Déclaration de M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué chargé des transports, sur la situation du transport aérien et le soutien à la recherche aéronautique avec le plan de relance, Assemblée nationale, 31 janvier 2022.

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Circonstance : Débat sur l'avenir du secteur aéronautique, à l'Assemblée nationale le 31 janvier 2022

Texte intégral

Mme la présidente.
La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué chargé des transports.
D'abord, je tiens à remercier Sylvia Pinel et Jean-Luc Lagleize de s'être emparés du thème dont nous parlons. Leur rapport est bienvenu, car il permet d'adopter un regard objectif sur un certain nombre d'éléments et d'apporter un peu de lucidité, de recul et de raison dans un débat de société qui en manque parfois, qui cristallise les passions et qui donne lieu à quelques excès. Il est des esprits tristes pour lesquels il n'est pas de plus grand mal que l'aviation. Ils en ont fait un bouc émissaire et voient dans la décroissance le remède à tous les maux. Vous le savez, je ne suis pas un tenant de cette théorie.

Qu'on le veuille ou non, l'avion est une des plus éclatantes manifestations du génie humain. Il nous relie aux contrées les plus lointaines, nous rapproche des cultures les plus inconnues, nous permet de dialoguer avec le monde, de nous ouvrir à l'autre, de pacifier les relations entre les peuples, et, plus près de nous, de renforcer la cohésion du territoire.

La décroissance est un défaitisme, un renoncement, un déni de ce que nous sommes. Car nous sommes une nation d'inventeurs, d'aviateurs : nous sommes les héritiers de Blériot, de Mermoz et de Saint-Exupéry, dont les noms glorieux nous honorent et nous obligent. La France est le berceau d'Airbus, de Thales et de Safran, mais aussi de start-up que certains d'entre vous ont citées, comme Aura Aero, Elixir Aircraft ou Ascendance Flight Technologies.

Cette industrie, vitale pour l'attractivité de notre pays, pour notre économie et pour nos territoires, fait la fierté de la France et des près de 700 000 hommes et femmes qui se lèvent chaque jour pour repousser les limites du possible. C'est avec leurs savoir-faire, leurs compétences et leur excellence que nous mènerons à bien la transition écologique du transport aérien. Nous avons le droit d'y croire, parce que nous sommes une grande puissance aéronautique et parce que nous avons la chance inouïe de changer le cours des choses, pas seulement pour la France, mais pour le monde entier.

Tout cela est bien beau, me direz-vous, mais comment se projeter alors que le secteur traverse la pire crise de son histoire ? Il est vrai qu'avec la crise sanitaire, le trafic aérien a diminué. Il a même chuté très fortement, pour atteindre en 2020 des niveaux équivalents à ceux de la fin des années 1980. Pour y faire face, l'État a été au rendez-vous. Nous avons ainsi injecté des milliards d'euros pour sauver les compagnies nationales – Air France, bien sûr, mais aussi Corsair, Air Caraïbes et Air Austral. Nous avons aussi largement soutenu nos aéroports, comme en témoignent les 150 millions d'euros avancés pour l'année 2022.

Nous nous sommes mobilisés pour rouvrir les frontières au plus vite. La France a ainsi été l'un des premiers pays d'Europe à mettre en place le passe sanitaire. S'il est difficile de prévoir quand le trafic reprendra, la plupart des experts s'accordent à dire qu'il faudra attendre 2024 pour retrouver les niveaux de 2019.

Cependant, ne nous leurrons pas : tout ne redeviendra pas comme avant. Les comportements ont changé, et probablement pour longtemps : nos concitoyens sont devenus plus attentifs à leur empreinte carbone et, surtout, le télétravail et les visioconférences se sont généralisés, fragilisant pour un temps les revenus engendrés par le voyage d'affaires.

Dans ce contexte, si nous voulons que l'industrie aéronautique reste compétitive, l'ensemble du secteur doit évoluer – les constructeurs comme les aéroports et les compagnies aériennes. Autrement dit, c'est le moment idéal pour innover. À cet égard, notre ambition est claire : inventer l'avion bas-carbone, dans toutes ses composantes, et le commercialiser au plus tôt.

Nous nous donnons les moyens de nos ambitions. Avec le plan de relance, nous avons porté le soutien à la recherche aéronautique à 1,5 milliard d'euros sur trois ans, soit quatre fois plus que pendant la décennie précédente, tandis qu'avec France 2030, nous consentons un investissement de 1,2 milliard d'euros dans le secteur aéronautique.

Nous inventerons l'avion bas-carbone en suivant trois priorités, trois axes de travail – repris d'ailleurs par les instances européennes : une optimisation des trajectoires des avions ; la minimisation de la consommation des aéronefs par le recours à des matériaux plus légers, à des moteurs plus sobres et à des avions plus aérodynamiques ; enfin, comme l'ont dit certains d'entre vous, un remplacement progressif du kérosène par des alternatives durables, et ce pour le climat comme pour notre souveraineté.

À moyen et long terme, la piste de l'hydrogène est à l'étude ; à plus court terme, les carburants aéronautiques durables, alternatifs au kérosène, sont déjà là. Il est indispensable d'y recourir parce qu'ils sont à notre portée et nous permettent de diminuer nos émissions sans attendre.

L'été dernier, nous avons lancé un appel à projets pour développer en France une filière industrielle autour de ces carburants. Ce sont ainsi 200 millions d'euros qui viendront soutenir des projets de recherche, depuis les phases de recherche industrielle, en amont, jusqu'à la démonstration opérationnelle. D'ores et déjà, trois projets ont été présélectionnés : l'un vise à produire du biokérosène à partir de déchets agricoles et forestiers, un autre du kérosène synthétique à partir d'hydrogène renouvelable et de CO2 émis par l'industrie lourde.

Voilà où nous en sommes et quelles sont nos priorités, à l'échelle française. Toutefois, comme certains d'entre vous l'ont dit, nous ne pouvons nous contenter de raisonner à l'échelle de la France quand près des trois quarts des émissions de CO2 du transport aérien concernent les vols internationaux. La transition doit donc s'organiser au plus haut niveau. Dans cette perspective, il convient d'instaurer une concurrence équitable afin d'éviter les fuites de carbone, néfastes pour notre économie tout autant que pour l'environnement.

L'objectif n'est pas de délocaliser la pollution mais bien de la réduire : à nous d'y veiller et de nous assurer du sérieux des mécanismes de certification. La plupart de mes homologues européens y sont attentifs : j'ai pu le constater lors du dernier Conseil TTE – transports, télécommunications et énergie –, qui s'est tenu en décembre 2021. Nous allons formuler des propositions en ce sens, notamment une forme de mécanisme d'ajustement carbone aux frontières pour l'aérien.

Par ailleurs, vous le savez, la France soutient l'ambition du paquet dit Fit for 55, lequel inclut différentes mesures : une amélioration du signal prix carbone, l'électrification de tous les équipements au sol des aéroports ou encore un mandat d'incorporation obligatoire de carburants aéronautiques durables dans les aéroports européens. Je le redis ici : nous veillerons à concilier ambition environnementale et compétitivité du secteur. La transition écologique ne peut et ne doit pas se faire au détriment des hubs européens.

Enfin, le développement des biocarburants est un projet que nous devons défendre à l'échelle internationale. Les mandats d'incorporation doivent être beaucoup plus ambitieux. C'est à l'OACI que beaucoup de choses se jouent. Nous devrions avancer sur les discussions cette semaine, lors du sommet de l'aviation qui se tiendra à Toulouse jeudi et vendredi. L'objectif de celui-ci est précisément de rallier à notre objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050 tous les États européens, mais aussi d'autres États dans le monde et, bien évidemment, des entreprises. Ainsi serons-nous en mesure de défendre cette ambition à l'OACI d'une voix assurée, forte et unie.

Bien sûr, tout cela ne sera pas simple. Je rappelle toutefois que, il y a cinq ans encore, les acteurs industriels n'envisageaient même pas l'idée de faire voler un avion bas-carbone. Aujourd'hui, tout le secteur y travaille. Le dossier avance vite mais il nous faut encore accélérer et, surtout, soutenir l'effort dans la durée.

Henry Ford, qui connaissait très bien le monde de l'industrie et un peu celui de l'aviation, disait : "Lorsque tout semble aller contre vous, souvenez-vous que les avions décollent toujours face au vent." Cela reste vrai. Alors, qu'importent les voix qui s'élèvent contre eux et qui voudraient les clouer à terre. L'histoire de l'aviation est celle d'une lutte contre l'adversité. Les audacieux, les courageux, les téméraires qui ont fait de l'aéronautique française ce qu'elle est – aujourd'hui encore – ont toujours transformé cette adversité en force. Je ne doute pas qu'ils continueront car la décarbonation ne marque pas la fin de l'aviation mais bien un nouveau départ. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Agir ens.)


Mme la présidente.
Nous en venons aux questions. Je rappelle que leur durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à Mme Sylvia Pinel.

Mme Sylvia Pinel (LT).
Comme je l'ai dit tout à l'heure, l'une des réponses à court terme, pour réduire les émissions de CO2 du secteur aérien, est bien sûr l'incorporation de biocarburants, notamment de SAF.

Nous le savons, l'environnement est concurrentiel. À l'occasion des auditions que nous avons menées, nous nous sommes aperçus que de nombreux pays étaient très offensifs – bien plus que la France – en la matière. D'aucuns ont mentionné, par exemple, le plan Biden, qui prévoit l'instauration d'un crédit d'impôt. Il est important que, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, la question du mandat d'incorporation des SAF soit examinée – c'est d'ailleurs l'une de nos préconisations –, tout comme la création d'une alliance industrielle européenne pour les SAF, sur le modèle d'Airbus.

Monsieur le ministre délégué, êtes-vous prêt, pour accélérer la structuration d'une filière indispensable, à soutenir un Airbus des SAF, en entraînant avec vous les collectivités territoriales, par exemple les régions, mais aussi, bien sûr, les entreprises et les énergéticiens, à travers des efforts en recherche et développement ? Cette question nous semble essentielle. Or, au cours de nos auditions, il nous a semblé que la France, pourtant leader dans bien des programmes de recherche, se laissait facilement distancer dans ce domaine.

Il est impératif de structurer la filière des SAF, aussi bien au niveau national qu'européen. Selon nous, la présidence française de l'Union européenne offre l'occasion de s'y atteler.

Mme la présidente.
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.
Nous avons déjà eu l'occasion de débattre de cette question il y a quelques semaines, lors de l'audition menée dans le cadre de votre mission d'information.

Vous avez tout à fait raison : il est nécessaire de structurer la filière des SAF. Nous le faisons au niveau national puisque nous avons déjà consacré 200 millions d'euros à la recherche industrielle en amont, pour développer aussi bien le traitement des huiles usagées que celui des déchets agricoles et forestiers. Par ailleurs, nous avons commencé à construire la future filière des carburants synthétiques qui nécessitera, vous l'avez dit, un développement massif de l'hydrogène décarboné.

Pour y parvenir, il faut d'abord se mettre d'accord, au niveau français et européen, sur différentes questions, par exemple le taux d'incorporation de biocarburants – vous le savez, la Commission européenne a formulé à ce sujet, le 14 juillet dernier, une proposition précise qui doit être débattue – ou les différents mécanismes de soutien. Alors que les Américains, vous l'avez rappelé, optent souvent, dans le secteur des transports, pour le crédit d'impôt, les Européens et les Britanniques ont plutôt recours à des subventions à l'investissement, afin de développer les technologies et de sécuriser l'industrialisation.

Ces questions seront débattues non seulement à l'occasion du sommet de l'aviation, qui se tiendra jeudi et vendredi à Toulouse, mais aussi lors de la réunion informelle des ministres chargés des transports qui se tiendra à l'aéroport du Bourget les 21 et 22 février. Ces discussions, qui nous permettront d'avancer sur ce dossier et de bâtir un agenda européen à partir des différents critères évoqués, nous donneront de l'élan, au niveau international, en vue de l'assemblée générale de l'OACI qui se déroulera en fin d'année.

Je crois pouvoir dire que nous sommes bien armés pour mener la révolution des SAF, qui font l'objet d'un consensus de plus en plus large de la part des pays européens mais aussi des pays tiers désireux d'engager très concrètement la transition énergétique du transport aérien.

Mme la présidente.
La parole est à M. Hubert Wulfranc.

M. Hubert Wulfranc (GDR).
Je pose cette question au nom de ma collègue Karine Lebon, mais aussi de l'ensemble de nos amis réunionnais.

Air Austral n'échappe pas aux difficultés du secteur. Cette compagnie réunionnaise, qui compte 1 000 salariés, assure les vols long-courriers avec l'Hexagone et la desserte aérienne de la zone océan Indien. Son inscription dans le paysage aérien réunionnais et l'image qu'elle contribue à véhiculer à travers le monde expliquent le caractère patrimonial que les Réunionnais attribuent à Air Austral.

Nous saluons l'avis favorable de la Commission européenne sur une aide de l'État à hauteur de 20 millions d'euros – c'est une réelle avancée.

Nous espérons que l'État continuera d'être présent pour redynamiser la destination Réunion dès que la situation sanitaire le permettra. Aujourd'hui encore, celle-ci a en effet un impact fort sur les voyages familiaux et sur le tourisme.

Depuis plusieurs mois, les voyageurs doivent justifier d'un schéma vaccinal complet ou de motifs impérieux ainsi que d'un test PCR ou antigénique de moins de vingt-quatre heures pour se rendre à La Réunion. Or, ce 28 janvier, le Conseil d'État a annulé l'obligation de motif impérieux pour les Français de l'étranger non vaccinés qui souhaitent rentrer en France, sur le motif suivant : "Cette exigence est susceptible […] de faire durablement obstacle à l'exercice du droit fondamental de rejoindre le territoire national dont tout Français dispose, sans que le bénéfice sanitaire d'une telle mesure soit manifestement de nature à justifier l'atteinte qui est ainsi portée à ce droit."

La question est simple : cette annulation concernera-t-elle aussi les voyageurs entre La Réunion – et plus généralement les outre-mer – et l'Hexagone ?

M. Alain David.
Très bonne question !

Mme la présidente.
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.
S'agissant d'Air Austral, vous avez eu raison de rappeler le caractère patrimonial et absolument stratégique des liaisons outre-mer. C'est d'ailleurs pour cela que, dès le début de la crise, l'État a apporté son soutien aux compagnies aériennes telles qu'Air Austral. Pour celle-ci, 80 millions d'euros de prêts garantis par l'État ont été mobilisés, un prêt direct de 10 millions d'euros à travers BPIFrance a été consenti et la région a été mise à contribution à hauteur de 25 millions d'euros à l'été 2021.

En outre, vous l'avez rappelé, un plan d'aide de 20 millions d'euros vient d'être approuvé par la Commission européenne. Il permettra à la compagnie de faire face aux fortes difficultés qu'elle a rencontrées récemment tout en concevant un plan de retournement et de transformation. L'État restera bien sûr aux côtés d'Air Austral pour les raisons éminentes que vous avez rappelées.

J'en viens à la deuxième partie de votre question. La décision du Conseil d'État que vous avez citée répond à une requête datée du 26 juillet 2021. Elle reste donc sans effet sur le fait, déjà acquis, que les Français ne sont pas concernés par l'obligation de justifier d'un motif impérieux pour rejoindre le territoire français depuis l'étranger, conformément à la loi du 5 août 2021. La décision du Conseil d'État à laquelle vous faites référence n'emporte donc aucune conséquence sur les restrictions applicables entre l'outre-mer et l'Hexagone.

Mme la présidente.
La parole est à Mme Olga Givernet.

Mme Olga Givernet (LaREM).
Permettez-moi tout d'abord de dire ma satisfaction d'avoir ici, grâce à nos rapporteurs, un débat sur l'avenir de l'aéronautique. Comme à vous, monsieur le ministre délégué, cette industrie m'est chère. C'est ma famille professionnelle d'origine.

À l'heure où un certain aéro-bashing gagne du terrain, je tiens à le dire : l'aéronautique, ce sont d'abord des femmes et des hommes qui ont rêvé et qui rêvent encore. C'est aussi le secteur d'excellence de l'économie française et notre principal atout à l'export. Nous pouvons être fiers des succès de notre fleuron industriel, Airbus. Après une année 2020 difficile en raison de la crise mondiale, il vient d'annoncer le recrutement de 6 000 talents au cours de ce semestre.

Secteur clé, l'aéronautique représente aussi un défi pour notre stratégie de décarbonation de l'économie. Renouvellement des flottes, utilisation de carburants durables, développement de l'avion électrique ou à hydrogène : certaines pistes sont immédiatement déployables, pour d'autres il faudra attendre plusieurs décennies.

La France a établi un schéma directeur en ce sens et l'Union européenne s'est fixé un objectif ambitieux : diminuer de 55% d'ici à 2030 ses émissions carbone par rapport à 1990. C'est le plus grand plan énergie-climat de l'histoire de l'Union européenne.

Nous sommes à l'aube de la présidence française de l'Union européenne, mais six mois, cela passe vite. Il y a six jours, la ministre de la transition écologique Barbara Pompili a convié à Amiens ses homologues européens pour plancher sur le déploiement concret du paquet Fit for 55, qui concerne notamment l'utilisation de carburants durables pour l'aviation. La course aux technologies pour des aéronefs plus légers, consommateurs d'énergies renouvelables, est lancée. Il est vrai que les performances environnementales entrent en ligne de compte dans les commandes et l'avion vert séduit de plus en plus. Mais la concurrence est féroce, notamment face aux avionneurs chinois, massivement subventionnés par le régime communiste.

Ma question est simple : comment évaluez-vous le risque de distorsion de concurrence et quelle est la teneur de vos échanges avec vos homologues européens sur ce sujet ?

Mme la présidente.
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.
Vous avez posé beaucoup de questions, mais je tenterai de synthétiser nos démarches au niveau européen.

Il y a quelques mois, les acteurs industriels du secteur aéronautique se sont prononcés en faveur de l'objectif, bien plus ambitieux que les engagements signés précédemment, de décarbonation nette du secteur à l'horizon 2050. Nous souhaitons – c'est l'objet du sommet de l'aviation à Toulouse – nous mettre en ordre de marche à l'échelle européenne pour y parvenir. Il faut pour cela cumuler les progrès techniques et opérationnels, en optimisant les trajectoires des avions, en développant la filière des carburants alternatifs au kérosène, les SAF, et en construisant la future génération d'avions bas-carbone, ultrafrugaux. Dans les années qui viennent, les avions continueront à s'améliorer en matière de consommation énergétique ; c'est particulièrement crucial si l'on veut utiliser l'hydrogène, qui a le désavantage d'occuper plus de place à bord. Les feuilles de route technologiques française et européenne sont parfaitement coordonnées. Nous avons consenti des moyens considérables pour les trois prochaines années, mais l'effort devra se poursuivre. Cette démarche est comparable à ce que nous connaissons des plans d'investissement des États-Unis et à ce que nous subodorons de ceux de la Chine.

Il nous faut désormais avancer au niveau européen ; c'est l'objet du sommet de l'aviation et ce sera celui de la réunion informelle des ministres chargés des transports qui se tiendra les 21 et 22 février. Il nous faudra relayer cette préoccupation au niveau le plus global possible. L'OACI apparaît comme l'échelle pertinente pour cet enjeu et nous devrons continuer de discuter avec les pays pivots dans cette organisation : le Brésil, l'Inde, les pays du Moyen-Orient, certains pays africains. C'est le but du travail diplomatique que nous mènerons dans les prochains temps pour faire en sorte que la décarbonation nette du secteur devienne une réalité, en vue d'entraîner dans cette démarche le plus grand nombre de pays dans les plus brefs délais. C'est à ces conditions, au prix de cet effort réel et tangible, que nous éviterons collectivement les effets de distorsion de concurrence, en matière environnementale ou sociale, que nous avons connus récemment.

Mme la présidente.
La parole est à M. Alexandre Freschi.

M. Alexandre Freschi (LaREM).
La filière aéronautique française est une fierté nationale. En dépit de la pandémie de covid-19, qui a profondément touché l'ensemble du secteur, nos entreprises et nos sous-traitants ont fait preuve d'une grande résilience. L'action massive du Gouvernement a été décisive. Salvateur et rapidement déployé, le plan de soutien à l'aéronautique de 15 milliards d'euros a permis de sauvegarder notre maillage industriel et nos emplois tout en pensant la transformation de la filière et en soutenant la recherche et le développement pour la conception des appareils de demain.

Désormais, l'heure est à la reprise de l'activité et au recrutement. C'est le cas par exemple au sein de ma circonscription, où des entreprises de la filière aéronautique comme LISI-Creuzet, CSA-Creuzet ou Asquini du groupe Nexteam souhaitent recruter. D'ailleurs, une récente étude de prospective de l'INSEE indique que c'est le cas de la moitié des entreprises de la filière aéronautique du Grand Sud-Ouest. Le groupe Airbus, vous le savez, a également annoncé sa volonté de recruter dans les années qui viennent jusqu'à 6 000 nouveaux collaborateurs. Le développement des nouvelles technologies décarbonées, l'utilisation de carburants durables d'aviation, l'avion à hydrogène et l'avion électrique sont des pistes d'avenir pour un transport durable. Tout cela participera indéniablement à renforcer l'activité industrielle aéronautique dans nos territoires.

Afin d'accompagner cette transformation et rester compétitifs dans les industries du futur, nous devons continuer à former les étudiants à ces métiers et à ces nouvelles techniques. D'ores et déjà, les entreprises du secteur et les centres de formation spécialisés travaillent conjointement pour améliorer et renforcer les compétences exigées par les nouveaux enjeux d'avenir de la filière.

Monsieur le ministre délégué, quelle stratégie déployez-vous au sein du Gouvernement afin de sécuriser nos compétences, d'attirer de nouveaux talents dans cette filière d'excellence et d'assurer ainsi la pérennité de ce fleuron de l'industrie, particulièrement implanté dans nos territoires ?

Mme la présidente.
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.
Au moment le plus aigu de la crise, il a fallu préserver ces compétences, civiles et militaires – cela me donne d'ailleurs l'occasion de répondre en partie à l'interpellation de Mme Rabault. Le volet recherche du plan de relance, destiné au CORAC, n'a pas seulement amorti les effets de la crise : il nous a aussi permis de nous projeter dans un avenir de court et de moyen terme. Ensuite, il a fallu se doter d'un plan de relance et de décarbonation crédible et, en cascade, créer les nouvelles compétences. Celles-ci constituent un défi pour l'ensemble du secteur des transports, étant donné les enjeux liés à l'électrification du secteur automobile, à la décarbonation du secteur aérien ou encore à la transition écologique du transport terrestre et maritime.

Je sais que le tissu des écoles aéronautiques françaises d'excellence est pleinement mobilisé pour construire au plus vite les nouveaux parcours de formation préparant aux métiers de demain. En effet, ce n'est pas seulement une course technologique, mais aussi une course aux capacités d'investissement et une guerre des talents. Soyez-en sûr : l'université et la recherche françaises agissent énergiquement pour jouer un rôle dans cette grande aventure collective qu'est la décarbonation du transport aérien.

Mme la présidente.
La parole est à M. Robin Reda.

M. Robin Reda (LR).
À l'heure où notre économie doit bifurquer vers des pratiques plus vertes, je reviens sur le sujet des biocarburants. En effet, le débat d'aujourd'hui interroge la viabilité et la compétitivité du pavillon français dans le contexte d'une concurrence mondialisée du secteur aérien. Depuis le début de l'année, l'État impose à nos compagnies aériennes 1% de biocarburants ; cette part passera à 3% en 2025, puis à 5%. Mais ces carburants verts sont à ce jour bien plus chers et très peu disponibles.

M. Thibault Bazin.
C'est vrai !

M. Robin Reda.
Nous sommes confrontés à des pays qui déploient d'énormes moyens, qui créent des emplois et de l'activité, et qui s'assurent de leur souveraineté énergétique en matière de biocarburants pour l'aviation de demain. Et nous, quel chemin décidons-nous de prendre pour la France ? Quel chemin décidons-nous de prendre pour l'Europe ?

Le secteur aérien est un domaine national de pointe. Il faut le verdir et, on l'a dit, c'est le chemin qu'il souhaite prendre lui-même. Le rôle de l'État est d'accompagner ces changements pour des perspectives plus encourageantes. Malheureusement, pour l'heure, notre secteur aérien fait face à un État qui contraint plus qu'il n'encourage. Plutôt que de privilégier les incitations fiscales, il décrète des obligations précipitées et dures. Plutôt que de créer un cadre vertueux pour les compagnies aériennes françaises, il les défavorise. Plutôt que de plaider pour une stratégie européenne commune, susceptible d'assurer une compétitivité forte à l'échelle internationale, il fait subir à nos entreprises de l'aérien la méfiance et la défiance des pouvoirs publics. Pendant ce temps, de nouveaux entrants aux coûts et aux contraintes souvent bien inférieurs sont propulsés sur le devant de la scène par des États conquérants, créant une concurrence déloyale pour notre secteur de l'aviation. Pire encore : nos exigences poussent à des faits absurdes. Nos hubs étant trop coûteux, il est bien plus avantageux de faire des escales à Dubaï qu'en Europe, même pour des vols intraeuropéens !

À quand un État qui accompagne notre champion aérien français vers des perspectives de compétitivité réelles et écologiques ?

M. Thibault Bazin.
Excellent !

Mme la présidente.
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.
Nous sommes ici, je l'ai bien compris, dans une joute liée à une échéance électorale qui se rapproche ; j'essaierai malgré tout de rappeler la réalité des faits et de nos actions, laquelle me semble d'ailleurs faire consensus parmi les acteurs du secteur – il faudrait les interroger à ce sujet.

En matière de carburants aéronautiques alternatifs au kérosène, nous avons fait trois choses. D'abord, et c'est une initiative unique en Europe, nous avons commencé à développer l'ensemble de la filière. Ainsi, s'agissant du segment des huiles usagées, Total organise la reconversion des grands sites de La Mède et de Grandpuits : elle nous permettra de produire, à l'horizon 2030, 50% de biocarburants durables nécessaires au respect de la trajectoire adoptée. Nous développons aussi, avec de très nombreux acteurs industriels français, la filière des déchets agricoles et forestiers. Des carburants à base de paille et de bois sont ainsi produits entre le site de Venette, dans l'Oise, et Dunkerque, faisant tourner une industrie locale. Là encore, nous sommes à l'avant-garde des pratiques européennes.

M. Thibault Bazin.
Mais ça coûte très cher !

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.
Enfin, il y a le grand sujet des carburants synthétiques. Dans ce domaine, la France a un avantage compétitif majeur, celui de disposer potentiellement d'une grande quantité d'hydrogène décarboné du fait de sa filière nucléaire.

Le problème du prix est contré par une double stratégie : le soutien à l'investissement – nous y consacrons, dès maintenant, 200 millions d'euros, et cet effort sera poursuivi – et la création d'un espace de non-distorsion de concurrence à l'échelle européenne.

Je ne peux pas vous laisser dire que la France serait en retard ; au contraire, elle est à l'avant-garde et à l'attaque dans ce domaine, lucide quant à la nécessité de construire une filière durable de carburants alternatifs au kérosène.

M. Robin Reda.
Il reste du boulot !

Mme la présidente.
La parole est à M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin (LR).
Tout d'abord je remercie Sylvia Pinel et le groupe Libertés et territoires, auquel elle est apparentée, de nous proposer un débat sur l'avenir de l'aéronautique dans le cadre de cette semaine de contrôle, la dernière du quinquennat. Plusieurs entreprises de ma circonscription, en Lorraine, dépendent du secteur aéronautique ; il s'agit de TPE talentueuses avec des savoir-faire de pointe, qui contribuent à la réussite de la filière. Le réseau Aeriades, basé à Lunéville, travaille au développement de cette filière dans notre région.

Dans les prochains mois, le secteur aéronautique va rencontrer des problèmes de trésorerie et nos entreprises nourrissent des inquiétudes. La crise sanitaire a provoqué une réduction importante de la production et entraîné l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement aéronautique dans un mouvement de décroissance d'activité et d'emploi. En 2020, la filière a connu une chute sans précédent de ses carnets de commandes et une baisse du chiffre d'affaires entre 25 et 40% selon les entreprises.

La reprise amorcée à la fin de 2021 semble se confirmer en 2022. Les projections laissent espérer un retour au niveau de 2019 en 2023 ou en 2024 au plus tard. Les mesures prises par l'État ont permis d'éviter de nombreux sinistres et de limiter les pertes, sans les annuler. Mais l'augmentation des volumes à produire engendre un besoin supplémentaire en fonds de roulement à un moment où les remboursements des PGE et des moratoires accordés par le fisc et l'URSSAF viennent grever des trésoreries déjà fragiles. Les entreprises ont donc besoin de dispositifs tels que des prêts participatifs ou des obligations convertibles pour renforcer leurs hauts de bilan. Des dispositifs de ce type sont annoncés mais très peu sont effectivement mis en œuvre. C'est une réalité !

Monsieur le ministre délégué, qu'est-ce que le Gouvernement compte proposer pour répondre à cette attente et pour renforcer la trésorerie des entreprises de cette filière, si essentielle à la balance commerciale de notre pays et à la préservation des emplois d'avenir dans nos territoires ?

Mme la présidente.
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.
Je partage votre constat : au pic de la crise, on a dû agir rapidement pour préserver les grands groupes et s'assurer que les sous-traitants, souvent dépendants d'un seul client, ne se heurtent pas à des difficultés financières et ne deviennent pas la proie de prédations hostiles. Cela aurait pu arriver si nous ne nous étions pas mobilisés au plus vite.

Dans le cadre du plan de relance, nous avons soutenu 220 projets, dont 90 projets menés par des équipementiers, PME ou ETI. Grâce au CORAC, structure dédiée à la recherche en matière de construction aéronautique, nous avons alloué quelque 20% des crédits de 1,6 milliard d'euros, sur trois ans, à des PME.

Vous avez raison, le problème reste la trésorerie, le haut de bilan et la capacité à constituer ou à reconstituer des fonds propres. C'est pourquoi, dans le cadre du plan France 2030, le Président de la République a annoncé une enveloppe de 1,2 milliard d'euros, dont 400 millions pour les acteurs émergents,…

M. Thibault Bazin.
Où sont ces crédits ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.
…les start-up qui ont besoin de constituer des fonds propres. Nous étudierons vos propositions avec intérêt, mais nous pensons tenir là un bon outil pour préserver les trésoreries et permettre à nos entreprises de se doter de ressources suffisantes dans un moment où elles subissent des transformations importantes, avec des effets de marché parfois décalés. Nous veillerons à ce que ces équipementiers, start-up et PME, continuent à bénéficier, dans ce moment particulier, de ressources financières adéquates.

Mme la présidente.
La parole est à M. Jean-Luc Lagleize.

M. Jean-Luc Lagleize (Dem).
Je souhaite aborder la question de l'accompagnement financier des start-up aéronautiques françaises, au-delà du secteur traditionnel de la filière. Les grandes entreprises de la filière aéronautique ont été bien accompagnées et restent fortement soutenues par l'État français : c'était une condition sine qua non du maintien de l'excellence française en la matière. Les aides ont permis la survie du secteur aéronautique pendant la crise sanitaire ; ce sont 15 milliards d'euros qui ont soutenu la filière depuis juin 2020, et 7 milliards qui ont été versés à Air France pour soutenir la compagnie.

Au-delà des champions français traditionnels du secteur, des start-up aéronautiques se sont développées autour de l'électrique et de l'hydrogène. Cependant, elles manquent de fonds d'investissement spécialisés et de prêts destinés à soutenir leurs innovations. Il faut en effet pouvoir accepter de financer des projets dont la rentabilité se fait sur le long terme. Les régions se démarquent un peu en ce sens. En Occitanie, dans le cadre de Aerospace Valley, un appel pour la mobilité aérienne légère et environnementalement responsable (MAELE) a été lancé à destination des innovations aéronautiques. Certaines initiatives privées commencent également à émerger, à l'image de l'incubateur d'entreprises Starburst Accelerator, entièrement consacré au secteur aérospatial et de défense.

Toutefois, ces initiatives ne suffisent pas pour soutenir financièrement ces start-up qui ont du mal à passer le seuil de l'industrialisation. Monsieur le ministre délégué, où en sont les réflexions du Gouvernement sur l'accompagnement financier des start-up aéronautiques françaises ? Faute de soutiens adéquats, les entrepreneurs risquent de se tourner vers les États-Unis ou la Chine, où les financements sont plus faciles à trouver. Cela entraînerait des transferts technologiques de propriété intellectuelle et de savoir-faire, ce qui serait réellement dommageable pour la compétitivité et l'innovation françaises. Ces start-up sont des parties prenantes de l'excellence française en matière aéronautique, nous ne pouvons pas nous permettre de les perdre.

Mme la présidente.
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.
Votre question rejoint un peu celle de M. Bazin. Je commencerai par repréciser ce que nous avons essayé de faire : préserver le plus possible le tissu des PME aéronautiques françaises, au sens large, car il était très exposé, notamment, à des risques de trésorerie au moment le plus aigu de la crise. Cela n'a peut-être pas toujours été le cas, mais soyez-en convaincus : cette fois-ci, pour ce secteur en particulier et à ce moment de l'histoire, nous avons réussi à préserver l'essentiel du savoir-faire, des compétences et de l'excellence industrielle de la filière aéronautique française. Comme je le disais, 220 projets ont été accompagnés et, pour les raisons que j'évoquais précédemment, 20% des crédits ont été alloués à des PME.

Désormais, c'est la reprise qui s'annonce avec ses conséquences positives, mais elle s'accompagne parfois d'effets de décalage, notamment en matière de trésorerie, ce qui peut soulever des difficultés. C'est la raison pour laquelle, avec France 2030, nous redonnons des perspectives tant sur le plan temporel que pour les objets technologiques que nous souhaitons soutenir. Nous allons également mettre en place des dispositifs adaptés pour les start-up, notamment aéronautiques, au travers de mécanismes de soutien en fonds propres, avec des prises de participation de BPIFrance, ce qui répond pour partie au sujet du haut de bilan évoqué par M. Bazin.

Ainsi, 400 millions d'euros seront alloués aux acteurs émergents – aux start-up – dans le cadre de France 2030. Il me semble que cela nous permet d'aborder avec le maximum de sér��nité possible la phase qui s'ouvre devant nous. Je préciserai que, lorsqu'on se compare, parfois on se désole. En l'occurrence, nous pouvons plutôt nous consoler, car nos réponses, notamment financières, se situent à un bon niveau en comparaison avec ce qu'on fait d'autres acteurs éminents, comme les Américains.

Cet effort devra être soutenu. Nous l'avons engagé sur trois ans et, comme nous l'avons dit aux acteurs du secteur, nous le maintiendrons dans la durée. Le décollage ou l'envol – pour rester dans le vocabulaire aéronautique – auxquels nous assistons nous laissent espérer que nous avons pris les bonnes décisions, dans le bon tempo politique.

Mme la présidente.
La parole est à M. David Habib.

M. David Habib (SOC).
Monsieur le ministre délégué, avec votre déplorable loi gadget dite climat et résilience, vous avez alimenté le fly-bashing.

M. Thibault Bazin.
Il a raison !

M. David Habib.
Demain, vous porterez un coup à l'industrie aéronautique française par l'abandon de liaisons domestiques. Aujourd'hui, vous vous attaquez au trafic aérien. Votre cabinet, inquiet, a téléphoné à mon secrétariat vendredi pour connaître l'objet de mon intervention. De la façon la plus transparente et la plus immédiate, il a été indiqué à vos collaborateurs que je souhaitais vous interroger sur le plan Vesta – il leur aurait été très facile de connaître l'objet de mon intervention, puisque je vous ai écrit à deux reprises sur ce sujet, sans d'ailleurs obtenir de réponse.

Air France à l'aéroport d'Orly, c'est fini pour de nombreuses destinations du Sud ; désormais, c'est Transavia avec ses personnels moins payés, sa flotte composée exclusivement d'avions Bœing polluants et surtout sa politique commerciale davantage adaptée à des vols vers Ibiza qu'à une clientèle d'entreprise voyageant entre Pau et Paris. Le président de la chambre de commerce et d'industrie de Pau vous a alerté ; le président-directeur général de TotalEnergies, M. Pouyanné, a rappelé l'importance de la plateforme aéroportuaire de Pau pour son groupe qui emploie plusieurs milliers de salariés en Béarn. Tous les députés des Pyrénées-Atlantiques, de la majorité comme de l'opposition, vous ont également alerté. Nous vous avons demandé un rendez-vous pour vous expliquer les enjeux ; pas de réponse. Vous êtes aux abonnés absents, et incapable de dire stop à la direction d'Air France.

Le 27 mars, des vols d'Air France au départ d'Orly et à destination de Pau, ce sera fini et il sera trop tard. Monsieur le ministre délégué, comptez-vous agir ? Pourriez-vous nous rappeler les contraintes en matière d'aménagement du territoire et de continuité territoriale imposées à Air France face aux 7 milliards que vous avez concédés à la compagnie lorsqu'elle était en difficulté ? Que compte faire le Gouvernement pour les territoires qui se trouvent à 800 kilomètres de Paris et qui ont impérativement besoin de liaisons aériennes ?

Mme la présidente.
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.
Je connais bien le sujet, pour l'avoir évoqué directement avec vous à plusieurs reprises, et je ne partage pas votre analyse sur deux points au moins. Tout d'abord, si un gouvernement a agi pour maintenir les liaisons domestiques dans nos territoires au sens large, c'est bien celui dont je suis membre : pour préserver l'attractivité de nos territoires, nous avons relancé les lignes d'aménagement du territoire, en subventionnant un certain nombre de lignes pour lesquelles le train n'est pas une solution évidente ou suffisante au regard de la durée du voyage. Une trentaine de millions d'euros servent ainsi à subventionner des lignes vers le grand Massif central ou d'autres liaisons transversales.

Deuxièmement, quand la crise est arrivée, le trafic aérien a diminué de près de 10%. Nous avons été au contact des élus locaux, au travers notamment des acteurs et des exploitants aéroportuaires. Dès que nous avons pu reprendre ces lignes, nous l'avons fait en essayant de regarder quel était le niveau de trafic et comment les différents groupes concernés – vous avez mentionné Air France – pouvaient relancer des vols de la manière la plus rationnelle et la plus confortable possible pour les passagers.

Ensuite, et c'est sans doute là la pomme de discorde entre nous, vous savez qu'Air France a très largement restructuré son offre domestique, en faisant monter en charge sa filiale Transavia. Le groupe l'a fait au moment où la filiale Hop ! perdait environ 200 millions d'euros par an, ce qui n'assurait plus la pérennité de l'activité régionale à moyen terme.

J'entends parfaitement les doutes que vous émettez sur la qualité des services offerts par Transavia. À plusieurs reprises, j'ai parlé avec les patronnes d'Air France et de Transavia ; elles sont parfaitement mobilisées pour garantir la qualité de service et la renforcer, et pour accroître la fréquence des vols. Ainsi, douze allers-retours hebdomadaires seront opérés entre Pau et Orly dans les prochaines semaines.

Je me tiens à votre disposition pour discuter de la qualité de service, mais je crois pouvoir dire la totale détermination du groupe Air France-KLM, et notamment des compagnies Air France et Transavia, à fournir la qualité de service la plus haute pour les destinations que vous avez évoquées.

Mme la présidente.
La parole est à M. Thomas Gassilloud.

M. Thomas Gassilloud (Agir ens).
L'aviation mondiale produit 3% des émissions de gaz à effet de serre. Face aux défis du changement climatique, nous en sommes tous convaincus : il faut décarboner notre filière aéronautique en engageant une révolution, afin de miser sur de nouvelles technologies, notamment l'hydrogène vert.

À cette fin, monsieur le ministre délégué, vous avez présenté une stratégie pour le développement de cette énergie, et Airbus a d'ailleurs annoncé vouloir construire un avion zéro émission fonctionnant à l'hydrogène d'ici à 2035. Je pense qu'en France, nous avons toutes les capacités nécessaires pour avancer. Nous nous félicitons d'ailleurs que le plan de relance consacre 7 milliards d'euros d'investissement dans la filière de l'hydrogène. Compte tenu de la taille de nos compétiteurs au niveau mondial, nous devons également réfléchir en Européens. J'ai bien noté que les feuilles de route européenne et française étaient désormais alignées.

Pourriez-vous nous préciser comment les efforts seront articulés aux niveaux national et européen ? Quels sont les objectifs que nous pouvons attendre ensemble ? Enfin, disposez-vous d'une estimation du volume d'électricité supplémentaire qu'il nous faudra produire pour faire face à cette nouvelle demande en hydrogène ?

Mme la présidente.
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.
Concernant votre première question, j'ai eu l'occasion d'évoquer le plan de décarbonation du transport aérien français, lequel est parfaitement relayé par le programme européen relatif au secteur de l'aviation. Entre 2022 et 2028, 1,7 milliard d'euros seront consacrés aux technologies orientées à 100% vers la décarbonation : intégration d'un moteur ultrafrugal – condition sine qua non pour développer l'hydrogène dans de bonnes conditions ; démonstration d'un avion à hydrogène – les acteurs de la filière en ont parlé récemment ; électricité à forte puissance ; développement de l'avion régional décarboné. Il y a un parfait alignement stratégique entre ce qui est entrepris au niveau français et à l'échelle européenne.

S'agissant de la demande d'électricité, il faut d'abord se rappeler que le secteur aérien ne représente que 2,5% environ de l'ensemble des pollutions du secteur des transports ; 95% de cette pollution proviennent du transport routier – véhicules lourds comme véhicules particuliers.

La demande d'électricité dans les transports, notamment du fait du poids du secteur du transport terrestre, va considérablement augmenter. L'électrification de la très grande majorité des transports imposera, selon les estimations que l'on peut faire de la demande, une multiplication par quinze, voire vingt, de la production d'électricité bas-carbone d'ici à 2050. Sur cette électricité, la France possède à ce jour, grâce au nucléaire, un avantage compétitif qu'il nous faut évidemment préserver – tout en continuant à développer les énergies renouvelables –, car c'est notre seul moyen de rester crédibles sur nos engagements environnementaux et d'amorcer la rupture souhaitée.

Mme la présidente.
La parole est à M. Grégory Labille.

M. Grégory Labille (UDI-I).
Si l'on s'en tient à l'annonce faite le 28 janvier par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, Bruno Le Maire, la croissance française s'établira en 2021 à 7%. À l'évidence, cela devrait avoir des effets positifs sur le secteur aéronautique. J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec le directeur du site de Méaulte de l'entreprise Stelia Aerospace. S'il se réjouit de la forte accélération de la demande, il appréhende également les effets de la crise sanitaire sur la main d'œuvre qualifiée de notre territoire de la Somme. En effet, les mesures de chômage partiel ont éloigné certaines personnes de l'emploi, tandis que la forte dynamique actuelle crée une concurrence entre les entreprises sur le recrutement de la main d'œuvre qualifiée. Résultat : beaucoup d'entreprises aéronautiques peinent à recruter.

En outre, l'aéronautique souffre de sa réputation auprès des jeunes, qui y voient à la fois un secteur en perte de vitesse en raison de la crise sanitaire, ainsi qu'une activité polluante et contraire à la lutte contre le réchauffement climatique – position que, bien sûr, je ne partage pas. Là encore, les résultats sont très concrets : à Méaulte, au sein du lycée professionnel privé Henry Potez de Stelia Aerospace, le nombre de candidatures est passé, entre 2020 et 2021, d'une vingtaine à une petite dizaine. Si le recrutement est davantage du ressort de l'entreprise, l'État doit tout de même aider les entreprises de l'aéronautique. Ne pourrait-il pas, à travers des campagnes de publicité qui valorisent le travail dans le secteur de l'aéronautique, aider les entreprises à attirer les jeunes apprentis tout en insistant sur les nombreuses offres de travail dans le secteur ?

Mme la présidente.
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.
Je prends note de votre proposition et la ferai étudier. Je ne sais dans quelle mesure l'État peut, aux côtés des régions, se prêter à cet exercice de valorisation des savoir-faire et de promotion des compétences mais, ce que je sais, c'est que nous tentons de donner au secteur des transports de la visibilité, à la fois sur la dimension technologique et sur la dimension financière, en nous engageant dans des investissements qui sont tout à fait considérables et structurants.

Je n'ai aucun doute sur le fait que l'industrie aéronautique française continuera à être une industrie d'excellence, et continuera à attirer les plus jeunes et, pour reprendre une thématique désormais connue, à les faire rêver. Nous avons pour cela des universités et des écoles d'excellence. Vendredi, je serai à Toulouse à l'École nationale de l'aviation civile (ENAC) dans le cadre du sommet de l'aviation ; le tissu toulousain illustre fort bien, ce me semble, la très grande compétence que nous avons en matière aéronautique.

Le rôle des pouvoirs publics, au-delà d'actions de communication ponctuelles, est bien de donner de la visibilité, de crédibiliser avec des moyens financiers considérables, et de relayer au niveau européen parce que nos grandes réussites françaises sont françaises et européennes. Je crois que nous tenons là les clés du succès. Il nous faut à présent le porter à la connaissance du public, le crédibiliser sur le plan environnemental et économique, et je ne doute pas que les vocations seront nombreuses et positives.

Mme la présidente.
La parole est à Mme Catherine Pujol.

Mme Catherine Pujol.
La crise sanitaire a eu un impact sans précédent sur l'ensemble du secteur aéronautique. Beaucoup d'entreprises, dont de très nombreuses TPE et PME, qui envisageaient une croissance exponentielle avant la crise, se posent désormais la question de leur survie. C'est pourquoi l'État stratège doit pleinement jouer son rôle d'accompagnement économique des acteurs de ce secteur d'excellence, en osant promouvoir un indispensable patriotisme économique.

Or, en octobre 2020, Mme la ministre des armées visitait le site de Dinard de l'entreprise Sabena Technics, société basée en Occitanie et spécialisée dans l'entretien et la maintenance aéronautique, pour annoncer un soutien et des commandes publiques anticipés, mais six mois plus tard les salariés apprenaient que le ministère des armées écartait cette entreprise de l'entretien des avions Falcon de surveillance maritime de la marine nationale pour les dix prochaines années afin de confier le contrat à une société suisse aux capitaux américains.

Monsieur le ministre délégué, il faut rompre avec le tabou du patriotisme économique, afin de préserver les emplois du secteur aéronautique et maintenir à flot de nombreuses entreprises françaises. N'oublions pas que l'aéronautique est une activité de souveraineté nationale. Nous devons faire primer les entreprises françaises pour toutes les commandes de l'État qui concernent le domaine militaire et la défense. L'État ne peut absolument pas abandonner les entreprises et les salariés d'un secteur économique dans lequel la France est en pointe. Allez-vous prendre des mesures gouvernementales en ce sens ?

Mme la présidente.
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.
Madame la députée, je n'ai pas le patriotisme économique honteux. En dehors des 7 milliards d'euros consentis au groupe Air France-KLM, nous avons, sur l'ensemble de la période, consenti 8 milliards d'engagements en soutien à la filière, dans sa dimension civile comme dans sa dimension militaire avec, pour cette dernière, 832 millions d'euros de soutien engagés à 100%.

Le CORAC, je le disais, l'organisme de recherche et de soutien à la construction aéronautique civile, c'est 1,6 milliard sur trois ans, avec énormément de TPE, de PME, d'ETI françaises qui ont été non seulement soutenues dans leur activité quotidienne mais que nous avons également prémunies contre les actes de prédation commerciale hostile de pays qui, vous avez raison, ne nous veulent pas toujours du bien.

L'assurance export, c'est 3 milliards en tout, engagés pour bonne part. Les prêts garantis par l'État, c'est 1,5 milliard pour les entreprises de notre territoire, engagé à 50%. Le Fonds de modernisation du secteur aéronautique, c'est 300 millions d'euros, engagés à 100%.

Je pourrais continuer à l'envi à évoquer les dispositifs économiques qui ont bénéficié essentiellement à des acteurs économiques français établis en France avec une vocation de rayonnement à l'international. Je crois pouvoir dire, madame la députée, que nous avons répondu présents. Nous faisons mieux que simplement défendre l'industrie aéronautique française : nous lui permettons de se projeter à moyen et long termes et de demeurer pour longtemps à l'avant-garde de l'industrie aéronautique mondiale, donc de faire la fierté d'un très grand nombre de Français.

Mme la présidente.
Le débat est clos.

Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 14 février 2022