Interview de M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à France Inter le 13 décembre 2022, concernant un plan pour le covoiturage et la COP 15 sur la biodiversité.

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Média : France Inter

Texte intégral

MATHILDE MUNOS
Bonjour Christophe BÉCHU.

CHRISTOPHE BÉCHU
Bonjour.

MATHILDE MUNOS
Vous êtes le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, après cette interview, vous allez vous rendre à Reims pour présenter officiellement un plan pour le covoiturage. Votre objectif est de tripler le nombre de trajets quotidiens réalisés en covoiturage dans les 5 ans qui viennent, comment allez-vous vous y prendre ?

CHRISTOPHE BÉCHU
Tous les jours, il y a environ 100 millions de trajets qu'on fait en voiture et sur ces 100 millions de trajets, il n'y en a que 900 000 qui sont faits avec du covoiturage. L'ambition pour nous c'est effectivement de tripler et je vais vous donner un chiffre qui est très simple, si on triplait le nombre de covoiturage, on économiserait 100 000 pleins par jour. C'est donc bon pour la planète et puis c'est bon pour le pouvoir de ce qui pratique. Trois grandes mesures, une pour le soutien des infrastructures, les parkings de covoiturage en entrée d'autoroutes ou en bord de routes, des lignes dédiées de covoiturage comme celle que nous allons voir à Reims, un deuxième paquet de mesures à 50 millions d'euros qui consiste à aider les collectivités locales qui incitent financièrement au covoiturage, qui donnent de l'argent quand des gens font du covoiturage, c'est globalement la carte de France des endroits où on a le plus de covoiturage, on s'appuie sur cette expérience. Et puis à compter du 1er janvier grâce au C2E 100 euros pour les Français qui s'inscriront sur des plateformes de covoiturage et qui réaliseront un certain nombre de trajets, bon pour la planète, bon pour le pouvoir d'achat, on est convaincu qu'on a besoin d'accélérer là-dessus.

MATHILDE MUNOS
Et pour ces trois mesures il y a à chaque fois 50 millions d'euros que vous allez mettre, donc ça fait une enveloppe globale de 150 millions d'euros. Je vais les reprendre les unes après les autres, par exemple cette prime de 100 euros pour les conducteurs qui vont se lancer dans le covoiturage, comment vous allez vérifier qu'ils ne vont pas le faire qu'une seule fois ?

CHRISTOPHE BÉCHU
En ne versant pas les 100 euros au jour de l'inscription. Une première aide qui sera versée au moment du premier trajet et puis une autre qui arrivera au bout du 10ème trajet, à partir d'un principe simple, c'est que dans le cadre de la loi d'orientation des mobilités, il y a une preuve de covoiturage qui a été conçue de manière numérique, c'est cette preuve de covoiturage qui permet de financer pour les collectivités qui le souhaitent les trajets de covoiturage et c'est le même dispositif qui nous permettra de pouvoir verser cette prime via les plateformes sur lesquelles les Français s'inscriront.

MATHILDE MUNOS
Et on est d'accord que c'est pour aller au travail, ce n'est pas pour aller en vacances ?

CHRISTOPHE BÉCHU
On est bien d'accord que c'est pour aller au travail, ou en tout cas pour les trajets du quotidien, parce que globalement pour les vacances c'est moins de trajets évidement par an et on a l'habitude de ne pas partir seul en vacances. Notre vrai sujet c'est l'autosolisme du quotidien, plus de 80 % des trajets domicile-travail sont faits tout seul, or dans beaucoup de cas on doit être capable avec des voisins, avec des collègues de s'assurer pour qu'une partie du trajet on puisse le faire à plusieurs. Et encore une fois c'est une bonne solution très concrète, très rapide pour décarbonner nos mobilités et pour faire en sorte de diminuer nos factures.

MATHILDE MUNOS
Donc vos aides seront liées aux applications qui développent le covoiturage, toutes les applications, certaines et comment je fais si par exemple moi je me suis mise d'accord avec ma voisine et que je lui paie le plein et que je ne passe pas par une appli ?

CHRISTOPHE BÉCHU
Alors c'est vrai qu'on a besoin de s'appuyer, de passer par ces applications pour s'assurer de la réalité du trajet de covoiturage, maintenant, toutes les sommes qu'on évoque, tout ce plan, il vaut que pour l'année 2023. L'enjeu c'est de lancer ces mesures, de regarder ce que sont les points d'amélioration avec les collectivités locales, avec les plateformes, avec les usagers qu'on va faire participer. On imagine un hackaton, on imagine des campagnes de communication, on imagine des rencontres avec les employeurs pour regarder comment booster le covoiturage dans l'entreprise peut-être même hors appli. On va regarder avec les stations-service, les sociétés d'autoroutes, tous les leviers qui peuvent permettre de changer les mentalités sur "je suis tout seul dans ma voiture et je m'en porte mieux". Non, la planète s'en porte mieux si on est capable de ne pas être tout seul dans sa voiture et notre porte-monnaie à la fin du mois aussi. C'est jusqu'à 2 000 euros d'économisés par an pour quelqu'un qui, au lieu de voyager seul, décide de covoiturer pour la plupart de ses trajets du quotidien.

MATHILDE MUNOS
Christophe BÉCHU, vous allez donc développer et présenter de manière officielle ce plan tout à l'heure à Reims, et puis jeudi vous serez au Québec, beaucoup plus loin. Là vous partez pour la fin de la COP 15 sur la biodiversité, vous allez y rester au moins 4 jours. C'est votre premier long déplacement depuis que vous êtes ministre. Le but de cette conférence internationale, c'est d'enrayer la perte de biodiversité. Vous pensez pouvoir réussir à arracher un accord parce que pour l'instant, les retours qu'on peut avoir sur place est que les négociations n'avancent pas vraiment.

CHRISTOPHE BÉCHU
C'est une COP qui est compliquée. Elle est sous présidence chinoise et elle se tient au Canada ; ça résume déjà bien la situation dans laquelle on est, mais c'est une COP indispensables. Il y a un million d'espèces sur notre planète animales ou végétales sur les 8 qu'on connaît qui sont menacées d'extinction. On a, nous, réussi, Humanité, à polluer 75 % de la planète, à faire disparaître 85 % des zones humides. Si on n'est pas capable d'inverser ce déclin, ça veut dire qu'on menace l'habitabilité tout court de la planète et tout est lié. Parce que le réchauffement climatique, il accélère la disparition d'une partie des espèces et si on ne restaure pas la nature, on se complique la tâche pour être capable de lutter contre ce réchauffement.

MATHILDE MUNOS
Et donc vu le constat que vous nous faites, tout le monde devrait être d'accord et tout le monde devrait aller dans le même sens, mais force est de constater que ce n'est pas le cas.

CHRISTOPHE BÉCHU
Ça n'est pas le cas parce que les États-Unis ne font pas partie de cette COP sur la biodiversité, ce qui déjà est forcément un problème lorsque vous avez quand vous avez des négociations internationales, mais avec le Costa Rica on est à la tête d'une coalition, nous Français, qui réunit désormais 112 pays. 112 pays sur les 190 qui composent cette COP et qui disent : on s'engage à préserver 30 % des terres, 30 % des mers d'ici 2030. Dans les bonnes nouvelles, il y a le fait que sur la biodiversité on n'est pas obligé d'attendre les voisins pour agir. Beaucoup de mesures de protection de la biodiversité, elles peuvent se faire dans un cadre national, à la différence du climat où on est très interdépendant les uns des autres, ce qui doit déjà ne pas être un frein pour refuser d'agir. Sur la biodiversité, l'excuse de dire : on n'est pas tous d'accord donc on attend ne tient pas.

MATHILDE MUNOS
Mais ces 30 % d'aires protégées, ce serait écrit noir sur blanc dans l'accord final ?

CHRISTOPHE BÉCHU
C'est l'ambition avec laquelle nous y allons. C'est très exactement le souhait, l'ambition principale de la coalition que nous animons avec le Royaume-Uni et le Costa-Rica.

MATHILDE MUNOS
Les aires protégées, il y a un problème de définition : protégées de quoi ? Quelles activités seront interdites ? Est-ce que par exemple pour les mers, la pêche industrielle sera interdite dans ces zones ?

MATHILDE MUNOS
Vous touchez exactement au cœur de ce qui va être discuté à partir de jeudi. On a 112 pays qui sont d'accord pour un niveau de protection élevé et on a des pays qui nous regardent et qui nous disent : c'est quoi exactement votre protection parce qu'avant d'y aller, on veut savoir jusqu'où il faut s'engager. Et une des questions qu'on aura à résoudre c'est est-ce qu'on veut à tout prix arracher un accord. Avec un 30 % qu'on dévitaliserait mais pour pouvoir dire : on s'est mis d'accord sur un 30-30 ; ou est-ce qu'au contraire on garde un niveau d'ambition sur ce qui est à l'intérieur, quitte à ne pas avoir d'accord mais peut-être à réunir 130, 150 pays sur 190 qui disent : on y va et on y va de manière renforcée.

MATHILDE MUNOS
Et il y a aussi la question du financement, c'est souvent le gros point de conflit. Est-ce que vous, la France, vous allez sortir le carnet de chèques et si oui de combien ?

CHRISTOPHE BÉCHU
À la minute où on se parle, il n'y a que 3 pays au monde qui ont dit qu'ils étaient prêts à sortir le carnet de chèques. C'est l'Allemagne, c'est la France et c'est la Commission européenne. Donc là, on mesure le chemin parcouru. Il n'y aura certainement pas un accord ambitieux sur le financement au Québec. Il faut bien se rappeler que cette COP 15, elle arrive après Aichi qui a été un échec parce qu'il n'y avait pas d'engagement précis, chiffré, il ‘y avait pas de cadre qui soit contraignant, donc il faut qu'on sorte de cette COP avec des objectifs qui soient précis, avec un cadre contraignant et avec des perspectives. Et franchement, il y a de la place pour un accord.

MATHILDE MUNOS
On va prendre un exemple concret justement à propos de la France. Pour protéger la biodiversité, on sait qu'il faut largement baisser l'utilisation des pesticides. Or le ministre de l'Agriculture, votre collègue Marc FESNEAU, est favorable à une nouvelle dérogation l'an prochain pour les betteraviers afin qu'ils puissent continuer à utiliser des néonicotinoïdes dont on sait qu'ils sont néfastes pour les abeilles. Est-ce que vous vous y opposez à cette nouvelle dérogation ?

CHRISTOPHE BÉCHU
Je pense que ce ne serait pas un bon signal. On a à la minute où on se parle la position que vous décrivez, c'est plus largement le sujet qui se joue à Bruxelles dans le cas à la fois de la directive Reach et des règles qui s'appliquent de manière large par rapport aux pesticides ou à un certain nombre de produits chimiques. Moi je suis partisan qu'on ne diffère pas le fait de faire évoluer notre cadre. C'est un mauvais signal qu'on envoie de systématiquement repousser la date à laquelle on applique des mesures dont on sait qu'elles sont bonnes pour la nature. Et de surcroît, à trop tarder, on finit aussi par avoir un problème de crédibilité sur les engagements qu'on prend.

MATHILDE MUNOS
Merci beaucoup Christophe BÉCHU, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.

CHRISTOPHE BÉCHU
Merci à vous.

MATHILDE MUNOS
Vous étiez l'invité du 5/7.


source : Service d'information du Gouvernement, le 14 décembre 2022