Texte intégral
Mme le président. L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 15 et 16 décembre 2022, organisé à la demande de la commission des affaires européennes.
Dans le débat, la parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée de l'Europe. Madame la présidente, monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le vice-président de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est avec plaisir que je vous retrouve ce soir afin de vous présenter, comme de coutume avant chaque Conseil européen, les principaux points qui y seront abordés. Fidèles à nos traditions, nous échangerons à leur propos.
La guerre en Ukraine continuera d'être le sujet le plus brûlant, mais nous évoquerons également la crise énergétique et la situation économique, ces deux derniers points étant – nous partageons tout ce constat – intrinsèquement liés. J'ai eu l'occasion de le souligner dans cet hémicycle lors de l'examen du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne, le 17 novembre dernier.
La commission des affaires européennes du Sénat a d'ailleurs pu entendre, le même jour, une communication de Patrice Joly intitulée "Le cadre financier pluriannuel de l'Union européenne au défi de la guerre en Ukraine".
Le Conseil européen sera par ailleurs marqué par des discussions portant, d'une part, sur la sécurité et la défense, d'autre part, sur notre politique étrangère. Des échanges sont en outre prévus sur les relations avec le voisinage sud, les États-Unis et les Balkans occidentaux. Enfin, il sera précédé d'un sommet entre l'Union européenne et l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean).
Comme vous le savez, la situation évolue tous les jours et les positions que je m'apprête à vous exposer sont encore susceptibles de changer à l'aune des événements que vous connaissez et des concertations conduites entre Européens.
La guerre en Ukraine continue, avec la poursuite, ces dernières semaines, d'une stratégie de frappes brutales de la Russie contre les infrastructures civiles et énergétiques ukrainiennes. Affaiblir l'Ukraine par le froid et la faim, c'est la stratégie de Vladimir Poutine. Il faut maintenir notre soutien à l'Ukraine dans toutes ses dimensions et à long terme, l'urgence étant aujourd'hui de permettre aux Ukrainiens de passer l'hiver.
C'est à cette fin que le Président de la République a décidé, avec le président ukrainien Zelensky, d'organiser une conférence bilatérale pour la résilience et la reconstruction de l'Ukraine, le 13 décembre prochain, à Paris, pour répondre aux besoins de court terme dans le domaine de la résilience des infrastructures civiles.
Afin de structurer notre aide financière à l'Ukraine à long terme, la Commission européenne a en outre proposé la mise en place d'un soutien financier à l'Ukraine sous forme de prêts de 18 milliards d'euros pour l'année 2023.
Il n'a pas été possible de trouver un accord aujourd'hui au conseil des ministres de l'économie et des finances, mais nous sommes confiants sur notre capacité à y parvenir avant la fin de l'année, afin que les premiers versements puissent avoir lieu dès le mois de janvier prochain. Il y va de la crédibilité de l'Union européenne et des engagements pris par nos chefs d'État et de gouvernement.
Notre situation énergétique reste préoccupante.
Je salue une nouvelle fois les travaux de la commission des affaires européennes, notamment l'organisation d'une table ronde de haute tenue, le 16 novembre dernier, sur le thème "Ambitions européennes et chocs économiques actuels".
Nous devons nous appuyer sur tous les règlements adoptés pour accélérer la réduction de notre dépendance à l'égard des énergies fossiles et de la Russie.
Nous saluons les efforts de la Commission européenne, qui a fait trois nouvelles propositions législatives susceptibles de répondre à une partie des enjeux liés à notre sécurité énergétique. Celles-ci permettraient d'agir partiellement sur les prix du gaz, de mettre en place une plateforme d'achats conjoints de gaz et de renforcer notre solidarité énergétique.
Nous nous félicitons aussi qu'un accord politique ait été trouvé lors du Conseil Énergie extraordinaire du 24 novembre dernier, sur les deux règlements présentés les 18 octobre et 9 novembre derniers, même si leur adoption formelle n'interviendra que la semaine prochaine.
L'ensemble de ces mesures ne répond toutefois pas à l'urgence de la situation, en dépit de la nouvelle proposition du 22 novembre dernier portant sur un mécanisme correctif sur le marché du gaz. Ce texte prévoit, certes, une forme de plafonnement sur une partie des prix du gaz, mais dans des conditions excessivement restrictives. Il doit encore gagner en crédibilité et en pertinence dans la situation actuelle, car il est essentiel que nous envoyions un signal fort aux marchés.
Nous devons aller plus loin pour faire baisser les prix du gaz et de l'électricité, le Président de la République l'a demandé au dernier Conseil européen. Nous continuerons donc d'appuyer des mesures permettant de faire baisser les prix à court terme, ainsi qu'à moyen terme, grâce à une réforme du marché de l'électricité.
Il est également impératif que nous apportions des réponses budgétaires coordonnées pour lutter contre l'inflation tout en préservant la croissance. Nous attendons des propositions de la Commission européenne pour avancer sur la mise en œuvre de mécanismes européens de solidarité financière, afin d'éviter toute fragmentation économique entre les États de l'Union européenne.
Le Conseil européen abordera ensuite les enjeux de sécurité et de défense. Le renforcement de l'industrie de défense européenne figure parmi ses priorités, dans la continuité des engagements pris lors du sommet de Versailles.
La Commission européenne a annoncé lundi dernier avoir débloqué un premier financement de 1,2 milliard d'euros du Fonds européen de la défense pour la prochaine génération d'avions de combat, des projets de chars et de navires et le développement de technologies militaires.
Ce sont ainsi 61 projets qui seront cofinancés, afin de "fournir des capacités de pointe à nos forces armées", par le Fonds européen de la défense, qui est doté de 7,9 milliards d'euros pour la période courant de 2021 à 2027.
Il nous faut aller plus loin. Il est nécessaire d'avancer rapidement sur le règlement créant un instrument d'urgence pour faciliter l'acquisition conjointe de matériel militaire, l'Edirpa pour European Defence Industry Reinforcement through common Procurement Act, en cours de négociation, puis sur la construction d'un instrument pérenne, l'Edidp pour European Defence Industrial Development Programme.
Ces instruments sont déterminants pour nous aider à structurer la demande et à donner davantage de visibilité à nos industriels. Ils doivent également être conçus d'une manière qui nous permette de réduire nos dépendances à des technologies et à des chaînes d'approvisionnement contrôlées par des États non européens.
La résilience et la cybersécurité des entités critiques européennes seront aussi à l'ordre du jour.
La palette d'instruments que nous sommes en train d'adopter constituera un pilier de notre stratégie numérique et l'une des clés d'une souveraineté affirmée. Une mise en œuvre rapide et effective sera importante pour notre résistance face aux actes malveillants à l'encontre de nos infrastructures critiques. Ces objectifs ne doivent pas occulter le besoin de renforcer la coopération avec nos partenaires internationaux, en particulier les plus exposés d'entre eux.
Cette coopération doit, plus que jamais, constituer un levier important de notre stratégie en matière de cybersécurité et de résilience.
Enfin, ce Conseil européen sera l'occasion d'assurer la soutenabilité de la facilité européenne pour la paix (FEP). Celle-ci a été mobilisée de manière massive et inattendue pour soutenir l'Ukraine. L'Union européenne a ainsi su utiliser à des fins nouvelles un instrument conçu pour la gestion de crise et l'accompagnement des missions de formation. Nous ne pouvons que nous féliciter de sa capacité d'adaptation.
Aujourd'hui, c'est grâce à la FEP que l'Union européenne est devenue un acteur majeur dans le domaine militaire dans le conflit ukrainien, avec 3 milliards d'euros mobilisés à ce titre. Cela fait toutefois peser un risque sur la soutenabilité de l'instrument, notamment sur sa capacité à continuer de porter son ambition initiale. C'est pourquoi le Conseil européen sera l'occasion d'acter son réabondement, d'une manière qui suive au plus juste les besoins réels.
Le Conseil européen se penchera aussi sur nos relations avec le voisinage sud, en préparation d'un sommet prévu pendant la présidence espagnole du Conseil de l'Union européenne, au deuxième semestre 2023. Ces discussions sont importantes. Dans le contexte de l'agression russe en Ukraine, il est essentiel, d'une part, de lutter contre le narratif russe dans la zone, d'autre part, de poursuivre notre soutien à la prospérité et à la stabilité de cette région, dont les soubresauts nous affectent directement.
À Barcelone, le 24 novembre dernier, les ministres de l'Union européenne et des pays du voisinage sud – le Maroc, la Tunisie, l'Algérie, la Libye, l'Égypte, la Jordanie, le Liban, Israël et la Palestine – ont échangé sur les pistes de coopération pour répondre au double défi posé par l'agression russe en Ukraine : celui de la sécurité alimentaire, mise en péril dans plusieurs pays du voisinage sud, en particulier en Tunisie, au Liban et en Égypte, et qui requiert le maintien de notre action à leurs côtés ; celui de l'énergie, à l'heure où cette guerre vient renforcer l'intérêt de diversifier nos approvisionnements et d'inscrire nos partenariats avec les pays du Sud dans la durée.
L'inscription d'un point concernant le voisinage sud à l'agenda du Conseil européen contribuera à ces objectifs en maintenant la dynamique de l'Union européenne en faveur d'une politique méditerranéenne ambitieuse et positive.
J'en viens aux relations extérieures. Le Conseil européen sera précédé par un sommet entre l'Union européenne et l'Asean, le premier au niveau des chefs d'État et de gouvernement des deux blocs. Il s'agit d'un moment essentiel pour poursuivre l'engagement européen renforcé dans l'Indo-Pacifique et mettre en œuvre le partenariat stratégique entre l'Union européenne et l'Asean signé en 2020, notamment par des projets financés dans le cadre de l'initiative européenne Global Gateway.
Le Conseil européen devrait enfin revenir sur deux sujets d'actualité. Le premier sujet concerne nos relations avec les États-Unis dans un contexte marqué par l'adoption de l'Inflation Reduction Act ; le second, les relations de l'Union européenne avec les Balkans occidentaux, avec la demande du statut de candidat de la Bosnie-Herzégovine.
S'agissant des États-Unis, d'abord, le Conseil européen intervient après une séquence chargée.
Le Président de la République s'est rendu dans ce pays du 29 novembre au 3 décembre, pour sa deuxième visite d'État à Washington, la première sous l'administration Biden, signe de la densité de notre relation bilatérale. Il a porté un message clair, en lien étroit avec nos partenaires européens, sur les enjeux énergétiques et commerciaux.
La troisième réunion du Conseil du commerce et des technologies (CCT) Union européenne–États-Unis, qui s'est déroulée hier et avant-hier, a aussi permis à l'Union européenne d'approfondir ces messages. Cette enceinte est importante pour aborder, en partenaires, les défis communs auxquels nous faisons face.
Concernant le projet d'Inflation Reduction Act, l'intention en matière climatique des États-Unis est louable et nous devons nous en féliciter, mais les modalités prévues par ce dispositif créeront des distorsions de concurrence pour nos entreprises et pour notre activité.
Les mesures prises dans ce cadre sont absolument contraires à l'esprit de coopération transatlantique et nous devons identifier des solutions qui préservent pleinement les intérêts européens. C'est ce qu'a dit très clairement le Président de la République et ce sont les messages qui ont été passés lors du CCT.
La task force mise en place au sein de la Commission européenne doit nous permettre de trouver rapidement une solution négociée conforme aux intérêts européens. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pouvez compter sur nous pour être très attentifs à ses résultats.
Cependant, il nous semble que l'Union européenne doit se préparer dès à présent à l'éventualité que ses demandes ne soient pas prises en considération, ou le soient seulement a minima, et être en mesure d'agir et d'envoyer des signaux efficaces aux entreprises avant la fin de l'année.
Il faut, notamment, avancer très vite sur la proposition faite par Ursula von der Leyen dans son discours sur l'état de l'Union de création d'un fonds de souveraineté européen. Nous devons également étudier comment les instruments anti-subventions mis en place pendant la présidence française du Conseil de l'Union européenne peuvent trouver à s'appliquer.
Le Conseil européen traitera, enfin, de la question des Balkans occidentaux. La France soutient résolument le processus d'adhésion de ces États à l'Union européenne. Nous n'avons pas compté nos efforts en ce sens pendant notre présidence du Conseil, comme en témoigne notre engagement en faveur de la résolution du différend bulgaro-macédonien, qui a permis la tenue des premières conférences intergouvernementales (CIG) d'adhésion avec l'Albanie et la Macédoine du Nord au mois de juillet dernier.
J'ai d'ailleurs eu l'occasion de me rendre récemment dans ces deux pays pour confirmer à leurs gouvernements notre implication dans la durée.
L'organisation du sommet Union européenne-Balkans occidentaux de Tirana, aujourd'hui même, offre une excellente opportunité de poursuivre cet élan, en particulier, de marquer notre solidarité et notre soutien dans le contexte actuel.
L'Union européenne est d'ores et déjà pleinement engagée aux côtés des Balkans occidentaux et ce sommet a été l'occasion de montrer concrètement nos actions dans la région, lesquelles doivent être poursuivies et amplifiées, afin que les pays de cette zone retirent des bénéfices concrets des efforts qu'ils auront consentis.
Cela concerne, par exemple, le paquet de soutien énergétique de 1 milliard d'euros, la continuation de la mise en œuvre du plan économique et d'investissement, les initiatives dans le domaine cyber, qui ont déjà vu le jour, ainsi que le projet de réduction progressive des frais d'itinérance téléphonique entre l'Union européenne et les Balkans occidentaux, discuté aujourd'hui même.
En Bosnie-Herzégovine, nous formons le vœu que des gouvernements soient formés rapidement à tous les niveaux, à la suite des dernières élections du 2 octobre dernier. Il s'agit d'une étape indispensable pour la fonctionnalité des institutions et la poursuite des réformes.
Sur la question de l'octroi du statut de pays candidat, le Conseil européen prendra une décision la semaine prochaine, en considérant tous les paramètres en jeu : le contexte géopolitique comme les progrès du pays dans la mise en œuvre des réformes.
La poursuite du chemin européen de la Bosnie-Herzégovine dépend avant tout de la volonté politique des dirigeants bosniens, qui doivent commencer dès à présent à mettre en œuvre les réformes identifiées par la Commission européenne.
Vous le voyez, et j'espère vous en avoir convaincus, madame la présidente, messieurs les présidents de commission, mesdames, messieurs les sénateurs, le programme de ce Conseil européen est chargé. Il témoigne de l'énergie déployée par l'Union européenne pour faire face ensemble aux conséquences de l'agression russe contre l'Ukraine, sans laisser de côté les sujets de long terme qui font notre unité. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.)
(…)
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie vivement de vos interventions et de vos questions, auxquelles je vais tâcher de répondre.
Je commencerai par les points à l'ordre du jour du Conseil européen, avant de revenir sur les autres sujets d'actualité sur lesquels vous avez eu la gentillesse de m'interroger.
Premièrement, la plupart d'entre vous ont évoqué dans leurs interrogations la guerre menée par Vladimir Poutine en Ukraine. Je voudrais le redire devant vous : la France continuera à soutenir l'Ukraine. Comme le disait le sénateur Marie, ce soutien sera humanitaire, militaire et financier.
Il ne faut pas oublier d'ailleurs le soutien humanitaire lorsque l'on établit des comparaisons, parfois de manière trop hâtive : l'Europe est le seul continent qui accueille 2 millions de réfugiés en provenance de ce pays.
Nous continuerons de soutenir l'Ukraine dans la durée, puisque, comme la sénatrice Guillotin et le sénateur Allizard l'ont souligné, la guerre risque d'être longue.
J'ajouterai pour vous répondre, monsieur le sénateur Allizard, que, lorsque nous parlons de soutien et de défense, nous les envisageons évidemment dans le cadre d'une préférence européenne, au travers, par exemple, de la proposition de règlement relatif à la mise en place de l'instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes, dite Edirpa. Nous prêtons une attention toute particulière à cette préférence.
Monsieur le sénateur Cadec, vous avez mentionné certains propos du chef de l'État sur l'Ukraine. Je le répète dans cet hémicycle : la paix se fera dans les conditions déterminées par l'Ukraine et quand celle-ci le souhaitera. Le Président de la République, à l'image de l'ensemble de nos partenaires, a déjà eu l'occasion de le préciser.
Comme vous le savez, l'Union européenne a pris la décision de soutenir l'Ukraine dans cette guerre et de collaborer en ce sens avec tous ses alliés. Ainsi, avec nos partenaires du G7 et l'Australie, nous avons décidé de plafonner les prix du pétrole russe.
Vous rappeliez, monsieur le sénateur Kern, que ce plafond a été fixé à 60 dollars. Cette mesure contribuera à réduire la capacité de la Russie à mener sa guerre, en diminuant fortement ses revenus issus du pétrole. Je ferai remarquer qu'elle a déjà contribué à faire baisser les prix, monsieur de Montgolfier, puisque les prix du brut ont atteint un plancher aujourd'hui.
Pour la suite, l'Union européenne continue de travailler à de nouvelles mesures, après déjà huit paquets de sanctions qui pèsent sur le régime russe. Plusieurs options supplémentaires sont à l'étude, notamment la restriction d'exportations dans les domaines de la technologie, des banques et des services, ainsi que de nouvelles désignations de responsables politiques, militaires et économiques russes soutenant la guerre.
Monsieur le sénateur Allizard, monsieur le sénateur Arnaud, vous l'avez tous deux souligné, c'est l'affaiblissement de la Russie à moyen terme que nous visons, et nous l'obtiendrons.
Monsieur Rapin, vous m'avez interrogée sur la mise en place d'un tribunal spécial pour les crimes relatifs à l'agression de la Russie. La lutte contre l'impunité pour les crimes commis en Ukraine est pour la France une priorité. Nous nous sommes mobilisés, en soutien tant de la justice ukrainienne que de la Cour pénale internationale.
S'agissant de la proposition de créer un tribunal spécial, nous avons commencé à y travailler avec nos partenaires européens et ukrainiens ; vous savez que nous avons reçu l'envoyé spécial ukrainien à ce sujet. Évidemment, il reviendra d'obtenir le plus large consensus possible au sein de la communauté internationale.
Deuxièmement, l'énergie, du fait de vos nombreuses interventions à ce sujet, est un enjeu qui me permettra de m'adresser à tout le monde.
Vous le savez, elle est vraiment au cœur de nos priorités européennes communes. J'ai rappelé les différents textes sur lesquels les ministres de l'énergie ont travaillé d'arrache-pied ces dernières semaines. Il est, d'évidence, important de préserver un cadre de concurrence équitable, comme l'a rappelé le sénateur Médevielle, sans sacrifier à la solidarité, comme l'a souligné le sénateur Fernique.
Monsieur le sénateur Rapin, madame la sénatrice Guillotin, vous avez mentionné le mécanisme de plafonnement du gaz. Il n'est pas assez ambitieux, nous en sommes d'accord. Certes, une réforme de l'indice du gaz est menée pour mieux refléter les prix à la fois du gaz par gazoduc et du gaz naturel liquéfié (GNL), mais il est clair qu'il faut aller plus loin.
Par conséquent, nous allons continuer d'insister pour faire baisser les prix du gaz, de même que nous allons continuer à utiliser la palette d'outils qui existe déjà ; elle contribuera à cette baisse.
Je pense à la plateforme d'achats conjoints qui nous donne un pouvoir de marché important. Je pense également aux discussions avec des partenaires stables, comme la Norvège et les États-Unis. Je pense enfin à l'accélération du déploiement des énergies renouvelables, qui va accroître notre indépendance ; il me semble que le sénateur Marie l'a spécifiquement mentionné.
Messieurs les sénateurs Rapin, Laurent et Pellevat, vous m'avez interrogée sur l'état des négociations relatives à la réforme du marché de l'électricité. Nous sommes d'accord : cette réforme est absolument essentielle, puisqu'elle va nous permettre de découpler durablement le prix de l'électricité de celui des énergies fossiles.
Il se trouve que la Commission nous a donné un calendrier assez précis pour cette réforme. Une consultation va être lancée sur la base d'un premier projet, d'ici à quelques jours ; sur cette base, la Commission formulera une proposition législative au mois de mars prochain.
Cela prend un peu de temps, du fait non seulement des consultations, mais aussi, monsieur le sénateur Pellevat, des études d'impact. Il me semble que nous nous dirigeons, pour cette réforme, vers quelque chose qui ressemblera aux contrats sur différence.
En tout état de cause, cette réforme sera adoptée avant les élections européennes, au printemps de 2024. Elle s'appliquera donc pour l'hiver 2024-2025. Il va nous falloir travailler à une solution pour l'hiver 2023-2024, afin que les prix de l'électricité soient maîtrisés. L'une des pistes est la prolongation des mesures de captation de la rente des énergéticiens, que nous avons adoptées cet hiver.
À ce propos, il est vrai que l'inflation provoquée par la hausse des coûts de l'énergie nous inquiète et aura sûrement des répercussions ; elle en a déjà sur les projets financés par le plan national de relance et de résilience (PNRR).
À ce stade, nous avons seulement envisagé des modifications marginales du cadre financier pluriannuel pour pouvoir préserver nos priorités, mais nous suivrons attentivement la situation.
À moyen terme, monsieur le sénateur Allizard, la transition énergétique assurera effectivement la sécurité de notre approvisionnement, qui sera atteinte grâce à notre autonomie – elle doit être la plus grande possible – et à la diversification des sources d'énergie. Plusieurs d'entre vous l'ont souligné, nous ne reviendrons pas au business as usual.
Troisièmement, j'ai été interrogée sur les relations avec la Moldavie par Mme la sénatrice Véronique Guillotin, qui, comme elle l'a précisé, est présidente du groupe d'amitié avec ce pays.
La Moldavie s'est vu octroyer le statut de pays candidat à l'adhésion à l'Union européenne lors du Conseil européen des 23 et 24 juin.
Elle a désormais à mettre en œuvre les neuf mesures énoncées par la Commission européenne dans son avis du 17 juin sur la demande d'adhésion moldave ; ces mesures portent sur la réforme de la justice, sur la lutte contre la corruption, la criminalité organisée et l'influence des oligarques, sur la réforme de l'administration publique, sur la réforme de la gestion des finances publiques et sur la protection des droits de l'homme.
J'ai bien conscience que ces exigences sont nombreuses et importantes, mais elles sont essentielles pour préserver l'État de droit à nos frontières et dans l'Union. Nous soutenons les efforts de la Moldavie pour mettre en œuvre ces réformes.
Quatrièmement, j'ai été interrogée par Mme la sénatrice Jourda sur l'articulation entre la Communauté politique européenne et les autres organisations, notamment le Partenariat oriental ou le Conseil de l'Europe ; j'ajoute l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), que vous n'avez pas mentionnée, si mes souvenirs sont bons.
La CPE n'est pas une organisation multilatérale concurrente de ces organisations. Une majorité de nos partenaires, d'ailleurs, préfère très clairement un format souple, plus proche de celui du G7 ou du G20 qui, comme vous le savez, ne disposent pas de secrétariat permanent.
Nous sommes attentifs à la bonne articulation des travaux et du calendrier de la CPE avec ceux du Conseil de l'Europe, de l'OSCE et du Partenariat oriental.
À mon sens, il faut distinguer les objectifs : l'OSCE s'occupe de la sécurité, le Conseil de l'Europe de l'État de droit ; la CPE, quant à elle, est un espace politique, notamment pour discuter de sujets relatifs à l'Arménie, à l'Azerbaïdjan ou aux enjeux maritimes. Cet espace politique a été très utile le 6 octobre dernier, cela a été rappelé, pour l'Arménie et l'Azerbaïdjan.
La CPE permet également de développer des projets concrets, comme l'éventuelle itinérance graduelle pour les pays membres – je la mentionnais précédemment – ou le déploiement d'infrastructures.
J'ajoute que de nombreux pays – Ukraine, Moldavie, Balkans occidentaux – me semblent avoir un grand appétit pour cette Communauté politique européenne. En s'élargissant, elle leur permet en effet de bénéficier de notre voisinage.
Monsieur le sénateur Rapin, monsieur le sénateur Allizard, messieurs les sénateurs Arnaud et Fernique, madame la sénatrice Guillotin, madame la présidente Gruny – je crois n'oublier personne ! –,…
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Le sujet fait l'unanimité sur nos travées !
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. … vous avez mentionné l'Inflation Reduction Act. Voilà au moins un élément consensuel ! Comme certains d'entre vous l'ont précisé, ce texte vient s'ajouter au différentiel de compétitivité créé par le choc des prix de l'énergie.
Il faut avoir en tête plusieurs éléments.
Tout d'abord, il existera quelques marges de manœuvre dans l'application de cette loi américaine lorsqu'elle fera l'objet d'un décret. Cela dit, ces marges de manœuvre, je crois que vous en avez parfaitement conscience, seront assez faibles.
Ensuite, nous disposons d'outils européens, par exemple les outils anti-subventions. Certains d'entre vous se sont inquiétés d'une possible guerre commerciale ; pour cette raison, les outils anti-subventions seront maniés avec précaution. Vous avez également mentionné le fonds souverain évoqué par la présidente de la Commission européenne dans son discours sur l'état de l'Union en septembre dernier.
Comme vous le savez peut-être, j'étais présente la semaine dernière au conseil Compétitivité au cours duquel il a été discuté de ce fonds. La plupart des pays sont favorables non seulement à l'accélération de sa mise en place, mais aussi à l'augmentation des investissements dédiés ; plusieurs d'entre vous ont, à ce titre, mentionné les montants accordés aux projets importants d'intérêt européen commun (Piiec).
Les États de l'Union se sont prononcés pour l'accélération de la délivrance tant du statut de Piiec que des sommes accordées au titre du fonds souverain. En effet, les États-Unis, avec l'Inflation Reduction Act, mettent en place des crédits d'impôt bien plus rapides que ne l'est le montage de projets Piiec.
Par ailleurs, comme vous le savez, ces projets sont souvent destinés à la transition énergétique, notamment dans le domaine de l'hydrogène et des batteries. À cet égard, je dois féliciter le Parlement européen et l'eurodéputé Canfin pour leur soutien, en particulier sur la déforestation.
Cinquièmement, M. le sénateur Gattolin a parlé de la Chine.
M. André Gattolin. Ainsi que M. Pascal Allizard !
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. En effet ! M. Allizard a posé énormément de questions… (Sourires.)
Vous connaissez le triptyque qui est le nôtre à l'égard de ce pays : coopération, concurrence et rivalité systémique. Lors du dernier Conseil européen, le Président de la République s'est exprimé avec force quant à l'importance croissante de la rivalité systémique dans nos relations avec la Chine.
Concrètement, cette rivalité croissante se traduit par la nécessité de renforcer à la fois les clauses miroir et la réglementation sur l'accès à nos marchés publics. À l'avenir, nous pourrions évidemment nous intéresser de plus près aux outils de contrôle d'exportations ou de filtrage d'investissements.
Sixièmement, les sénateurs Marie et Médevielle m'ont interrogée sur la relation franco-allemande. La semaine passée a témoigné, je dois le dire, d'une intense collaboration franco-allemande, puisque la ministre allemande des affaires étrangères est venue rencontre à Paris la ministre Colonna, les ministres des finances et de l'économie sont allés voir le ministre Bruno Le Maire, et, côté français, la Première ministre s'est rendue à Berlin, où je l'ai accompagnée.
Le travail est réellement intense dans la perspective du prochain conseil des ministres franco-allemand. Même si sa date n'est pas encore arrêtée, nous avons tous en tête le moment important des 60 ans du traité de l'Élysée.
Les travaux s'intensifient dans les domaines de la défense, du spatial, de l'énergie, de la culture, de l'éducation et dans bien d'autres secteurs, sur lesquels nous reviendrons à une autre occasion.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. C'est une bonne nouvelle !
M. André Gattolin. Comme le traité du Quirinal, en somme !
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. Non, mieux encore ! (Sourires.)
Septièmement, le sénateur Marie m'a interrogée sur le pacte de stabilité et de croissance. Nous retrouvons dans les propositions de la Commission les principes auxquels nous sommes attachés : croissance, investissements et soutenabilité.
Nous partageons un cadre commun dans lequel les trajectoires sont personnalisées et qui nous permettra de mettre en œuvre les investissements dont nous avons besoin.
Pour ce qui nous concerne, je pense aux investissements dans la transition énergétique ; pour nos amis allemands, en plus de cette transition, la défense peut nécessiter davantage de dépenses. Ce cadre accorde cette souplesse. Mais bien sûr, le diable réside dans les détails, et nous attendons encore de préciser quelques points.
J'en ai terminé avec les questions relatives au Conseil européen. À présent, je vais répondre à quelques questions plus spécifiques.
En premier lieu, les sénateurs Laurent et Fernique m'ont interrogée sur le devoir de vigilance des entreprises. Il faut nous féliciter de l'accord auquel nous sommes parvenus jeudi dernier. En effet, il dessine le régime de vigilance le plus ambitieux au monde. En 2017, la France a été le premier pays au monde à adopter des règles juridiquement contraignantes sur le devoir de vigilance des entreprises.
Monsieur Laurent, je ne partage pas votre pessimisme. Je vous invite à discuter avec Dominique Potier, qui avait créé un groupe de travail transpartisan à ce sujet. Nous avons beaucoup échangé avec lui pendant le processus qui a conduit à cet accord.
La France a très fortement soutenu ce projet de directive européenne. Forte de son expérience en tant que pays disposant du cadre juridique le plus étendu sur le sujet, elle a plaidé pour un cadre de vigilance ambitieux et opérationnel à l'échelon européen.
Vous l'avez rappelé, messieurs les sénateurs, cette ambition aurait pu être plus forte encore, notamment sur la santé et la sécurité des travailleurs, sur les sociétés mères des grands groupes et multinationales, ou encore sur la responsabilité civile des entreprises. Toutefois, l'Union européenne suppose des compromis.
J'étais présente à la réunion du Conseil dédiée à ce devoir de vigilance des entreprises. Nous avons eu conscience que l'équilibre des forces ne permettait pas d'atteindre tous les objectifs. Nous espérons que les discussions avec le Parlement européen permettront d'améliorer encore le texte.
Qui plus est – je vais pouvoir clarifier ce point –, la France n'a jamais demandé l'exclusion des services financiers.
M. Pierre Laurent. Qui l'a demandée alors ?
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. Nous avons souhaité que le secteur financier soit traité comme tous les autres secteurs de l'économie.
Par ailleurs, les ministres participant au conseil Justice et affaires intérieures se réuniront jeudi prochain à Bruxelles. Plusieurs d'entre vous m'ont parlé des migrations. Les ministres auront l'occasion jeudi de revenir sur le plan d'action décidé lors du conseil extraordinaire du mois dernier pour mieux gérer les routes migratoires dans les Balkans et en Méditerranée.
En ce qui concerne les bateaux, il a été créé un groupe de contact entre États membres qui va inclure les ONG. L'objectif est d'éviter de répéter, monsieur le sénateur Cadec, ce à quoi nous avons assisté il y a quelques semaines et qui est à déplorer.
Depuis deux ans, vous le savez, monsieur le sénateur Reichardt, nous avançons sur le pacte asile et migrations. Il a d'ailleurs été débloqué sous présidence française du Conseil de l'Union européenne ; il était bloqué depuis dix ans, monsieur le sénateur ! (M. André Reichardt s'exclame.)
Nous avançons selon un autre triptyque. Le premier élément est la solidarité entre pays de l'Union européenne, essentielle pour garantir la liberté de circulation dans l'espace Schengen. Elle va de pair avec le deuxième élément : la responsabilité. Enfin, le dernier élément, dont la France a fait preuve il y a quelques semaines, est l'humanité.
Lors du prochain conseil Justice et affaires intérieures, les ministres évoqueront également l'élargissement de l'espace Schengen, que vous évoquiez de nouveau. Les nombreuses évaluations réalisées montrent que la Croatie, la Roumanie et la Bulgarie appliquent correctement les règles de Schengen. Elles sont prêtes à rejoindre cet espace, en contribuant de manière positive à sa sécurité.
Les traités prévoient, vous le savez, que la décision politique de cette pleine intégration appartient désormais au Conseil, à l'unanimité. À l'heure où nous parlons, cette unanimité ne semble pas réunie. La présidence s'efforce de parvenir sur cette question à un consensus, qui peut aussi être un compromis.
Enfin, madame Gruny, madame Guillotin, vous m'avez interrogée sur l'Europe de la santé et de la stratégie pharmaceutique. L'enjeu est, en effet, particulièrement important pour la France, puisqu'il participe du renforcement de notre autonomie stratégique européenne.
La révision de la législation pharmaceutique de l'Union doit être présentée par la Commission en décembre prochain. Nous sommes assez confiants. Nous pensons qu'elle répondra aux attentes.
Sur l'espace européen de santé et les entreprises qui pourraient être en charge du stockage des données afférentes, les discussions sont encore en cours au Conseil.
Le Contrôleur européen de la protection des données et le Comité européen de la protection des données ont produit un avis sur la question. Comme vous le savez sûrement, ils ont notamment proposé qu'il soit inscrit dans le texte que ces données doivent être hébergées sur le territoire de l'Union européenne.
Pour conclure, vous releviez, messieurs les sénateurs Gattolin et Marie, que jamais l'Union n'aura autant avancé que ces derniers mois en matière d'Europe de la défense, d'union des marchés de l'énergie et de lutte contre les ingérences étrangères.
Pour l'ensemble de ces sujets, le maître-mot est, me semble-t-il, celui de souveraineté. Le Président de la République avait proposé ce même agenda de souveraineté à nos partenaires européens dès 2017, dans le discours de la Sorbonne.
Ce mot de souveraineté est désormais repris par nos partenaires, de même que celui de boussole ou d'autonomie stratégique. Il faut vraiment saluer, comme vous l'avez fait ce soir, l'ampleur du changement de paradigme qui s'est opéré depuis lors.
Oui, l'Europe avance d'autant plus vite face aux crises, si nous prenons en commun nos responsabilités. Oui, l'Europe est complexe et l'on n'avance pas toujours aussi vite qu'on le souhaiterait, mais nous sommes vingt-sept à la construire, comme vous le souligniez, madame la sénatrice Jourda.
Je crois que c'est l'honneur de la France, parmi ces vingt-sept, que d'être constamment à l'initiative et force de proposition. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)
source http://www.senat.fr, le 22 décembre 2022