Interview de Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée chargée du logement, à France Info le 2 février 2022, sur différents aspects de la politique du logement menée durant le quinquennat.

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Média : France Info

Texte intégral

MARC FAUVELLE
Pour des millions de Français, c'est le premier poste de dépense chaque mois, pourtant il faut souvent des rapports pour que les politiques ou que les médias s'y intéressent. On va donc parler du logement ce matin sur Franceinfo. Ceux qui n'en ont pas, ceux qui le payent trop cher et ce qu'il faudrait faire surtout pour tenter d'améliorer la situation.

SALHIA BRAKHLIA
Pour en débattre, nous avons réuni Emmanuelle WARGON, la ministre du Logement, et Christophe ROBERT, le délégué général de la Fondation Abbé-Pierre. Bonjour à tous les deux.

EMMANUELLE WARGON
Bonjour. (…)

SALHIA BRAKHLIA
Des mauvaises décisions donc dès le début du quinquennat avec des coupes budgétaires. On se rappelle tous de la baisse des APL de 5 euros par ménage et par mois qui avait créé la polémique mais qui est toujours en vigueur Emmanuelle WARGON. Comment vous l'expliquez ?

EMMANUELLE WARGON
En fait, on a aussi beaucoup investi pour le logement et pour le pouvoir d'achat dans ce quinquennat parce qu'on n'a pas parlé de la prime d'activité qui a été massivement augmentée et qui soutient le revenu des ménages. Sur la rénovation énergétique…

MARC FAUVELLE
Stricto sensu sur le logement.

EMMANUELLE WARGON
Oui mais en fait, si vous voulez, quand on regarde les mesures de pouvoir d'achat sur les APL…

MARC FAUVELLE
Je dis ça parce qu'on va tenter de cadrer ce débat pour ne pas faire le bilan du quinquennat dans son ensemble, parce qu'il faudrait sans doute plus d'une demi-heure et que je ne suis pas sûr que Christophe ROBERT ait envie de rentrer dans toutes les cases de la fiscalité, mais on va tenter de se concentrer sur le logement si vous voulez bien.

EMMANUELLE WARGON
Bien sûr. Mais quand on parle du pouvoir d'achat des ménages, vous savez, le budget d'un ménage c'est un budget entier. Vous avez raison de dire le logement c'est 20% du budget d'un ménage donc c'est la première dépense et c'est une dépense très importante. Mais quand on regarde ce qu'il reste à un ménage à la fin du mois, il faut regarder toutes les aides. Donc les APL, on les a passées ce qu'on appelle en temps réel, c'est-à-dire qu'on est allé chercher les dernières ressources disponibles. C'est aussi une réforme de justice et, d'ailleurs, le rapport même de la Fondation dit que les principes sont incontestables. On a besoin de continuer à soutenir le pouvoir d'achat, à la fois des classes moyennes et aussi des ménages les plus modestes et ce sera l'une des ambitions sur le revenu universel d'activité.

MARC FAUVELLE
Rétrospectivement Emmanuelle WARGON, sur la baisse des APL au début du quinquennat, c'était en 2018 dans les premiers mois après l'arrivée d'Emmanuel MACRON, vous diriez aujourd'hui que c'était une erreur ou pas ?

EMMANUELLE WARGON
Moi je crois que c'est une mesure qui avait été portée par Bercy, qui est une mesure de techniciens et ce n'est pas une mesure… Enfin s'il fallait la reprendre, on ne la reprendrait pas aujourd'hui clairement. Mais depuis, on a aussi réinvesti dans la rénovation énergétique par exemple. Ça aussi, c'est le même budget des ménages. Le chèque énergie pour les ménages les plus fragiles, le soutien aux travaux de rénovation énergétique pour pouvoir faire des travaux et baisser sa facture, le bouclier tarifaire alors que l'énergie augmente, tout ceci c'est un tout et donc il y a eu beaucoup de mesures de rattrapage pour le soutien du pouvoir d'achat. (…)

SALHIA BRAKHLIA
Madame la Ministre Emmanuelle WARGON, plus d'un million de locataires sont en situation d'impayé ou sont en difficulté de payer leur loyer. Ça rejoint ce que dit Christophe ROBERT.

EMMANUELLE WARGON
Mais on a besoin de plus de logements en France, plus de logements sociaux, plus de logements abordables. Donc ça, c'est toute la politique du logement pour soutenir, avoir plus de logements et avoir des logements qui sont meilleur marché.

SALHIA BRAKHLIA
Parce que là, les loyers sont de plus en plus chers. Est-ce qu'il aurait fallu par exemple faire l'encadrement des loyers, du moins généraliser cet encadrement des loyers ?

EMMANUELLE WARGON
Juste sur les impayés de loyers, puisque vous m'avez posé la question avant d'arriver à l'encadrement des loyers, sur les impayés de loyers, nous avons tous eu peur avec les associations et la Fondation Abbé-Pierre d'une explosion des impayés de loyers et des expulsions. Ni l'une ni l'autre ne se sont produits. On a mis en place ce qu'on n'avait jamais fait : un observatoire des impayés de loyers qui a montré que c'était stable, et quant aux expulsions locatives on en fait moitié moins depuis la crise qu'avant. On en faisait environ 16 000 par an. Le chiffre de 2020 c'est 8 000, le chiffre de 2021 n'est pas encore consolidé, on ne l'a pas, mais en gros ça sera à peu près le même ordre de grandeur. Donc on en fait moins parce qu'on a amélioré la prévention des expulsions, donc on travaille aussi sur ce sujet-là. Après sur l'encadrement des loyers, moi j'y suis favorable à l'encadrement des loyers, en tout cas dans les zones tendues. C'est une expérimentation qui a avait été ouverte avant le quinquennat.

MARC FAUVELLE
Vous avez fait changer d'avis Emmanuel MACRON sur ce point ou pas ? Il y était…

SALHIA BRAKHLIA
Réticent.

EMMANUELLE WARGON
À la fin du quinquennat, le gouvernement a fait voter la prolongation de cette expérimentation et la possibilité pour d'autres villes de rentrer dans cette expérimentation. Et aujourd'hui devrait sortir…

MARC FAUVELLE
On a combien de villes aujourd'hui ? Paris, Lille.

EMMANUELLE WARGON
Aujourd'hui, on a sept ou huit métropoles qui sont Paris, on a Lille, Bordeaux est rentrée, Lyon est rentrée.

MARC FAUVELLE
Grenoble.

EMMANUELLE WARGON
Non, Grenoble n'est pas rentrée parce qu'il n'y a pas de tension. En tout cas quand on regarde les chiffres, la tension sur le marché locatif n'est pas dans la même situation. Juste-là-dessus, les agences immobilières vont être obligées de publier l'encadrement des loyers sur les annonces. C'est un engagement qu'on avait pris, le décret devrait sortir aujourd'hui ou demain, donc ça va rendre l'encadrement des loyers plus opérationnel dans les zones concernées. (…)

MARC FAUVELLE
Toujours avec le délégué général de la Fondation Abbé Pierre Christophe ROBERT, avec la ministre du logement Emmanuelle WARGON. Vous vouliez ajouter un mot, madame WARGON, sur les loyers et la baisse des loyers.

EMMANUELLE WARGON
Oui, pour faire baisser les loyers au-delà de l'encadrement des loyers, qui peut être utile, il faut aussi inciter les propriétaires à louer moins cher. Et j'ai obtenu dans la loi de finances pour 2022, donc le budget 2022, une belle mesure pour les propriétaires, qui s'appelle : Loc'Avantages. Si vous louez en dessous des prix du marché, vous avez une incitation fiscale, une réduction d'impôts qui compense. Et ça, ça n'est pas une obligation, mais ça peut être très puissant sur le marché immobilier, c'est un peu l'amendement Coluche de la location : vous louez moins cher…

MARC FAUVELLE
C'est valable dans toute la France ?

EMMANUELLE WARGON
C'est valable dans toute la France, il faut simplement louer en dessous des prix du marché, et on par des prix du marché constatés, avec un Observatoire des loyers dans toute la France. (...)

SALHIA BRAKHLIA
Un mot sur les logements sociaux. Le rapport dit qu'il y en a de moins en moins. Combien il en manque de logements sociaux pour que les Français puissent être satisfaits et trouver un toit ?

EMMANUELLE WARGON
On sait qu'on a 2,2 millions de familles qui sont en attente de logement social. Et on en agrée environ 100 000 par an, en ce moment.

MARC FAUVELLE
Ça veut dire, d'un calcul rapide, qu'il faut 22 ans d'attente en moyenne ? Il faudra 22 ans d'attente…

EMMANUELLE WARGON
Pas tout à fait, parce qu'il y a aussi une rotation dans le parc social. Evidemment il y a des familles qui partent.

MARC FAUVELLE
Mais pour que tout le monde en ait, il faudrait 20 ans.

EMMANUELLE WARGON
Et ces familles qui partent du logement social, parce que justement elles accèdent à la propriété où elles déménagent, mais ça veut dire qu'il faut qu'on construise plus. En fait il faut construire plus de logements, tout court, et plus de logements sociaux. Alors, plus de logements tout court, le quinquennat se termine finalement bien, puisqu'on a 2,2 millions de permis de construire sur la durée du quinquennat, tous logements confondus, c'est-à-dire plus que le quinquennat précédent. Sur les logements sociaux, on est en dessous de ce que nous avons à faire. On a un rebond cette année, + 8%, mais je reconnais que c'est insuffisant. Le point positif c'est qu'on a un joli rebond sur les logements très sociaux, parce que dans le logement social il y a plusieurs gammes de logements sociaux, et les plus sociaux, eux ne se maintiennent pas trop mal. Mais c'est sûr qu'il faut aller plus loin. Et sur ce sujet on a aussi besoin d'une meilleure mobilisation des bailleurs sociaux, et d'une clarification des responsabilités avec les communes, parce que finalement ce sont les communes qui donnent les permis de construire et qui valident l'implantation de logements sociaux. Et d'ailleurs, là où les aides à la terre…

SALHIA BRAKHLIA
Les communes qui sont…

EMMANUELLE WARGON
… sont déléguées, c'est-à-dire là où les subventions sont données par les métropoles dans les grandes villes, c'est là qu'on en fait le moins. Donc cette répartition que doit faire l'État, que doivent faire les communes, je crois qu'il faudra la requestionner pour la suite. (...)

EMMANUELLE WARGON
C'est une loi de la République majeure, et c'est ma fierté et celle de ce gouvernement et de cette mandature, que de l'avoir prolongée, puisque cette loi s'arrêtait en 2025, et nous venons d'avoir un accord entre l'Assemblée et le Sénat, pour rendre cette loi permanente. L'accord a été trouvé il y a quelques jours. Donc, cette mandature laissera aussi dans son bilan le fait d'avoir assuré le maintien de cette obligation donnée à toutes les communes de construire 20 ou 25% de logements sociaux.

MARC FAUVELLE
Sur les sanctions.

EMMANUELLE WARGON
Sur les sanctions, nous avons été très fermes dans cette mandature sur les sanctions, nous avons aussi besoin de trouver le mode d'accompagnement des communes, parce que dans celles qui ne respectent pas, il y en a un certain nombre qui en fait ne veulent pas construire du logement social, c'est finalement pas la majorité, il y en a un certain nombre qui disent que c'est trop compliqué, ou que c'est difficile à financer, pour elles, pas pour les bailleurs. Et dans la loi de finances de cette année, nous redonnons des moyens aux communes qui accueillent des logements sociaux, en leur compensant une exonération de taxes qui n'était pas compensée jusqu'à présent. Donc on leur redonne des moyens. Sur la construction de logement social, je pense que c'est un point de désaccord que j'ai avec Christophe ROBERT, je ne crois pas que ce soit un problème de moyens des bailleurs sociaux. Je suis convaincue, moi, que les moyens des bailleurs sociaux ont été reconstitués par des aides de la Caisse des dépôts, par des aides d'Action Logement, et que ce n'est pas parce que les bailleurs sociaux n'ont pas d'argent, qu'on ne construit pas de logement social, c'est parce que le système de la construction a du mal à se débloquer, entre une grande frilosité des communes et la nécessité d'être beaucoup plus volontariste. Donc sur ce point, je pense qu'on n'est pas en accord. (...)

SALHIA BRAKHLIA
Le volontarisme politique Emmanuelle WARGON, c'est quoi ? C'est limiter le nombre de jours ou les logements qui peuvent être mis à disposition pour Airbnb dans chaque ville ?

EMMANUELLE WARGON
C'est un sujet sur lequel on a fait preuve justement, mais Christophe ROBERT le disait de volontarisme précisément pour ne pas dévoyer le système. En fait Airbnb, tant que vous êtes dans votre résidence principale et que vous louez ponctuellement, ça reste votre résidence principale. Vous ne sortez pas des biens du marché. Si finalement vous décidez d'acheter un bien pour que ça devienne de la location touristique tout le temps, en multipliant les séjours, là dans ce cas-là cet appartement ou cette maison qui pourrait accueillir une famille, ça devient juste un bien touristique.

MARC FAUVELLE
Est-ce qu'on arrive simplement d'abord à chiffrer ce phénomène ? Est-ce qu'on sait aujourd'hui combien d'appartements ont été achetés pour être loués sur ces plateformes ?

EMMANUELLE WARGON
Justement on a commencé à donner des outils aux villes. Le premier, c'est d'obliger les plateformes à bloquer les locations au-delà de 120 jours. Elles ne le faisaient pas jusqu'à présent. 120 jours, c'est la durée maximale pour louer dans le format Airbnb.

MARC FAUVELLE
Ce qui est énorme.

EMMANUELLE WARGON
Ce qui est déjà beaucoup mais 120 jours…

MARC FAUVELLE
Si on peut louer son logement pendant 120 jours, ça fait quatre mois. Ça suppose déjà qu'on a quatre mois de vacances.

EMMANUELLE WARGON
Ça fait l'été et puis éventuellement pendant les vacances scolaires. Mais en tout cas, ça reste un logement qui, le reste du temps, est occupé par une famille. Donc maintenant les plateformes bloquent, et puis surtout on a permis aux villes d'exiger un numéro d'enregistrement et que ce numéro d'enregistrement permette de demander une contrepartie au propriétaire. En gros si un propriétaire met en location un bien tout le temps, il doit, si la ville le décide - c'est ce que fait la ville de Paris par exemple mais d'autres le font aussi - mettre sur le marché d'autres biens en vraie location familial. Et du coup, ça permet d'aller négocier ou imposés plutôt au propriétaire une contrepartie, une compensation si un propriétaire décide de gagner de l'argent avec de la location touristique, et donc on commence à avoir les outils de régulation. Il faut effectivement faire attention parce qu'il ne faut pas laisser s'installer un système dans lequel on met en concurrence la location secondaire touristique et la location ou l'accès à la propriété pour les habitants. Parce que ça, c'est une tension qui est une tension problématique : il faut garder des logements pour les vrais habitants, pour les gens qui travaillent tous les jours et qui vivent tous les jours. (…)

MARC FAUVELLE
Une minute pour conclure, Emmanuelle WARGON, et pour répondre à Christophe ROBERT.

EMMANUELLE WARGON
Sur le logement étudiant, on a besoin de plus de logements étudiants. En fait on en a bien produit 60 000 pendant le quinquennat mais dans les 60 000 il n'y a pas que des logements sociaux ou aidés. Il y a aussi des logements libres et ces logements libres, ils sont parfois trop chers. Les logements sociaux sont autour de 35 000 logements.

CHRISTOPHE ROBERT
Oui, les logements libres, oui. Il y en a, oui.

EMMANUELLE WARGON
Et on a une aide fiscale sur les logements libres que moi je voudrais requestionner, parce que ce n'est pas forcément une bonne idée d'aider fiscalement des gens qui produisent du logement qui, en fait, est trop cher. Après sur les jeunes en rupture, on a une belle avancée qui est le contrat d'engagement jeunesse. Le contrat d'engagement jeunesse, c'est la suite des mesures d'insertion avec une allocation, et on travaille sur un parcours pour les jeunes en rupture, les jeunes que vous connaissez et moi aussi. Les jeunes à la rue, les jeunes que les maraudes voient, les jeunes qui sont en centre d'hébergement, pour leur ouvrir à la fois une allocation et un parcours d'insertion. Parce qu'in fine l'entrée dans la société, c'est les études où l'emploi et ça c'est un vrai progrès de ce quinquennat.

CHRISTOPHE ROBERT
Madame la Ministre, juste OK. Pour les 400 000 qui vont pouvoir en bénéficier, c'est une bonne nouvelle. Mais ce n'est pas un droit ouvert : c'est pour 12 mois ou 18 mois. Nous on vous parle d'un droit ouvert, une protection. On est un des seuls pays européens où il n'y a pas cette protection avec un droit ouvert pour les jeunes de moins de 25 ans.

EMMANUELLE WARGON
On va commencer avec 400 000.

CHRISTOPHE ROBERT
C'est déjà bien, c'est déjà bien.

EMMANUELLE WARGON
Je pense qu'on ira plus loin.

CHRISTOPHE ROBERT
Oui, mais il faut y aller très vite.

MARC FAUVELLE
Et nous, on va s'arrêter là si vous le permettez. Merci à tous les deux.

EMMANUELLE WARGON
Merci.

MARC FAUVELLE
Emmanuelle WARGON, Ministre du Logement et Christophe ROBERT, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre qui publie donc aujourd'hui son 27ème rapport annuel.

Source : Service d’information du Gouvernement, le 9 février 2022