Texte intégral
Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre de la culture.
Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture.
Vous l’avez tous dit, la France est réputée pour la richesse de son patrimoine et la vitalité de sa création. Elle est reconnue dans le monde entier pour la force de sa culture, pour avoir su soutenir un réseau très diversifié de lieux culturels, d’artistes et de professionnels à travers le territoire et pour avoir fermement défendu le droit d’auteur, depuis Beaumarchais, au XVIIIe siècle. Vous êtes tous attachés à cette histoire, à cette exception culturelle française qui fait notre fierté, donne du sens à nos vies et fait porter la voix unique de la France dans le monde.
Toutefois, nous le savons, ces vingt dernières années, ce modèle culturel a été constamment bouleversé, percuté par la révolution numérique, qui a créé autant d’opportunités qu’elle a révélé de fragilités. La dernière étude décennale sur les pratiques culturelles des Français montre que la fracture générationnelle se creuse : aux publics plus âgés, la culture de sortie dans les musées et aux spectacles ; aux plus jeunes, les écrans, dont ils sont de plus en plus dépendants.
Mme Géraldine Bannier.
Oh oui !
Mme Rima Abdul-Malak, ministre.
C’est le plus grand défi qui nous attend : susciter l’envie d’une culture en chair et en os de notre jeunesse – je suis d’ailleurs heureuse de voir autant de jeunes en tribune ; ils sont presque plus nombreux ici que les députés ! (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs des groupes Dem et HOR.) Je les remercie de s’intéresser à la culture.
Dans le contexte international, économique et politique que nous connaissons tous, je suis persuadée que la culture peut nous rassembler – je l’avais souligné dès mes premières auditions par le Parlement ; j’en reste convaincue. De Gérard de Nerval à Soulages, en passant par Kery James, vous l’avez prouvé dans vos interventions. C’est l’ambition de ce projet budget pour 2023, puisque son montant est historiquement haut.
Aux crédits de la mission Médias, livre et industries culturelles que nous examinerons dans quelques jours, s’ajoutent ceux de la mission Culture , d’un montant de 3,7 milliards d’euros, soit 7,4 % de plus que l’an passé et 255 millions d’euros supplémentaires. Voilà les sommes dont nous parlons aujourd’hui ! Ces montants sont encore complétés par des crédits d’impôt, des taxes affectées et des dépenses fiscales – je ne les détaillerai pas tous –, si bien que le budget total alloué à la culture s’élève à 11 milliards d’euros. Nous sommes responsables de ce budget, qui nous permet de défendre notre ambition pour la diversité et l’excellence culturelle de notre pays, pour innover, préparer l’avenir et affronter les défis de demain.
Cette ambition est possible grâce à l’engagement total et passionné des 29 000 agents du ministère de la culture, auxquels je veux rendre hommage ; 20 705 d’entre eux œuvrent pour la mission Culture . Je les remercie pour leur travail quotidien pour le ministère et pour la culture en France. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et HOR ainsi que sur plusieurs bancs des groupes SOC et Écolo-NUPES.)
N’oublions pas que le ministère de la culture forme près de 37 000 étudiants en France, grâce à un réseau impressionnant d’une centaine d’établissements d’enseignement supérieur. Vous qui siégez dans les tribunes, peut-être y étudierez-vous un jour.
Cette année, le projet de budget porte une attention particulière aux écoles d’architecture, qui abritent un vivier incroyable d’environ 20 000 étudiants – les bâtisseurs, les penseurs de l’espace et de la ville de demain. C’est crucial, alors qu’il faut accélérer la transition écologique de l’ensemble du pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et HOR. – M. Alexandre Holroyd, rapporteur spécial, applaudit également.)
Ce projet de budget pour 2023 sert les grandes priorités qui nous rassemblent, j’en suis sûre. La première est d’améliorer encore l’accès à la culture pour tous. C’est le combat de toute ma vie et je vous assure que je n’ai pas besoin de cabinets de conseil pour en connaître la force, que j’éprouve dans ma chair depuis longtemps. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et HOR.)
M. Jean-Paul Lecoq.
Dites-le à vos collègues et à Macron !
Mme Rima Abdul-Malak, ministre.
Quelque 14 millions d’euros supplémentaires sont prévus en 2023 pour l’accès à la culture. Grâce notamment à une politique ambitieuse pour l’éducation artistique et culturelle, dont les crédits ont doublé depuis 2017.
M. Alexis Corbière.
Elle profite aux patrons !
Mme Rima Abdul-Malak, ministre.
Que ceux ici qui ont fait partie – ou dont les collègues ont fait partie – de la précédente majorité se rapportent au budget pour 2012 : ils constateront qu’elle n’en a pas fait autant.
Cette politique passe également par le déploiement des Micro-Folies – merci de les avoir citées, Jérémie Patriet-Leitus : quelque 294 sont actuellement ouvertes et 450 sont en cours de déploiement.
Cette politique passe enfin par un ambitieux programme de déploiement du pass culture. Vous l’avez dit, ce dispositif a été renforcé, il a évolué pour devenir plus participatif.
M. Jean-Paul Lecoq.
En accordant quelle place à l’école ?
Mme Rima Abdul-Malak, ministre.
Il inclut désormais un parcours de plusieurs années, pour assurer la jonction avec notre politique d’éducation artistique et mobiliser les enseignants, ainsi que les acteurs culturels. Quelque 2,5 millions de jeunes en bénéficient : ce n’est donc pas un cadeau de Noël ponctuel, madame Taillé-Polian, c’est une expérience de plusieurs années ancrée dans les territoires. Le budget total du pass culture, en progression de 9,5 millions d’euros, atteint 208 millions d’euros.
Notre deuxième priorité est la souveraineté culturelle, qui passe par un soutien renforcé à la création et à la diffusion des œuvres, aux artistes et aux artisans d’art. Quelque 264 projets ont été déployés partout en France dans le cadre du programme Mondes nouveaux que vous avez présenté. Je veux également porter une attention nouvelle aux métiers d’art – nous pourrons y revenir –, tout comme à la langue française et aux langues de France, qui font vibrer les territoires. Le ministère de la culture les soutient, avec notamment le grand projet de Villers-Cotterêts,…
M. Jocelyn Dessigny.
Ça, c’est bien !
Mme Rima Abdul-Malak, ministre.
…mais aussi en aidant les associations et structures qui contribuent à la vitalité des langues régionales dans notre territoire.
Notre troisième priorité concerne le patrimoine, que vous avez tous mentionné. Il faut le protéger, le valoriser ou le réinventer avec de nouveaux usages, quand c’est possible et que les collectivités concernées le souhaitent. Le programme Patrimoines est au cœur de l’action du ministère de la Culture et atteint pour la première fois 1,1 milliard d’euros. C’est historique. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et HOR, ainsi que sur quelques bancs du groupe RE.) Non, ce budget n’est pas du tout concentré sur Paris ! Je vous rappelle que 96 % des 80 millions d’euros du plan Cathédrales du plan de relance ont été investis en région et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Tous les dispositifs développés – vous avez par exemple cité le fonds incitatif et partenarial, pour le patrimoine – l’ont été avec les collectivités. Le renforcement du projet de budget en 2023 est au service des collectivités. Vous ne l’avez pas mentionné, mais nous soutenons ainsi l’archéologie, en augmentant le budget alloué aux fouilles programmées. Des établissements seront également rénovés, notamment pour améliorer leurs performances énergétiques et les aider à alléger leurs factures d’énergie à long terme, au-delà de cet hiver.
Dans le cadre de cette politique culturelle forte, nous nous engageons avec constance pour l’emploi et la formation des futurs talents, avec 90 millions d’euros supplémentaires alloués au développement des compétences, dont 32 millions d’euros seront consacrés aux écoles d’enseignement supérieur artistique, notamment pour développer les bourses sur critères sociaux pour les étudiants à la situation financière la plus fragile, soutenir le fonctionnement des établissements et financer des travaux de mise aux normes et d’amélioration des performances énergétiques.
Le soutien à l’emploi passe aussi par le Fonpeps – Fonds national pour l’emploi pérenne dans le spectacle –, auquel je tiens beaucoup. Il permet d’offrir des emplois pérennes aux artistes et aux techniciens du spectacle vivant et enregistré. Ce budget consacre plus 13 millions à l’emploi artistique et aux artistes auteurs.
Les moyens humains du ministère seront également renforcés, avec une augmentation de 38 millions d’euros de la masse salariale, pour atteindre 532 millions d’euros. La trajectoire de l’emploi est stable.
Vous le savez, je suis très attachée à ce que la politique culturelle dépasse les murs de Paris et soit ancrée le plus fermement possible dans les territoires d’outre-mer et dans ceux de l’Hexagone. C’est le cas de notre politique patrimoniale et de soutien tant aux artistes qu’à l’éducation artistique. Ainsi, le déploiement du programme Mondes nouveaux concerne largement les outre-mer.
Nous créons de nouveaux dispositifs. Lors de mon audition par la commission des affaires culturelles, j’ai annoncé que le fonds d’innovation territoriale serait déployé en 2023, avec une dotation de 5 millions d’euros. Pour favoriser le partage d’une ferveur à la fois culturelle et sportive dans le pays, l’Olympiade culturelle vise à relier les deux domaines jusqu’aux Jeux. Elle sera dotée de 3 millions d’euros en 2023 et d’autant en 2024.
Enfin, ce budget permet de répondre de manière plus immédiate et plus urgente aux besoins issus de la situation énergétique, ainsi que de préparer l’avenir. Outre le financement des travaux que j’ai cités, il prévoit une enveloppe d’environ 56 millions d’euros de crédits de fonctionnement pour soutenir à court terme les établissements publics qui relèvent de la mission Culture face à l’inflation. Nous serons au rendez-vous pour les cas les plus critiques, pour les bâtiments qui sont les pires passoires thermiques, pour lesquels les travaux seront plus longs que pour d’autres. Pour la plupart, nous engageons des changements qui leur permettront de réduire dès maintenant leurs dépenses énergétiques.
Telles sont les quelques priorités de la mission Culture . Au-delà des chiffres, la culture est avant tout une aventure humaine et collective, que promeuvent partout en France des artistes, des professionnels, des élus, des agents du ministère de la culture et des collectivités, des étudiants et des associations,…
M. Jean-Paul Lecoq.
Et l’école !
Mme Rima Abdul-Malak, ministre.
…tous engagés. Le ministère de la culture a pour rôle de catalyser ces énergies, d’impulser un nouvel élan, de fédérer des ambitions et de faire vibrer la culture au cœur de nos vies. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.)
Mme la présidente.
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que la durée de chaque question et de chaque réponse est fixée à deux minutes.
La parole est à Mme Constance Le Grip.
Mme Constance Le Grip.
Devrons-nous choisir entre le sport et la culture ? Le 25 octobre dernier, Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer, a évoqué au Sénat le report ou l’annulation de grands événements culturels et sportifs, qui mobilisent de nombreuses forces de police et de gendarmerie, durant l’été des Jeux olympiques et paralympiques, en 2024.
Nous ne nions pas que l’organisation de ces jeux représente un défi de haute volée en matière de sécurité. Cet événement mondial fera rayonner notre pays et il est indispensable d’assurer la sécurité de nos compatriotes comme des étrangers qui viendront profiter de ce moment exceptionnel.
Toutefois, les organisateurs et les producteurs de nombreux festivals ont jugé très inquiétante l’annonce qu’il était nécessaire d’envisager d’en annuler ou d’en reporter certains. L’été est la période la plus propice à l’organisation d’événements de cette nature. Les festivals, grands, moyens et petits – sans connotation péjorative – réalisent 50 % de leur chiffre d’affaires pendant cette période, et ces festivals concernent chaque fois toute une économie locale. Alors qu’ils font partie de l’ADN culturel du pays, ils se sentent menacés. Dans Paris et sa région, par exemple, les stades seront fermés, ainsi que de grandes salles, comme Paris-la-Défense-Arena.
Pouvez-vous nous dire, madame la ministre, quel travail et quelles concertations vous comptez mener pour rassurer ces professionnels ? (M. Jérémie Patrier-Leitus applaudit.)
Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Rima Abdul-Malak, ministre.
Je comprends votre préoccupation. Les Jeux olympiques et paralympiques sont un événement exceptionnel, qui mobilisera des forces de police en conséquence. En outre, il créera aux festivals des difficultés de recrutement de personnels techniques et d’approvisionnement en matériel.
Avec l’ensemble des festivals concernés, nous procédons à une évaluation de l’incidence pour chacun. Ce sera plus complexe en Île-de-France, mais c’est vrai ailleurs également, puisqu’il s’agit d’un écosystème dont tous les éléments sont liés. Nous avons entamé les discussions il y a quelques semaines, et je réunirai les acteurs la semaine prochaine pour entrer davantage dans le détail.
Je travaille en lien constant avec mes collègues Gérald Darmanin et Amélie Oudéa-Castéra. Nous cherchons l’équilibre capable de préserver à la fois la vitalité culturelle de l’été et la force que les Jeux olympiques et paralympiques apporteront aussi à la culture. En effet les cérémonies d’ouverture et les événements organisés autour des Jeux sont culturels également, comme certaines des disciplines représentées, notamment le breakdance , qui y fait son entrée. Cet événement doit être un moment où sport et culture s’allient. J’espère que nous parviendrons très prochainement à trouver les solutions pour y parvenir. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.)
Mme la présidente.
La parole est à Mme Sophie Blanc.
Mme Sophie Blanc.
Je ne me livrerai pas à l’exercice de complaisance qui consiste à vous interroger sur le budget de la culture : il est déjà dans les cartons à Bercy et notre discussion n’y changera rien. Ma question sera donc plus générale.
Si la nation est une volonté de partager un destin commun, fondé sur des valeurs communes, elle est également incarnée par des paysages et des monuments qui modèlent le pays. Or ces monuments, ces châteaux, ces chapelles, ces ponts romains sont souvent menacés de ruine, alors qu’ils représentent autant d’occasions de développer le tourisme et de créer des emplois qualifiés et non délocalisables – sans parler des valeurs culturelles et civilisationnelles fortes qu’ils participent à transmettre.
Malheureusement notre patrimoine est en péril ; sa conservation est financièrement acrobatique ; sa restauration est morcelée et parcellaire. C’est selon moi le signe d’un manque de vision, d’expertise, et de filières économiques spécialisées, et surtout d’une absence de programmation qui fragilise, parfois irrémédiablement, cette partie de notre histoire qu’est le patrimoine.
Pourtant, certains gouvernements ont réussi à donner du souffle au patrimoine, avec des hommes comme Mérimée et Malraux, en passant par Viollet-le-Duc. Nous devons retrouver cet élan. À quand un retour à l’esprit du législateur de 1913 ? À quand une refonte de la protection des biens mobiliers ? À quand la création d’un service national du patrimoine ? À quand enfin une grande loi sur le patrimoine ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Rima Abdul-Malak, ministre.
Ma réponse sera brève, puisque je viens de souligner que les crédits consacrés au patrimoine n’avaient jamais été aussi élevés, et que les crédits du plan France relance consacrés au patrimoine étaient historiques. Ainsi, aucun gouvernement n’avait investi 80 millions d’euros dans la sécurisation et la rénovation des cathédrales. En matière de patrimoine, il est inutile d’agiter le chiffon noir.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 3 novembre 2022