Texte intégral
GUILLAUME ERNER
Comment gouverner par temps de crises, comment décider lorsque rien n'est certain ? Bonjour Olivier VERAN.
OLIVIER VERAN
Bonjour à vous.
GUILLAUME ERNER
Vous publiez « Par-delà les vagues - Journal de crises au cœur du pouvoir » chez Robert LAFFONT, c'est votre expérience d'ancien ministre de la Santé, vous êtes aujourd'hui ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du Renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement, mais auparavant, donc, comme je l'ai dit, vous avez conçu, incarné, la politique de lutte contre le Covid-19. Ce week-end il y a eu des chiffres, notamment « The Economist », de la pandémie à l'échelle mondiale, la pire crise démographique depuis l'Après-guerre, avec un nombre de morts évalué à plus de 15 millions, votre point de vue là-dessus, quand avez-vous eu la sensation, Olivier VERAN, que quelque chose de très grave était en train de se tramer ?
OLIVIER VERAN
Comme d'autres, avec le regard scientifique qui est le mien, et puis j'étais parlementaire à l'époque, l'émergence d'un nouveau virus en Chine, forcément, ne me disait rien qui vaille, puisque j'avais connu d'autres possibilités, d'autres risques de pandémies, qui n'avaient pas donné des vagues épidémiques comme celle que nous avons connues, avec d'autres virus, le SARS, le MERS, etc. La vraie, ce que j'appelle « la bascule » dans le livre, d'ailleurs le livre s'ouvre là-dessus, il s'ouvre à Rome, ça fait six jours que je suis ministre, une semaine que je suis ministre, je suis au Palais Farnèse, le magnifique palais de Michel-Ange qui accueille l'ambassade française, et je reçois quelques ministres de la Santé européens, je n'ai aucun des codes des ministres ou de la politique au niveau national, encore moins au niveau international, et je me retrouve à Rome puisque depuis quelques heures désormais, le gouvernement italien vient de décider de confiner toute la Lombardie, le nord de l'Europe. Certains disent c'est l'Italie « ce n'est pas la France, nous on saura faire face », moi j'ai une conviction, je suis grenoblois, donc pas très très loin de l'Italie, c'est que les hôpitaux de Lombardie sont les hôpitaux français, ils sont modernes, ils sont puissants, ils sont capables, et mon collègue italien me dit, avec des cernes, des valises sous les yeux, parce qu'il n'a pas dormi depuis 48 heures, me dit « mon téléphone s'est mis à vibrer en permanence », et tous les collègues des services d'urgences, de réanimation, ont commencé à m'appeler pour me dire « il se passe quelque chose. » On a fait du X10, du X15, du X20, d'un seul coup, dans la Lombardie, avec des gens qui font des pneumonies graves, des fortes fièvres, etc. Donc j'y vais tout de suite, et on discute, on essaye de trouver déjà des bons réflexes, de se dire on ne va pas avancer dans la panique et par ordre dispersé, il faut qu'on établisse ensemble des protocoles, si on prend des décisions on ne les prend pas chacun dans notre coin, il y a le ministre allemand qui est avec moi, l'autrichien, le suisse, il se trouve que pendant cette réunion, dans l'intervalle, pendant qu'on discute à Rome, dans une Rome que je décris d'ailleurs dans le livre comme totalement déjà déserte, avec des gens qui sont en état de sidération, très très loin de l'état d'esprit qui régnait à ce moment-là en France, mes collègues, plusieurs collègues étrangers, apprennent qu'ils ont des cas qui viennent d'être identifiés sur le territoire, et là on se regarde, on se dit « c'est parti », et donc ce que j'appelle « la bascule », dans le livre, c'est le moment où on prend conscience, que qu'on le veuille ou non, ce virus est là, il va se développer, et il peut potentiellement entraîner une catastrophe sanitaire à l'échelle de la planète.
GUILLAUME ERNER
Le bilan est terrible dans le monde, en France plus de 150.000 morts, y aurait-il pu y en avoir moins, Olivier VERAN ?
OLIVIER VERAN
En France plus de 150.000 morts. Je note d'ailleurs que dans une étude qui est sortie ce matin, me semble-t-il, la France fait partie des rares pays à avoir aujourd'hui retrouvé l'espérance de vie qu'elle avait avant le début de la pandémie, d'autres pays ont encore une espérance de vie qui est effondrée, c'est peut-être une manière de répondre à votre question, quand on se compare on se console peut-être, mais en tout cas je note qu'il n'y a pas de pays autour de nous aujourd'hui qui ait retrouvé ce niveau d'espérance de vie, ou quasiment pas, ce qui veut dire que notre système sanitaire français est très solide parce que, de fait, en France on a pu se tester gratuitement, se traiter gratuitement, y compris en réanimation, se vacciner gratuitement, et que ça ça a été, je pense, une plus-value fondamentale par rapport à d'autres pays, il y a des pays occidentaux, qu'on prend parfois en exemples, dans lesquels il fallait casser son plan de pension de famille pour pouvoir supporter les frais hospitaliers, donc on a su briser en grande partie… en tout cas on a su atténuer l'impact des inégalités sociales sur les inégalités de santé. C'est en France qu'on a développé des bus de vaccination aux pieds des tours d'immeubles dans les quartiers populaires, qu'on a fait des campagnes de vaccination gratuite à travers les centres commerciaux, parce que finalement les pays qui ont le plus souffert c'est des pays qui n'ont pas su concevoir l'inégalité sociale, comme ce cas-là, de facteur déterminant dans une période de pandémie.
GUILLAUME ERNER
Malgré tout quand vous recevez donc ce bilan, 156.000 morts exactement, est-ce que vous vous dites, Olivier VERAN, si par exemple il y avait eu les masques d'emblée, est-ce qu'on aurait pu faire mieux, est-ce qu'il y aurait pu y avoir moins de morts ?
OLIVIER VERAN
Ce sera à l'histoire scientifique, très honnêtement, de le dire. Est-ce que le masque aura eu le l'impact populationnel sur la réduction de circulation, est-ce qu'il aura pu réduire, je dirais le nombre de cas graves, etc., au regard d'autres modalités de lutte contre ces formes graves, comme la vaccination, très probablement, mais ça sera vraiment à l'histoire scientifique de le dire, c'est-à-dire il faut sortir de l'empirisme à l'état brut, de l'observer en temps réel, pour se donner un peu de temps de recul et regarder en arrière pour pouvoir définir et comparer les modèles qui aujourd'hui sont difficiles encore à comparer.
GUILLAUME ERNER
Et alors, à contrario est-ce que vous vous, Olivier VERAN, qu'à certains moments il aurait pu être possible par exemple de moins contraindre les Français ?
OLIVIER VERAN
Ça aussi c'est une question… vous savez, on est toujours jugé à l'aune des connaissances du moment, où on vous juge, où on évalue, on n'évalue jamais à l'aune des connaissances du moment où vous décidez. Moi ce que je peux vous dire, et je le décris dans le livre, je décris cette scène où nous sommes autour d'une table au ministère, dans la salle dit Jean Dausset, du ministère de la Santé, est le 14 mars au soir, Edouard PHILIPPE, qui est Premier ministre, vient de décider qu'on allait arrêter les activités dites non essentielles, et je décris cette table ronde, c'est tout un chapitre, où on est une vingtaine, une trentaine de personnes autour de cette table, et je sais juste une chose c'est qu'au petit matin je devrai signer un arrêté qui porte sur « arrêt des activités non essentielles », et donc se pose la question de ce qui est essentiel ou non. On commence par regarder ce qui relève de la Constitution, manifester, prier, sont dans la Constitution, des choses sur lesquelles on ne peut pas revenir, à côté de cela, paradoxalement, s'éduquer, faire commerce, ne sont pas des choses qui sont constitutionnellement protégées, donc on décide d'arrêter tout ce qui peut l'être, les bateaux de croisière, les écoles, c'est la première fois qu'on ferme les écoles dans notre pays, je le dis dans le livre, c'est la deuxième fois qu'on ferme le culte dans les églises, c'est la deuxième fois, puisque la première fois c'était en 1200, il y avait eu un adultère public du Roi et les églises avaient été fermées pendant près de neuf mois, et donc on doit déterminer tout cela. Et pourquoi est-ce qu'on le fait ? Parce qu'on a une conviction, une certitude, c'est que la distanciation sociale, c'est-à-dire le fait de ne pas être en contact physique les uns avec les autres, c'est le seul moyen dont nous disposons, avec certitude, pour freiner l'épidémie, et donc s'en suivent tout un tas de mesures qui sont des mesures contraignantes, et qui ont un impact sur la population.
GUILLAUME ERNER
Et alors vous personnellement, Olivier VERAN, vous racontez une perquisition, l'actualité politique aujourd'hui c'est notamment le fait que la Cour de justice de la République a placé Edouard PHILIPPE comme témoin assisté, il a été mis en cause pour sa gestion de l'épidémie de Covid, est-ce que vous avez dû gouverner avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête lorsqu'il y a eu cette perquisition à votre domicile, à vos deux domiciles, lorsqu'on a fouillé dans vos boîtes mails, qu'est-ce que vous vous êtes dit ?
OLIVIER VERAN
Ce que je me suis dit, d'abord je le donne à voir aux Français, parce que c'est cet exercice de transparence que j'ai voulu faire avec ce livre, qui n'est pas un livre politique mais qui est un livre de récit, ça raconte les choses, je donne à voir, et je laisse les gens se faire une opinion, je ne fais pas les deux, c'est-à-dire je ne commente pas ce que je décris. Je décris les choses brutes, et donc je décris toute la scène de perquisition, du frappage à la porte à 6h du matin jusqu'au moment où ils partent, et la journée qui s'en suit. Je me dis que la France est un pays qui est très rigoureux, qui est très exigeant. Pour répondre d'abord à votre question, qui est essentielle, je n'ai jamais eu d'épée de Damoclès, en tout cas je n'ai jamais senti le poids, ni l'ombre portée au-dessus de ma tête, et aucune décision que j'ai pris n'a été inspirée par un risque juridique ou judiciaire, ce n'est pas ma façon de fonctionner, on a beaucoup de défauts…
GUILLAUME ERNER
Parce qu'on est souvent dit, on s'est dit « ils se bordent », pas vous personnellement, mais le gouvernement.
OLIVIER VERAN
On a beaucoup de défauts en médecine, mais on a une qualité, c'est qu'en fait à un moment donné on doit décider. Moi j'étais neurologue vasculaire, en soins intensifs en CHU, parfois vous vous posez la question « est-ce que je pousse un malade en salle de thrombolyse, parce qu'il est en train de faire un accident vasculaire cérébral, ou est-ce que j'attends ? », eh bien il faut décider, et en fait la décision que vous allez prendre vous allez en être redevable devant la famille, pourquoi pas devant la justice, dans des cas rares heureusement, mais vous tranchez, et vous assumez, donc ça j'ai appris à le faire très tôt, donc décider et assumer je sais faire… pas de risque juridique, par contre oui, la perquisition c'était… on venait de déclencher l'état d'urgence sanitaire, pour la deuxième fois dans notre pays, moi je m'étais couché à 2h30 du matin, mais ça c'est un détail, à 6h ça tape et vous avez 18 personnes, magistrats, très sympas, très polies, très courtois, mais enfin qui rentrent avec les brassards, les talkies-walkies, et qui commencent à fouiller toute votre vie, un petit espace de 60 mètres carrés que je décris dans le livre, ils fouillent tout, vos placards, votre ordinateur, ils ouvrent mon ordinateur, me demandent d'ouvrir mon navigateur Internet, « scrollent » mon historique Internet, commentent la série que je suis en train de regarder, vont regarder sous le lit dans ma chambre, enfin, oui, vous avez une espèce de mise à nu, ce qui veut dire que vous êtes en fait aux antipodes du fantasme, parfois collectif, qui consisterait à dire que parce que vous occupez une fonction de responsabilité publique vous seriez au-dessus des lois ou protégé, là, je vais vous dire, c'est exactement l'inverse, parce que j'occupe une fonction publique, et parce que je dois être amené à prendre des décisions, par anticipation, de quelques résultats que ce soit, je me retrouve sous le feu et les projecteurs de la justice de mon pays, mais je lui fais confiance, et je continue de lui faire confiance.
GUILLAUME ERNER
Un commentaire sur le statut de témoin assisté d'Edouard PHILIPPE.
OLIVIER VERAN
Le commentaire c'est qu'il n'est pas mis en examen. En fait vous avez deux options, dès qu'une enquête est ouverte, vous savez qu'à un moment donné vous allez être auditionné, et dès lors que vous êtes auditionné, dans une enquête pour laquelle vous êtes entendu, eh bien vous devez repartir de l'audition avec un statut, et donc c'était ou mis en examen, ou témoin assisté, donc vous comprenez que le fait qu'il ne soit pas mis en examen veut dire qu'il part avec le statut le plus… en tout cas qui « l'éloigne », je ne sais pas si on peut dire ça, mais en tout cas il n'est pas sous le coup d'actions, on ne considère pas qu'il y ait des preuves suffisantes, matérielles, pour pouvoir le mettre en examen.
GUILLAUME ERNER
Vous évoquez dans votre livre « Par-delà les vagues », Olivier VERAN, la passation de pouvoir avec Agnès BUZYN, justement comment percevez-vous son rôle, celui-ci a été souvent sévèrement critiqué, vous votre regard sur son travail ?
OLIVIER VERAN
Je pense qu'Agnès BUZYN a payé cet article dans « Le Monde », cette forme d'interview dans « Le Monde », qui a pu créer du désarroi parce que, Agnès BUZYN, moi j'étais rapporteur…
GUILLAUME ERNER
Un article, juste pour le rappeler en deux mots, où elle expliquait qu'elle connaissait, qu'elle savait à l'avance que cette épidémie allait être terrible, qu'elle a tiré le signal d'alarme à plusieurs reprises, et que personne ne l'a écoutée.
OLIVIER VERAN
Je peux vous dire une chose, un, j'étais rapporteur de la commission qui s'occupe des questions de santé à l'Assemblée, je connais bien Agnès BUZYN, donc j'étais en contact proche avec elle, avant de prendre sa place comme ministre, elle était extrêmement consciencieuse, extrêmement travailleuse, elle a préparé tout ce qu'elle a pu, dans notre pays, pour faire face à l'éventualité d'une pandémie, qui n'était encore alors qu'une éventualité parmi d'autres, et moi j'ai trouvé un ministère de la Santé qui était en ordre de marche. Alors oui nous n'avions pas de masques, à qui la faute ? Ce n'est pas celle d'Agnès BUZYN. Donc ensuite c'est de la politique, tout se paye « cash »…
GUILLAUME ERNER
Il y a eu des articles qui prétendaient le contraire, pardonnez-moi Olivier VERAN, vous les accusez d'avoir été malveillants, imprécis sur les chiffres ?
OLIVIER VERAN
Je dis… alors je n'accuse personne, encore une fois, je donne, je décris des… ce n'est pas un livre de… je dis que ce n'est pas le recueil de mes meilleures excuses ou justifications, je donne à voir, c'est-à-dire je mets le lecteur dans la place qui était la mienne, celle d'un père de famille, médecin hospitalier à Grenoble, et qui du jour au lendemain se retrouve à devoir prendre des décisions que personne ne devrait être amené à prendre dans sa vie, et donc je donne à voir les choses, avec le déroulé, avec l'incertitude, avec toutes les externalités, positives, négatives, qu'il peut y avoir dans une telle période de gestion de crise, et parmi celles-ci il y a… je prends le relais, j'arrive dans quelque chose qui est un ministère qui tournait déjà, qui fonctionnait déjà, et je vois ce qui est déjà en place pour nous permettre de lutter, il y a déjà une cellule de crise qui est activée à la Direction générale de la santé, il y a déjà des équipes qui sont mobilisées, mais il y a encore tout un tas de choses qu'il nous faut mettre en place à mesure que le risque devient menace et que la menace devient réelle.
GUILLAUME ERNER
Mais alors justement, parce qu'en lisant ce livre, Olivier VERAN, « Par-delà les vagues », que vous avez publié chez Robert LAFFONT, vous racontez votre arrivée au ministère de la Santé, même plus généralement votre arrivée en politique, comme si celle-ci était liée à différents hasards, c'est vraiment cela ?
OLIVIER VERAN
Je décris, oui, que c'est l'effet d'un battement d'ailes de papillon à plusieurs reprises. Ma doctrine c'est celle de Pasteur, je l'ai écrite dans le livre, « Le hasard favorise les esprits préparés », donc je raconte que gamin j'étais conseiller municipal enfant, délégué de classe, que dès que j'ai fini médecine je me suis inscrit dans un master à Paris, à Sciences-Po, parce que j'étais passionné de ces questions-là, mais que je n'avais pas envisagé de faire de la politique, c'est une succession de rencontres…
GUILLAUME ERNER
Vous avez fait également du syndicalisme, pardonnez-moi, du syndicalisme à l'hôpital, donc ce n'était quand même pas complètement un hasard tout à ça !
OLIVIER VERAN
Mais le hasard favorise les esprits préparés, je n'ai jamais eu de plan de carrière me disant qu'un jour je serai ministre de la Santé, mais par contre je n'ai jamais exclu que les accidents puissent arriver, et quand je dis accidents ce n'est pas péjoratif. C'est la rencontre avec Geneviève FIORASO, qui était la députée de ma circonscription, c'est ensuite les événements, la rencontre avec Emmanuel MACRON en 2015 alors je suis député, que le courant passe, c'est le départ de Benjamin GRIVEAUX, la candidature à Paris, l'arrivée, le départ d'Agnès BUZYN, etc., donc c'est une succession de battements d'ailes, de papillon, qui ne correspondent pas à un plan de carrière. Et, si vous voulez, moi j'ai un métier, je suis médecin, j'ai un ancrage…
GUILLAUME ERNER
Justement, vous êtes médecin ou politique, est-ce que vous vous considérez encore comme un médecin, vous faites temporairement de la politique, parce que vous êtes de plus en plus loin de la médecine aujourd'hui, Olivier VERAN, vous êtes porte-parole, notamment, du gouvernement ?
OLIVIER VERAN
Pour la première fois, vous savez, la question que vous me posez je me la suis posée, quand j'ai été nommé porte-parole je me suis dit pour la première fois, depuis bientôt 25 ans, ma vie ne tourne plus autour de la seule santé, donc c'est une page qui se tourne, peut-être, ou peut-être que je reviendrai à mes amours premières, ou peut-être que je ferai autre chose, je me souhaite une vie professionnelle de chat.
GUILLAUME ERNER
Et le fait que vous soyez neurologue…
OLIVIER VERAN
Au sens où il y en a plusieurs !
GUILLAUME ERNER
Oui, oui…
OLIVIER VERAN
Je dis ça pour ne pas se retrouver avec des commentaires, vous savez comment le milieu…
GUILLAUME ERNER
On aime bien les vidéos de chats généralement sur Internet.
OLIVIER VERAN
La société merveilleuse dans laquelle on évolue, je n'ai pas envie d'avoir des… sur Internet.
GUILLAUME ERNER
Mais malgré tout, Olivier VERAN, vous êtes aussi neurologue, le fait donc d'avoir étudié le cerveau durant vos études, vous avez consacré votre thèse aux crises épileptiques, est-ce que cela justement a façonné un autre regard, je ne sais pas, sur les femmes et les hommes politiques par exemple, quel regard le neurologue que vous êtes porte-t-il sur eux ?
OLIVIER VERAN
Si j'ai un regard je me garderai de le partager avec vous…
GUILLAUME ERNER
De le dire, mais enfin, pourquoi pas ?
OLIVIER VERAN
Le serment d'Hippocrate inclut tout ce que vous avez à connaître, tout ce que vous avez à comprendre, tout ce que vous avez à percevoir.
GUILLAUME ERNER
Quand vous êtes en consultation.
OLIVIER VERAN
Et donc parfois le fonctionnement… moi j'adore le j'adore le cerveau humain, j'ai décidé que je serai neurologue dans le bus qui m'emmenait de la ville de Gières, où mes parents habitaient, vers le lycée Champollion de Grenoble, parce que je voulais prendre connaissance de l'ouvrage qui était au concours de médecine cette année-là, j'étais en classe de 1ère, c'est un ouvrage d'Oliver SACKS, que Guillaume ERNER vous connaissez forcément…
GUILLAUME ERNER
Absolument.
OLIVIER VERAN
... Qui s'appelle « l'Homme qui prenait sa femme pour un chapeau », c'était un neurologue qui se baladait dans les rues de New York et qui dès qu'il voyait des gens avec des bizarreries de comportement, les faisait venir les faisait venir dans son cabinet, et qui a décrit toute une sémiologie neurologique absolument passionnante.
GUILLAUME ERNER
Et qui parlait du rôle de la musique, d'ailleurs vous évoquer le rôle de la musique, vous parlez de « La Maison Tellier » dans votre livre…
OLIVIER VERAN
J'adore « La Maison Tellier » oui.
GUILLAUME ERNER
Mais justement, est-ce que pour vous ces hommes politiques ils fonctionnent, je ne sais pas, on parle par exemple du cerveau 1 et du cerveau 2, alors est-ce que c'est plutôt l'intuition qui fonctionne parce que chez vous c'est ce qui semble être le cas, est-ce que c'est plutôt au contraire l'idéologie ?
OLIVIER VERAN
Je vais vous répondre de façon générale, je préfère les hommes politiques qui s'adressent aux néocortex et aux cerveaux sensitifs, qu'à ceux qui font le choix de s'adresser aux cerveaux reptiliens et à l'instinct grégaire, vous aurez vu dans mon propos peut-être un distinguo avec les populistes, qui eux vont parler plutôt aux cerveaux reptiliens, c'est-à-dire qu'ils vont aller chercher à flatter les réflexes un peu enfouis qui sont plus proches d'une aspiration à l'état de nature qu'à l'Etat de droit, c'est toute la difficulté, et en fait être capable… vous savez, moi je me suis dit, je l'ai dit d'ailleurs aux Français dans les… je ne suis pas le médecin des Français, certainement pas, par contre il y a un truc que j'ai appris en médecine c'est que pour arriver à faire adhérer des gens à un projet de soins, ou un projet de protection, il faut une information claire, loyale, appropriée, c'est ce qu'on dit en médecine et je trouve que ça dit tout… claire, loyale, appropriée. Ça veut dire qu'il faut faire de la transparence, ça veut dire qu'il faut se mettre à hauteur lorsque vous êtes vous-même inondé de recommandations scientifiques, etc., être capable de retransmettre l'information de manière claire, loyale, appropriée, pour avoir, je dirais collectivement la capacité à adhérer, à comprendre, à saisir pourquoi est-ce qu'on doit réaliser des efforts et prendre des décisions dans notre comportement individuel, totalement inouïes. Enfin, vous avez des gens dans la banlieue de Bordeaux, de jeunes, qui ont accepté de se confiner, notamment pour sauver la vie de personnes âgées qui étaient en banlieue parisienne, ou d'autres grandes villes, donc tout cela nécessitait quand même d'avoir ce travail d'aller vers les gens.
GUILLAUME ERNER
On se retrouve dans une vingtaine de minutes Olivier VERAN, je rappelle que vous êtes ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du Renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement, vous avez publié « Par-delà les vagues - Journal de crises au cœur du pouvoir », et c'est chez Robert LAFFONT.
GUILLAUME ERNER
Nous sommes en compagnie d'Olivier VERAN, vous êtes ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du Renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement, vous avez raconté dans « Par-delà les vagues - Journal de crises au cœur du pouvoir », chez Robert LAFFONT, votre expérience du Covid, à l'époque vous étiez ministre de la Santé, aujourd'hui vous êtes notamment porte-parole du gouvernement, c'est pourquoi je vous demanderais de réagir au billet politique de Stéphane ROBERT sur la motion de censure. Nicolas SARKOZY hier dans « Le JDD » vous a fait une aimable proposition, quand pensez-vous, que pensez-vous de la possibilité, par exemple, pour Emmanuel MACRON d'avoir une politique véritablement de droite, qui permettrait donc à celui-ci de bénéficier d'une majorité plus large ?
OLIVIER VERAN
Moi je crois aux vertus, j'ai été converti aux vertus du dépassement en politique, moi qui vient de la gauche je suis capable de travailler avec des gens qui viennent de la droite, et sur 90, 95 % des thèmes qu'on va aborder, on va trouver toujours un chemin vers l'accord. Il reste au Parlement, et c'est totalement légitime, et pas du tout une critique que de le constater, un certain nombre de parlementaires qui sont issus, et qui représentent aujourd'hui la gauche de gouvernement, ou la droite de gouvernement, et qui n'ont pas souhaité rejoindre le président de la République, il n'empêche que pour les mêmes raisons sur 90 %, 95 % des textes que nous serons amenés au Parlement, on doit pouvoir trouver des accords. Quand je dis la gauche de gouvernement, j'exclus, vous l'aurez compris, les lambertistes, les héritiers du trotskisme, et je m'intéresse à ceux qui considèrent que la social-démocratie…
GUILLAUME ERNER
Qui sont ces gens, parce que je ne savais pas qu'il y avait des lambertistes officiellement au Parlement ?
OLIVIER VERAN
Vous les connaissez, vous avez le mouvement LFI au sein de la Nupes, et puis vous des écolos, pour certains qui sont plutôt proches de la LFI, pour d'autres qui sont plutôt proches de la social-démocratie, ça veut dire quoi au fond, qui acceptent - évidemment les socialistes - qui acceptent l'idée de l'économie de marché, qui ne sont pas en lutte permanente contre l'économie de marché, mais qui veulent en gommer les arêtes pour pouvoir réduire les inégalités et porter une politique sociale, ceux-là, je le redis, ils ont vocation à travailler avec nous. Et à droite, vous avez des gens qui sont libéraux, qui peuvent être conservateurs, ou pas d'ailleurs, et qui ne se sentent absolument pas à l'aise avec le mouvement de permutation de la droite républicaine vers l'extrême droite de Marine LE PEN, et donc à ces personnes-là nous disons « venez travailler avec nous. »
GUILLAUME ERNER
Bon mais, l'utilisation du 49.3 c'est la preuve que le macronisme, contrairement à ce qui l'a théorisé il y a quelques mois, n'arrive pas à avoir des majorités de projet, Olivier VERAN.
OLIVIER VERAN
Alors, majorité de projet, pardonnez-moi, nous l'avons eue sur tous les textes que nous avons déposés au Parlement depuis les élections législatives, et, excusez du peu, la loi sur le pouvoir d'achat de cet été était une loi fondamentale. Je vais partir dans le secteur régalien, le projet de loi sur…
GUILLAUME ERNER
Juste sur les deux 49.3.
OLIVIER VERAN
Je vais y venir, mais d'abord pour vous montrer que l'assertion selon laquelle vous n'aurez pas le choix, et que ce serait un classique, non, je la réfute par les preuves. La loi sur la sécurité intérieure, ce qu'on appelle la Lopmi, qui augmente le budget de la sécurité, elle a été adoptée au Sénat la semaine dernière, par la quasi-unanimité des sénateurs, incluant les socialistes et les Républicains, donc sur des textes on y arrive. Mais vous avez un texte qui s'appelle le budget, et le budget c'est le moment où on se compte, le budget c'est le moment où on fait le point sur l'état d'une majorité, il en va de l'Etat, comme des petites mairies, comme des conseils régionaux, un élu d'opposition qui vote un budget devient un élu de majorité, c'est ainsi que les choses sont faites depuis que le monde est monde, en tout cas depuis que la Ve existe, donc là on a bien vu qu'il y avait malgré tous les efforts, c'est-à-dire qu'on a tendu la main, il y a eu les dialogues de Bercy, il y a eu des heures de débat en commission, puis en séance, on a eu plus de débats en séance que l'année dernière, sur le budget, on a retenu plus d'amendements des oppositions que lors des budgets précédents, lors des quinquennat précédents, et malgré cela, et malgré d'ailleurs une ambiance de travail totalement respectueuse et de grande qualité, je le dis, eh bien les groupes politiques d'opposition nous ont dit « on ne peut pas voter le budget sans quoi, de fait, de facto, on rentrerait dans la majorité », et c'est pour ça que le 49.3 a été maintenu dans la Constitution pour tous les textes budgétaires, pour que rien ne puisse priver la France d'un budget, parce que si on n'avait pas de budget on ne pourrait plus prélever l'impôt et on n'aurait plus de dépenses publiques.
STEPHANE ROBERT
L'objet des oppositions c'est bien sûr de construire la loi avec vous, de participer à la construction de la loi, mais c'est aussi de construire l'alternance, et dans cette perspective-là elle cherche à se différencier, c'est la logique de la Ve République et c'est ce que qu'institut la présidentielle de 2027. Dans ces conditions il faut faire valoir son identité, et la meilleure manière de faire valoir son identité c'est de s'opposer. A mesure qu'on va avancer dans ce second quinquennat d'Emmanuel MACRON, est-ce que vous ne risquez pas d'avoir des oppositions qui vont s'opposer systématiquement parce qu'on approchera de cette échéance-là, et est-ce que vous ne serez pas réduit, petit à petit, à l'impuissance ?
OLIVIER VERAN
D'abord l'impuissance évidemment, vous le constatez avec nous, n'est pas de mise dans ce début de mandat puisqu'on réforme pêle-mêle, et dans le même mouvement, la formation professionnelle, les lycées professionnels, l'assurance chômage, les retraites bientôt, et le pouvoir d'achat, donc ça veut dire qu'on passe, les réformes les plus difficiles qui soient à passer dans un quinquennat, nous les passons actuellement, en ce moment, et tout est mis sur la table au même moment, et pour l'instant tous les textes ont été adoptés, et pour la première fois, avec le 49.3… du budget, j'ai expliqué pourquoi. Est-ce qu'il faut du clivage en politique, en tout cas les Français aspirent à ce qu'il y ait du clivage en politique, ils ne veulent pas une uniformité des opinions politiques, et du clivage il y en a, mais ce que nous disons c'est qu'on peut avoir du clivage sur certaines idées, je peux cliver avec Gérald DARMANIN quand on discute, lui et moi, d'un certain nombre de sujets, parce que nous n'avons pas…
GUILLAUME ERNER
Ah oui, lesquels ?
OLIVIER VERAN
Nous n'avons pas les mêmes origines politiques, il n'empêche que depuis des années que nous sommes dans le même gouvernement nous arrivons à faire équipe ensemble, et pourquoi, pour l'intérêt général.
GUILLAUME ERNER
Excusez-moi de vous interrompre Olivier Véran, mais ça nous intéresse…
OLIVIER VERAN
Vous ne mettrez pas un…au sein du gouvernement.
GUILLAUME ERNER
Pas un…
OLIVIER VERAN
Non, mais j'enfonce une porte ouverte en disant cela, il est issu des Républicains, je suis issu du Parti socialiste, donc on a des divergences et nous nous respectons pour cela, et on est capable… moi je suis issu d'une famille où les gens votaient à gauche ou à droite, et dans tous les repas de famille on allait brasser un certain nombre de sujets, parfois s'engueuler, mais il n'empêche qu'on on était capable d'avancer, il en ressortait toujours quelque chose de positif. Le dépassement en politique ce n'est pas l'effacement des clivages, ce n'est pas l'effacement des idées, c'est de se dire qu'on est capable à la fois de traiter le pouvoir d'achat, y compris pour les classes moyennes, et à la fois de mettre en place toutes les mesures pour gommer les inégalités et faire en sorte de ne pas faire exploser la pauvreté, du ni gauche ni droite, ou et de droite et de gauche.
GUILLAUME ERNER
On vous entend Olivier VERAN, mais malgré tout aujourd'hui le centre de gravité du gouvernement il est plutôt à droite, vous le savez, et la question que vous pose Nicolas SARKOZY c'est plutôt de savoir si vous tendez la main à la droite républicaine…
OLIVIER VERAN
C'est marrant que vous disiez ça, parce que moi je crois aussi à la politique des résultats. La semaine dernière, en fin de semaine, une étude dont peut ont parlé, c'est dommage d'ailleurs, montre que la France est l'un des seuls pays à ne pas avoir eu la pauvreté augmenter pendant toute la période de pandémie, alors vous allez me dire que la droite est grand défenseur des pauvres, peut-être, je n'en sais rien, moi je crois…
GUILLAUME ERNER
Peut-être que la droite a changé à cet égard.
OLIVIER VERAN
Pour l'avoir vécu de très près, je crois que les amortisseurs sociaux que nous avons mis en place s'inscrivent dans une politique social-démocrate, on est capable de faire les deux encore une fois, et ça n'empêche pas – je reviens quand même à la question de Stéphane ROBERT, parce qu'elle est fondamentale, est-ce que l'idée du clivage va s'imposer progressivement et va paralyser la capacité de gouvernance ? Je vous dirais que numériquement il nous manque quoi, 15, 20 députés, pour avoir une quasi-majorité absolue, c'est-à-dire 15 à 20 parlementaires issus de la gauche ou de la droite qui au bout du compte se disent « attendez, m'opposer systématiquement à des textes que j'aurais pu proposer si j'avais été dans la majorité, ça va 2 minutes », donc ça c'est une possibilité. L'autre possibilité c'est de continuer à trouver des accords, au cas par cas, en fonction de textes. Peut-être que sur l'énergie renouvelable, peut-être que la droite sera moins enclin à nous aider à développer l'énergie renouvelable, et peut-être que la gauche de l'hémicycle se réveillera et se dira « les postures politiques ça va 2 minutes, on va être crédibles par rapport à ce que nous pensons, et ce que nous portons, et nous prônons au niveau politique, on va accompagner le gouvernement pour permettre de développer les énergies renouvelables. » Donc moi je crois qu'on a vocation à cheminer ensemble pendant la durée du quinquennat, je crois que c'est le souhait des Français.
GUILLAUME ERNER
On va prendre un sujet de clivage, un sujet clivant, vous avez dit qu'il fallait mieux faire pour les OQTF, autrement dit les obligations de quitter le territoire, il faut mieux faire Monsieur le ministre pour les personnes qui sont en situation irrégulière ou pour les délinquants ?
OLIVIER VERAN
Ce sont deux questions qui se rejoignent, mais que nous traitons de façon un peu distinctes, nous avons un dispositif de… s'agissant des personnes qui sont en situation irrégulière et qui ont commis des délits en attente d'être expulsées, c'est-à-dire un placement en CRA, en centre de rétention administrative, et vous avez l'immense majorité des personnes qui sont actuellement en CRA, et en attente d'expulsion, ce sont des gens qui ont commis des délits. De l'autre côté ce sont des personnes qui sont en situation irrégulière, la plupart du temps, il faut le dire, sans moyens de subsistance, qui ne sont pas dans une situation d'épanouissement personnel dans notre pays, qui n'ont pas eu le droit d'asile quand ils l'ont demandé, parce qu'ils sont issus de pays dans lesquels ils ne sont pas menacés, certains pays étant d'ailleurs des pays de l'Est de l'Europe, ou du Maghreb, et donc quand je dis qu'il faut mieux faire, en réalité ce n'est pas une injonction qui serait faite à un collègue de faire… c'est quelle est la difficulté à laquelle tous les pays font face, tous les pays font face, et quelle que soit la gouvernance, c'est que lorsque vous décidez d'expulser quelqu'un il faut que le pays dans lequel vous l'expulsez, et dont la personne est originaire, accepte de lui accorder un visa, parce que si vous remplissez, si vous faites à partir des personnes en avion vers un pays, par exemple du Maghreb, et que lorsque l'avion atterrit à l'aéroport les services de douane disent « il ne rentre pas sur le territoire », de facto il revient en France, donc c'est ce travail diplomatique que nous faisons, parfois avec un dialogue bilatéral, parfois avec une saine pression, comme on peut dire, en réduisant nous-mêmes l'octroi de visas pour les ressortissants de ces pays, donc c'est ce travail-là… aucun pays en Europe n'arrive à faire mieux que la France, à l'heure à laquelle je vous parle, mais nous travaillons collectivement pour trouver des voies et moyens pour permettre de faire appliquer ces expulsions lorsqu'elles ont, encore une fois, été déterminées.
GUILLAUME ERNER
Olivier VERAN, certains partis politiques font un lien entre sur l'immigration et la délinquance, vous pensez quoi ?
OLIVIER VERAN
Moi je ne ferais pas de lien entre l'immigration et la délinquance, il y a de la délinquance, il y a de l'immigration, il y a de l'immigration qui fonctionne très bien, il y a de l'immigration qui fonctionne moins bien, il y a des gens qui parce qu'ils sont issus de l'immigration sont placés dans des conditions abracadabrantesques, où ils n'ont pas le droit de travailler, évidemment pas le droit de voler, et pourtant ils sont là, donc ça pose des difficultés de subsistance qui peut créer de la petite délinquance, il y a des gens qui n'ont rien à faire sur le territoire parce qu'ils sont entrés, parce qu'ils détestent notre pays, ça arrive, l'imam IQUIOUSSEN, par exemple, a eu des prêches intégristes, radicaux, eh bien il n'a pas vocation à rester sur notre territoire, parce qu'il n'y vient pas dans une optique de réussir sa vie, mais dans l'optique de détruire la nôtre, pour autant il n'y a pas de lien de généralité, de causalité à faire, entre l'immigration et l'insécurité.
STEPHANE ROBERT
Olivier VERAN vous pointiez la responsabilité des laissez-passer consulaires il y a un instant, le fait qu'on demande au pays d'accueillir quelqu'un qu'on veut expulser et qui donne coup son accord, qui reconnaît la personne comme un de ses ressortissants, ce qui permet de… ce n'est pas le seul problème, parce qu'il y a la question de… on veut expulser plusieurs dizaines de milliers de personnes, en réalité la capacité en centres de rétention, pour les mettre à disposition, enfin les expulser, c'est deux et quelque mille places, quelque chose comme ça. Est-ce que la France se donne véritablement les moyens de la politique qu'elle prétend mener ?
OLIVIER VERAN
Je ne crois pas qu'on ait vocation à placer en centre de rétention toutes les personnes qui sont en attente d'être expulsées, vous avez des personnes qui n'ont commis, la majorité, heureusement, n'ont commis aucun délit sur notre sol…
STEPHANE ROBERT
Ça veut dire que pour les expulser c'est…
OLIVIER VERAN
Non, d'ailleurs dans beaucoup de situations la justice va prononcer une demande de retour volontaire au pays, qui peut être accompagné, et d'ailleurs c'est souvent suivi d'effets, il y a beaucoup de gens qui partent quand ils se disent « bon voilà, j'ai épuisé tous les recours, je n'ai plus ma place dans ce pays, de toute façon du coup je n'arrive pas à subvenir à mes besoins, je n'arrive pas à trouver un travail, autant rentrer parce que je ne suis pas en danger là où… mais j'ai tenté, ça n'a pas marché. » Vous en avez d'autres qui se disent « je vais attendre qu'on revienne me chercher, j'ai cette OQTF, c'est une épée de Damoclès pour le coup bien réelle, mais j'ai épuisé tous les recours, mais je vais être un peu dans le statisme, je vais me tenir à carreau, me faire discret, et puis en espérant qu'il m'arrive rien. » Et puis vous avez des gens qui reçoivent une OQTF, qui sont déjà des délinquants, et lorsqu'on les contrôle on se rend compte que, à l'occasion d'un délit, qu'ils sont en situation irrégulière, ces personnages-là sont placées dans un centre de rétention en attente d'être expulsées le plus vite possible, donc c'est une catégorisation qui est faite, je ne crois pas que la France ait vocation à placer en centres de rétention toutes les familles en situation irrégulière en attente d'expulsion, si c'était votre question.
GUILLAUME ERNER
Olivier VERAN, lorsqu'on lit le livre que vous avez consacré à votre expérience au ministère de la Santé durant l'épidémie de Covid, « Par-delà les vagues » chez Robert LAFFONT, on s'aperçoit que vous avez eu à gérer, je crois, un virus, il y avait RAOULT, le Professeur RAOULT a été apparemment l'une des variables importantes que vous avez eu à gérer lorsque vous étiez à ce ministère, expliquez-nous pourquoi ce dossier était-il si important ?
OLIVIER VERAN
Là aussi je donne à voir, dans la méthode d'écriture, qui est un récit, je donne à voir les choses telles que je les ai vécues, sans les commenter, je laisse le lecteur… parce que certains lecteurs me disent « vous avez été gentil avec RAOULT », d'autres « vous avez été dur », en réalité…
GUILLAUME ERNER
Je ne dis pas ça, je dis que ça occupe beaucoup de place dans votre récit.
OLIVIER VERAN
En réalité je donne à voir ; parce que ça m'a interpellé. Alors d'abord ça m'a mis sous tension à la phase la plus importante, quand il y avait une pression très forte, avec des pétitions, des élus, c'est le premier coup porté à la gestion de crise par une opposition politique, qui s'appuyait sur une personnalité assez hors normes, qui lui-même jouissait d'une réputation médiatique totalement exceptionnelle, il ne venait pas à Paris pour faire ses interviews, c'est les journalistes qui se déplaçaient, ils étaient maltraités, mais ils y revenaient la semaine suivante, donc tout cela a participé de faire monter le personnage.
GUILLAUME ERNER
Certains journalistes.
OLIVIER VERAN
Bien sûr ; mais ce que ça dit de notre société, c'est ça qui m'a intéressé, c'est-à-dire qu'on avait tous peur collectivement, peur d'un virus inconnu, peur de voir des proches malades, peur de ne pas trouver de solution immédiate à travers la science, dans ce qu'elle a parfois de besogneux, mais au mois de factuel, et donc vous avez l'apparition de la magie pour conjurer la peur, elle n'est pas irrationnelle, elle est « arrationnelle », elle permet de conjurer collectivement la peur, et donc vous avez une forme de magie à travers… ça aurait pu être un talisman si on avait été dans la période Antique, ça aurait été, je fais l'analogie avec l'élixir du Docteur Doxey dans Lucky Luke, dans une période un peu plus récente, et là c'était un médicament, c'était la chloroquine, ça aurait pu être, honnêtement, n'importe quel produit, d'ailleurs au Québec je crois que c'était la colchicine, et pas la chloroquine, ça ressemble mais ça n'a rien à voir ; et donc il y a eu ce mouvement collectif de vouloir conjurer la peur et donc de se réfugier, de s'abriter derrière une personnalité auréolée de tout ce qu'il fallait, bardée de diplômes, et qui disait « ne vous inquiétez pas, bonnes gens dormez tranquilles, j'ai trouvé comment vous guérir. » Et donc, aller contre ce mouvement de façon brutale, en disant « ça n'existe pas, c'est faux, vous vous trompez », alors même que, il y a toujours la place du doute, parce que parfois entre la magie et la science il peut y avoir le doute, raisonnable, et alors même que vous aviez ce niveau de peur dans la population, qui était elle-même déjà très contrainte par des mesures de confinement, etc., c'était très compliqué à gérer, et donc j'ai voulu, avec un peu de recul, montrer à la fois à la marche en avant de RAOULT et la marche en arrière qui s'est opérée, du mouvement scientifique, pendant cette période.
GUILLAUME ERNER
Le président Emmanuel MACRON en rendant visite à Didier RAOULT ne vous a pas rendu service.
OLIVIER VERAN
Le président de la République rend visite, ce jour-là, à l'ensemble des scientifiques, à Paris et à Marseille, qui sont, je dirais crédibles, dans le domaine de la recherche scientifique, en maladies infectieuses. Il faut savoir que le Professeur RAOULT ce n'est pas le Monsieur chloroquine à la base, c'est un professeur d'université qui a été placé par l'Etat à la tête du plus grand institut de recherche en maladies infectieuses de France, et sans doute d'Europe, qui dispose de moyens considérables et colossaux, donc dès lors qu'il est président de cet institut, ne pas le considérer pour ce qu'il est – il a eu des idées à côté de ça, je le dis d'ailleurs dans le livre, tout n'est pas à jeter, sur la question des tests…
GUILLAUME ERNER
Vous dites qu'il a trouvé par exemple comment on pouvait se passer d'écouvillons.
OLIVIER VERAN
Mais c'est quelqu'un qui a cette capacité de… et puis il a des moyens considérables, vous n'allez pas vous priver du plus gros institut…
GUILLAUME ERNER
Au-delà de ça…
OLIVIER VERAN
Universitaire, en pleine crise sanitaire.
GUILLAUME ERNER
Au-delà de ça Olivier VERAN, vous racontez qu'il effectue une sortie de route très rapidement puisqu'il dit « ça ne sera qu'une grippe », et on se rend compte très vite que ce n'est pas qu'une grippe, bref, il y a à la limite deux questions, pourquoi l'a-t-on écouté, mais aussi, et c'est cela le plus étonnant, pourquoi s'enferre-t-il dans l'erreur selon vous, Olivier VERAN ?
OLIVIER VERAN
C'est une question pour laquelle il me faudrait beaucoup de temps pour vous répondre…
GUILLAUME ERNER
Je m'adresse aussi au neurologue.
OLIVIER VERAN
Donc dès lors que vous vous adressez au neurologue vous comprendrez que je ne vous répondrai pas, si vous vous adressez au politique…
GUILLAUME ERNER
Vous ne m'avez toujours pas eu en consultation.
OLIVIER VERAN
Si je vous réponds en politique je vous dirais que c'est un classique en fait, c'est un classique, ça veut juste dire quelque chose de la maturité de notre société, parce qu'on est à la fois une société très mature, qui a fait confiance à la vaccination quand le vaccin est arrivé, qui a été extrêmement solidaire dans l'épreuve, qui s'est protégée elle-même et qui a protégé des gens parfois qu'elle ne connaissait pas, par l'acceptation de son propre confinement, et en même temps une forme de fébrilité au regard de l'autorité scientifique, politique, médiatique, tout ce que vous voulez, c'est assez emblématique au fond, il ne faut pas isoler le phénomène RAOULT d'un phénomène qui touche notre société. Nous vivons aujourd'hui dans un pays, la France, ou l'Europe, qui est fragile au regard des percées de l'extrême droite, portée par des mouvements populistes, baignée dans les réseaux sociaux, avec des discours qui aujourd'hui se valent, deux discours se valent, et il suffit que sur une chaîne info en continu on reçoive telle ou telle personne pour lui conférer aujourd'hui une espèce de bénédiction qui place les propos de la personne quasiment au même rang que ce qui sortirait d'un organisme d'Etat ou d'un laboratoire scientifique, elle est là la réalité, et on n'est pas très armé face à ça.
GUILLAUME ERNER
C'est-à-dire qu'en fait pendant la pandémie vous avez dû traiter Didier RAOULT comme on dit, vous avez dû également traiter une sorte de dualisme entre Paris et Marseille.
OLIVIER VERAN
Je consacre plusieurs chapitres à Marseille, parce que Marseille ça a été le début de la deuxième vague et ça a été, moi qui suis marseillais, enfin de père marseillais, j'adore cette ville, j'adore l'esprit de cette ville, l'histoire de cette ville, l'urbanisme de cette ville. Je me suis retrouvé pour le coup en première ligne au début de la seconde vague, et donc à la fin de l'été 2020, avec la résurgence d'un virus que plus personne ne voulait voir revenir, parce qu'on pensait que les jours meilleurs étaient arrivés et que c'en était fini avec le confinement et c'est à Marseille que ça commence. Et là va se jouer une pièce avec d'un côté, c'est vrai que je suis assez cash dans ces chapitres-là, mais se joue une pièce avec d'un côté des élus de Marseille qui, pour certains, ne prennent pas le parti de me, semble-t-il, l'intérêt sanitaire de la chose.
GUILLAUME ERNER
C'est-à-dire ils font de la politique ?
OLIVIER VERAN
Totalement, totalement. Je raconte les échanges avec certains d'entre eux, d'ailleurs certains sont…
GUILLAUME ERNER
Renaud MUSELIER par exemple.
OLIVIER VERAN
Avec Renaud, j'ai des dialogues avec Renaud parce que c'était compliqué. Parce qu'ils se sont sentis ostracisés et sans doute qu'on n'a pas agi de la manière qu'il fallait. Peut-être qu'il y avait un autre moyen d'arriver à entraîner cette classe politique marseillaise sur la voie raisonnable. Mais donc je raconte que j'y vois 3 ou 4 fois. Je vais à l'hôpital, j'emmène avec moi les élus, je discute. Les médecins de l'AP-HM des hôpitaux de Marseille ont été exceptionnels dans cette période. Ils montraient, ils donnaient à voir la réalité des choses que certains ne voulaient pas voir. Et je raconte des réunions qui durent pendant 2 heures, 3 heures en préfecture avec tous les élus, avec cette espèce de menace permanente. Ça a été extrêmement compliqué jusqu'à ce que, finalement, d'autres villes soient touchées. C'était la fameuse période des rouges écarlates etc.
GUILLAUME ERNER
Olivier VERAN, aujourd'hui l'épidémie n'est toujours pas achevée. Sur la carte du New York Times, la France est en noir pour le Covid d'ailleurs. C'est l'un des rares pays qui est toujours en noir. Ça veut dire qu'on ne fait toujours pas ce qu'il faut ?
OLIVIER VERAN
Non. Ça veut dire que si vous faites la même cartographie dans 15 jours, une fois que l'épidémie, que la vague de résurgence aura baissé on ne sera plus en noir. Ça comptabilise le nombre de cas un jour donné de Covid diagnostiqué. 1/La France est un des pays qui continue de proposer des diagnostics gratuits donc on n'a pas cassé le thermomètre. D'autres pays ont dit : maintenant vous payez pour vous faire tester, donc on teste beaucoup en France, beaucoup. Et puis on est en pleine période de résurgence épidémique, donc voilà, c'est ça que ça veut dire.
GUILLAUME ERNER
Et il y a d'autres épidémies, l'épidémie de bronchiolite qui intervient chaque année avec le plan d'urgence pédiatrique. Vous avez annoncé en tant que porte-parole du gouvernement 150 millions pour l'hôpital. Des professionnels trouvent cette somme largement insuffisante.
OLIVIER VERAN
C'est le ministre de la Santé qui a annoncé un plan d'action qui passe par des plans blancs. On majore les heures supplémentaires, les hospitaliers connaissent ça. Vous savez, ils sont d'une solidité et d'une constance dans l'effort, d'une éthique qui ne cessera jamais de m'impressionner. Pourtant je suis issu de cette famille et je les connais. Je n'ai jamais douté de leurs capacités. Mais ils sont fatigués parce que les épidémies s'enchaînent les unes après les autres. Là, la bronchiolite arrive plus tôt que d'habitude, elle a l'air forte, et donc vous passez d'une vague à une autre et donc vous avez ce sentiment de toujours courir un peu après les choses. Mais le monde hospitalier est aussi conscient que la donne a changé, que le regard porté par les politiques publiques désormais est un regard qui veut les aider quoi qu'il en coûte, si je puis dire, si je peux réutiliser cette expression.
GUILLAUME ERNER
Quoi qu'il en coûte, 150 millions pour eux c'est une somme insuffisante.
OLIVIER VERAN
Attendez, on a augmenté avec le Ségur, quand j'étais à la Santé, on a augmenté de 10 milliards d'euros les salaires de 2 millions de soignants. 80 % de femmes, je le précise. Un 13ème voire un 14ème mois pour tous ceux qui travaillent. On a majoré les heures supplémentaires. On rajoute du personnel, on arrête tous les plans de maîtrise médicalisée qui touchaient l'hôpital. Maintenant il nous faut quoi ? Il nous faut plus de médecins. Ça tombe bien, on a supprimé en 2018 le numerus clausus, mais enfin il faut 10 ans pour former des médecins. Donc il ne faut pas mentir aux gens : les médecins supplémentaires, ils n'arrivent pas tout de suite. Moi j'ai augmenté de 30 %, enfin nous avons augmenté de 30% le nombre d'infirmières et d'aides-soignantes en formation. Ça ces gens-là, ces professionnels ils arrivent plus tôt parce que c'est 2 et 3 ans. Donc on va avoir plus d'arrivées que de départs, ce qui va changer complètement la donne, croyez-moi. Et donc si vous voulez, ont pâtit d'un manque de soignants, on pâtit d'une politique publique désastreuse, je le dis, pendant quasiment 50 ans dans notre pays qui consistait à considérer que plus on réduisait l'offre de soins, plus on réduirait la demande. Ça veut dire que s'il y avait moins de médecins, ça coûterait moins cher. Ça c'était dans les années 70, il a fallu attendre 2018 pour qu'on casse ce mécanisme un peu mortifère pour l'hôpital.
GUILLAUME ERNER
Olivier VERAN, merci beaucoup.
OLIVIER VERAN
Merci pour votre invitation.
GUILLAUME ERNER
De nous avoir rendu visite. Je rappelle que vous êtes ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique et porte-parole du gouvernement. Votre ouvrage « Par-delà les vagues, journal de crise au cœur du pouvoir », c'est effectivement le récit tout à fait étonnant et singulier de ce que vous avez vécu quand vous étiez ministre de la Santé.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 25 octobre 2022