Texte intégral
Q - Bonjour Laurence Boone.
R - Bonjour.
Q - Merci d'être avec nous, ce matin. Secrétaire d'État aux affaires européennes depuis quelques jours, c'est votre premier poste ministériel, vous êtes économiste de formation. Vous avez travaillé notamment pour la grande banque Barclays, mais vous connaissez bien la politique puisque vous avez été aux côtés de François Hollande, à l'Élysée, comme conseillère économique - vous aviez d'ailleurs succédé à Emmanuel Macron à ce poste - et comme conseillère sur les questions européennes au moment notamment de la crise de la dette grecque. On va parler de la Banque centrale européenne avec vous dans une minute, quelques questions d'abord sur votre parcours. Qu'est-ce qui vous a convaincue, il y a quelques jours, à sortir de l'ombre ?
R - Alors plusieurs choses, mais peut-être deux principales. La première, c'est la crispation politique à laquelle on assiste en France, et moi je ne veux pas dans cinq ans avoir comme seul choix les extrêmes. Et la seconde bien sûr, c'est l'Europe que vous venez de mentionner. C'est poursuivre cette construction européenne qui est à la fois économique, mais aussi écologique, solidaire ; votre chroniqueuse en parlait, il y a un instant. Ces partis des extrêmes, le Rassemblement national notamment, a fait du fil de plomb de son programme la préférence nationale. Moi, ce que je vois, c'est que la construction européenne, elle est solidaire, elle se base sur l'acceptation de l'autre, sur les aider dans les périodes difficiles - vous en parliez à l'instant - et surtout sur construire un modèle de valeurs qui sont à la fois à nouveau économiques, écologiques, sociales, résistantes face aux turbulences du monde - et Dieu sait qu'il y en a en ce moment - et ça, c'est le projet du Président de la République et c'est vraiment celui que je veux soutenir.
Q - Peut-être que vous aimez aussi, vous me pardonnerez le mot, la castagne, la confrontation, parce que vous parlez de la crispation. Vous allez vous retrouver à l'Assemblée nationale face au Rassemblement national, face à la France insoumise, qui sont, pour des raisons différentes, très critiques sur la construction européenne.
R - Vous savez, on est 60 millions en France, 500 millions en Europe et plusieurs milliards de personnes vivent dans des régimes qui ne sont pas démocratiques. Ces 60 millions face à des milliards dans des régimes qui ne sont pas démocratiques, ils ne pèsent pas grand-chose. En revanche, 500 millions de personnes qui ont décidé de faire de cet espace une économie prospère, qui protège de la guerre - ça fait 70 ans que ça dure et on voit à quel point c'est fragile - qui par ailleurs sait mettre en place un modèle face au changement climatique, et qui a démontré à la fois pendant la crise Covid sa solidarité avec les vaccins - imaginez ce qui se serait passé autrement - et avec la guerre en Ukraine, à quel point elle pouvait être forte et solidaire à nouveau, c'est super important. Laissez-moi juste rajouter trois choses. Pour la guerre en Ukraine, ce n'était pas gagné. C'est arrivé et très vite, on a eu des sanctions inédites. On a eu une volonté de solidarité pour retrouver, pour le bloc européen, une indépendance énergétique. Et par ailleurs, on a accueilli des millions de réfugiés ukrainiens sur le sol ; c'est super important. Et puis après, si vous voulez, je vous parle des résultats de la présidence française de l'Union européenne.
Q - Ce que vous nous dites, c'est que l'Europe ça marche, grosso modo.
R - Absolument.
Q - C'est votre discours, Laurence Boone. Mais cette Europe, elle fait face à des crises majeures : l'inflation notamment qui est un défi important. 8,6% sur un an dans la zone euro. Donc la décision de la Banque centrale européenne aujourd'hui est très attendue, elle va relever ses taux d'intérêt ; c'est une première, et Marie le rappelait, depuis 2011. C'est-à-dire que le coût de l'argent va augmenter pour nous, les particuliers, les États, les entreprises. La BCE n'a pas le choix aujourd'hui, Laurence Boone ?
R - Alors il faut se poser la question... D'abord la BCE est indépendante, elle va faire ce qu'elle a à faire cet après-midi. Mais la première question qu'il faut se poser, c'est d'où vient l'inflation. Et l'inflation, elle vient en partie de la réouverture, après la crise Covid, avec des tensions en Chine qui a poussé le prix de certaines matières premières à la hausse. Elle vient en partie aussi de tensions sur les fossiles, fioul, d'où l'importance du changement climatique. Ça, c'est deux choses parmi d'autres sur lesquelles la BCE ne fait rien. Et pour que la BCE puisse agir, se concentrer sur l'inflation et que par ailleurs nous, on fasse baisser les prix de l'énergie et qu'on résorbe les tensions qui ont fait suite à la crise Covid, à nouveau il faut qu'on ait une Europe qui soit capable d'acheter ensemble de l'énergie, qui soit capable de faire une transition énergétique, parce qu'en réalité la sécurité énergétique, c'est aussi la transition énergétique. Et qui par ailleurs soit solidaire face aux problèmes que créée l'inflation pour une grande partie de la population avec des mesures communes.
Q - Solidaire, sauf que l'état des finances des pays de la zone euro est très différent. Est-ce qu'il n'y a pas un risque pour les pays les plus endettés avec ces taux d'intérêt plus élevés tout simplement qu'ils ne puissent plus rembourser dans les prochaines semaines ?
R - Alors, il y a deux choses qu'il faut avoir en tête. La première chose, c'est que votre dette elle n'augmente pas tout de suite, ça augmente progressivement, la charge d'intérêts, la dette, pardon, avec les taux. La deuxième chose et qui, je crois, est très importante, c'est ce que font les taux, c'est aussi le reflet de ce qui se passe politiquement et on le voit très bien. Je vais vous donner juste deux exemples très simples. Sur le premier point, quand on a une Europe soudée politiquement, et on l'a vu dans les crises précédentes, les taux se calment. Ce dont ont besoin et ce que les partenaires ont besoin d'entendre au-delà de l'Europe, c'est qu'on a une Europe solide et quand cette Europe est solide, personne n'essaie de s'y attaquer. Ça se fait à chaque fois. Et la deuxième chose, c'est qu'effectivement il faut qu'à l'intérieur de cette Europe on ait également des positions solides. Et c'est vrai que l'Italie, là, va rentrer dans une période qui est peut-être un peu moins stable que ce qu'on a vu avant...
Q - Avec le départ annoncé de Mario Draghi.
R - Oui. Et je veux rendre ici hommage à Mario Draghi, qui est un homme d'État exceptionnel, qui est un partenaire pour la France, on a bien vu qu'on a bien travaillé ensemble, qui est un pilier de l'Europe...
Q - C'est une mauvaise nouvelle, son départ annoncé ?
R - C'est une période d'incertitude et les périodes d'incertitude, ça ne rend jamais tout le monde très à l'aise. Mais à nouveau, je vous rappelle que pendant la crise Covid, qui était aussi pour le coup une incertitude maximale, on a su faire un endettement commun et ça, ça donne un socle à l'Union européenne très, très fort. Un endettement commun et solidaire où on avait justement décidé d'aider les pays les plus touchés.
(...)
Q - La situation énergétique est aussi inquiétante. L'Union européenne a présenté, la Commission a présenté hier son plan pour réduire de 15% notre consommation de gaz. Manifestement ce matin, le gazoduc Nord Stream a redémarré, après 10 jours de maintenance. Mais on en est là, Laurence Boone, à croiser les doigts pour que Vladimir Poutine rouvre le robinet du gaz ; on est plus que jamais dans sa main ?
R - Ce serait extrêmement passif, pas du tout ! L'Europe est extrêmement active sur ce sujet. Vous parlez de la réduction, effectivement, la situation énergétique demande des responsabilités de tous. D'abord elle demande d'accélérer dans l'indépendance aux fiouls fossiles, donc d'accélérer la transition énergétique. Ça, c'est ce qu'on est en train de faire. De diversifier en attendant les sources d'approvisionnement, ce qui est aussi en train de se faire précisément pour ne pas être, comme vous dites, dans les mains d'un seul fournisseur. Et troisièmement, elle nous demande, à nous, de faire un effort également de réduction, d'économies énergétiques. Et c'est ça que la Commission a présenté hier. C'est à la fois sécuriser des approvisionnements, demander qu'on consomme un peu moins, et faire la solidarité entre les pays européens puisque tout le monde n'est pas dans la même situation.
Q - Les clients protégés sont les ménages, les services sociaux, les hôpitaux, les PME. C'est forcément l'industrie qui va trinquer à l'hiver prochain ?
R - C'est effectivement les clients protégés que sont les hôpitaux, ça fait du sens, non ? Et puis...
Q - Bien sûr.
R - …les autres aussi. À nouveau, l'Europe est en train de se repencher sur les plans de crise qui sont faits dans des périodes où on n'est pas en crise pour voir comment les adapter à la situation actuelle. Ça, c'est la discussion des prochains jours. Ce qui est remarquable à mon avis et qu'il faut soutenir, c'est qu'on s'y prend maintenant, et pas au milieu de l'hiver. Donc cette fois, on a un peu de temps pour planifier ce qui va nous arriver.
Q - Même si on a l'impression que c'est déjà très tard.
R - Pourquoi dites-vous cela ?
Q - Parce que l'hiver, c'est dans six mois, et que prendre des mesures
maintenant pour régler cette situation, le temps paraît très, très court. Et on s'est
mis dans une situation très délicate.
R - Alors, la première chose, c'est que face à l'agression de la Russie face à l'Ukraine, je pense qu'il fallait répondre. C'est ce qui a été fait, à nouveau très vite, très rapidement. La deuxième chose, c'est qu'on s'est inscrit aussi dans le temps long, puisqu'on fait la transition énergétique en même temps et, à nouveau, c'est sortir des fiouls fossiles et de notre dépendance aux pays qui fournissent des fiouls fossiles. Donc ça, ça ne date pas d'hier, c'est la présidence française de l'Union européenne et c'est ce qu'a voté le Parlement européen très récemment. Et ensuite, ce plan de solidarité, évidemment, si elle l'a sorti hier, elle n'y travaillait pas qu'avant-hier.
Q - Merci à vous, Laurence Boone, invitée de France Inter, ce matin, secrétaire d'État aux affaires européennes. Excellente journée à vous.
R – Merci.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 juillet 2022