mesures sur la sécurisation des organisations et des environnements de travail prévoit notamment l'instauration d'une prime d'engagement collectif de 100 euros net par mois pour promouvoir la participation des agents aux projets hospitaliers.
Le Gouvernement a souhaité accompagner les établissements dans le recrutement de 15 000 personnels soignants, dans la rénovation des organisations de travail en incitant au dialogue social dans chaque établissement. Nous avons consacré 1 milliard d'euros à cet axe majeur, qui réaffirme la place du dialogue social à l'hôpital.
Une instruction a été transmise aux directeurs généraux des ARS et aux directeurs d'établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux le 10 septembre dernier pour préciser les modalités de mise en oeuvre de cette nouvelle étape du Ségur.
Il leur est notamment demandé d'orienter prioritairement les personnels nouvellement recrutés vers les métiers les plus en tension : infirmiers diplômés d'État, aides-soignants des équipes de suppléance, en particulier pour les soins critiques, infirmiers en pratique avancée et infirmiers intervenant en psychiatrie.
Les établissements de santé ont entamé les discussions avec les organisations syndicales pour partager leur diagnostic. Le prochain diagnostic dressé en matière de ressources humaines permettra d'affiner le fléchage des premiers recrutements prévus et financés à ce titre en 2021.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.
Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, si vous aviez tout fait parfaitement, il n'y aurait pas ce mécontentement et ce malaise !
M. Bruno Belin. Tout à fait !
Mme Laurence Cohen. Vous savez très bien que vos mesures sont insuffisantes : on estime à 100 000 les besoins en personnels dans les hôpitaux, à 300 000 sur trois ans ces mêmes besoins dans les Ehpad, et à 100 000 le besoin en aides à domicile. C'est cet effort qui vous est demandé aujourd'hui !
Pourquoi le personnel formé au printemps dernier n'a-t-il pas été réembauché à la rentrée de septembre ? Le maintien de ces agents aurait pu empêcher que les établissements se retrouvent sous tension et, surtout, soient contraints de déprogrammer des soins et des opérations, comme c'est le cas aujourd'hui.
Vous exigez toujours plus des personnels soignants, mais, en réalité, vous ne les écoutez pas ! Quand allez-vous enfin améliorer leurs conditions de travail ? Quand allez-vous enfin entendre leurs demandes ? Quand allez-vous arrêter cette politique qui les pousse, parce qu'ils y sont extrêmement malheureux, à quitter l'hôpital ?
Le Sénat a créé une commission d'enquête sur la situation de l'hôpital : si vous entendiez les personnels, toutes catégories confondues, vous constateriez qu'ils sont extrêmement mécontents et qu'ils reprochent au Gouvernement de ne pas les écouter.
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. Madame la ministre, l'axe 2 du Ségur de la santé prévoit 19 milliards d'euros d'investissement, un montant évidemment très élevé.
Je rappelle toutefois que, dès la fin de l'année 2019, avant la crise sanitaire donc, il était prévu de verser 13 milliards d'euros aux hôpitaux et, plus accessoirement, aux établissements médico-sociaux pour les aider à investir. En réalité, votre annonce repose pour une large part sur la réaffectation d'une enveloppe existante.
Vos annonces, madame la ministre, m'amènent à m'interroger. Comment toutes ces mesures vont-elles être déclinées dans les territoires ? Le Ségur de la santé est certainement une très bonne chose – je ne le remets pas en cause –, mais il a suscité beaucoup d'incompréhension et de questionnements.
Quels sont les axes prioritaires définis par le Conseil national de l'investissement en santé (CNIS) ? Sur le fondement de quels critères – est-ce, par exemple, au regard de l'écosystème local et des inégalités territoriales ? – les a-t-il fixés ? Ce sont là des questions que tout le monde se pose.
Quel bilan dressez-vous des contrats liés aux investissements courants, dont le terme était fixé au 31 décembre 2021 ? Quel échéancier prévoyez-vous pour la consommation des crédits dédiés aux investissements tant courants que structurants ? Nous aimerions tous le connaître, car nous avons tous besoin d'un carnet de route pour répondre aux sollicitations qui nous sont adressées.
Alors que la situation des hôpitaux appelle une réponse urgente, vous nous avez dit avoir changé de méthode et accéléré. Mais l'échéance du 31 décembre 2028 ne suggère-t-elle pas que le Gouvernement garde une réserve financière pour une prochaine mandature ?
Enfin, sur quelle base décidez-vous de la répartition territoriale des crédits d'investissement prévus par le Ségur de la santé ?
Ce sont autant de questions que se posent tous les élus de nos territoires.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Madame la rapporteure générale des affaires sociales, j'espère que vous le comprendrez, je ne pourrai pas répondre à toutes vos questions en deux minutes. (Sourires.) Je vais donc essayer de me concentrer sur l'essentiel.
Vous m'interrogez sur la mise en oeuvre concrète des mesures issues du Ségur de la santé.
Nous avons tout d'abord défini des priorités nationales et élaboré des indicateurs précis, avant de transférer aux ARS la gestion des enveloppes budgétaires destinées aux différents territoires, et ce pour tenir compte au plus juste des besoins sur le terrain.
Pour les Ehpad, par exemple, les besoins ont réellement été définis en concertation avec les acteurs locaux et les élus. Je peux vous le garantir parce que, partout où je suis allée, et même si l'on peut observer des différences d'un département à l'autre, j'ai pu constater combien le dialogue avait été efficace. Vous l'admettrez, il s'agit d'une méthode nouvelle.
En réalité, nous avons décidé d'engager un véritable plan Marshall. Évidemment, cela ne se fait pas en six jours ni en six semaines ou en six mois : c'est un plan pluriannuel, dont les mesures vont se décliner dans les territoires durant trois ans.
En 2021, une première enveloppe a été débloquée, et des crédits ont tout de suite pu être mobilisés. Nous nous sommes rendus dans toutes les régions pour expliquer notre méthode, annoncer le montant de la dotation régionale, et définir, en lien avec les ARS, les priorités parmi celles que les agences avaient négociées au niveau local.
Nous avons suivi la même démarche s'agissant des investissements. Nous consacrons 19 milliards d'euros à la modernisation du système de santé. Cet engagement concerne aussi le numérique, les petits équipements et les équipements du quotidien.
À cela, il faut ajouter la reprise de la dette des hôpitaux par l'État, pour un montant qui est loin d'être insignifiant.
Ce plan Marshall permettra aux territoires d'investir massivement là où les besoins existent. Je peux attester que, dans certains territoires – je pense en particulier au bassin minier du Nord-Pas-de-Calais et à l'hôpital de Lens où le service de pneumologie a fermé –, on est très heureux du déblocage de cette enveloppe, très souvent annoncée, mais jamais accordée. Aujourd'hui, c'est fait !
Aussi, nous devrions collectivement nous féliciter de ce plan d'investissement, dont la déclinaison dans les territoires, qui découle systématiquement de concertations locales, est – je le répète – en cours.
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Madame la ministre, ma question fait suite à un courrier envoyé mi-décembre à votre ministre de tutelle, Olivier Véran.
Ce courrier, comme presque toutes mes sollicitations du reste, n'a pas encore fait l'objet d'une réponse mais, comme je suis optimiste et persévérante, je vais réitérer ma demande.
Comme c'est le cas dans le reste du pays, l'état du système de santé du territoire nord-lorrain suscite des inquiétudes profondes et durables, aggravées par la crise conjoncturelle liée à l'épidémie de covid-19.
Dans ce contexte, vous avez pris des mesures très attendues par les acteurs de terrain, notamment la revalorisation des salaires des soignants et un investissement massif dans les hôpitaux, qui font l'objet de notre débat d'aujourd'hui.
La stratégie régionale des investissements en santé dans la région Grand Est nous a été dévoilée en décembre par le ministre des solidarités et de la santé. Elle apporte des nouvelles rassurantes à la majeure partie des hôpitaux de Meurthe-et-Moselle.
Pour autant, dans le cadre de ces premières annonces, un hôpital a été totalement oublié : celui de Mont-Saint-Martin. Cet établissement privé à but non lucratif joue pourtant un rôle indispensable dans cette zone frontalière avec le Luxembourg et la Belgique, où les indicateurs sanitaires, sociaux, en termes de circulation virale et de taux de vaccination, sont toujours moins bons que les moyennes nationale et départementale.
La gestion des ressources humaines y est d'une complexité sans pareille, les personnels soignants étant attirés par les salaires et les conditions de travail bien plus favorables que l'on trouve au Luxembourg.
Les investissements dans ce territoire sont donc indispensables : il faut renforcer l'attractivité de l'hôpital auprès des soignants et, in fine, répondre aux besoins de la population.
Madame la ministre, pouvez-vous lever les inquiétudes qui minent les acteurs de cet établissement, les élus locaux et la population, et les assurer de la mobilisation de crédits en faveur de cet hôpital, lequel assure des missions de service public essentielles ?
Le cas de cet hôpital n'est pas isolé, puisque certains établissements de santé sont encore en attente des crédits annoncés. Comment allez-vous gérer les crédits non consommés – leur montant représenterait 40 % du montant total des crédits prévus dans le cadre du Ségur ? De quelle lisibilité disposerons-nous à ce sujet, et dans quel délai ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Madame la sénatrice Guillotin, je vous rassure d'emblée, le centre hospitalier de Mont-Saint-Martin n'a été ni négligé ni oublié, et ne le sera pas davantage dans l'avenir. Bien au contraire, il fait l'objet d'une attention toute particulière de l'ARS, s'agissant en particulier des difficultés auxquelles il est confronté.
Cet hôpital devrait percevoir prochainement tous les types de crédits qu'il est possible d'obtenir dans le cadre du Ségur : des investissements du quotidien, une aide à la restauration de ses capacités financières et une aide structurelle pour un projet encore en cours d'instruction.
Comme vous l'avez expliqué, l'hôpital de Mont-Saint-Martin souffre en effet d'un manque d'attractivité en raison de la proximité du Luxembourg ; c'est une problématique que l'on rencontre un peu partout dans votre territoire.
L'ARS du Grand Est soutient cet hôpital, même s'il s'agit d'un établissement privé : il facilite ainsi ses démarches en matière de ressources humaines, auprès de la préfecture notamment, lorsqu'il tente de recruter des professionnels de santé en provenance de l'étranger.
Sur le plan financier, l'ARS a soutenu cet établissement par le passé et va continuer à le faire. L'hôpital a reçu 1,4 million d'euros au titre du soutien à l'investissement et 650 000 euros au titre du soutien à l'exploitation sur la période 2017-2019. Il faut y ajouter la hausse de 2 millions d'euros de la dotation annuelle de fonctionnement de l'hôpital pour son activité psychiatrique, et le déblocage d'une aide exceptionnelle de 1 million d'euros en 2020.
Au total, ce sont donc plus de 5 millions d'euros supplémentaires dont a bénéficié l'hôpital de Mont-Saint-Martin au cours des quatre dernières années, hors Ségur de la santé.
Dans le cadre du Ségur, l'établissement perçoit 160 000 euros pour son « assainissement financier » et 346 000 euros pour les investissements du quotidien. Je vous concède que ces montants ne figuraient pas dans le dossier de presse.
Comme vous l'espériez, dans ce même cadre, un projet d'investissement lancé par l'hôpital est en cours d'instruction par l'ARS. Il est bien identifié, et son coût est estimé à 13,5 millions d'euros.
Pour rappel, dans la région Grand Est, les annonces ministérielles de décembre dernier ne portaient que sur 40 % de l'enveloppe des investissements majeurs prévus dans le cadre du Ségur de la santé.
En fait, il reste 180 millions d'euros à la disposition des hôpitaux. Or, je le répète, aucun établissement pouvant prétendre à une aide ne sera oublié. L'argent est là, nous avons débloqué les moyens nécessaires et nous tiendrons nos engagements. Vous n'aurez donc pas longtemps à attendre, madame la sénatrice : l'ARS poursuit le travail avec l'établissement que vous évoquiez.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.
M. Jean-Luc Fichet. Madame la ministre, le 22 novembre dernier, je recevais à ma permanence une délégation, unique en son genre, d'un collectif rassemblant des employeurs et des syndicats de l'économie sociale et solidaire en Bretagne. Ceux-ci s'étaient mobilisés en nombre dans tout le département du Finistère pour demander une revalorisation salariale de l'ensemble des professionnels du secteur médico-social et social.
En effet, seuls les personnels travaillant dans des établissements relevant du financement de l'assurance maladie peuvent bénéficier des augmentations de rémunération prévues par le Ségur de la santé, ce qui exclut de fait une grande partie des métiers éducatifs, administratifs et de support.
Cette restriction crée d'importantes iniquités au sein d'un même établissement, voire d'une même équipe, puisque les professionnels ne perçoivent pas tous le même traitement, malgré des fonctions et des qualifications analogues. Les employeurs nous indiquent rencontrer des difficultés de recrutement inédites : les départs se multiplient et les personnels s'orientent vers des secteurs mieux valorisés. Certains services ont même déjà dû fermer.
Cette situation menace gravement la capacité des établissements de santé à mener à bien leur mission. Au-delà du Ségur, c'est la faiblesse structurelle des salaires, la dégradation des conditions de travail et le manque de considération pour le secteur social et médico-social qui sont aujourd'hui en cause.
Alors que l'ensemble des personnels continuent de faire preuve d'un professionnalisme et d'un dévouement sans faille, madame la ministre, allez-vous rétablir une égalité de traitement entre les personnels, en annonçant une revalorisation salariale pour tous ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Monsieur le sénateur Jean-Luc Fichet, je n'ai pas bien compris de quel collectif vous me parliez : défend-il les professionnels du secteur du handicap, ceux du secteur de l'aide à domicile, ou encore d'autres secteurs ?
Si vous me parliez de l'aide à domicile, l'État a d'ores et déjà fait en sorte de revaloriser les salaires des personnels dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Après négociation, sachez que les départements contribuent à la mise en oeuvre de cette mesure à hauteur de 50 %.
Si, en revanche, vous évoquiez la situation d'autres catégories de personnels, par exemple ceux qui travaillent dans les établissements de santé privés à but lucratif, la situation est différente.
En effet, ces entreprises devront, tout comme l'État et les départements pour le secteur public, faire les efforts financiers nécessaires pour revaloriser leurs salariés. À leur demande, nous avons d'ailleurs mis en place un tarif national de référence destiné à garantir une égalité tarifaire sur l'ensemble le territoire, et ce afin de ne pas remettre en cause leur modèle économique.
Je pense aussi aux professionnels de santé relevant de la fonction publique territoriale, qu'elle soit départementale ou communale, s'agissant des centres communaux d'action sociale (CCAS). Là encore, la négociation s'impose : les collectivités, à leur tour, devront produire un effort financier si elles veulent que l'État les accompagne.
Nous n'excluons personne. Les revalorisations salariales s'étendent progressivement aux différents secteurs, par étapes successives. N'oublions pas qu'à l'origine le Ségur de la santé visait exclusivement la revalorisation des métiers de la santé.
Je fais partie de celles et ceux qui, dès le départ, ont plaidé pour une revalorisation des salaires des aides à domicile, lesquelles n'étaient pas considérées comme faisant partie des personnels soignants stricto sensu. Leurs revendications étant légitimes, nous avons – je le redis – engagé un nouveau plan d'aide dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Comme vous le savez, à la suite de la mission Laforcade, nous avons permis à d'autres professionnels du secteur médico-social de bénéficier de ces revalorisations, et nous allons continuer dans ce sens.
La situation des personnels que vous mentionnez sera revue, monsieur le sénateur : nous comptons étudier une à une toutes les catégories qui n'ont pas encore obtenu de hausse de salaire, car les secteurs sous tension méritent toute notre attention.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour la réplique.
M. Jean-Luc Fichet. Madame la ministre, je vous remercie pour votre réponse. Je faisais référence à un collectif unique en son genre, puisqu'il regroupe des employeurs et des syndicats de l'économie sociale et solidaire.
Le médico-social comprend évidemment le secteur du handicap, mais aussi le secteur de l'aide à domicile, dans lequel on constate quotidiennement que les conditions de travail sont très dures et les salaires très faibles.
Vous l'avez dit, il nous faudra lancer des concertations pour aboutir, ensemble, à des solutions. Il y a urgence : il faut agir avant que ces secteurs se retrouvent sans personnel compétent pour assurer des tâches très difficiles au quotidien.
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Théophile.
M. Dominique Théophile. Hier après-midi, le directeur général du centre hospitalier universitaire (CHU) de Guadeloupe, M. Gérard Cotellon, et son directeur général adjoint, M. Cédric Zolezzi, ont été agressés sur leur lieu de travail.
Une telle violence n'a pas sa place en démocratie, encore moins dans l'enceinte d'un hôpital. Permettez-moi de leur exprimer à nouveau mon amitié et de leur apporter tout mon soutien.
Madame la ministre, sur les 14,5 milliards d'euros d'investissement prévus dans le cadre du Ségur de la santé pour les établissements de santé, plus de 1 milliard d'euros sera consacré aux outre-mer. Cette somme permettra d'améliorer la trésorerie des établissements, de les désendetter, au moins partiellement, et les aidera à assurer leurs investissements courants. Elle s'ajoute aux financements déjà engagés pour combler le retard que l'offre de soins en outre-mer a accumulé par rapport à celle de l'Hexagone.
En juillet 2020, le ministre des solidarités et de la santé avait évoqué la possibilité d'organiser un Ségur propre aux outre-mer. Vous le savez, cette proposition n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd : les hospitaliers ultramarins sont en effet nombreux à réclamer – c'était le cas encore récemment – un traitement spécifique pour nos territoires, et une plus grande autonomie sanitaire.
L'isolement géographique des outre-mer justifie, selon les conclusions du rapport de nos collègues Jean-Michel Arnaud et Roger Karoutchi, « un dimensionnement de l'offre de soins au moins équivalent à celui de l'Hexagone », notamment en ce qui concerne les capacités en soins critiques.
La refonte du coefficient géographique et des modes de financement des hôpitaux ultramarins est la clef de cette autonomie ; elle permettra de réduire le nombre d'évacuations de patients vers l'Hexagone et les frais exorbitants que celles-ci emportent, mais également de constituer des pôles d'excellence.
Un rapport sur la question a été récemment remis au Parlement ; le ministre a indiqué que la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) y travaillait également.
Pouvez-vous, madame la ministre, nous informer de l'avancée de vos travaux sur le sujet ? Pouvez-vous également nous dire si un Ségur des outre-mer a une chance de voir le jour ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Monsieur le sénateur Théophile, permettez-moi de vous remercier pour le soutien que vous apportez au directeur général du CHU de Guadeloupe, Gérard Cotellon, et à ses équipes. Les violences dont ils ont été la cible sont inacceptables, surtout dans le climat actuel ; nous devons afficher un front uni pour condamner ces actes commis à l'encontre de ceux qui assurent le fonctionnement des hôpitaux au service de la population. Comme vous, je les condamne avec la plus grande fermeté.
Pour en revenir à votre question, l'agenda du Gouvernement n'a pas permis d'ouvrir une fenêtre propice à une discussion de type Ségur ad hoc, pour laquelle, d'ailleurs, nous ne disposons d'aucun mandat financier.
Je me dois néanmoins de rappeler que les outre-mer peuvent pleinement bénéficier de l'ensemble des mesures du Ségur, notamment les mesures de revalorisation salariale.
Par ailleurs, nous savons que les départements et régions d'outre-mer (DROM) ont besoin d'investissements importants. Ils en bénéficieront, et ce au-delà même des vastes chantiers en cours, comme celui du CHU de Pointe-à-Pitre. Ainsi, nous avons décidé de consacrer, dans le cadre du Ségur, plus de 1 milliard d'euros d'investissement en outre-mer, en plus des opérations déjà engagées.
Afin de s'adapter aux spécificités du territoire, le ministre de la santé a engagé une réflexion avec les ARS concernées pour envisager le desserrement de certaines contraintes, et pour donner davantage de souplesse et une certaine liberté, notamment, là où les dispositions métropolitaines ne paraissent pas adaptées.
S'agissant du coefficient géographique, nous avons fait le choix de l'objectivité. Nous avons confié à la Drees la mission d'élaborer une méthode statistique robuste sur la base de laquelle nous pourrons actualiser les coefficients géographiques que vous venez d'évoquer. Un rapport devrait être remis au moment de l'examen du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, comme il était prévu.
Vous le voyez, malgré le contexte, nous restons mobilisés. Nous sommes aux côtés des Antilles pour oeuvrer à la mise en place d'un plan global, permettant de garantir un égal accès aux soins des Français en outre-mer et en métropole.
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Le 8 novembre dernier, le Gouvernement annonçait l'extension des revalorisations salariales du Ségur de la santé à 20 000 soignants supplémentaires, notamment les salariés des établissements pour personnes handicapées financés par les départements. Cette hausse de 183 euros par mois entend répondre aux difficultés de recrutement dans le secteur médico-social.
Ce secteur est actuellement confronté à une pénurie de personnel : les disparités de traitement entre salariés entraînent une fuite des compétences vers des secteurs mieux rémunérés ou déjà revalorisés.
À titre d'exemple, dans mon département de la Meuse, l'activité d'une association de parents gestionnaires d'établissements et de services pour personnes en situation de handicap, qui emploie 450 accompagnants, est réduite du fait du grand nombre de postes vacants – 40 postes équivalents temps plein à ce jour.
Certes, les annonces gouvernementales constituent une réponse nécessaire et appréciée, mais elles demeurent insuffisantes. En se limitant aux soignants et aux personnels paramédicaux, elles excluent des professionnels pourtant indispensables à l'accompagnement des personnes en situation de handicap, tels que les éducateurs spécialisés, les personnels administratifs, les agents de sécurité.
Comme l'a indiqué M. le Premier ministre, « l'accompagnement des personnes en situation de handicap ne se résume pas aux soins ».
De plus, cette situation sape les droits fondamentaux des personnes en situation de handicap : ruptures d'accompagnement dues aux arrêts de service, problèmes de sécurité, restriction des activités essentielles à leur vie quotidienne, obligeant parfois les familles à prendre le relais.
Madame la ministre, envisagez-vous d'étendre à l'ensemble du personnel des établissements médico-sociaux du secteur du handicap les mesures salariales prévues par le Ségur de la santé et les accords Laforcade – et dans l'affirmative, à quelle échéance ? Quel accompagnement proposeriez-vous dans ce cas aux départements ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Monsieur le sénateur Franck Menonville, votre question porte sur l'action du Gouvernement dans le champ du handicap.
Depuis le mois de novembre 2021, près de 20 000 soignants de ce secteur ont pu bénéficier d'une revalorisation de leur rémunération.
Vous venez d'évoquer les personnels travaillant dans le domaine de l'accompagnement social, c'est-à-dire une catégorie de professionnels directement rémunérés par les départements. Vous le comprendrez, leur revalorisation salariale nécessiterait un autre accord que celui de l'État, en l'occurrence celui des départements.
À cet égard, sachez que je procède méthodiquement : je rencontre tous les présidents de département les uns après les autres, et je peux vous dire que, maintenant que l'avenant 43 à l'accord de branche a été agréé et financé, partout où des ajustements seront nécessaires, nous étudierons l'éventualité d'une hausse des salaires.
Beaucoup d'autres avancées ont été obtenues : la création des « dotations qualité », par exemple, permettra un meilleur accompagnement des malades et des personnes fragiles à domicile. À chaque fois, il est cependant nécessaire de discuter avec les départements.
Les personnels que vous défendez, monsieur le sénateur, n'ont jamais autant profité d'aides de l'État. Ils se situent néanmoins en marge du Ségur de la santé, même s'ils demandent légitimement à bénéficier d'une hausse de leurs rémunérations – il n'y en a pas eu depuis très longtemps dans ce secteur.
Mathieu Klein, président du Haut Conseil du travail social (HCTS), est en train de préparer un Livre vert, à la demande du ministre des solidarités et de la santé, pour nous permettre d'envisager une revalorisation, tout à fait légitime, de ces personnels. Une telle mesure doit cependant faire l'objet, je le redis, d'une concertation avec les départements.
Compte tenu des circonstances que nous connaissons, la tenue de la conférence des métiers du secteur médico-social, qui était annoncée pour le 15 janvier prochain, a été quelque peu retardée. Elle aura pour vocation première de revoir et de remettre à plat ce sujet, en lien avec les départements et tous les financeurs concernés, y compris les gestionnaires des établissements pour personnes handicapées – cela va de soi.
Cette réflexion, qui doit s'engager dans le cadre d'un calendrier partagé, n'est pas neutre financièrement ; il faudra donc évaluer le niveau d'effort de chacun. C'est pourquoi nous avons demandé à deux membres de l'IGAS de participer à ce travail de concertation. Nous sommes en train d'établir une feuille de route qui nécessitera divers aménagements.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Delmont-Koropoulis.
Mme Annie Delmont-Koropoulis. Madame la ministre, nous attendons vraiment des informations précises de votre part sur le calendrier de la réforme. Pour l'instant, tout cela est très vague. Or les personnes qui attendent une revalorisation salariale ont besoin de choses concrètes.
Les personnels éducatifs, par exemple, participent, comme les soignants, à l'accompagnement des personnes en situation de handicap dans tous les actes de la vie quotidienne. Il faut donc vraiment penser à eux.
S'agissant de l'hôpital public, les praticiens hospitaliers en milieu de carrière se sentent aussi oubliés par le Ségur de la santé, en raison de la non-application de la nouvelle grille aux praticiens nommés avant le 1er octobre 2020. Cette mesure est très mal vécue par les praticiens hospitaliers et fait l'objet de plusieurs milliers de recours individuels.
Quelque 330 commissions médicales d'établissement (CME) ont adopté une motion demandant l'application de cette nouvelle grille à tous. Ce dossier est à ce jour bloqué au niveau de votre ministère, alors que les représentants du secteur vous ont fait parvenir des propositions claires et efficaces pour fidéliser les praticiens hospitaliers.
Ce ne serait que justice de leur donner satisfaction, compte tenu de tous les efforts réalisés depuis plus de deux ans dans un hôpital sous tension.
Madame la ministre, pouvez-vous m'assurer que vous reverrez ce dossier avec toute l'attention qu'il mérite ? Nous devons à ces professionnels de santé toute notre reconnaissance.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Madame la sénatrice Delmont-Koropoulis, vous m'interrogez sur les mesures prises en faveur des praticiens hospitaliers, notamment la revalorisation de leur rémunération qui est attendue.
Je rappelle qu'un accord a été signé le 13 juillet avec les organisations syndicales représentatives des médecins et la Fédération hospitalière de France (FHF), qui ont opté pour cette méthode et ce calendrier.
Cet accord majoritaire a permis la fusion des quatre premiers échelons de la grille, et ce afin d'améliorer l'attractivité de l'hôpital public – ce qui est aujourd'hui une nécessité – notamment auprès des jeunes professionnels de santé. Comme vous le souligniez, madame la sénatrice, ce sont effectivement les nouveaux entrants qui bénéficient de cette refonte des grilles. Sachez toutefois que la réforme concerne plus de 15 000 praticiens et correspond à un effort du Gouvernement de l'ordre de 90 millions d'euros.
Par ailleurs, le Gouvernement s'est engagé à reconnaître les fonctions managériales des médecins à l'hôpital par l'instauration d'une prime de chef de service, d'une prime de chef de pôle, et la revalorisation de l'indemnité des présidents de commission médicale d'établissement. Près de 25 000 praticiens bénéficient de ces primes managériales depuis novembre 2021 ; cela représente un engagement de plus de 80 millions d'euros.
Au-delà du Ségur de la santé, le Gouvernement a pris des engagements en juillet dernier pour améliorer l'attractivité des carrières des personnels hospitalo-universitaires : amélioration des rémunérations, mais aussi de la gestion des parcours professionnels, ou encore respect de l'égalité femmes-hommes dans l'accès à ces carrières.
Au total, l'engagement du Gouvernement pour attirer et fidéliser des personnels non médicaux à l'hôpital représente un effort de près de 500 millions d'euros par an.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Delmont-Koropoulis, pour la réplique.
Mme Annie Delmont-Koropoulis. Madame la ministre, je vous demande une nouvelle fois d'examiner les propositions des représentants du secteur, car il importe que tout le monde profite de la refonte de la grille.
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la ministre, mon intervention fait écho à une question d'actualité qui vous a été posée cet après-midi.
En effet, les difficultés persistent. Si nous donnons l'impression de nous répéter depuis dix-huit mois, c'est que nous estimons qu'il importe de combler les trous dans la raquette ; c'est la conséquence d'une réponse du Gouvernement qui n'a pas été systémique, de la mise en oeuvre de mesures qui n'ont pas concerné l'ensemble des professionnels de la même manière.
Force est de constater qu'à l'issue du Ségur de la santé et des accords Laforcade demeure un double problème de cohérence et de périmètre quant aux revalorisations prévues.
Il y a d'abord un problème de cohérence, car les négociations ont toutes été menées en silo, sans tenir compte des liens et des interactions entre tous les métiers de la santé, santé qu'il faut entendre, au sens de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), comme un état complet de bien-être physique, mental et social.
À ce cloisonnement s'ajoute un problème de périmètre, car ces revalorisations excluent de fait une grande partie du secteur social, par exemple le champ de la protection de l'enfance dont nous avons récemment débattu.
Éducateurs spécialisés, moniteurs d'enseignement ménager, éducateurs de jeunes enfants (EJE), techniciens de l'intervention sociale et familiale (TISF), psychologues, cadres de service éducatif et social : tous se sont mobilisés pour renforcer les dispositifs auprès des plus vulnérables durant les confinements successifs, assurer la continuité des actions de protection de l'enfance et faire face aux conséquences toujours en cours de la crise sanitaire et sociale.
À l'heure où une conférence des métiers de l'accompagnement social et médico-social est annoncée – elle est finalement reportée –, et où une mission est confiée à l'IGAS pour faire converger les conventions collectives du secteur, ma question est précise, madame la ministre : le Gouvernement compte-t-il remédier avant la fin de son mandat, soit plus d'un an et demi après le début du Ségur, aux inégalités de traitement entre les professionnels de la santé, au sens de l'OMS, ainsi qu'aux dysfonctionnements induits par les distorsions d'attractivité au détriment, bien entendu, des oubliés des accords, qui, une fois de plus, sont principalement des travailleurs sociaux ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Madame la sénatrice Poncet Monge, comme vous l'avez indiqué, votre question a trait au travail social. Il s'agit, vous en conviendrez, d'une catégorie différente de la santé, même si vous englobez le travail social dans la définition de l'OMS – je partage d'ailleurs votre point de vue, car j'ai moi-même participé, en tant que présidente du Haut Conseil du travail social, à la valorisation et la redéfinition de cette catégorie.
Aujourd'hui, on considère les professionnels du travail social comme des oubliés du Ségur de la santé, alors qu'ils n'entrent pas, à proprement parler, dans le périmètre de ces accords. En effet, comme je l'ai rappelé lors de mon propos liminaire, le Ségur concernait la santé au sens strict du terme.
Cela étant, nous avons ensuite étendu la réflexion à d'autres secteurs dont les revendications sont également légitimes. Nous en sommes désormais à examiner la situation des travailleurs sociaux, qui depuis longtemps déplorent la perte de sens et de lisibilité de leurs métiers du fait d'un travail en silo. Nous avons donc mené un travail sur les formations, en y intégrant notamment un tronc commun, et nous nous sommes efforcés de remédier à cette perte de motivation.
S'agissant des revalorisations salariales, il n'appartient pas au Gouvernement d'en décider, du moins sans concertation avec les employeurs des travailleurs sociaux, qu'il s'agisse des départements ou d'autres catégories d'employeurs. En effet, les travailleurs sociaux relèvent d'une catégorie spécifique de la fonction publique territoriale, et ils suivent une formation qui est, elle aussi, spécifique.
Une telle concertation ne peut se concevoir que dans le cadre d'une conférence sociale, ce qui justifie la remise au préalable du travail de clarification que nous avons demandé à l'IGAS.
Je suis d'autant plus à l'aise pour l'évoquer que les personnes qui ont été missionnées sont les mêmes qui m'ont aidée à rédiger mon rapport sur le travail social à l'époque où j'occupais d'autres fonctions. En tant que président du Haut Conseil du travail social, Mathieu Klein chapeaute les travaux sur ce livret vert qui nous sera remis prochainement.
Dans mon département – je suis moi-même conseillère départementale –, nous commençons à réfléchir à cette revalorisation, mais cela s'annonce très complexe en termes de financement.
En tout état de cause, madame la sénatrice, je le répète, tout cela se décidera dans le cadre de la conférence sociale que j'évoquais.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Jacquemet.
Mme Annick Jacquemet. Madame la ministre, le sujet du Ségur de la santé est important pour tous les départements. Étant pour ma part élue du Doubs, j'ai pris attache avec la présidente du département et avec le directeur général des services, afin de disposer de remontées de terrain quant à l'application des mesures prises dans le cadre du Ségur de la santé.
Pour l'heure, seuls les personnels soignants travaillant dans des établissements et services de santé relevant du financement de l'assurance maladie sont concernés par ces revalorisations salariales.
Or ces professionnels côtoient au quotidien des personnels socio-éducatifs, administratifs et techniques, et leurs échanges révèlent des disparités de rémunérations qui aggravent les tensions au sein des équipes et suscitent un sentiment d'injustice, d'incompréhension et de colère.
Madame la ministre, comment entendez-vous assurer une cohérence de rémunération entre les salariés d'une même entité ? Par quels moyens envisagez-vous d'instaurer le nécessaire dialogue entre les organismes financeurs de ces structures, l'État, les ARS, les départements et, plus largement, les collectivités et les associations ?
Par ailleurs, la même disparité salariale existe entre les personnels des structures associatives et publiques. Quelles dispositions nationales d'harmonisation comptez-vous prendre pour éviter la fuite des travailleurs d'un secteur vers l'autre ?
Enfin, les départements souhaitent disposer des modalités concrètes et d'un calendrier précis pour éviter toute disparité entre départements, structures employeuses et différentes catégories de personnels.
Pour conclure, tout en saluant les mesures de revalorisation salariale, je tiens à ajouter que la question du bien-être au travail ne doit pas être oubliée. La gestion des établissements est désormais financière avant d'être organisationnelle. Un métier attractif suppose certes une reconnaissance salariale, mais également un cadre d'exercice qui permette de se sentir bien au travail.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Madame la sénatrice Annick Jacquemet, vous m'interrogez vous aussi sur le calendrier. Je vous remercie pour cette question qui me permet de rappeler ce que j'ai expliqué concernant ces différentes catégories de professionnels du médico-social et du champ social qui ont des employeurs différents, et relèvent donc de conventions différentes.
Depuis les accords du Ségur, nous sommes allés d'extension en extension et avons même élargi le périmètre prévu initialement.
S'agissant des aides à domicile, le calendrier a été fixé au travers de l'avenant 43 : l'accord est entré en vigueur en octobre 2021, si bien que la revalorisation est effective depuis la fin de l'année. Les aides à domicile ont pu constater la hausse de leurs salaires dès le 1er novembre dans les départements qui se sont engagés dans cette démarche.
Le financement est disponible, puisque des dispositions ont été prises immédiatement pour compenser les efforts consentis par les départements, mais le calendrier relève désormais des seules décisions départementales. Il en est de même pour le relèvement du tarif national socle et la dotation « qualité ».
Comme je l'indiquais précédemment, la légitime revalorisation salariale des autres catégories de personnels que vous citez, madame la sénatrice, exigera un travail complexe sur les grilles salariales et les conventions en concertation avec les départements. Le calendrier sera donc naturellement fixé en lien avec ces derniers.
Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol.
Mme Émilienne Poumirol. Madame la ministre, près de deux ans après le début de la crise sanitaire, nous avons ce débat sur les oubliés du Ségur de la santé, toutes ces professions que vous avez négligées et que vous revalorisez désormais au compte-gouttes, quand leur importance pour notre système de soins vous revient en mémoire.
Au-delà de ces oubliés, je souhaite aborder avec vous, et de façon plus générale, les oublis du Ségur de la santé.
Ce dernier avait pour objectif d'améliorer et de revaloriser la carrière des personnels soignants de notre pays, mais il n'a apporté qu'une réponse partielle, seulement financière et en définitive insuffisante aux problématiques beaucoup plus globales que pose notre système de santé.
Aujourd'hui, la sécurité des patients est quotidiennement menacée. On assiste à de nombreux départs de soignants, écoeurés par leurs conditions de travail. Or c'est avant tout le manque de lits, de moyens et de personnel qui est pointé du doigt.
Aujourd'hui, à l'hôpital, les considérations financières priment la qualité de la prise en charge des malades.
Les besoins spécifiques de chaque territoire ne sont pas pris en compte, si bien que, pour remédier au manque d'attractivité des carrières hospitalières, les hôpitaux doivent bien souvent faire appel à des intérimaires pour « boucher les trous », si vous me permettez cette expression. Or ces intérimaires coûtent très cher aux hôpitaux, certains percevant jusqu'à 2 500, voire 3 000 euros pour une garde de vingt-quatre heures.
Un plafonnement de ces rémunérations était prévu, mais il n'a toujours pas pu être mis en place, et pour cause : face à la pénurie de médecins, les hôpitaux, notamment les plus petits, ne peuvent pas se passer de l'intérim.
Nous nous interrogeons, madame la ministre : quand allons-nous changer de logique et faire passer l'intérêt des patients avant les intérêts financiers ? Quelle politique précise entendez-vous mettre en place pour restaurer durablement les carrières hospitalières et consolider notre système hospitalier ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Madame la sénatrice Poumirol, la santé est un sujet de préoccupation majeur. En ces temps de pandémie, je ne crois pas que l'on ait fait passer la santé après des intérêts particuliers ou privés. Nous l'avons même placée au premier rang de nos priorités.
Je ne dis pas que tout va bien pour autant – vous ne m'entendrez jamais dire cela –, mais j'estime qu'il serait bon d'admettre que du chemin a été parcouru. Les chiffres le montrent, et ils sont têtus.
M. Julien Bargeton. Tout à fait !
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) que nous avons créées sont un instrument de maillage des territoires. Elles proposent un mode d'exercice attractif pour les professionnels libéraux, comme le montre la dynamique de leur déploiement.
Si nous souhaitons doter les territoires des moyens de lutter contre les déserts médicaux, nous devons proposer un mode d'exercice qui attire les professionnels de santé. Or aujourd'hui, ces derniers – vous le savez comme moi – aspirent à travailler en équipe. Les jeunes ont envie de s'installer, non pas seuls en cabinet, mais dans des maisons de santé pluridisciplinaires ou des cabinets partagés. Je suis bien placée pour le savoir car, dans le territoire rural dont je suis élue, nous nous battons depuis des années pour faire avancer les choses.
Nous avons augmenté puis supprimé le numerus clausus. Instauré dans les années 1970 comme un faux levier de régulation des dépenses de santé, celui-ci est à l'origine de la pénurie de médecins que connaît notre pays aujourd'hui.
Grâce à la suppression de ce numerus clausus, plus de 10 500 étudiants de médecine suivent actuellement leur deuxième année de formation. Malheureusement, les effets de cette mesure ne se voient pas tout de suite. Nous les constaterons sur le long terme.
Nous avons également mis l'accent sur le numérique dans toutes les dimensions de la santé. La crise de la covid-19 a démontré que ce n'est pas un gadget : au contraire, le numérique a été très utile, car il a rendu possibles des modalités de prise en charge qui ont permis de maintenir l'accès des patients aux professionnels de santé. Nous sommes passés de 10 000 à 1 million de téléconsultations en quelques semaines. Nous avons tout fait pour lever les obstacles inutiles et faciliter le développement de la télésanté.
J'évoquerai enfin un autre axe d'action très important : nous sommes allés au-delà des frontières posées par les corporatismes pour pouvoir utiliser au maximum les compétences des professionnels de santé. Nous avons créé des protocoles de coopération et instauré des pratiques avancées permettant à chacun d'exercer l'intégralité de ses compétences, tout en s'affranchissant des conservatismes habituels.
Mme la présidente. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Alexandra Borchio Fontimp. Madame la ministre, la cinquième vague est là, vous le savez. Il est impossible de le nier, tout comme il est impossible d'en minorer l'importance : il n'y a qu'à observer l'afflux massif de nos concitoyens pour se faire tester, l'augmentation démesurée des contaminations dans un temps record, ou la crainte pérenne pour beaucoup que cette période extraordinaire soit vouée à devenir ce qu'il y a de plus ordinaire.
En coulisse, on voit des médecins, des urgentistes, des infirmiers, des ambulanciers, et j'en passe, épuisés et méprisés.
La cinquième vague est là. Pourtant, l'hôpital va encore plus mal qu'au début de cette pandémie. Il meurt chaque jour un peu plus au gré de l'absence de décisions fortes et courageuses.
À titre d'exemple, les professionnels médicaux et les soignants de l'hôpital d'Antibes ne cessent d'attirer mon attention sur la reconnaissance insuffisante du travail de nuit et la sous-valorisation de la permanence des soins, alors qu'ils sont au coeur de la bataille contre la covid-19, à l'exemple des services d'urgence, de réanimation ou encore de médecine.
Certes, le Ségur de la santé a débouché sur un plan d'investissement dont nous ne pouvons que nous féliciter. Toutefois, l'hôpital français souffre d'un mal plus profond que la crise n'a fait que mettre en lumière. La multiplication des plans blancs, notamment dans mon département des Alpes-Maritimes, ne saurait masquer la multiplicité des défaillances dont l'hôpital est victime.
Dès lors, plusieurs questions pourtant simples demeurent en suspens, madame la ministre.
Qu'en est-il de la formation des infirmiers, alors qu'il est essentiel de « réarmer » les lits de réanimation – encore faut-il qu'il y en ait assez ! – occupés par nos concitoyens touchés gravement par le virus ?
Comment expliquez-vous qu'en pleine pandémie ait été annoncé un retard dans la publication des décrets réformant les statuts et les conditions d'exercice des praticiens hospitaliers ? Vous n'êtes pourtant pas sans savoir combien il est nécessaire d'améliorer l'attractivité des professions médicales.
Madame la ministre, l'hôpital public va mal – nous en sommes tous conscients : les déprogrammations s'enchaînent, s'apparentant à une bombe à retardement en termes de santé publique. Ma dernière question est en conséquence très simple : que comptez-vous faire pour éviter une saturation mortifère de nos hôpitaux à chaque pic épidémique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Je vous remercie de votre question, ou plutôt de votre réquisitoire, madame la sénatrice.
Je tiens tout d'abord à remercier les professionnels de santé de l'effort continu qu'ils fournissent. Malgré les vagues successives, notre hôpital a tenu, madame, et j'y insiste. J'estime que nous devrions tous nous en féliciter.
Vous avez évoqué la question de la permanence des soins. Je rappelle que nous avons doublé les heures supplémentaires ainsi que le temps de travail additionnel pour les médecins, et que nous avons mobilisé les libéraux.
Compte tenu de l'ampleur des revalorisations salariales que je viens de mentionner, du nombre de personnes concernées – qui n'avaient pas bénéficié de hausse de salaire depuis des années –, des milliards d'euros que nous consacrons aux investissements dans l'hôpital et des reprises de dettes, ce que vous venez de dire est tout de même un peu fort de café. C'est en tout cas difficile à entendre.
Vous relevez les mauvais points sans jamais donner un signe d'espoir à des personnels qui, en ce moment, ont pourtant besoin d'être réconfortés et encouragés.
Je ne sais pas si vous les visitez, madame, mais quand je me rends dans les hôpitaux et les Ehpad, les personnels nous remercient. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Ils sont épuisés mais reconnaissants. Surtout, ils en ont assez de ce type de discours. (Mêmes mouvements.)
Au moment où nous travaillons sur l'attractivité des métiers hospitaliers, pensez-vous qu'un discours aussi misérabiliste que celui que vous tenez puisse nous aider ? Je vous assure que non, car ces personnels ont besoin d'être encouragés.
Je ne dis pas que nous avons tout fait parfaitement. Certains personnels revendiquent d'ailleurs légitimement de nouvelles améliorations. En revanche, tout ce que nous avons fait, vous ne l'aviez pas fait auparavant – je sais que vous êtes bien placée pour le savoir. (Nouvelles protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Vous avez tous une part de responsabilité à assumer dans le manque actuel de médecins.
En tout état de cause, cessez de mettre la responsabilité de l'ensemble des problèmes de l'hôpital sur le dos du gouvernement actuel, qui, de plus, fait face à une pandémie mondiale – ce qui, à ma connaissance, ne vous est jamais arrivé.
Je tenais à remettre les choses dans leur contexte. À ce sujet, je suis étonnée que vous n'évoquiez pas les oubliés du Ségur…
Mme la présidente. Vous avez épuisé votre temps de parole, madame la ministre. J'ai pourtant été généreuse, puisque je vous ai laissé vingt-huit secondes supplémentaires, mais nous devons poursuivre le débat.
La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au nom de tous les élus de la Guadeloupe réunis ce jour, je souhaite exprimer mon soutien inconditionnel au directeur général du CHU de Guadeloupe et de ses collaborateurs qui ont été agressés hier soir au sein même de l'établissement public de santé. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST, RDSE, RDPI, UC et Les Républicains.) Je vous remercie de votre soutien, mes chers collègues.
Madame la ministre, je concentrerai mon propos sur la situation des établissements privés à but non lucratif et le secteur associatif, particulièrement ceux qui prennent en charge les personnes en situation de handicap.
Les nombreuses vagues de la crise sanitaire en outre-mer ont mis en évidence, davantage que dans l'Hexagone, les insuffisances structurelles de l'offre de soins dans ces territoires.
En effet, les problématiques spécifiques de santé publique en outre-mer entraînent des surcoûts importants pour les établissements sanitaires et médico-sociaux. Ces difficultés se sont accentuées ces dernières années.
De ce fait, la non-revalorisation salariale de soignants et de non-soignants du secteur médico-social dans le cadre du Ségur de la santé suscite un sentiment d'abandon et crée une concurrence déloyale entre les établissements et entre les secteurs d'activité.
Cette situation est à l'origine de difficultés considérables de recrutement, particulièrement pour les employeurs privés et les associations. Elle provoque également des tensions entre les salariés du fait des différences de statut ou de convention collective, ce qui induit dans certains cas des ruptures de prise en charge pour les patients, particulièrement les personnes les plus vulnérables.
Madame la ministre, quelles mesures entendez-vous prendre pour rétablir une équité salariale entre les différents personnels et garantir l'égalité d'accès à une offre de soins de qualité pour les usagers dans les outre-mer ? J'attends une réponse concrète.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. C'est un vaste sujet à traiter en deux minutes…
Les accords du Ségur ont pris en compte le cas du secteur privé lucratif et non lucratif dès le départ puis au fil des évolutions successives de périmètre. Nous avons également pris en considération les secteurs que vous avez évoqués, et nous avons échangé avec les fédérations représentant les établissements concernés, notamment sur les modalités de financement.
Des mécanismes de péréquation ont été mis en place pour répartir au mieux ces financements, même si les besoins ne sont pas toujours couverts intégralement – mais dans certains cas, les moyens sont au contraire trop importants.
Quoi qu'il en soit, les enveloppes incluses dans l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) pour financer les mesures du Ségur sont au bon niveau pour chacun des acteurs et des secteurs. Il convient ensuite de les répartir de manière adéquate entre les établissements en fonction de l'activité sanitaire.
S'agissant des investissements, les établissements du secteur privé peuvent également en bénéficier. En revanche, aucune reprise de dettes n'est envisageable, dans la mesure où ces établissements peuvent appartenir à des fonds d'investissement.
Toutefois, les montants des enveloppes allouées pour l'investissement ne sont pas les mêmes, d'une part, parce que le secteur public est le plus important en termes d'offre de soins et, d'autre part, parce qu'il comprend les plus gros établissements. Le chantier du CHU de Pointe-à-Pitre, qui est en cours, représente par exemple un investissement de plus de 600 millions d'euros, financés à 100 % par l'État.
S'agissant des formations, comme cela était prévu dans la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, l'inspection générale des affaires sociales et l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche ont lancé une mission à l'automne 2021 pour juger de l'opportunité et définir les conditions de mise en oeuvre d'une faculté de médecine de plein exercice aux Antilles. Aujourd'hui, les étudiants en médecine peuvent débuter leur premier cycle en outre-mer et y revenir en tant qu'internes, mais ils doivent effectuer leur deuxième cycle en métropole.
Les universités et les centres hospitaliers universitaires ont mené un travail sur les conditions d'enseignement et d'accueil en stage des étudiants lors de leur parcours de formation pris dans son intégralité. L'ensemble des acteurs locaux ont été auditionnés par la mission, dont les conclusions seront remises au Gouvernement dans les prochaines semaines. Ainsi, nous pourrons déterminer rapidement le calendrier de mise en oeuvre de cette faculté de plein exercice aux Antilles.
Madame la sénatrice, soyez assurée de notre détermination à faire aboutir ce projet, car nous partageons votre préoccupation : les professionnels de santé doivent être formés au plus près des territoires, là où les besoins de santé sont les plus importants.
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Belin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Belin. Madame la ministre, la France est malade, et pour tenter de la soigner, votre gouvernement a réuni un Ségur de la santé. Il fallait en effet pallier des décennies de carence – je vous accorde que vous n'êtes pas responsable de la situation dans son ensemble.
J'ai toutefois l'impression que l'on reproduit les mêmes erreurs, madame la ministre, car – c'est le thème de notre soirée – il y a des oubliés, il y en a même des paquets, notamment dans le secteur médico-social.
Ma question est simple, madame la ministre : où en est le fameux projet de loi Autonomie dont on a entendu parler au début du quinquennat, et que comptez-vous faire, notamment pour les Ehpad ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Monsieur le sénateur Belin, je vous répondrai rapidement sur le Ségur de la santé, afin d'évoquer plus longuement les Ehpad.
On parle toujours des oubliés du Ségur ; or le Ségur s'est adressé à tous ceux que l'on avait oubliés avant. À l'inverse de ce que vous semblez croire, monsieur le sénateur, le Ségur répare ces injustices. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Vous avez évoqué le manque de places en Ehpad, et vous m'avez interrogée sur ce que nous comptions faire.
Nous disposons de 7 500 Ehpad en France. Si l'on y ajoute les résidences autonomie, nous disposons d'environ 15 000 établissements pour personnes âgées, soit une capacité de plus de 600 000 places.
Les fédérations d'Ehpad, avec lesquelles j'échange toutes les semaines en visioconférence depuis le début de la crise sanitaire, me signalent que les établissements n'ont plus de liste d'attente, et que parfois, ils disposent de places disponibles. (Marques de scepticisme sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Belin. Mais bien sûr !
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Monsieur le sénateur, vous semblez prétendre les connaître mieux que moi, alors que je m'entretiens chaque semaine avec les représentants du secteur, non pas seulement le directeur de l'établissement qui se trouve au coin de ma rue, mais les directeurs des établissements de la France entière. Je relaie modestement leurs propos.
En revanche, les Ehpad souffrent d'un manque de soignants en raison, d'une part, de la perte d'attractivité de leur métier et, d'autre part, d'un manque cruel d'investissement. Nous sommes en train de remédier à cette situation puisque, dans le cadre du Ségur de la santé – dont je rappelle qu'il comporte également un volet investissements –, nous leur allouons une enveloppe de 2,1 milliards d'euros.
Monsieur le sénateur, aujourd'hui, ces établissements me donnent envie de fuir quand je les visite. Croyez-moi, je n'en tire aucune fierté. Certains ont été restaurés par endroits, mais sur les quinze dernières années, nous n'avons rénové au total que 20 % des établissements.
Je salue d'ailleurs le personnel qui travaille dans ces infrastructures, car bonjour la qualité ! On y trouve encore des chambres doubles, et parfois, une seule douche pour vingt-cinq résidents. Cela ne choquait personne jusqu'à présent : c'est bizarre, il a fallu une crise pour qu'on en parle… (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
En ce qui me concerne, dès ma nomination à la présidence de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale en 2017, j'ai demandé la constitution d'une mission d'urgence sur les Ehpad, car je savais qu'il y avait un problème. Je n'ai pas attendu la crise sanitaire ni même le Ségur de la santé pour m'emparer de ce sujet.
Désormais, nous investissons. Nous avons identifié avec les ARS les établissements dans lesquels il était le plus urgent d'intervenir. (M. Bruno Belin manifeste son impatience en désignant sa montre.) Souhaitez-vous oui ou non que je vous réponde, monsieur Belin ?
Voix sur les travées du groupe Les Républicains. Le temps de parole est le même pour tout le monde !
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Aujourd'hui, nous prenons résolument ce virage qui nous permettra de moderniser nos Ehpad et d'en ouvrir de nouveaux. Il y va de la qualité de vie au travail des soignants et de la qualité de vie des résidents et des familles.
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Belin, pour la réplique.
M. Bruno Belin. Madame la ministre, vous avez cherché à revenir en arrière et tenté de faire peser sur je ne sais qui la responsabilité d'une situation que vous auriez découverte. Cela démontre bien que vous connaissiez mal le sujet. (Mme la ministre déléguée proteste.)
La météo d'hier n'intéresse personne. Ce qui compte, c'est ce que l'on va faire ou ce que vous devez faire.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Ce qui compte, c'est ce que vous deviez faire !
M. Bruno Belin. Or vous ne faites preuve d'aucune prévoyance en matière de grand âge. (Mme la ministre déléguée s'agace.) Madame la ministre, ayez au moins la courtoisie de m'écouter !
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Non, je ne vous écoute pas !
M. Bruno Belin. Six millions d'habitants de ce pays ont plus de 80 ans, 15 % d'entre eux vivront dans la dépendance.
Aujourd'hui, aucune place n'est prévue dans aucun programme interdépartemental d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie (Priac), ni pour les personnes âgées ni pour les personnes handicapées.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. C'est faux ! Vous ne savez pas de quoi vous parlez.
M. Bruno Belin. J'y insiste, aucune création de postes n'est prévue, dans aucun Priac.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Il est prévu de créer 10 000 postes ! Vous ne savez rien.
M. Bruno Belin. Madame la ministre, il y a sur ces travées au moins trois présidents de départements qui connaissent le sujet des Ehpad aussi bien que vous.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. 10 000 postes ! Avez-vous seulement lu le projet de loi de financement de la sécurité sociale ?
M. Bruno Belin. Madame la ministre, gardez votre calme ! Votre attitude est une preuve de faiblesse, ce qui est regrettable. (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Cela montre que vous ne comprenez rien et que vous ne savez rien !
M. Bruno Belin. Et puisqu'il faut aussi parler de l'hôpital ce soir, le gouvernement auquel vous appartenez a décidé d'instaurer un forfait pour les personnes qui se rendent aux urgences.
Dans les territoires ruraux, dans les territoires sans médecin – parce que vous n'avez pas encore réglé cette question –,…
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Cela fait vingt ans que le problème existe !
M. Bruno Belin. … il serait souhaitable que ce forfait ne s'applique pas. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la ministre déléguée s'indigne.)
Madame la présidente, l'attitude de la ministre n'est pas respectueuse de notre assemblée !
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. La vôtre non plus !
M. Bruno Belin. Ça suffit !
Mme la présidente. Monsieur le sénateur, je prends acte de votre observation. (Mme la ministre déléguée redouble d'indignation.) Madame la ministre, il ne s'agit pas d'une séance de questions d'actualité au Gouvernement à l'Assemblée nationale. Faisons en sorte de poursuivre dans la sérénité.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Madame la présidente, je réagissais à des commentaires que je juge inacceptables.
Mme la présidente. La parole est maintenant à Mme Martine Berthet, et à elle seule. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Martine Berthet. Madame la ministre, les accords du Ségur de la santé, signés le 13 juillet 2021, prévoient des aides, mais elles sont insuffisantes – comme cela a été souligné par les orateurs précédents – pour nos soignants, les hôpitaux et leurs investissements.
La démarche qui s'est imposée au travers de ces accords n'est pas sans contradiction. Si le volet investissements permettra à de nombreux hôpitaux de s'engager dans une rénovation plus que nécessaire de leurs infrastructures, les crédits alloués à la restauration de leurs capacités financières, pourtant tant attendus, sont à double tranchant. En effet, ils obligent contractuellement les établissements à réduire leurs dépenses sur une dizaine d'années, ce qui interdit tout nouvel emprunt.
Pour les établissements concernés simultanément par les deux dispositifs, la situation est paradoxale : le premier volet, le volet investissements, finance 80 % à 90 % du montant des travaux, tandis que le second, le volet « restauration des capacités financières » les empêche d'emprunter le reliquat nécessaire à leur réalisation.
Prenons l'exemple, dans mon département de la Savoie, du centre hospitalier de la vallée de la Maurienne.
Le montant total des investissements nécessaires à la rénovation des services de médecine – stérilisation et blocs opératoires – s'y élève à 16,5 millions d'euros. Or une aide de 14,9 millions d'euros a bien été attribuée à l'hôpital dans le cadre du Ségur – nous nous en félicitons tous –, mais il manque encore 1,6 million d'euros.
En parallèle, le centre hospitalier a signé une convention décennale avec l'ARS et s'est engagé à réduire son niveau d'endettement : il ne pourra donc pas emprunter ces 1,6 million d'euros manquants. En d'autres termes, d'un côté, on ouvre les vannes, de l'autre, on serre la vis.
Aussi, madame la ministre, quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour assouplir ces dispositifs aujourd'hui contradictoires et contre-productifs ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Madame la sénatrice Berthet, la situation du centre hospitalier de la vallée de la Maurienne n'a visiblement pas été portée telle quelle – nous avons vérifié – à la connaissance de l'ARS Auvergne-Rhône-Alpes, qui est pourtant la première interlocutrice de l'établissement sur ces sujets.
C'est bien toute la logique du Ségur de la santé que de prévoir une gestion déconcentrée des enveloppes et des prises de décisions pour s'adapter au plus près des situations que l'on observe dans les territoires.
Sur le fond, le centre hospitalier de la vallée de la Maurienne va bien recevoir – comme cela a été annoncé – 16,5 millions d'euros de la part de l'ARS, dont 14,9 millions d'euros issus du Ségur stricto sensu, pour mener à bien son projet de rénovation.
Dans la droite ligne du Ségur, il s'agit de conforter l'établissement dans son rôle, c'est-à-dire de faire en sorte qu'il propose un large accès aux soins dans un territoire assez isolé et caractérisé par une offre de premier recours qui, vous l'avez rappelé, est limitée.
Son unité de surveillance continue et son service de stérilisation centrale vont être reconstruits et son bloc opératoire réhabilité.
En parallèle, l'hôpital percevra 5,7 millions d'euros au titre de la restauration de ses capacités financières.
Cette aide est fournie dans le cadre d'une contractualisation avec l'ARS, définie par l'article 50 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 et les décrets pris pour son application. Il y est précisé que chaque établissement bénéficiaire se verra fixer, au cas par cas, une trajectoire de désendettement, afin que l'objectif de restauration durable de sa santé financière soit respecté.
Ces mesures sont prises pour que, à l'issue du Ségur, les établissements ne soient plus asphyxiés par leur dette, à la suite de nouveaux investissements insoutenables. En revanche, tous les endettements supplémentaires nécessaires à la réalisation des projets en cours d'instruction au moment de la contractualisation seront possibles.
Je tenais à vous rassurer sur ce point : l'objectif est bien de poursuivre la transformation de l'offre de soins. Nous voulons simplement que cela ne se traduise pas par une course à l'endettement, qui menacerait à long terme la réalisation des projets des établissements.
Dans le cas particulier que vous évoquez, et sans connaître les détails du dossier, je peux vous dire que tout endettement supplémentaire nécessaire à la réalisation du projet de rénovation soutenu par le Ségur sera pris en compte par l'ARS.
Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Berthet, pour la réplique.
Mme Martine Berthet. Non, madame la ministre, la contractualisation avec l'ARS ne permettra pas au centre hospitalier de la vallée de la Maurienne d'emprunter les 1,6 million d'euros qui lui manquent pour réaliser ses travaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Belin. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Somon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Somon. Madame la ministre, c'est une alerte rouge sur les métiers des services aux personnes vulnérables que le Sénat lance aujourd'hui !
M. Pierre Cuypers. Eh oui !
M. Laurent Somon. L'exaspération laisse la place au désarroi des professionnels des secteurs médicaux et médico-sociaux face à leurs conditions de travail. Le désarroi dépasse la lancinante question des moyens, tant ces personnels sont en surtension.
La revalorisation de la discorde, à savoir le Ségur de la santé, est le coup de trop pour des professions à pied d'oeuvre. À la pénurie aggravée des personnels et des moyens s'ajoutent des décisions managériales vides de sens et les discriminations injustifiées entre les professionnels qu'instaure le Ségur de la santé.
Comme l'écrit Edgar Morin, « à force de sacrifier l'essentiel pour l'urgence, on finit par oublier l'urgence de l'essentiel ».
Le secteur médical, social et médico-social manifeste pour crier son désarroi devant des conditions de vie et de travail dégradées, mal reconnues ou indignes.
Ils nous le disent : « à quoi bon continuer, alors qu'on est empêché de faire correctement notre travail ?». Le travail dans ces secteurs était difficile, il tend à devenir absurde au sens camusien du terme.
Madame la ministre, le manque d'attractivité et la crise des vocations dans ce secteur se double aujourd'hui d'une fuite des personnels. Ces derniers démissionnent, sont en arrêt maladie, en invalidité, ou sont licenciés.
Les jeunes quittent les métiers du secteur en moyenne au bout d'un an, voire au cours de leur formation. Des services entiers ferment, faute de personnel pour les faire tourner. Pendant ce temps, les besoins en termes de prise en charge des patients ne sont plus assurés.
Épuisés, non reconnus à la hauteur de leurs compétences et de leur engagement pendant la crise sanitaire, les éducateurs spécialisés, les assistants familiaux, les auxiliaires de vie…
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Mais ils dépendent des départements !
M. Laurent Somon. … des services gérés par les collectivités, les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) et toutes les professions exclues du Ségur de la santé, comme les prestataires de santé à domicile (PSAD), sont obligés d'apprendre à vivre avec cette situation.
Difficile de ne pas voir les effets délétères du Ségur de la santé sur les structures qui n'ont pas été concernées par les revalorisations salariales et les personnels, lesquels perdent le sens de leur mission.
Madame la ministre, le secteur du soin, du domicile et du médico-social n'est-il plus un investissement d'avenir ? Le Gouvernement entend-il étendre les mesures de revalorisation salariale du Ségur de la santé aux « oubliés », notamment les prestataires de santé à domicile, qui comptent 32 000 collaborateurs et qui ont pris en charge 60 000 patients lors des précédentes vagues de l'épidémie de covid-19 ?
Envisagez-vous de modifier votre politique en matière de solidarité, de santé et de grand âge pour intégrer toutes les parties prenantes du parcours de soins et de prise en charge des personnes vulnérables ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Monsieur le sénateur Laurent Somon, je vous rappelle que, dans ce secteur du médico-social et du social que j'ai déjà évoqué à de nombreuses reprises ce soir, l'employeur est souvent la collectivité territoriale, qu'il s'agisse du département ou de la commune, par l'intermédiaire du centre communal d'action sociale (CCAS).
Ce n'est donc pas l'État qui rémunère les personnels, même s'il peut verser des aides ou contribuer à renforcer l'attractivité des métiers par une revalorisation concertée entre les acteurs. C'est du reste la raison pour laquelle nous avons prévu la tenue d'une conférence des métiers et de l'accompagnement social et médico-social.
Concernant la réforme de l'avenant 43, bien que nous ayons travaillé avec les départements, il s'en est trouvé pour affirmer qu'ils n'avaient pas été consultés. Ce sont – vous l'imaginez bien – toujours à peu près les mêmes.
Dans le même temps, d'autres départements ont saisi l'occasion pour revaloriser immédiatement les auxiliaires de vie, sans aucun problème. Pour les trois derniers mois de 2021, le financement de cette mesure est encore assuré à 70 % par l'État. À partir de cette année et pour les années suivantes, la compensation versée par l'État atteindra 50 % de la prise en charge globale.
Je précise que ce soutien sera durable car, entre-temps – c'est un fait notable –, une cinquième branche de la sécurité sociale dédiée à l'autonomie a été créée : celle-ci garantira de manière pérenne la revalorisation salariale des auxiliaires de vie.
Monsieur le sénateur, les autres personnels que vous évoquez, par exemple les éducateurs spécialisés et les assistants sociaux, relèvent exclusivement, vous en conviendrez, des départements.
Vous le savez tout comme moi, la perte d'attractivité et de sens de ces métiers ne date pas d'aujourd'hui.
Il faut donc réagir et c'est, si cela peut vous rassurer, ce que nous avons fait. Ainsi, après avoir actionné tous les leviers possibles – l'insertion sociale, l'apprentissage, l'alternance –, nous constatons que, pour certaines catégories professionnelles, les formations se remplissent très vite cette année. Peut-être les personnes inscrites ne seront-elles pas fidèles ? Nous verrons. En tout cas, nous tentons par tous les moyens de restaurer l'attractivité de ces métiers.
Cela passe aussi par le travail des acteurs concernés, celui des associations notamment, qui essaient de nous aider en ce moment à parler autrement de ces métiers, notamment ceux qui sont liés au grand âge.
Parfois, il faut aussi tenter de convaincre les jeunes de l'intérêt de ces métiers. Pendant la crise sanitaire, j'ai ainsi envoyé 10 000 jeunes, au titre du service civique senior, remplir des missions dans des Ehpad ou ailleurs, en concertation avec des collectivités qui ont joué le jeu, et ce afin de rompre l'isolement social des personnes âgées, afin peut-être aussi d'attirer ces jeunes vers ces métiers du lien humain dont nous avons tant besoin. Espérons que toutes ces actions porteront leurs fruits.
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cyril Pellevat. Madame la ministre, ce débat est l'occasion pour moi de vous alerter de nouveau sur le manque structurel de soignants en Haute-Savoie et sur la nécessité d'investir et de trouver des solutions pour remédier à cette situation.
Le Ségur de la santé n'a permis de répondre que partiellement à ces enjeux. L'ensemble des professions médicales et médico-sociales sont concernées, et ce problème ne fait qu'empirer malgré les nombreuses alertes.
Aujourd'hui, le taux de vacance des postes dans mon département varie entre 15 % et 20 %. Cela s'explique par la pénibilité du métier de soignant et par son manque d'attractivité, faute de rémunération suffisante.
Si le Ségur de la santé a quelque peu amélioré cette situation, sa mise en oeuvre reste incomplète, car tous les soignants ne sont pas concernés. Les mesures sont par ailleurs insuffisantes en raison de la proximité de mon département avec la Suisse, où les salaires sont trois à quatre fois plus élevés. C'est d'ailleurs ce qui explique que le taux de vacance des postes en Haute-Savoie soit plus élevé que la moyenne nationale, lequel s'établit à 5 %.
Les conséquences de ce manque de personnel sont dramatiques pour les patients et leurs familles, mais aussi pour le personnel lui-même, qui est en souffrance, car la charge de travail ne fait qu'augmenter.
Cette situation est à l'origine chez les soignants d'un véritable épuisement professionnel, entraînant des arrêts maladie et encore davantage de vacances. Je pourrais citer l'exemple de services d'urgence fermés le week-end faute de personnel.
La Haute-Savoie a été identifiée, à juste titre, comme l'un des départements où la situation est la plus précaire. Il est maintenant urgent d'agir pour pallier ce manque structurel de soignants, notamment en lançant des expérimentations et en y incluant les professions médico-sociales.
Plusieurs pistes pourraient être explorées.
Tout d'abord, une prime de vie chère pourrait être versée aux soignants. En effet, le pouvoir d'achat en Haute-Savoie est faible pour les personnes qui travaillent en France, du fait de la proximité de la Suisse.
Les revalorisations du Ségur de la santé n'ont pas permis et ne permettront pas de pallier le manque d'effectifs, les salaires suisses demeurant beaucoup plus avantageux.
Une réflexion doit donc être menée conjointement avec la Suisse, afin de déterminer les actions pouvant être mises en place pour former plus de personnel et répondre aux besoins de nos pays.
Il est également possible d'envisager une baisse des charges sociales et salariales, ce qui permettrait d'augmenter mécaniquement les salaires, et de travailler sur le coût du logement – j'ai développé ce point hier à l'occasion d'un débat sénatorial – en y associant les collectivités.
Enfin, les établissements devraient être autorisés à embaucher des apprentis en dehors des lignes budgétaires, car actuellement, les apprentis sont comptabilisés dans les effectifs, ce qui empêche tout recrutement de personnels qualifiés.
Mme la présidente. Il faut conclure.
M. Cyril Pellevat. Madame la ministre, envisagez-vous de débloquer des investissements en urgence et prévoyez-vous de lancer des expérimentations pour remédier au manque de personnel soignant en Haute-Savoie ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Monsieur le sénateur, les pénuries de personnel médical et médico-social en Haute-Savoie sont significatives, et je peux vous assurer que le Gouvernement y est particulièrement sensible.
S'agissant des chiffres, tout d'abord, une enquête récente évaluait entre 8 600 et 13 000 le nombre de personnels soignants travaillant en Suisse, essentiellement dans les grands cantons francophones de Genève et de Vaud. Ces soignants ne viennent pas du Genevois français, mais de la France entière. Cet appel d'air est certes provoqué par les écarts de rémunération entre la Suisse et la France, mais aussi par le même phénomène de désaffection des métiers du soin, qui frappe aussi la Suisse.
Ce point est crucial et doit inspirer la nature des actions que nous allons et devons mettre en oeuvre pour empêcher cette pénurie de personnel soignant.
S'agissant des mesures, nous devons concilier revalorisation salariale – nous avons bien sûr entamé cette démarche avec le Ségur de la santé –, approche globale de l'attractivité des parcours professionnels des soignants - cette question fait l'objet d'une réflexion tant au niveau national qu'au niveau local – et action diplomatique, autre instrument privilégié auquel a recours le Gouvernement – je pense à la mise en place, à la fin de l'année 2021, du premier groupe de travail en santé de l'instance de dialogue franco-genevoise.
Au niveau bilatéral, nous faisons de la mobilité transfrontalière des soignants une question politique sur laquelle les administrations centrales du ministère des solidarités et de la santé sont mobilisées. Il s'agit d'identifier les propositions susceptibles d'être adressées à nos partenaires suisses dans les prochaines semaines.
Source http://www.senat.fr, le 13 janvier 2022