Texte intégral
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Bonjour François BRAUN.
FRANÇOIS BRAUN
Bonjour.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Je viens vous rejoindre parce que c’est vrai que ça fait 4 mois maintenant que vous êtes ministre de la Santé, vous étiez médecin urgentiste auparavant. Et on peut dire que depuis 4 mois, eh bien, des urgences, vous en avez beaucoup à gérer. On a l’impression que vraiment, vous ne faites que ça, éteindre des incendies. On va y revenir. Mais d’abord, au-delà des moyens, beaucoup de soignants ne comprennent plus le sens de leur métier. Beaucoup abandonnent, partent dans le privé, changent même complètement de vie. Le Comité national d’éthique vous remet aujourd’hui un rapport sur l’avenir des médecins. D’abord, est-ce que le système de santé actuel selon vous, il est sauvable ou est-ce qu’il faut tout remettre à plat ?
FRANÇOIS BRAUN
Il est sauvable, bien sûr, il est sauvable. Il est sauvable, mais il faut effectivement reprendre l’ensemble de notre système de santé, qui a été construit dans les années 70, avec des moyens que nous n’avons plus actuellement, des moyens particuliers en personnels, donc il faut restructurer, voir différemment la santé, parler de prévention, bref, sauvable, mais au prix d’un traitement quand même sévère.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Ça craque de partout, titrait hier le JDD, on a l’impression que depuis des années, tous les ministres, pas que vous, tous vos prédécesseurs, ont joué vraiment les pompiers pour éteindre les incendies en fait, on n’a pas vraiment le temps de faire une réforme, on est là toujours à colmater les brèches.
FRANÇOIS BRAUN
C'est toute la difficulté de la situation actuelle, le diagnostic, je pense que tout le monde le connaît, on sait les difficultés du système de santé, on sait les difficultés de l'hôpital. On passe d'une crise à l'autre, c’est un petit peu le paracétamol qu'il faut donner pour la fièvre, mais il faut s'attaquer au traitement de fond, à la maladie elle-même de notre système de santé, en tout cas, c'est mon objectif, et c’est bien pour cela que je suis à ce poste.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Alors avant de venir au traitement de fond, quand même, des urgences, je disais, il y en a eu beaucoup, la dernière en date, c'est la pédiatrie effectivement qui se plaint beaucoup, vous avez annoncé une enveloppe de 400 millions d'euros supplémentaires, c'est pour pallier à l'urgence de l'épidémie notamment de la bronchiolite qui fait des ravages ; est-ce que c'est du rafistolage, ils vont servir à quoi très concrètement ces 400 millions d'euros ?
FRANÇOIS BRAUN
Très concrètement, c'est, ce que je vous disais, c'est un petit peu le paracétamol pour faire baisser la fièvre, alors, ce n'est pas suffisant, mais on en a quand même besoin pour passer ce cap qui est difficile, et soutenir les soignants, je connais leurs difficultés, je sais dans quelle situation ils doivent travailler actuellement avec du manque de personnels, avec des lits fermés justement par manque de personnels.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Et ça va permettre d'avoir du personnel supplémentaire, ces 400 millions d'euros ?
FRANÇOIS BRAUN
Alors, ça va permettre d'avoir du personnel supplémentaire si tant qu'on arrive à en trouver, ça permet de reconnaître une pénibilité, en particulier, celle du travail de nuit, qui est insuffisant…
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Donc revaloriser les heures de nuit…
FRANÇOIS BRAUN
Revaloriser les heures de nuit. Ça va permettre à certains endroits d'amener du matériel là où il y en a besoin, bref, on va passer cette situation qui est compliquée, mais j'ai discuté encore la semaine dernière avec les représentants de la pédiatrie, ils sont bien conscients eux aussi des difficultés structurelles de l'hôpital et du système de santé. Donc nous passons là un cap, je vais faire baisser la fièvre, mais je m'attaque au traitement de fond de l'hôpital.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Selon un sondage IFOP, paru hier, 73 % des Français interrogés jugent l'hôpital déficient, et lors de votre déplacement en fin de semaine à Marseille, vous avez justement dit que vous voulez faire sauter les verrous, ça veut dire concrètement qu’en fait, ce n'est pas qu'un problème d'argent, le problème de la santé aujourd'hui, c'est un problème... tout le système administratif qu'il faut revoir, parce que de l'argent, il y en a quand même malgré tout ?
FRANÇOIS BRAUN
De l’argent, il y en a, il y en a beaucoup, il y en a qui a été remis, là, pour le budget de la Sécurité sociale, depuis 2017, c'est 53 milliards de plus par an…
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Par rapport au budget de 2017…
FRANÇOIS BRAUN
Oui, le budget 2023…
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Du budget 2023, il y a 53 milliards en plus…
FRANÇOIS BRAUN
Il y a 53 milliards de plus, donc l'argent, il y en a, le Ségur de la santé dont on a parlé assez rapidement, c'est quand même, là aussi, énormément d'argent, 12 milliards qui ont été mis pour augmenter les salaires, donc l'argent, il y en a, mais il faut restructurer différemment ; vous parliez tout à l'heure de sens pour les soignants ; c'est ça qui est essentiel, savoir pourquoi on est là, savoir pourquoi on est soignant aujourd'hui, un petit peu ce qui s'est passé pendant la crise Covid, où les soignants savaient pourquoi ils venaient à l'hôpital, on était dans une période différente, tout le monde avait le même objectif : retrouver cette unité, ce sens du soignant et du service public hospitalier.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Mais un chiffre peut-être qui résume le problème d'aujourd'hui en France, un médecin à l'hôpital, il a 3 fois plus de tâches administratives qu'un de ses collègues en Allemagne. 3 fois plus, comment c'est possible ?
FRANÇOIS BRAUN
Eh oui, nous sommes depuis des dizaines d'années, ce n'est pas nouveau, à entasser des règles, entasser des textes réglementaires, c'est en ce sens que je veux simplifier notre système.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Comment on pourrait faire pour justement enlever des tâches administratives aux médecins ?
FRANÇOIS BRAUN
Très pratiquement, l'administration est indispensable dans le fonctionnement d'un hôpital, on peut tous le comprendre facilement, mais elle n’est peut-être pas au bon endroit, vous savez, les services d'urgences, c’est souvent en rez-de-chaussée, et l'administration, c'est souvent au 5ème ou au 6ème étage. Et c’est comme ça…
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Donc faire descendre l’administration…
FRANÇOIS BRAUN
Je veux que les administratifs – toutes ces personnes qui travaillent, qui travaillent dur – je les ai vus aussi à l'hôpital, et ils ne sortent pas à 4h de l'après-midi, quand on sort à 20h, 21h, on a encore des agents administratifs qui travaillent, eh bien, je veux qu'ils soient au plus près des services, qu'on retrouve ce travail, cette unité de soins qu’est le service, que les administratifs soient là pour prendre le travail administratif des soignants, et que les soignants se concentrent sur le soin.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Donc que le médecin ne passe pas des heures à rédiger un rapport d'intervention par exemple, qu’il puisse, je ne sais pas, le dicter à une secrétaire en temps réel ?
FRANÇOIS BRAUN
Tout à fait, et même pour nos collègues libéraux, c'est-à-dire le médecin généraliste, les assistants médicaux qui ont été mis en place avec le plan Ma Santé 2022, ces assistants médicaux permettent d'augmenter de 10 % la patientèle d'un médecin généraliste.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
De prendre 10 % de patients en plus s’il a quelqu’un qui l’aide au quotidien ?
FRANÇOIS BRAUN
Exactement. A l'hôpital, c'est probablement beaucoup plus. Redonnons du temps soignant aux soignants.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Mais ça veut dire qu'un médecin généraliste, on en manque, il y a près d'un Français sur dix par exemple qui n’a pas de médecin traitant, il pourrait avoir concrètement une assistante médicale payée par l'Etat en partie, comment ça se passe ?
FRANÇOIS BRAUN
Tout à fait, dans Ma Santé 2022, celle-ci était limitée, ces assistants à des exercices en groupe, des exercices dans des Maisons de santé, j'ai dit que je voulais passer des 3.000 actuels à 10.000, ouvrir dans ces zones où on manque de médecins, pour que tout médecin puisse disposer, s'il le souhaite, d'un assistant médical.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
A quel horizon, ça va se faire dans quelques mois, quelques années ?
FRANÇOIS BRAUN
On va le faire très, très vite, vous savez que, actuellement, se déploie le Conseil national de la refondation en santé, dans l'ensemble des territoires, et d'ailleurs, j'ai pu assister à Marseille à une de ses réunions, en fonction de chaque territoire, je vais faire un traitement spécifique de chaque territoire, on va faire du sur-mesure, si je pouvais m'exprimer ainsi, et pas du prêt-à-porter, parce qu'il n'y a pas de solution miracle, il n'y aura pas de solution qui descendra comme ça du ministère et qui va tout régler.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Les internes en médecine poursuivent leur grève contre la création d'une 4ème année de médecine générale dans leur cursus, ça va aider, notamment, cette 4ème année, c'est pour qu'ils allaient dans des zones en tension, des déserts médicaux, comme on dit, c'est définitif, vous ne reviendrez pas sur cette mesure qui a été votée en première lecture ?
FRANÇOIS BRAUN
Je ne reviendrai pas sur cette mesure qui a été validée par la Commission des affaires sociales de l'Assemblée, qui a été validée, là, maintenant, par la Commission du Sénat, et les discussions vont commencer aujourd'hui avec les sénateurs. Je ne reviendrai pas dessus parce que c'est une mesure qui est nécessaire pour améliorer la formation, et les internes en médecine générale sont les seuls à n'avoir que 3 années de spécialité, parmi toutes les autres spécialités, et eux-mêmes reconnaissent que leur formation, en particulier, on parlait de la bronchiolite, leur formation en pédiatrie est insuffisante, donc je veux améliorer leur formation, et je le redis, je l'ai dit et je le redis encore pour les internes, il n'est pas question de les obliger à aller dans des zones sous-denses faire ces stages, simplement de les inciter fortement à y aller. Nous avons entamé des discussions pour savoir quelle forme prendrait cette incitation, ce n'est en aucun cas une obligation.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Ils demandent surtout s'ils seront encadrés, s’ils ne seront pas laissés tout seuls comme ça, sans aucune surveillance, sans aucun encadrement pendant cette année de stage ?
FRANÇOIS BRAUN
Bien entendu, ils vont être encadrés, nous avons actuellement 13.000 maîtres de stages, nous en aurons 14.000, il y a 4.000 étudiants qui vont sortir à échéance 3 ans, puisque c'est dans 3 ans, ce qui nous laisse encore le temps d'avoir d'autres maîtres de stage, donc je veux dire, travaillons ensemble pour refaire un petit peu cette formation sur 4 ans, et non plus sur 3, l'améliorer, et avoir les maîtres de stage.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Je voudrais qu’on prenne quelques minutes pour parler du Covid, Monsieur le Ministre, 8ème vague, au fond, on ne sait plus combien, là, c’est exactement, elle semble se calmer, en fin de semaine dernière, ça remonte très légèrement, là, sur les derniers jours, est-ce que vous diriez quand même, comme vient de le faire l'Académie de médecine, que le retour du masque est devenu nécessaire ?
FRANÇOIS BRAUN
Aujourd'hui, le retour du masque est raisonnable dans les endroits où nous sommes les uns contre les autres.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Les transports, par exemple.
FRANÇOIS BRAUN
Les transports par exemple, j’étais dans le métro la semaine dernière, à République, c'était bondé, j'étais le seul à avoir le masque dans le wagon, quelque part, c'est un peu inquiétant…
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Dont acte…
FRANÇOIS BRAUN
Parce que le masque protège aussi de la grippe, protège aussi de la bronchiolite, que nous allons transmettre aux enfants. Donc il est raisonnable, maintenant…
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Inciter le masque, ça ne suffit pas ? Peut-être qu’il faut le rendre peut-être un peu obligatoire, un peu plus contraignant ?
FRANÇOIS BRAUN
Vous savez, je ne suis pas un inconditionnel de ces obligations, je pense que les Françaises et les Français ont compris parfaitement ce qu'était la pandémie, je pense qu'il faut passer des messages de responsabilité, vous savez, nos concitoyens sont parfaitement responsables, et dans ce message de responsabilité, je veux surtout, là, redire : faites-vous vacciner quand vous êtes une personne fragile, quand vous êtes une personne au contact des personnes fragiles, faites-vous vacciner, c'est le moment, faites-vous vacciner contre le Covid et contre la grippe en même temps, c’est tout à fait possible. Et vous allez protéger les personnes auxquelles vous tenez.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Il est quand même très probable que le nombre de Covid, de cas de Covid remonte avec l'hiver ou pas ?
FRANÇOIS BRAUN
Très certainement, en tout cas, c'est ce que disent les scientifiques, comme il est certain aussi que nous allons avoir une épidémie de grippe, donc faites-vous vacciner s'il vous plaît, faites-vous vacciner, vacciner, pour les personnes les plus fragiles.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Un mot quand même de ce débat sur la fin de vie qui va commencer, quand est-ce que le débat justement, le débat national, ça se met en place petit-à-petit, les commissions et tout, va réellement commencer, ce débat ?
FRANÇOIS BRAUN
Avant la fin de l'année, le président de la République l'a annoncé, ce débat est un débat important, c'est un débat de société avant tout, notre société, quel est son état d'esprit par rapport à cette fin de vie, et tout ce qui l'accompagne, ce qu'on appelle les soins palliatifs et qui est quelque chose qui, moi, me préoccupe particulièrement.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Vous avez déjà vu, avant qu'on commence le débat, il y a déjà certains médecins, il y a notamment les églises aussi qui se sont opposés fortement à toute intervention, tout droit à mourir effectivement actif en fin de vie, le pape également s'en est mêlé. Le risque, c’est quand même que dans un pays laïc, les religions notamment imposent un petit peu leurs points de vue sur ce débat, comme ça a déjà été le cas sur d'autres sujets de société ?
FRANÇOIS BRAUN
On voit les réactions des uns et des autres, et plus il y a de réactions, je ne vais pas dire extrêmes, mais d'un côté ou de l'autre, plus, je pense que le débat est nécessaire, c'est-à-dire que nous avons besoin d'un débat apaisé sur ces questions, et moi, je serai avec Agnès FIRMIN-Le-BODO, la ministre déléguée, particulièrement attentif au fait que, 1°) : on parle bien aussi des soins palliatifs, c'est-à-dire, le fait que les gens ne souffrent pas quand ils ne vont pas bien…
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Mais ce n’est pas possible pour toutes les maladies.
FRANÇOIS BRAUN
Ce qui n’est pas possible pour toutes les maladies, mais aussi surtout que l'on entende le message des soignants, qu'on demande leur avis aux soignants, vous savez, j’ai exercé plus de 30 ans à l'hôpital, j'ai connu ces situations, aux urgences, au dernier moment, c'est le soignant et la personne ou sa famille qui sont face-à-face, donc tenons compte de l'avis des soignants.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Merci beaucoup François BRAUN d’être venu dans « Les 4 V » ce matin…
FRANÇOIS BRAUN
Merci.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Bonne journée.
Source : Service d’information du Gouvernement, le 15 novembre 2022