Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (projet n° 876 [2021-2022], texte de la commission n° 20, rapport n° 19, avis n° 9).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de vous présenter, au nom du gouvernement de la République, la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi).
C'est un moment très important pour le ministère de l'intérieur, ainsi que pour l'ensemble des services concourant à la sécurité des Français. Le terme "sécurité" doit d'ailleurs être mis au pluriel : sécurité dans le sens où nous l'entendons, c'est-à-dire lutte contre la délinquance ; sécurité civile, et nous avons vu cet été à quel point les Français étaient de plus en plus inquiets des difficultés qui pouvaient découler d'un mauvais modèle de sécurité civile ; sécurité cyber, et l'actualité nous pousse à réfléchir à ces sujets très importants ; enfin, sécurité et intérieur, puisque le texte comporte des dispositions sur l'organisation territoriale de l'État, le rôle des préfets, des sous-préfets et des agents de préfecture dans l'action du ministère.
Hasard – mais ce n'en est pas totalement un ! – du calendrier, le texte arrive en discussion au Sénat au moment même où l'Assemblée nationale entame l'examen du projet de loi de finances. Le présent projet de loi, qui prévoit 15 milliards d'euros supplémentaires sur les cinq ans à venir, s'articule avec le projet de loi de programmation des finances publiques et le projet de loi de finances pour 2023, dans lequel cette rallonge budgétaire est bien inscrite.
Il s'agit donc d'une loi d'orientation qui, si j'ose dire, est déjà concrète, puisque le Parlement en votera les crédits en même temps, d'abord, dans la chambre basse, puis – je l'espère –, dans la chambre haute.
Nous avons fait le choix d'une loi de programmation du ministère de l'intérieur en considérant que les enjeux qui sont devant nous et devant le peuple français le justifiaient, comme pour nos amis militaires. Nous avons retenu une échelle assez longue, cinq ans, ce qui est sans précédent dans les annales du ministère. Il a pu y avoir dans le passé des lois d'orientation et de programmation de la sécurité intérieure (Lopsi), mais il n'y a jamais eu de Lopmi, c'est-à-dire de loi de programmation pour l'ensemble du ministère de l'intérieur.
Certes, de telles lois ont permis de faire évoluer la sécurité intérieure. La loi du 29 août 2002 d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, adoptée alors que Nicolas Sarkozy était ministre de l'intérieur, a introduit l'image et la vidéosurveillance, et la loi du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi), votée lorsque le même était Président de la République, a prévu une réorganisation de la sécurité publique dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP).
Mais le ministère de l'intérieur n'a jamais connu sur cinq ans de programmation budgétaire importante lui permettant non pas de répondre ici et maintenant aux problèmes qui concernent tout un chacun, et le ministère de l'intérieur en premier lieu – je pense à la délinquance au coin de la rue, aux difficultés pour résorber les points de vente de stupéfiants ou encore à la question de l'accueil dans les commissariats, etc. –, mais bien de réfléchir à demain, c'est-à-dire aux crises de demain.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le présent projet de loi vise à répondre à cinq crises, en élaborant des stratégies et en mobilisant des moyens budgétaires.
La première de ces crises, toujours persistante, est la crise terroriste.
Je veux le redire ici, devant la Haute Assemblée, la menace terroriste est extrêmement prégnante sur le territoire national et dans le monde, en particulier le monde occidental. Je ne reviendrai pas sur les causes – elles sont nombreuses – de la menace terroriste en France. Mais un constat s'impose : si nous avons déjoué plus de trente-neuf attentats depuis l'élection du Président de la République, les informations qui nous parviennent, les analyses de ce qui se passe dans d'autres pays et les travaux de prospective qu'un grand ministère comme celui de l'intérieur doit mener révèlent que cette menace est d'autant plus prégnante qu'elle se modernise et se "technologise".
Au risque de vous paraître farfelu, je vous indique que les attentats de demain ne seront peut-être pas simplement commis avec une arme dans une salle de spectacle ou avec un couteau devant une boulangerie. Un drone, chargé d'explosifs, pourrait foncer sur une foule et créer ainsi, comme sur les théâtres d'opérations extérieures, la même terreur que d'autres armes considérées comme plus traditionnelles. Or le travail du ministère de l'intérieur est de prévoir l'acte terroriste de demain.
C'est pourquoi la loi de programmation doit apporter des moyens importants pour faciliter l'intervention des forces de police et, plus généralement, de l'État, dont les réseaux radio, par exemple, sont éculés.
Monsieur le rapporteur, vous avez accepté que le Gouvernement dépose en séance un amendement tendant à intégrer dans le projet de loi ce qui était prévu dans l'ordonnance pour le réseau Radio du futur (RFF). Nous vous demandons 2 milliards d'euros pour que, demain, l'ensemble des forces de sécurité et des administrations concourant à la sécurité des Français disposent d'un seul et unique réseau radio capable d'intervenir en images et en sons partout sur le territoire national, fonctionnant indépendamment des attaques de toutes natures et permettant l'intervention de la sécurité civile et de forces comme l'unité Recherche, assistance, intervention, dissuasion (Raid), la brigade de recherche et d'intervention (BRI) ou le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN).
Je peux désormais l'annoncer, des sociétés françaises, dont Airbus, ont remporté ce marché public, que nous espérons concrétiser grâce à l'adoption du texte.
Face à la crise terroriste de demain, un travail d'anticipation s'impose à l'évidence, qu'il s'agisse de lutte anti-drones, engins dont nous devons nous prémunir, ou de communication, d'où le projet réseau Radios du futur.
La deuxième crise que je souhaite évoquer est une crise d'ordre public.
Chacun a pu constater à la faveur de la crise des "gilets jaunes" que les manifestations "à la papa" étaient terminées. Le temps où les préfets ou le ministre de l'intérieur se réunissaient avec les grandes organisations syndicales pour s'assurer de la présence d'un service d'ordre organisé et s'accorder sur un parcours déterminé est révolu. À l'époque, même si plusieurs millions de personnes manifestaient, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui, le fait d'avoir des policiers aguerris – le maintien de l'ordre public est un métier, et il est assuré uniquement par les policiers qui y sont formés – permettait de ne pas avoir de débordements, en tout cas pas au-delà de l'acceptable.
Les manifestations sont désormais spontanées, numériques, difficilement chiffrables, sans organisateur – ou si peu – et rarement déclarées. Elles se sont multipliées sur l'ensemble du territoire national. Jusqu'à présent, les petites et moyennes villes étaient peu concernées par les phénomènes comme celui qu'elles ont pu connaître tous les samedis avec les "gilets jaunes".
L'une des difficultés résidait dans le défaut d'organisation de nos services de renseignements pour comprendre ces manifestations nouvelles, qui touchent d'ailleurs l'ensemble du monde occidental, et dans le manque d'effectifs de police spécialistes de l'ordre public pour les organiser.
Je suis malheureusement obligé de constater que quinze escadrons de gendarmerie mobile et de compagnies républicaines de sécurité (CRS) ont été supprimés ces vingt dernières années. Lorsque la crise des "gilets jaunes" est survenue, les policiers spécialisés dans l'ordre public, spécialisation qui suppose un entraînement, un matériel, des effectifs et une stratégie particuliers, étaient peu nombreux. Cela a forcé des policiers dont ce n'était pas le métier – je pense par exemple à des policiers municipaux – à intervenir.
Les difficultés étaient extrêmement graves non seulement pour les policiers eux-mêmes, mais également pour les manifestants. Or le rôle du ministre de l'intérieur est d'assurer la sécurité de ces derniers, y compris, paradoxe démocratique, quand ils manifestent contre la police.
Afin de tenir compte d'une telle difficulté d'ordre public et des nouvelles formes de manifestations, nous vous proposons – c'est la première fois depuis vingt-cinq ans pour le ministère de l'intérieur – la création de onze unités d'intervention, dont sept escadrons de gendarmerie mobile et quatre unités de CRS, sur le modèle de la "CRS 8" ; nous aurons l'occasion d'évoquer la nouvelle stratégie d'ordre public, monsieur le rapporteur.
Le choix de recréer sept escadrons de gendarmerie mobile répond aussi à nos problèmes ultramarins, essentiellement gérés par des gendarmes mobiles, et non par des CRS. Je pense aux événements potentiels en Nouvelle-Calédonie, aux difficultés à Mayotte et en Guyane, etc.
Sachons regarder les choses en face. Il y a fort à parier que, quels que soient le gouvernement ou la majorité des assemblées, la puissance publique aura besoin de plus d'escadrons de gendarmerie et de CRS pour répondre aux manifestations spontanées, numériques et nouvelles, ainsi qu'aux crises ultramarines.
Il s'agit donc de professionnaliser l'ordre public encore plus que nous ne l'avons fait jusqu'à présent et de nous en donner les moyens, ce qui mérite une loi de programmation. Je le précise, nous créerons l'intégralité de ces onze unités d'intervention au cours des deux prochains exercices budgétaires, afin d'être prêts pour les jeux Olympiques, ce grand rendez-vous qui va rythmer la loi de programmation.
La troisième crise à laquelle nous avons affaire est une crise cyber.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la prochaine pandémie que nous vivrons sera sans doute une pandémie cyber. Nous voyons bien les difficultés. Les attaques contre de grandes entreprises, mais également contre de plus petites, ou contre des collectivités sont quasi quotidiennes ; vous en êtes témoins dans vos territoires. Des hôpitaux publics font l'objet de demandes de rançon.
Le fonctionnement régulier des services publics est à la portée d'attaques cyber – elles sont le fait d'États étrangers dans le cadre d'une guerre qui ne dit pas son nom, de groupes terroristes ou encore de délinquants cyber – consistant à dévoiler le secret de la correspondance, à empêcher l'action d'une administration ou à réclamer des rançons se chiffrant parfois en milliards d'euros.
Le ministère de l'intérieur étant celui de la sécurité, dans sa dimension non seulement curative, mais également préventive, il doit garantir la sécurité de demain, qui est déjà la sécurité d'aujourd'hui. Savez-vous que plus de 50 % des escroqueries subies par les Français sont liées à des attaques cyber ? Lorsqu'une dame vient vous voir dans votre permanence pour vous expliquer qu'elle a reçu un mail dont elle ne connaît pas l'auteur pour lui demander d'envoyer de l'argent, c'est déjà une attaque cyber. Lorsqu'un monsieur vient vous expliquer qu'on lui fait du chantage sur sa messagerie personnelle, c'est une attaque cyber. Cela représente donc 50 % des escroqueries, contre 15 % voilà encore deux ans ; dans les mois ou années à venir, ce sera 100 %. Mesdames, messieurs les sénateurs, songez que, pendant les jeux de Tokyo, pourtant peu fréquentés par le public, pandémie oblige, quatre milliards d'attaques cyber ont été recensées. Cela fait presque figure de passé un peu lointain au regard de l'étendue actuelle des attaques quotidiennes de grandes administrations ou de grandes entreprises. Il y a donc fort à parier que la Coupe du monde de rugby, mais surtout les jeux Olympiques de 2024 seront l'occasion de dizaines de milliards d'attaques cyber, visant l'organisation elle-même ou couplées à des actes terroristes.
Nous devons nous préparer à un scénario noir : celui d'une attaque par drone lors de la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques combinée à une attaque cyber sur les hôpitaux qui prévoiraient un plan blanc en région parisienne : les morts se compteraient non pas par dizaines ou par centaines, mais par milliers.
C'est pourquoi plus de la moitié des 15 milliards d'euros supplémentaires que je sollicite dans le cadre de la loi de programmation, soit 8 milliards d'euros, sont consacrés aux services numériques et cyber du ministère de l'intérieur. Les dépenses de personnels représentent moins de 15 %, le reste étant essentiellement du matériel, d'ordre cyber et numérique pour plus de la moitié des crédits. Mon objectif est que la voiture numérique ou cyber du policier ou du gendarme aille aussi vite que la voiture numérique ou cyber du voleur.
Du reste, cela a été l'objectif de tous les ministres de l'intérieur au moins depuis Clemenceau, que l'on cite beaucoup en ce moment. Rendons-nous compte que beaucoup de choses changent. La police n'est pas tout à fait la même, car la délinquance n'est pas tout à fait la même qu'à l'époque de Clemenceau.
La quatrième crise à laquelle nous nous attendons concerne les violences et les atteintes aux personnes, que nous voyons remonter continuellement.
J'ai pu annoncer ce matin, pour m'en réjouir, une baisse des violences constatées sur le territoire national, notamment en agglomération parisienne, avec une baisse à deux chiffres.
Pour autant, ne perdons pas de vue que la crise de la violence touchant l'ensemble des pays occidentaux a, certes, des causes politiques et sociétales dont nous pouvons discourir à l'envi, mais qu'elle résulte également d'une crise de l'investigation dans la police et, dans une moindre mesure, dans la gendarmerie nationale.
Depuis plusieurs années, nous déployons beaucoup plus d'agents sur la voie publique. Les interpellations sont plus nombreuses : par exemple, 40 % de trafiquants de plus ont été arrêtés. Mais une fois que l'on a augmenté le nombre d'agents sur la voie publique et les moyens pour procéder à des interpellations, il faut toujours réaliser des enquêtes et se conformer aux procédures judiciaires. Pour cela, il faut des personnes qualifiées.
Les services de police et de gendarmerie nous disent qu'il n'y a pas suffisamment d'officiers de police judiciaire (OPJ), maillon évidemment essentiel pour garantir le respect de la procédure afin que les personnes présentées devant les magistrats puissent être effectivement condamnées.
Quand la société, et parfois même les policiers déplorent que les personnes ne soient pas justement condamnées, le ministère de l'intérieur doit aussi balayer devant sa porte et améliorer la mise en œuvre des procédures judiciaires par ses services.
Nous ne pouvons pas ne pas voir – songeons au grand nombre d'avocats spécialisés – que la forme prime souvent le fond. Lorsqu'une procédure est cassée pour vice de forme après des mois et des mois de travail pour retrouver tel délinquant ou criminel, il faut s'interroger. Nous devons augmenter le nombre d'OPJ. Il nous en manque environ 5 000 ; c'est un manque structurant pour la police nationale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, lorsque vous m'écrivez pour avoir plus d'effectifs dans vos circonscriptions, je suis heureux de vous accorder, quand je le peux, grâce aux crédits votés, des policiers qui sortent de l'école. Mais le ministre de l'intérieur n'a pas le pouvoir d'affecter de force des OPJ dans vos commissariats ou dans vos services spécialisés. Nous ouvrons des postes, mais si les personnels ne souhaitent pas les occuper, nous ne pouvons pas les y contraindre.
Nous avons donc réfléchi à la manière de résoudre cette crise de l'investigation, faute de quoi il n'est ni réponse pénale ni travail de police qui vaille sur le long terme.
Aussi prévoyons-nous dans la Lopmi des améliorations révolutionnaires pour les OPJ.
Premièrement, un policier n'attendra plus trois ans à sa sortie d'école pour passer le bloc OPJ. Il pourra le faire dès la fin de sa formation, dont la durée a été portée, pour les gardiens de la paix, de huit mois à douze mois, et intégrer directement un commissariat avec la qualité d'officier de police judiciaire.
Deuxièmement, vous avez créé, dans la loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés, la réserve opérationnelle de la police nationale, sur le modèle de la gendarmerie nationale. Vous aurez pu constater que, dorénavant, un peu partout en France, des civils donnent quelques jours de leur temps par semaine ou par mois pour enrichir les effectifs de police, améliorant ainsi le lien police-population. Nous avons décidé de leur donner la possibilité de garder leur qualité d'OPJ lors de leur départ à la retraite. Jusqu'à présent, un policier pouvait revenir dans son commissariat à la réserve opérationnelle, mais ne pouvait plus réaliser d'enquêtes judiciaires.
Troisièmement, nous créons des assistants d'enquête ; ce point va, je pense, nous occuper un certain temps pendant le débat. C'est une mesure révolutionnaire pour la police nationale et la gendarmerie nationale. Un magistrat, notamment un juge d'instruction, dispose d'un greffier pour l'aider sur les aspects formalistes de la procédure. Il peut ainsi se concentrer sur son travail de magistrat, pour lequel il a été formé. Lorsqu'il s'agit de répondre à l'avocat, de taper à l'ordinateur, de faire passer des pièces ou de faire des photocopies, c'est le greffier – lui aussi a été formé – qui s'en charge.
Le policier, lui, doit tout faire : accueillir le gardé à vue, appeler le médecin, répondre aux sollicitations de l'avocat dès la première heure de garde à vue, faire les photocopies, taper à l'ordinateur lorsque celui-ci fonctionne – c'est de plus en plus souvent le cas grâce aux crédits que vous votez, et c'est une très bonne chose ! (Sourires.) – et répondre aux interrogations du procureur de la République ou de son substitut. Et comme les procureurs n'ont pas tous la même manière de travailler, il lui faut de surcroît savoir s'adapter.
Au lieu de dire, tels les démagogues, que nous allons "alléger les droits de la défense" pour alléger la procédure pénale, nous préférons dire que nous allons aider les policiers à répondre au formalisme nécessaire dont chacun a, et c'est bien logique, besoin s'il est accusé et les laisser se concentrer sur leur travail de policiers. Les assistants d'enquête que nous créons proviendront du personnel administratif du ministère de l'intérieur, qui fait un travail formidable. Nous les ferons monter en compétences grâce à des formations ; j'imagine que nous en rediscuterons avec M. le rapporteur. Ils s'occuperont du travail administratif et formel pour permettre aux policiers de se consacrer intégralement aux enquêtes, aux écoutes téléphoniques, aux auditions ou aux perquisitions, et non à des tâches qui sont, certes, nécessaires, mais qui font aussi perdre du temps aux OPJ.
Les 3 000 postes d'assistants d'enquête que nous souhaitons créer par cette loi de programmation vont révolutionner le travail des OPJ et de la gendarmerie nationale. Il s'agira d'un grand moment d'allégement des procédures pénales.
Par ailleurs, nous avons prévu une disposition relative aux amendes forfaitaires délictuelles ; en l'occurrence, le Sénat a souhaité suivre l'avis du Conseil d'État, et nous suivrons le Sénat. Ces amendes pénales sont prises sous le sceau, évidemment du législateur, mais aussi de l'action du procureur de la République, qui définit la politique pénale dans son ressort. Elles permettent d'alléger un certain nombre de procédures.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous m'avez longuement interrogé voilà quelques mois sur l'amende forfaitaire délictuelle, qui est inscrite au traitement d'antécédents judiciaires (TAJ) et qui est une amende pénale – ce n'est pas une simple amende –, s'agissant de la consommation de stupéfiants. Vous m'avez demandé si le dispositif fonctionnait. D'aucuns prédisaient que ce ne serait pas le cas quand d'autres jugeaient qu'une telle mesure déprécierait la réponse pénale du consommateur de cannabis sur la voie publique.
Comme beaucoup d'entre vous, j'ai été maire. Au début de mon mandat, j'ai accompagné les services de la police nationale de ma commune durant leur tournée. À vingt-trois heures trente, un monsieur est sorti de la rame du métro de Tourcoing avec un joint de cannabis. J'ai été interrogé par les agents et le commissaire de police, qui était venu ce soir-là accompagner le maire ; j'espère qu'ils le font aussi même quand il n'y a pas de maire ou de ministre. (Sourires.) Il m'a été demandé s'il fallait faire comme d'habitude ou agir différemment parce que j'étais là. Cela m'a rendu interrogatif ; je leur ai dit de faire comme d'habitude. Le commissaire de police a pris le joint, l'a jeté par terre, l'a "nettoyé" d'un pied et a dit à la personne de s'en aller. Quand je lui ai demandé pourquoi il ne l'avait pas interpellé, il m'a répondu ceci : "Monsieur le maire, si on interpelle quelqu'un qui fume un joint dans le métro, cela mobilise trois personnes. Il faut sortir du métro et l'emmener au commissariat, qui est à dix minutes d'ici. Puis, nous devrons appeler le procureur de la République pour mettre l'individu en garde à vue et lui notifier ses droits. Il va appeler son avocat et son médecin. Et, au bout de quelques heures, le procureur de la République va nous demander si nous n'avons pas plus urgent à faire que des procédures pour des consommateurs de cannabis."
Il y a deux réponses à cela. La première, prônée par certains, est la légalisation ; ce n'est pas la position du Gouvernement. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et GEST.)
M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Très bien !
M. François Bonhomme. Nous sommes rassurés !
M. Gérald Darmanin, ministre. Ce n'est pas non plus une position unanime dans tous les partis !
La deuxième option est, sans aller jusqu'à des gardes à vue et des peines de prison ferme pour des consommateurs de cannabis, d'apporter une réponse pénale qui ne se limite pas à un simple rappel à la loi. L'amende forfaitaire délictuelle, qui ne concerne que les majeurs et les non-récidivistes, fonctionne.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Eh oui !
M. Gérald Darmanin, ministre. Depuis le mois de septembre 2020, 260 000 amendes ont été mises.
Mme Catherine Belrhiti. Sont-elles payées ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Plus que les amendes routières, madame la sénatrice. Depuis quelques mois, nous avons permis la saisie automatique des demandes de la direction générale des finances publiques sur les comptes bancaires individuels. Nous avons ainsi à la fois une inscription au casier judiciaire et un recouvrement des amendes.
Par ailleurs, cela permet aux policiers de réaliser des contrôles d'identité ou contrôles sur la voie publique. Chacun sait qu'ils ne le font pas sans une instruction du procureur de la République, sans être OPJ ou sans avoir un but pour le faire, comme l'amende forfaitaire délictuelle.
Le pire étant que le policier ou gendarme ne puisse pas procéder au contrôle ou sanctionner la personne qui trouble l'ordre public d'une manière ou d'une autre, une seconde amende forfaitaire délictuelle est expérimentée en ce moment.
Le fameux délit d'occupation illicite des halls d'immeuble, inventé par mes augustes prédécesseurs et qui n'avait jamais été appliqué, car il est très difficile à caractériser dans une procédure judiciaire complète, est ainsi désormais fonctionnel. Dans les Bouches-du-Rhône ou en Seine-Saint-Denis, les policiers peuvent mettre fin aux occupations illicites. Cela doit être généralisé.
L'amende forfaitaire vise donc à rendre la sanction pénale non pas moins dure, mais plus certaine. L'important n'est pas la dureté d'une peine ; c'est sa certitude. Il ne sert à rien de condamner les gens à des peines de prison qui ne sont jamais appliquées. En revanche, il est très utile, notamment pour la force de la loi, d'avoir la certitude que la sanction sera effectivement et immédiatement appliquée. Pour cela, nous devons nous reposer sur les policiers et gendarmes, qui sont des auxiliaires de justice et qui agissent au nom de la justice française.
J'ai proposé dans le texte une simplification de grande envergure de la procédure pénale : la possibilité de passer en amendes forfaitaires délictuelles, quand il n'y a pas récidive, toutes les peines de prison inférieures à un an, dont, à force de regarder les jurisprudences, nous savions bien qu'elles n'étaient pas appliquées. Le Conseil d'État a disjoint cette disposition, considérant que le périmètre était trop large.
Le Sénat avait deux possibilités : prévoir des critères ou dresser une liste de délits. Nous nous rangeons à la position du rapporteur Loïc Hervé, et nous discuterons sans doute du nombre de ces délits. Nous sommes certains que l'amende forfaitaire délictuelle – un tag ne mérite-t-il pas une amende plutôt qu'une inscription au casier judiciaire ou qu'une procédure pénale à l'aboutissement incertain ? – sera une meilleure réponse à ces désagréables actions du quotidien. Cette disposition donnera sans doute lieu à un débat très important, en lien avec la simplification de la procédure.
Le Sénat a également souhaité enrichir la liste d'un certain nombre de délits, notamment les rodéos urbains et les atteintes aux élus. Le Gouvernement sera avec sagesse à l'écoute de la Haute Assemblée sur cette question.
Je suis désolé de décevoir ceux qui attendent le Grand Soir de l'échelle des peines. Je ne suis qu'un premier rideau. C'est M. le garde des sceaux qui viendra vous présenter les États généraux de la justice.
M. Antoine Lefèvre. On l'attend ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gérald Darmanin, ministre. Le plus rapidement sera le mieux. Je sais qu'il y travaille ardemment, mais je ne me permettrais pas de me substituer à Éric Dupond-Moretti : d'une part, ce ne serait pas logique au regard de nos institutions ; d'autre part, vous seriez déçus, mesdames, messieurs les sénateurs. (Sourires.)
La cinquième crise est la crise climatique. Le texte ne parle pas que de sécurité, ou alors il en parle au sens large, comme je l'ai indiqué au début de mon propos.
Notre modèle de sécurité civile, qui est résilient, qui s'appuie sur des sapeurs-pompiers valeureux et un système de volontariat original et qui est fondé sur des départements et un État et une Europe aidant fortement le fonctionnement de notre pays, se trouve face à deux grands problèmes.
Le premier, comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, est que les sapeurs-pompiers interviennent de plus en plus dans des domaines ne relevant pas de leur compétence propre. Ainsi, ils remplacent de plus en plus les médecins dans les déserts médicaux ou là où le système de santé est mal organisé pour répondre aux difficultés des Français ; je sais que le ministre de la santé y travaille. Nous avons essayé de répondre à cette question dans la loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite loi Matras, que vous avez votée. Nous aurons l'occasion d'y revenir.
Le second problème, ce sont les crises climatiques. Elles ne font que commencer. On pense tous aux mégafeux, comme ceux qui ont touché la Gironde et d'autres départements. J'en profite pour signaler que nous avons dénombré cet été plus de feux au nord qu'au sud de la Loire. Je pense à des départements comme le Jura, les Vosges, le Maine-et-Loire, le Finistère, dont les pompiers et les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) n'étaient pas habitués à intervenir pour des feux de forêt de plus de 1 000 hectares.
Il y a aussi les crises climatiques extrêmement fortes en outre-mer, mais également en métropole. Je pense à ce qui s'est passé à Saint-Martin avec Irma au début du quinquennat précédent, mais aussi dans la vallée de la Vésubie, il n'y a pas si longtemps. Certes, grâce à l'action de la sécurité civile et des collectivités locales, nous avons été au rendez-vous, mais très en deçà de ce qu'il faudrait préparer dans un contexte de réchauffement climatique généralisé.
C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de prévoir dans ce texte un certain nombre de dispositions en termes de renouvellement de la flotte, comme les hélicoptères, ou de pouvoirs du préfet en cas de crise. Je rappelle que celui-ci n'a pas aujourd'hui la main pour travailler avec toutes les agences et toutes les administrations, ce qui peut être dramatique dans la gestion des crises. C'est tout le travail d'enrichissement des modèles de sécurité civile que nous souhaitons mener avec vous. Maintenant que le réchauffement climatique est au rendez-vous, et même si neuf feux sur dix sont d'origine humaine, les actuels taux d'hydrométrie – moins de 10 % de taux d'eau dans la forêt de Gironde – font que les forêts brûlent très largement, que l'incendie soit d'origine criminelle ou involontaire.
Pour toutes ces raisons, le projet de loi contient de grandes dispositions concernant notre modèle de sécurité civile.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, au mois de janvier prochain, après un débat qui aura lieu ici dans les prochaines semaines, j'aurai l'honneur de présenter un texte sur l'immigration. Si cette thématique est absente du projet de loi qui vous est aujourd'hui soumis, elle n'est pas absente de la politique gouvernementale. Le Sénat lui-même souhaite des textes resserrés ; nous essayons de faire en sorte qu'il en soit ainsi. Certes, ce projet de loi contient un rapport annexé assez long, mais qui n'est pas d'ordre législatif.
Avec ce texte, nous sommes dans la continuité du réarmement du ministère de l'intérieur. Ainsi, nous allons recréer 200 brigades de gendarmerie dans l'ensemble de vos territoires, alors même que les gouvernements précédents en ont supprimé plus de 500 depuis trente ans. Nous allons continuer à augmenter les effectifs de police dans l'ensemble des commissariats de France. Nous allons créer 200 formations militaires de la sécurité civile (Formisc). Je pense également à l'Agence du numérique, puisqu'il faut créer l'impôt à la source au ministère de l'intérieur, qui est un peu arriéré, si j'ose dire, dans ce domaine. Sans doute faut-il que nous modernisions, comme nous l'avons fait à Bercy précédemment ; cela demande aussi des moyens et une agence unique.
Surtout, et le Président de la République l'a évoqué hier, pour la première fois depuis dix-sept ans, nous recréons des sous-préfectures et des postes d'agents de préfecture dans les préfectures, de l'ordre de 400 à peu près. Ce n'est peut-être pas encore assez, mais, pour la première fois, la reprise démographique du nombre d'agents de préfecture, si importants pour nos territoires, est au rendez-vous. Je crois que le grand débat présidé par le Président de la République avec les maires de France, mais aussi la pandémie et le plan de relance ont montré à quel point les agents des préfectures étaient utiles pour faire le lien avec les collectivités locales, les aider en ingénierie et, de manière générale, en action publique de l'État.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de vous présenter un texte qui, je le crois, est très important pour le ministère de l'intérieur. Je remercie l'ensemble du Parlement, qui, dans sa quasi-unanimité, a toujours soutenu les forces de l'ordre ou les forces de sécurité civile. Celles-ci, vous le savez, risquent leur vie chaque jour, chaque nuit, pour nous protéger.
J'ai la grande responsabilité de diriger en votre nom les femmes et les hommes qui prennent ces risques. Je ne peux pas terminer mon discours sans penser aux dix-sept enterrements que j'ai eu à présider ni aux 3 400 blessés parmi les forces de l'ordre depuis le 1er janvier dernier. Derrière les chiffres, les milliards et les pourcentages, derrière les textes réglementaires ou législatifs et derrière les réformes, ce sont des femmes et des hommes de terrain qui risquent leur vie, ce qui n'est le cas dans aucun autre ministère.
Je veux leur dire que, certes, nous aurons ici des discussions politiques, mais je n'ignore pas que nous ferons, selon nos opinions et convictions, tous au mieux pour les protéger. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Monsieur le ministre, permettez-moi de vous souhaiter, au nom de tous mes collègues, un très heureux anniversaire, au moment où vous changez de décennie. (Applaudissements.)
(…)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. Je souhaite remercier très sincèrement les différents orateurs qui se sont exprimés, pour leurs critiques comme pour leurs encouragements.
J'ai noté le soutien, si je peux le dire ainsi, de la majorité sénatoriale, mais aussi des groupes RDSE et Les Indépendants – République et Territoires. J'ai senti que le groupe SER se posait un certain nombre de questions et souhaitait que le Gouvernement soit à l'écoute et ouvert au dialogue ; c'est, je peux vous l'assurer, le cas. J'ai compris que les groupes CRCE et GEST étaient sur une position plus négative, mais j'essayerai de les convaincre au cours des débats. Connaissant un certain nombre d'interlocuteurs, je sais qu'il y a matière à avoir de vrais échanges intellectuels.
Beaucoup de choses ont été dites : certains ont fait part de leurs interrogations ; d'autres ont déploré des "manques". Je note d'ores et déjà un paradoxe : les parlementaires réclament souvent des textes plus courts, mais s'offusquent quand un texte ne balaye pas l'intégralité du champ de la politique publique concernée. Je veux bien essayer de répondre à vos demandes, mais je n'ai pas forcément de baguette magique.
De la part des rapporteurs, avec lesquels il existe un certain continuum, puisque nous avons déjà travaillé ensemble sur la proposition de loi relative à la sécurité globale, j'ai entendu deux interrogations principales.
La première concerne la possibilité de déposer une plainte en visioconférence.
Il n'est, bien entendu, aucunement question pour le ministre de l'intérieur que je suis de remplacer à 100 % le réel par le numérique. J'y suis très attentif. Je serai favorable aux amendements, déposés notamment, me semble-t-il, par le groupe socialiste, visant à toujours laisser la possibilité aux gens d'avoir recours aux procédures papier. Comme je l'ai fait dans une autre fonction à propos du prélèvement de l'impôt à la source ou lorsque nous avons mis en place l'e-procuration, j'entends bien laisser la possibilité d'utiliser le papier, ce que l'on peut aussi appeler le "monde réel".
C'est pourquoi j'ai été surpris par l'amendement que Marc-Philippe Daubresse a déposé en commission. Par ce projet de loi, nous entendons permettre le dépôt de plaintes en visioconférence. Les gens pourront prendre rendez-vous avec un officier de police judiciaire, qu'il soit gendarme ou policier, et déposer leur plainte de chez eux grâce à leur ordinateur, ce qui leur évitera de devoir se déplacer. C'est très important.
En effet, il n'est plus compréhensible aujourd'hui pour les gens de devoir passer deux à trois heures dans un commissariat pour déposer leur plainte, y compris pour des faits que l'on peut qualifier de "véniels", comme une dégradation de véhicule. Ce n'est pas vraiment le signe d'une police moderne, alors même que l'on peut payer ses impôts par internet ou que la télémédecine se développe.
La police serait donc le dernier service au monde où le papier serait toujours imprimé, avec des commissariats ressemblant à celui que l'on voit dans le film Pinot simple flic ! Nous devons accepter la modernisation de cette grande administration qu'est le ministère de l'intérieur.
Il est déjà possible – cela concerne uniquement les atteintes aux biens – de déposer des préplaintes en ligne. Cette procédure marche, puisqu'elle représente la moitié des dossiers traités par les policiers et les gendarmes. Nous ne sommes pas obligés d'imposer aux personnes souhaitant déposer une plainte de se rendre physiquement au commissariat ou à la brigade de gendarmerie.
Il faut passer de la préplainte en ligne à la plainte en ligne, tout en laissant à la personne le choix entre présence physique et procédure numérique.
Personne ne comprend qu'il faille prendre une demi-journée de congé pour déposer une plainte. Lors d'un récent déplacement dans un commissariat parisien, j'ai rencontré une dame qui a été obligée de le faire simplement pour déclarer le vol d'un Vélib'.
Chacun voit bien l'intérêt de ne pas encombrer les services de police, tout en libérant du temps pour nos concitoyens. Il s'agit finalement de nous permettre de nous concentrer sur les plaintes les plus graves, notamment les atteintes aux personnes. Je pense en particulier aux violences intrafamiliales, qui demandent beaucoup de temps et d'écoute.
Est-il vraiment nécessaire de passer trois heures au commissariat de Tourcoing parce qu'on a été victime d'un phishing destiné à nous inciter à envoyer de l'argent à l'étranger prétendument pour venir en aide à une petite-cousine ?
L'amendement proposé par Marc-Philippe Daubresse et adopté par la commission vise à limiter le dépôt de plainte par visioconférence aux atteintes aux biens. Il nous semble plus pertinent de discuter de l'ensemble des plaintes.
Ainsi, les plaintes qui nécessitent des examens médicaux ou un accompagnement psychologique ou relèvent de questions intimes impliquent évidemment une présence physique. Au demeurant, cela ne signifie pas que les victimes doivent obligatoirement se déplacer au commissariat. En effet, nous expérimentons l'"aller vers", comme pour la vaccination. Aujourd'hui, dans dix départements, des policiers et des gendarmes se rendent chez l'avocat, chez un membre de la famille ou un proche, au centre communal d'action sociale (CCAS) ou dans la commune, notamment en cas de violences intrafamiliales ou d'agression sexuelle, pour que la personne n'ait pas besoin de se déplacer.
Pour autant, nombre de plaintes, même lorsqu'elles sont constitutives d'atteintes aux personnes, peuvent tout à fait être déposées en visioconférence, sous certaines conditions. Je pense en particulier à l'identité numérique ; il faut être certain de l'identité de la personne qui dépose plainte.
Il me paraîtrait absurde que la police et la gendarmerie soient les seuls services publics à ne pas pouvoir utiliser le numérique pour simplifier la vie de nos concitoyens. Il est vrai que le ministère de l'intérieur passe souvent en dernier pour ce genre de choses. Il a tout de même été le dernier à pouvoir utiliser des drones en France. Nous avons finalement obtenu, cher Loïc Hervé, la possibilité d'en faire voler, mais seulement pour le renseignement, et pas en matière judiciaire.
La deuxième interrogation des rapporteurs concerne le réseau Radio du futur (RRF).
Le Gouvernement s'est astreint à déposer le moins d'amendements possible. J'ai moi-même été parlementaire, et je le redeviendrai sans doute, les fonctions ministérielles n'étant pas un contrat à durée indéterminée.
M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Celles de parlementaire non plus !
M. Gérald Darmanin, ministre. Effectivement, monsieur le rapporteur !
En tout cas, le Gouvernement n'a déposé que deux amendements sur ce texte.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Parce que le travail a été bien fait en commission !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je crois que c'est un signal positif et respectueux vis-à-vis du travail parlementaire.
L'un de ces deux amendements a été déposé à la demande de la commission des lois du Sénat : il vise justement à inscrire dans le projet de loi, dans le dur, comme l'on dit parfois, les dispositions relatives au déploiement du RRF.
J'en viens aux questions posées par les différents orateurs.
Mme Jourda et M. Leroy, que je remercie, de même que M. Durain, de sa participation au Beauvau de la sécurité, ont posé la question de la répartition entre la police et la gendarmerie.
Je sais bien que le sujet passionne tout le monde, notamment les sénateurs, surtout s'ils sont en campagne électorale. D'ailleurs, le département du Nord, qui est renouvelable, est en force, puisque quatre sénateurs le représentent dans l'hémicycle ce soir. Je profite de l'occasion pour vous rassurer : je ne suis pas candidat aux prochaines élections sénatoriales, même s'il est vrai que tout député rêve de devenir un jour sénateur ! (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. Tout ministre aussi !
M. Gérald Darmanin, ministre. Certes, comme je suis grand électeur, tous les sénateurs du Nord m'ont souhaité mon anniversaire. (Nouveaux sourires.) Cela montre qu'ils tiennent bien leurs fichiers à jour. (Mêmes mouvements.)
M. Loïc Hervé, rapporteur. C'est la convergence des luttes !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je les en remercie, parce que je sais que cela vient du cœur.
Blague à part, je sais que la question de la répartition entre la police et la gendarmerie se pose.
Il faut d'abord savoir que le cadre législatif est peu contraignant en la matière. Il me semble qu'un article du code général des collectivités territoriales fait référence à un seuil de 20 000 habitants, mais ce n'est aucunement une règle absolue, comme l'exemple de Libourne le montre.
Monsieur Leroy, ce ne sont pas les lobbys qui m'ont poussé à ne pas proposer de nouvelle répartition et à ne pas reprendre la proposition qui allait en ce sens. Soit dit en passant, il me semble qu'elle émanait plutôt du livre blanc que du Beauvau de la sécurité.
Les choses sont plus compliquées qu'il n'y paraît.
Par exemple, si nous entamions un débat sur une nouvelle répartition, cela entraînerait des discussions sociales particulièrement fortes au sein de l'administration du ministère. Comme vous le savez, les gendarmes dorment avec leur famille dans leur caserne, tandis que les policiers ne vivent pas au commissariat. Modifier la répartition suppose donc des projets immobiliers et un accompagnement social, ce qui nous demande des mois et des mois de travail. Nous aurons une discussion avec les collectivités.
Alors que la délinquance est forte et que le ministère de l'intérieur a pris beaucoup de retard sur un certain nombre de sujets, comme le cyber, la lutte contre le terrorisme ou encore la préparation des jeux Olympiques, il ne me semble pas prioritaire que l'énergie du ministre de l'intérieur et des membres de ses services se concentre sur la répartition territoriale entre police et gendarmerie.
À certains endroits, par exemple en outre-mer, nous devons nous poser cette question. Mais nous devons aussi choisir nos combats, parce qu'ils sont déjà nombreux ; je l'ai dit.
Ma première priorité est de lutter contre la délinquance. Les chiffres dévoilés ce matin montrent d'ailleurs que notre stratégie visant à accroître la présence sur la voie publique fonctionne. Les violences aux personnes ont baissé de 23 % par rapport à l'année dernière ; c'est la première fois en quatre ans qu'elles baissent.
Par ailleurs, est-ce que ce débat sur la répartition territoriale n'est pas un peu daté au regard des évolutions de la délinquance ? Poser la question n'est pas y répondre. Ne sommes-nous pas passés, dans un certain nombre de situations – le trafic de drogues ou d'armes, le dark web, etc. –, du territoire communal au territoire numérique ? Autre exemple, dans l'agglomération toulousaine, dont la population augmente de 15 000 habitants par an, certaines zones de transport sont de la compétence de la police, quand d'autres relèvent de la gendarmerie.
Devons-nous continuer de réfléchir par territoire ou appréhender les choses par type de délinquance ? On pourrait imaginer que la police ou la gendarmerie soit compétente pour l'intégralité des transports. Certaines rocades d'autoroute sont en zone police, d'autres en zone gendarmerie, ce qui peut paraître absurde. Poser la question n'est pas y répondre définitivement !
Dernier argument sur ce sujet, il faut bien laisser un peu de travail aux prochains ministres de l'intérieur… Plus sérieusement, il n'y a pas de conservatisme de ma part. Il y a une réflexion sur la hiérarchie des priorités et sur les évolutions de la délinquance.
J'en viens à la question de l'installation de nouvelles brigades de gendarmerie. Je veux d'abord vous dire mon étonnement, monsieur Bourgi, d'entendre que les élus étaient inquiets à ce sujet… Je n'ai pas encore vu de pétitions d'élus locaux pour demander qu'il y ait moins de brigades de gendarmerie ! (Sourires.) Je m'engage bien évidemment à ne pas installer de nouvelle brigade dans un département si les élus n'en veulent pas ! (Nouveaux sourires.)
Nous allons créer 200 nouvelles brigades de gendarmerie, et ce n'est pas une promesse en peau de lapin, comme on dit dans le Nord ! C'est la première fois qu'un ministre de l'intérieur propose une augmentation d'effectifs avec une quasi-parité entre police et gendarmerie : 52 % pour la police et 48 % pour la gendarmerie.
Nous prévoyons ainsi la création de 2 000 postes de gendarmes, dont une grande partie dès la loi de finances pour 2023. De ce fait, nous serons capables d'ouvrir de nouvelles brigades dans vos départements dès l'été prochain.
Comme nous l'avons fait dans le Nord et dans le Cher, nous réunirons tous les maires et parlementaires, le commandant du groupement de gendarmerie, le préfet et, quand ce sera possible, le ministre pour mettre les choses à plat : situation de la démographie, de la délinquance et des brigades de gendarmerie, projets de construction ou d'aménagements pour les années à venir, etc. Nous proposerons alors d'installer à tel ou tel endroit une ou des brigades, entre deux et quatre par département. Mais s'il faut en installer plus, nous le ferons.
Les élus auront ensuite trois ou quatre mois pour réfléchir et donner leur avis, en s'appuyant sur leurs associations. Tout le monde sera consulté. Des arbitrages seront alors opérés.
N'y voyez aucune forme de chantage de ma part, mais il est évident que si nous disposons de locaux disponibles, nous pourrons implanter ces brigades plus rapidement. L'État dispose lui-même de locaux vacants, par exemple d'anciennes casernes. Le ministère de l'intérieur est évidemment prêt à payer des rénovations et des aménagements. Mais je ne bouderai pas mon plaisir si des collectivités locales décident de soutenir l'implantation d'une brigade de gendarmerie sur leur territoire.
Nous discuterons de ce sujet lors de l'examen des amendements. Si certains d'entre eux me paraissent d'abord être des appels à la discussion, je veux vous redire que nous travaillerons de manière collective pour annoncer – ce sera en mars prochain en vue d'une installation effective l'été suivant – le lieu d'implantation des 200 nouvelles brigades.
Madame Assassi, je partage votre opinion sur la formation ; c'est d'ailleurs l'un des axes du texte.
Souvenez-vous tout de même que nous avons déjà augmenté de quatre mois la formation initiale des gardiens de la paix et des gendarmes ; elle est passée de huit mois à douze mois. C'est tout de même une amélioration substantielle.
En matière de formation continue, nous faisons face à deux problèmes : un manque de formateurs et un manque de temps pour les agents qui doivent se former.
C'est pourquoi le texte prévoit, pour la formation continue, la création de 750 postes de formateurs, dont 250 dans la gendarmerie et 500 dans la police nationale. Nous avons évidemment besoin de temps pour former les formateurs…
Aucun gouvernement n'a fourni autant d'efforts en matière de formation pour les forces de sécurité. C'est important – vous avez eu raison de le dire – pour aider les policiers et les gendarmes à être respectueux des lois de la République, mais également pour protéger leur propre action. Le Beauvau de la sécurité avait défini cet axe comme prioritaire. Les deux sénateurs qui y ont participé ont, me semble-t-il, pu traduire cette demande des forces de l'ordre.
L'autre problème en la matière, c'est le temps disponible pour se former. Souvent, les policiers et les gendarmes sont rappelés par leur service, alors qu'une formation est prévue pour eux. Le ministère doit encore, à ce jour, cinq semaines de congés payés aux gendarmes mobiles et aux CRS, parce que nous avons très souvent besoin d'eux, que ce soit pour un match de football, un renforcement de la police aux frontières, une manifestation du samedi, une attaque de l'ultragauche, etc. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) Il faut dire clairement les choses, mesdames, messieurs les sénateurs. Personne ici, j'imagine, ne se revendique de l'ultragauche ; ce n'est vraiment pas une attaque ad hominem.
Nous utilisons beaucoup les CRS et les gendarmes mobiles, et nous sommes contraints de rogner sur leurs congés et leurs formations pour parer au plus pressé, c'est-à-dire l'ordre public. J'ajoute que, dans ces conditions, ils assurent moins bien cette mission, puisqu'ils sont fatigués et pas assez formés… Le chat se mord la queue !
Quinze unités de forces mobiles avaient été supprimées. Nous en recréons onze, pas seulement pour mettre davantage de policiers et de gendarmes sur le terrain, mais aussi pour permettre aux agents de se reposer et de se former. C'est la règle des trois tiers : action, repos, formation.
J'ai déjà répondu à M. le rapporteur sur le dépôt de plaintes en ligne. Je pense vous avoir convaincue, madame la sénatrice. Vous le savez, il y a du bon sens à avoir dans l'utilisation de l'outil numérique par le ministère de l'intérieur.
La police technique et scientifique n'est pas véritablement une police au sens légal, puisque ses agents sont obligés de demander des réquisitions et des protocoles pour intervenir. Cela fait perdre un temps fou. Il faut faire confiance aux agents techniques, administratifs et scientifiques du ministère de l'intérieur ! Les services de police ne peuvent pas être les seuls à faire des protocoles entre eux avant d'intervenir ; c'est de la gabegie administrative. Il ne s'agit évidemment pas de laisser la police technique et scientifique sans contrôle.
Madame Assassi, vous m'avez enfin interpellé sur ma politique en faveur de la jeunesse. Mais la jeunesse est dans les forces de l'ordre ! Les élèves en formation pour devenir gardiens de la paix ou gendarmes ont 19 ans, 20 ans ou 21 ans. Et ce sont les enfants du peuple. Les enfants du CAC 40 deviennent rarement gardiens de la paix ; on peut le regretter, mais c'est ainsi. Je ne veux donc pas opposer les forces de l'ordre à la jeunesse.
Je veux remercier M. Durain de ses encouragements. Je comprends ses interrogations. Je suis notamment favorable à l'amendement qu'il a déposé en commission avec sa collègue rapporteure de la mission d'information sur l'organisation de la police judiciaire.
Je voudrais simplement apporter une correction sur un point, monsieur le sénateur : l'immigration n'a jamais fait partie de la première version de la Lopmi. Il y aura un texte dédié à ce sujet.
Madame Vérien a évoqué les 400 000 affaires de violences intrafamiliales. Nous doublons le nombre d'enquêteurs spécialisés. Les efforts que nous produisons en faveur de l'investigation leur sont largement destinés. Nous augmentons aussi le nombre d'assistants sociaux et l'aide psychologique.
J'ajoute – le sujet a aussi été évoqué par M. Bourgi – qu'à titre personnel, je suis favorable à la mise en place d'une juridiction spécialisée pour les violences intrafamiliales, comme cela existe en Espagne. La question relève évidemment de la compétence du ministère de la justice, mais le ministère de l'intérieur a une position très claire en faveur de telles juridictions. La Première ministre s'est également exprimée sur le sujet. En tout cas, les policiers et les gendarmes ont déjà produit beaucoup d'efforts ; ils doivent continuer. L'existence d'une juridiction spécialisée peut les y aider.
Je le précise, 30 % des victimes tombées sous les coups de leur conjoint – il s'agit très majoritairement de femmes – avaient déposé une plainte ou fait un signalement auprès de la police ou de la justice. En d'autres termes, si les services doivent encore s'améliorer et se former pour mieux accueillir la parole, cela ne suffira malheureusement pas pour résoudre le problème des violences intrafamiliales et mettre un terme à ce que nous appelons aujourd'hui les féminicides.
Le devoir d'alerte incombe aussi à d'autres pans de la société – je pense notamment au monde associatif ou aux personnels soignants – qui ne sont pas toujours au rendez-vous.
Nous pourrons naturellement en parler dans le cadre de votre rapport. Mais ne faisons pas comme si seuls les policiers et les gendarmes pourraient, par une meilleure formation, empêcher tous les féminicides. Ils pourront évidemment réduire au maximum le risque. Mais ce n'est pas l'alpha et l'oméga de la lutte contre les violences intrafamiliales, même si c'est évidemment très important.
Enfin, il n'y a pas de dispositions liées à l'ordre public dans le projet de loi, mais nous aurons certainement à en débattre en vue de la tenue des jeux Olympiques.
Monsieur Ravier n'est plus là, mais, de là où il est, il doit nous entendre. (Rires.)
Il semblait regretter qu'il n'y ait pas de dispositions relatives aux polices municipales dans cette Lopmi. Il a donc dû manquer le tome I de nos discussions, puisque le sujet faisait partie de la proposition de loi relative à la sécurité globale, dont nous avons débattu en 2020 et 2021. Ensuite, il n'a pas dû voir la décision du Conseil constitutionnel qui indiquait en substance que, si nous voulions aller plus loin dans les pouvoirs donnés aux polices municipales, il faudrait placer ces dernières sous l'autorité du procureur de la République. Je ne connais pas beaucoup de maires qui y soient favorables. S'il y a des volontaires, qu'ils n'hésitent pas à se manifester… L'autre option serait de changer la Constitution, mais cela ne relève pas d'un projet de loi ordinaire comme celui dont nous discutons aujourd'hui.
Au demeurant, la position de M. Ravier, qui voudrait donner plus de pouvoirs judiciaires aux polices municipales tout en refusant que la police judiciaire se réforme, me paraît un peu contradictoire sur le plan intellectuel…
J'ai déjà indiqué qu'il y aurait un texte spécifique sur l'immigration. J'espère que nous pourrons débattre sur le sujet avec M. Ravier.
Monsieur Karoutchi a évoqué, comme d'autres sénateurs, la réforme de la police nationale.
J'ai conscience des difficultés qui se posent et des interrogations des uns et des autres, comme pour toute réforme importante. Et celle-ci est tellement importante qu'elle avait été demandée pour la première fois par l'un de mes prédécesseurs, Pierre Joxe, lors de son deuxième passage au ministère de l'intérieur, c'est-à-dire à partir de 1988… Je rejoins M. Leroy, qui a souligné à juste titre combien Pierre Joxe fut un grand ministre de l'intérieur : il fut notamment le premier à regretter que la police nationale travaille en silo.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous me reprochez souvent de ne pas suffisamment écouter le Sénat. Et quand nous l'écoutons, vous nous reprochez d'aller trop vite et vous nous demandez pourquoi nous faisons telle ou telle réforme.
Monsieur Karoutchi, depuis vingt-cinq ans, il y a eu sept rapports, issus de majorités sénatoriales différentes, et, selon la règle consensuelle en cours à la Haute Assemblée, avec un président et un rapporteur de couleurs politiques distinctes. Tous préconisaient la réforme de la police nationale que nous mettons en place.
Le dernier en date a été remis par MM. Boutant, sénateur socialiste, et Grosdidier, du groupe Les Républicains. On peut y lire ceci : "Tandis que la gendarmerie nationale bénéficie d'une structure unifiée de commandement et d'un esprit de corps affirmé, la police nationale souffre de sa forte segmentation et d'un manque patent de cohésion qui pèsent, au quotidien, sur les agents comme sur l'efficacité des services." Je ne dis pas autre chose. Les auteurs pointent encore, à l'échelon national comme à l'échelon territorial, "une organisation peu centralisée, éclatée entre plusieurs centres de commandement."
Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est ce à quoi nous remédions. La gendarmerie nationale, c'est un commandement et des filières spécialisées, les sections de recherche. Ces dernières rendent compte au général qui commande la région. La section spécialisée de police judiciaire est saisie par les magistrats, et ce depuis deux siècles. Les magistrats n'ont jamais dit que le fait de saisir les gendarmes – ils le font bien volontiers – était attentatoire à la séparation des pouvoirs.
Monsieur Dominati, la préfecture de police fonctionne avec une unité de commandement. Le préfet de police chapeaute tous les services de police dans une zone qui concentre – on peut le regretter – 35 % de la délinquance ; vous disiez que c'était le cœur de notre pays. Le directeur de la police judiciaire rend évidemment compte au préfet de police, mais, pour les enquêtes, c'est aux magistrats qu'il répond.
C'est la police nationale qui est l'exception à la règle, et non l'inverse. Certes, il y a des interrogations ; on peut toujours en discuter. Mais j'ai tout de même tendance à approuver les sept rapports sénatoriaux.
Monsieur Karoutchi, vous ne pouvez pas dire que les rapports parlementaires ne sont jamais suivis d'effets et regretter que des gens soient mécontents quand on les suit. S'il y a des inquiétudes, travaillons ensemble pour y répondre.
Monsieur Richard, le calendrier est clair. Il y a des élections professionnelles au début du mois de décembre. Vous comprenez bien que je ne peux pas discuter d'une réforme quand les syndicats sont en campagne. J'attends que les policiers élisent leurs représentants syndicaux.
Des expérimentations se sont déjà déroulées outre-mer. M. Thani Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte, pourrait peut-être témoigner du fait que la direction technique de la police nationale est désormais plus efficace. En Guyane, même le procureur général en convient. En Martinique et en Guadeloupe, c'est pareil. Je reviens de Savoie, où un syndicat de police vient de faire son congrès ; tout le monde considère que les choses s'y passent bien. Certes, il peut y avoir des difficultés ailleurs. Mais nous devons attendre le retour de ces expérimentations. J'ai demandé un rapport avec les contributions de l'inspection générale de l'administration, de l'inspection générale de la police nationale et de l'inspection générale des services judiciaires. Il y aura également un rapport du Sénat et un rapport de l'Assemblée nationale.
Le 15 décembre, je serai en possession de ces documents. Je demanderai aux syndicats de venir me voir. Nous discuterons de la réforme à ce moment-là, en amendant ce qui devra être amendé.
Mesdames, messieurs les sénateurs, on ne peut pas rester dans un monde où on ne se réfère qu'à Clemenceau ! Je ne serai évidemment jamais à la hauteur de ce grand personnage, pas même à la hauteur du petit doigt de l'orteil ou de la moustache, monsieur Karoutchi… (Sourires.)
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Pour mettre un tigre dans son moteur, il vaut mieux avoir du carburant ! (Nouveaux sourires.)
M. Gérald Darmanin, ministre. Depuis Clemenceau, on a inventé internet, la mondialisation, etc. Aujourd'hui, les réseaux de trafiquants de drogue sont commandés de Dubaï, la marchandise arrivant dans les ports du Havre ou du Marseille avant d'être distribuée dans les points de deal près de chez vous. Les taux d'élucidation se sont malheureusement dégradés. On ne peut pas se satisfaire de ce constat que tout le monde dresse, aussi bien la Cour des comptes que les deux chambres parlementaires ou les anciens directeurs généraux de la police nationale, et se dire qu'il ne faut pas changer les organisations que Clemenceau a inventées. Quand ce dernier a créé la police judiciaire, il est parti du constat que quelque chose ne fonctionnait pas, la criminalité étant de plus en plus organisée. Il a retiré la police aux pouvoirs municipaux, mesdames, messieurs les sénateurs…
M. Alain Richard. Bien sûr !
M. Gérald Darmanin, ministre. Les maires et les polices municipales ont alors fait beaucoup de manifestations. Il a obligé – c'était sans doute moins démocratique à l'époque – les forces de police à mieux s'organiser, d'où la naissance de la police criminelle. Face à une criminalité organisée, il a voulu une police organisée.
Face à une criminalité numérique, internationale, multiforme, qui nécessite désormais que la police des étrangers soit en lien avec la police judiciaire, avec la police de sécurité publique, avec les renseignements pour pouvoir lutter contre les délinquances fortes que vous dénoncez à juste raison, il faut réformer la police nationale. Pas contre tout le monde, ni de manière autoritaire ! Mais cela fait trente ans que l'on parle de cette réforme : Pierre Joxe en a parlé, le livre blanc de la sécurité recommandait de la faire, puis elle a été évoquée dans le Beauvau de la sécurité. Au bout de trente ans, le moment est peut-être venu d'agir…
Je veux rassurer ici les magistrats. Ils auront évidemment toujours l'immense et entière responsabilité des enquêtes. Eux seuls peuvent donner des ordres aux policiers et aux gendarmes dans le cadre des enquêtes. Ni le préfet, ni le directeur départemental de la police nationale, ni le commandant de gendarmerie n'auront ce pouvoir. Les magistrats auront le libre choix du service, en application de l'article 12 du code de procédure pénale, et les affaires de probité et de délinquance financière, qui inquiètent les préfets et les élus, remonteront à un échelon supérieur.
Nous allons continuer à discuter et à concerter. Mais, je tiens à le souligner, ce que nous faisons là n'est pas sorti de mon chapeau : c'est le résultat de trente ans de réflexions sur le sujet. Sans préempter le débat que nous pourrons avoir, je rappelle quand même qu'il s'agit là de dispositions de nature non législative. Nous souhaitons changer 176 textes réglementaires. Nous avons par honnêteté évoqué la réforme dans le rapport annexé, qui pourra être amendé.
Néanmoins, j'insiste : il faut savoir réformer lorsque le besoin s'en fait vraiment sentir. Étant le ministre de l'intérieur qui a obtenu le plus de moyens pour les forces de l'ordre et qui les défend urbi et orbi, je pense pouvoir me permettre de leur dire qu'il faut savoir se réformer parfois, tout en respectant profondément leur métier, leurs filières et leurs actions. La police a été créée pour les citoyens, et pas pour nous-mêmes.
Monsieur Benarroche, vous me demandez de ne pas faire d'amalgames politiques faciles. C'est, en quelque sorte, votre vaccin : vous vous prémunissez par avance de ce que je pourrais dire. Pourtant, pour améliorer la souffrance au travail et le sens du devoir des policiers, il vaut mieux, me semble-t-il, ne pas trop les insulter en clamant que la police tue. Cela les aiderait peut-être à aller mieux.
Et, alors que vous demandez de ne pas faire d'amalgames politiques, il paraît légèrement excessif de me qualifier d'Orwell à la tribune de la Haute Assemblée. D'abord, je n'ai pas son talent littéraire. Ensuite, je suis né en 1982, et pas en 1984. (Exclamations amusées.)
M. Loïc Hervé, rapporteur. Bien joué !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je vais essayer de répondre à vos critiques sur le fond.
D'abord, vous réclamez la création d'une police environnementale. Vous allez donc voter le texte, parce que nous allons créer la première gendarmerie verte, et nous renforçons de manière très importante l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp). Félicitons-nous de cette avancée très importante.
Ensuite, vous dénoncez le caractère disparate des amendes forfaitaires délictuelles (AFD). Vous rejetez la réforme de la police nationale en pointant notre prétendu autoritarisme et notre volonté d'affaiblir les magistrats, tout en regrettant la disparité des AFD selon les départements. Certes, le nombre de grammes de cannabis qui déclenche l'AFD dans le Val-d'Oise n'est pas le même qu'en Savoie. Mais c'est bien le procureur de la République, et non le ministre de l'intérieur, qui définit la politique pénale. L'AFD respecte donc profondément l'indépendance des magistrats. Une fois voté le principe de l'amende forfaitaire délictuelle pour la consommation de cannabis, ce sont les procureurs de la République qui prennent une circulaire dans leur ressort pour appliquer la loi. Tel procureur de la République peut alors considérer que la détention de 15 grammes de cannabis est assez grave pour justifier l'interpellation, la garde à vue et le défèrement. Dans d'autres départements, comme le Val-d'Oise, une telle quantité est moins exceptionnelle, et on préfère fixer la limite à 30 grammes. En dessous, on recourt à l'AFD, et au-dessus, on défère. Mais c'est le procureur qui décide. Ce n'est pas le commissaire de police, le ministre de l'intérieur ou le gardien de la paix.
Je le répète, cela peut apparaître disparate, mais il faut accepter que les procureurs ne répondent pas tous au ministre de la justice, a fortiori au ministre de l'intérieur.
Monsieur Benarroche, vous défendez la liberté du magistrat et vous regrettez en même temps qu'il y ait trop de différences entre les ressorts. La politique pénale, monsieur le sénateur, n'est pas définie par le ministre de l'intérieur ; elle est définie par le garde des sceaux et par les circulaires pénales. Ce que nous vous demandons, ce n'est rien d'autre que de permettre à la sanction d'être appliquée. En effet, les délits que nous allons évoquer ne connaissent pas de sanctions, à l'exception du rappel à la loi, qui n'est pas une sanction au sens où l'entendent nos concitoyens. Quand quelqu'un fait un tag, il est absurde de l'envoyer en prison, ce que le code pénal prévoit pourtant, mais il faut une sanction, faute de quoi cela reviendrait à une incitation à récidiver.
La question n'est pas de savoir si nous nous substituons ou pas au juge. Elle est de savoir si nous considérons que les délits que nous évoquons méritent la contravention avec inscription au casier judiciaire, sous l'autorité du procureur, ou une procédure pénale. Ce sont des gouvernements de gauche qui ont créé les AFD pour les infractions routières. Ce n'est pas un débat d'atteinte à la justice de notre pays. C'est un débat sur l'efficacité de la justice et sa simplicité. N'ouvrons pas de faux débats.
Monsieur Bourgi, vous avez évoqué le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD). J'ai été très étonné de votre intervention. Je ne sais pas ce qui se passe dans l'Hérault. Je vais demander au préfet Moutouh ce qu'il fait de son argent. En 2022, il y avait 5 millions d'euros de plus qu'en 2021 sur le FIPD pour les caméras de vidéoprotection. En 2021, c'était déjà 5 millions d'euros de plus qu'en 2019. Comme c'est réparti par département, peut-être que M. Delafosse prend tout l'argent. Il faut en parler avec lui.
M. Hussein Bourgi. C'est tout pour Béziers et Sète !
M. Gérald Darmanin, ministre. Dans le projet de loi pour 2023, ce sont encore 5 millions d'euros de plus. Je vais regarder plus précisément ce qui se passe dans l'Hérault.
De l'argent, il y en a, et je demande plutôt aux élus de le dépenser. Il y a malheureusement encore des maires qui pensent que les caméras de vidéoprotection, ce n'est pas bien. Il y en a même, dans le département du Rhône, qui m'ont dit qu'il était dangereux que les policiers surveillent les caméras. Je crois que vous les connaissez, monsieur le président de la commission des lois.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Oui !
M. Gérald Darmanin, ministre. Aussi, je suis très heureux qu'un sénateur socialiste demande des caméras de vidéoprotection. Je trouverai de l'argent pour tout sénateur de votre groupe qui en réclamera. ("Et pour les autres ?" sur les travées du groupe Les Républicains.)
Sur les Lapi, vous avez parfaitement raison ; c'est tout à fait réglementaire. Je m'engage à ce que les maires puissent obtenir la compétence sur ce point. C'est un peu complexe. M. Hervé, votre rapporteur, est également votre représentant à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). C'est d'ailleurs plutôt lui que vous devez convaincre, mais nous en reparlerons.
Je pense vous avoir répondu sur les brigades de gendarmerie. À mon sens, la ville de Montpellier n'a pas à se plaindre du ministère de l'intérieur sur la question des effectifs, qui sont effectivement nécessaires pour lutter contre la délinquance.
Monsieur Wattebled, vous avez également évoqué les conditions matérielles, qui sont dégradées. Vous avez parfaitement raison. Quand j'étais ministre des comptes publics, j'étais toujours étonné de constater que le ministère de l'intérieur était un des seuls ministères où le titre 2, les dépenses de personnel, allait croissant, alors que le hors titre 2, les dépenses de matériel, était, en proportion, décroissant. Je me doutais que c'était un problème. Si vous augmentez sans cesse les effectifs et les moyens humains, y compris en rémunérations, sans accompagner cette augmentation de moyens technologiques, matériels, que ce soit des commissariats, des brigades de gendarmerie, des véhicules, il y a évidemment une distorsion. Nous avons tous effectué des sorties avec les forces de l'ordre dans des véhicules qui tenaient avec des fils de fer. Nos policiers et gendarmes ont vu l'énorme effort que nous avons consenti à leur profit, dans le plan de relance, ce qui n'était pas évident au début. Les 5008 en sont la plus belle vitrine, mais il y a eu d'autres améliorations matérielles. Je pourrais vous faire le détail du bilan du quinquennat précédent.
Le projet de loi que nous vous présentons est en même temps une stratégie budgétaire. Notre objectif est que le titre 2 augmente autant, voire moins que le hors titre 2. Je veux le redire ici à la représentation nationale, c'est le premier texte qui prévoit plus de crédits en matériel et technologie qu'en personnels. C'est la première fois que nous osons dire aux policiers et aux gendarmes que, si l'on peut envisager des créations de postes et des augmentations de rémunération, l'important pour eux est le rattrapage technologique, matériel, avec les casernes, brigades et commissariats que nous devons rénover, recréer, mutualiser. Tout cela va au-delà du simple chèque en plus. À mon sens, c'est la stratégie budgétaire derrière les 15 milliards d'euros qui est importante.
Monsieur Wattebled, quand on dit que, sur cette somme, 7 milliards d'euros à 8 milliards d'euros vont sur le numérique et le cyber, la perception n'est pas immédiate pour nos concitoyens, comme pour nos forces de l'ordre, qui préfèrent le "ici et maintenant" pour les moyens matériels. Nous sommes persuadés que, pour les aider à gagner demain la bataille contre la délinquance, nous devons éviter de prendre un train de retard, comme d'habitude, et rattraper simplement par le numéraire ce que l'on n'arrivait pas à leur donner en matériel. Je souhaite que cette loi marque aussi un changement dans la politique budgétaire du ministère de l'intérieur. Comme dans l'armée, le matériel doit être aussi important que les moyens humains. C'est pour cela que nous essayons de faire une loi de programmation.
Monsieur Dominati, vous avez eu la gentillesse de me rappeler que nous sommes peu de chose en soulignant que j'étais le septième ministre de l'intérieur en sept ans. (Sourires.) Quand je suis arrivé dans ce ministère, les syndicats de policiers m'ont eux aussi rappelé que les ministres passaient, quand les syndicalistes restaient. C'était un moment très sympathique… J'ai déjà connu quatre départs de responsables syndicaux depuis que je suis là. (Nouveaux sourires.) Aussi, dorénavant, j'introduis les congrès syndicaux en disant que les syndicalistes passent et que le ministre reste.
Il se trouve que, sur ces sept ans, j'ai quasiment fait deux ans et demi. Votre formule était donc belle, mais pas adaptée à mon cas personnel. Dans trois mois et demi, me semble-t-il, j'aurai atteint le niveau de vie de M. Cazeneuve. Si je termine l'année 2023, j'aurai dépassé la longévité de M. Defferre. Si je vais jusqu'aux jeux Olympiques, je serai juste en dessous de M. Marcellin, qu'a très bien connu M. Daubresse.
Je suis d'accord avec vous. Il faut durer, et endurer, sans doute, au ministère de l'intérieur pour faire des réformes en profondeur. Je suis très heureux d'avoir été confirmé à ce poste par le Président de la République, non pas pour le seul plaisir d'être ministre, mais pour enfin accorder du temps long au ministère de l'intérieur, la durée moyenne de présence de mes prédécesseurs ayant été de moins d'un an. Vous ne pouvez pas faire des réformes structurelles, vu l'urgence qui fait le quotidien de cette maison, si vos directeurs, Bercy et l'ensemble de l'administration sont persuadés que vous allez passer vite. Certes, je ne suis pas propriétaire de mon poste, mais plus longtemps je resterai, plus longtemps j'essayerai de porter des réformes permettant de voir loin et de transformer fondamentalement la police.
Vous avez évoqué deux grandes réformes, dont l'une n'est pas dans le présent projet de loi.
La réforme que nous portons, c'est le doublement de la présence policière et "gendarmesque" sur le terrain. Ce point est très important. C'est le cœur de notre discussion, avec la question du cyber. Il ne s'agit pas du doublement du nombre de policiers ou de gendarmes. C'est le doublement de la présence policière. Il y a des effectifs en plus. On vous en a demandé 10 000 dans le quinquennat précédent, dont 4 000 sont partis dans les services de renseignement. Cela nous a laissé environ 6 000 policiers et gendarmes. Nous vous en demandons 8 500 pour le quinquennat qui s'ouvre. Plus de policiers et de gendarmes, c'est plus de présence sur la voie publique.
Mais cela n'est pas suffisant pour doubler la présence de voie publique. Comment allons-nous procéder ?
D'abord, nous allons faire faire des efforts aux policiers et gendarmes sur leur taux horaire. Comme vous l'avez signalé, monsieur le sénateur, nous avons mis fin au cycle dispendieux de la police nationale. Les policiers étaient moins présents sur la voie publique, en vertu d'un accord tacite, sorte de deal social négatif pour tout le monde : comme on n'arrivait pas à régler les problèmes matériels de la police ni la délinquance, on acceptait qu'ils soient moins présents sur le terrain.
Avec le système que nous avons mis en place, là où il fallait huit policiers pour qu'il y en ait un sur la voie publique, sept suffisent maintenant. Cela peut vous paraître trop peu, mais c'est un premier effort. Dans tous les commissariats de France, désormais, nous sommes passés à ce que l'on appelle le rythme binaire, amélioré dans quelques commissariats.
Ensuite, je veux insister sur la réserve. Ce qui marchait admirablement pour la gendarmerie nationale n'existait pas pour la police nationale. C'est un excellent sujet police-population que des boulangers, des ouvriers, des cadres, des petits patrons, des grands patrons, des moyens patrons aillent passer quelques jours sous l'uniforme, après une formation, pour travailler dans la police nationale, qui bénéficie en retour d'expériences professionnelles de la société civile.
La création de la réserve de la police nationale est une grande avancée pour cette institution. Monsieur le rapporteur pour avis de la commission de la défense, nous allons sanctifier les crédits de réserve. En effet, par manque de cohésion budgétaire, aux mois d'août et septembre, les commandants de groupement de la gendarmerie n'avaient plus les moyens d'appeler de la réserve, ces crédits étant les plus facilement annulables dans un projet de loi de finances rectificative. Désormais, grâce au texte que je propose, 100 % des crédits de réserve seront gelés. Ils ne pourront pas être "dégelés". Tout cela contribuera au doublement de la présence.
Par ailleurs, nous simplifions la procédure pénale. Mesdames, messieurs les sénateurs, en deux ans, nous avons fait une réforme considérable, qui n'est pas visible de façon évidente et qui ne fait pas la une du 20 heures. Désormais, tous les policiers et les gendarmes ont un appareil de ce genre sur eux. (M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer montre un smartphone.) C'est un téléphone NEO, d'ailleurs produit par une PME d'Aix-en-Provence, que je vous demande de promouvoir. Grâce à cet outil – ils ne l'avaient pas tous et pas dans ces conditions –, les policiers et gendarmes ne retournent pas à la caserne ou au commissariat pour regarder le fichier, éditer la contravention ou faire un certain nombre d'analyses, ce qui leur prenait auparavant beaucoup de temps. Il fallait appeler le centre d'information et de commandement (CIC), attendre sa réponse, retourner au commissariat, etc. Bref, on perdait beaucoup de temps. Désormais, ils font tout grâce à leur téléphone individualisé. Le réseau Radio du futur sera accessible par ce téléphone. Aujourd'hui, les policiers sont encombrés par un gros appareil radio ; c'est très pratique quand on fait une filature en civil… Dans un an, c'est fini. Tout sera sur ce téléphone, son comme image. L'ensemble des policiers et gendarmes, peut-être demain les pompiers, les douaniers, les agents de l'administration pénitentiaire, auront le même réseau.
Avec une telle simplification, qui ne fait pas la une des journaux, nous permettons plus de présence de voie publique. Quand elles ne sont pas au commissariat ou à la brigade à vérifier les fichiers, nos forces de l'ordre sont sur le terrain.
Évidemment, la procédure pénale a son importance. Nous faisons de la petite procédure pénale simplifiée. Lors du Beauvau de la sécurité, le Président de la République a par exemple demandé que l'on simplifie l'enquête préliminaire et l'enquête de flagrance en les mettant dans un seul cadre. Le temps gagné sera considérable pour les services de police.
Je veux vous convaincre, monsieur le sénateur, que le doublement de la présence policière est fondé sur une vraie stratégie, d'une part, budgétaire, d'où la programmation, et, d'autre part, de transformation du ministère de l'intérieur.
Pourquoi ne réformons-nous pas la préfecture de police de Paris ? Ou plutôt, faut-il réformer la préfecture de police de Paris ? Je sais que vous y êtes favorable, monsieur le sénateur. La préfecture de police est le produit de l'Histoire. À Paris, le maire n'a pas le pouvoir de police qu'ont les autres maires. C'est une réflexion que le Parlement peut conduire, mais Paris n'est pas une ville comme les autres : il y a tous les lieux de pouvoir, à commencer par les assemblées parlementaires, et cette ville connaît 23 % de la délinquance de toute la France. Quand vous tenez la délinquance à Paris, vous tenez une grande partie de la délinquance du pays.
Faut-il des moyens exceptionnels pour un endroit exceptionnel ? J'ai plutôt tendance à répondre par l'affirmative.
Faut-il entamer la réforme, difficile, de la préfecture de police au moment où nous devons remporter la victoire contre la délinquance à Paris, qui est très importante – le fait qu'il y ait eu plus de voitures brûlées à Paris qu'en Seine-Saint-Denis le 14 juillet traduit me semble-t-il, un changement de l'urbanisme et de la politique parisienne et doit interroger un certain nombre d'observateurs ; je le dis sans intention politicienne –, et organiser les jeux Olympiques ? Je ne suis pas certain qu'il faille bousculer le fonctionnement, certes original, mais quand même performant, de la préfecture de police dans cette période cruciale pour l'image de notre pays. En effet, 600 000 personnes sont attendues pour la cérémonie d'ouverture des JO ! Vous me répondrez peut-être que, vu comme cela, ce n'est jamais le bon moment pour réformer… Pour ma part, j'ai donné deux missions au préfet de police de Paris : faire baisser la délinquance et réussir les JO.
Si, m'approchant de la longévité de M. Marcellin, je survis à la Haute Assemblée, à ses rapporteurs, aux chiffres de la délinquance, aux dossiers urgents qu'un ministre de l'intérieur peut voir s'accumuler tous les jours sur son bureau, à la dissolution de l'Assemblée nationale, à la Coupe du monde de rugby et aux jeux Olympiques, et si, au mois de septembre 2024, monsieur Dominati, vous m'interrogez sur les nouveaux chantiers à ouvrir, peut-être aurai-je une réponse différente. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC – Mme Agnès Canayer applaudit également.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
Source http://www.senat.fr, le 20 octobre 2022