Texte intégral
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Bonjour Christophe BÉCHU.
CHRISTOPHE BÉCHU
Bonjour.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
En charge donc de la Transition écologique, mais c'est vous aussi, votre ministère, qui chapeautez les transports, et c'est vrai que c'est probablement le domaine qui va vous occuper le plus cette semaine, avec une fois de plus ce Noël 2022 qui s'annonce un peu cauchemardesque pour certains Français, des dizaines de millier en tout cas. 200 000 voyageurs ont déjà vu leur billet de train annulé pour ce week-end, en raison d'une grève d'une partie des contrôleurs. "Ce n'est pas le week-end de Noël que l'on fait la grève", dit le porte-parole du gouvernement. D'abord, est-ce que vous êtes d'accord avec lui ?
CHRISTOPHE BÉCHU
Tout à fait. Je pense que ça abîme le droit de grève, de faire ça un 24 et un 25 décembre, après l'année que l'on a connue, après je dirais même les années que l'on a connues, il y a ce besoin de se retrouver. Le chiffre que vous donnez, 200 000 Français qui ne vont pas pouvoir prendre le train pour passer des moments avec leurs proches, ça n'est pas digne.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Mais il n'y a aucune chance que l'on voie des améliorations d'ici ce week-end ?
CHRISTOPHE BÉCHU
D'ici demain, non, parce que le processus qui consiste à mettre en ligne les trains, à faire en sorte que les gens soient disponibles, fait que le sujet maintenant c'est la semaine prochaine, c'est comment dans des fêtes de fin d'année où on le sait il y a deux temps forts, un extrêmement familial qui arrive ce week-end et celui des fêtes de fin d'année, on se retrouve pas avec le même scénario dans quelques jours. Le contact que nous avons, que j'ai avec le président de la SNCF, il est constant, mon message il est très simple, il est celui de tout le gouvernement, c'est appeler les grévistes à la responsabilité, dans un contexte je le redis, où cette grève elle n'est pas soutenue par les organisations syndicales, qui n'appellent pas à la grève, et c'est en même temps un appel la Direction de la SNCF, pour maintenir, pour renouer le dialogue et pour faire en sorte qu'on ne se retrouve pas dans la même situation dans les jours qui viennent.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Mais c'est tout le problème, c'est que ce mouvement effectivement il vient d'un mouvement, d'un collectif hors des syndicats, même si on a deux syndicats, notamment SUD-Rail et la CGT qui appellent, qui avaient déposé un préavis. Qu'est-ce que vous pouvez faire, qu'est-ce que peut faire le gouvernement pour mettre fin ou en tout cas éviter d'avoir trop de perturbations ?
CHRISTOPHE BÉCHU
D'abord, dans cette affaire, il y a eu des négociations syndicales, salariales, 12% d'augmentation sur les années 2022 et 2023, qui ont été consenties, ce qui explique que ce ne soit pas un mouvement qui soit généralisé à l'échelle de l'entreprise. Mais on a, vous l'avez dit, une situation qui est perdant-perdant, puisqu'on a à la fois des Français qui vont être privés de trains, un mouvement qui n'est pas bon pour l'image de l'entreprise, et un mouvement qui n'est pas bon non plus, je le pense, ni pour les grévistes, ni pour les revendications qu'ils portent. Hier…
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Donc, qu'est-ce que vous pouvez faire ?
CHRISTOPHE BÉCHU
… en appelant le président de la SNCF, en prolongeant les échanges que j'ai eus, je l'ai appelé à prendre de nouvelles initiatives, pour qu'on ne soit pas dans cette situation, et dans la matinée il annoncera de nouvelles initiatives pour précisément faire en sorte qu'on ne soit pas dans la même situation la semaine prochaine.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Donc, le but maintenant, c'est d'essayer de sauver le Nouvel An, alors qu'il y a un nouveau préavis qui est déposé la semaine prochaine ?
CHRISTOPHE BÉCHU
C'est exactement ça. C'est qu'on ne se retrouve pas la semaine prochaine dans la même situation. On sait qu'on a une durée incompressible pour faire en sorte de pouvoir mettre des trains ou au contraire les suspendre. Donc le sujet n'est plus la journée de demain ou d'après-demain, le sujet c'est la semaine prochaine. Je le redis, une grève de ce type elle est perdante pour tout le monde, elle abîme l'exercice du droit de grève et elle n'est pas digne.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Si le mouvement se prolonge jusqu'à la semaine prochaine, vous avez déjà une visibilité sur ce que pourrait être le trafic pour le Nouvel An ?
CHRISTOPHE BÉCHU
Pas encore.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Donc en tout cas il y aurait des perturbations de nouveau de ce style-là.
CHRISTOPHE BÉCHU
Tout le sujet, c'est vraiment de faire en sorte qu'on n'y soit pas, c'est ce à quoi nous appelons.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Je reviens quand même sur ce que vous pouvez faire, parce qu'on a l'impression effectivement d'une sorte d'impuissance des pouvoirs publics face à ce mouvement. La droite notamment, les oppositions, appellent à réquisitionner certains contrôleurs, comme on l'avait vu par exemple chez TotalEnergies ou dans les raffineries au mois d'octobre. Est-ce que c'est possible, est-ce que vous pourriez le faire ?
CHRISTOPHE BÉCHU
Ces réquisitions, elles ne sont pas intervenues au bout de 24 heures, elles sont intervenues à partir du moment où on a un blocage qui s'était prolongé, sous le contrôle de la justice, puisque le droit de grève, est un droit constitutionnel. Donc vous ne portez pas atteinte à ce droit de grève, dès que vous avez l'annonce d'un mouvement. Ça ne correspond pas au droit existant en France. Les appels…
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Ça n'est pas constitutionnel.
CHRISTOPHE BÉCHU
Les appels à des réquisitions, ils permettent certainement de faire les manchettes des journaux, mais ils ne sont pas constitutionnels.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Donc ça non. En fait, vous ne pouvez pas le faire.
CHRISTOPHE BÉCHU
Ça n'est pas une solution qui est applicable. On est dans le contexte d'une entreprise, même si l'État en est actionnaire, et dans ce contexte c'est par la négociation qu'on sort de ce type de situation.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Et comment on négocie quand on n'a pas de représentants syndicaux en face, quand on a un mouvement, un petit peu comme ça s'était passé aux Gilets jaunes d'ailleurs, où effectivement, dans une autre mesure, mais les syndicats n'étaient pas là pour négocier face aux pouvoirs publics ?
CHRISTOPHE BÉCHU
C'est bien toute la difficulté, et en même temps c'est bien aussi la limite de ce mouvement, c'est qu'on se retrouve avec une minorité à l'intérieur de l'entreprise, qui dégrade l'image de l'ensemble, alors même que le dialogue social au cours de ces dernières semaines et de ces derniers mois à la SNCF a été une réalité, et qu'on ne peut pas dire qu'on parte de rien.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Vous comprenez quand même malgré tout, les revendications de ces contrôleurs, qui disent : eh bien nous, effectivement on a une partie de notre salaire en prime, ça ne pas pour les retraites, quand on est en vacances on a notre salaire qui est amputé d'une grosse partie de son montant.
CHRISTOPHE BÉCHU
Mais, on peut tout entendre, on peut discuter de tout. Vous ne faites pas grève un 24 et un 25 décembre. Si vous considérez qu'à un moment vous avez à la fois une mission de service public, que les mots de famille, de solidarité, de lutte contre la solitude ont un sens, vous vous efforcez d'assumer cette responsabilité, cette mission. Travailler à la SNCF, c'est pas travailler n'importe où, c'est travailler dans une entreprise qui permet de connecter les Français les uns aux autres, qui permet de faire en sorte qu'on ait des transports qui soient décarbonés, qui permet d'assurer un lien entre les populations et les générations, et ça entraîne un certain nombre de responsabilités.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Juste un mot sur les voyageurs dont le train a été annulé, effectivement la SNCF fait un geste avec le remboursement du billet, du prix du billet, plus un bon d'achat de la valeur de 200% du prix du billet pour prendre un autre voyage dans quelques temps. C'est quoi, c'est suffisant quand même pour essayer de calmer la colère de ces Français qui sont forcément déçus, qui verront leur Noël gâché ?
CHRISTOPHE BÉCHU
Je pense que c'est évidemment un geste fort, mais ça ne remplace pas le train que les uns et les autres espéraient pour aller retrouver leurs grands-parents, leurs enfants, leurs amis. Et je partage à la fois la tristesse, la colère, de tous ceux qui sont privés ou qui sont en train d'essayer de s'organiser. Je me réjouis de voir qu'il y a des gens qui précisément par esprit de solidarité se proposent d'aller faire du covoiturage, alors qu'ils n'y pensaient pas. C'est une situation qui est évidemment dégradée et qui je le redis est perdante pour tout le monde à la fin.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Dernière question sur les transports, Christophe BÉCHU, la réforme des retraites sera présentée vers 10 janvier, est-ce qu'on doit craindre un mois de janvier, février, perturbé, noir dans les transports publics ?
CHRISTOPHE BÉCHU
Chaque chose en son temps. Cette réforme elle a été annoncée pendant la campagne présidentielle, elle ne prend personne en traître, elle a déjà eu lieu dans la quasi-totalité des pays qui nous entourent, et c'est un enjeu de solidarité, c'est comment, dans un pays où on vit de plus en plus vieux, où on a besoin de faire en sorte de pouvoir conforter le niveau des petites retraites et où en même temps le nombre d'actifs rapporté au nombre de retraités ne va pas augmenter, on est capable de dégager de la richesse complémentaire pour faire vivre notre solidarité. Tout ça sera présenté mi-janvier, ce sera l'occasion d'un nouveau dialogue social et parlementaire.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Vous êtes donc en charge et surtout de la transition énergétique écologique, Christophe BÉCHU. Vous êtes rentré de la COP15 sur la biodiversité, qui se tenait à Montréal au Canada. Les pays du monde entier s'engagent notamment à protéger 30% de la planète d'ici 2030, et à débloquer 30 milliards de dollars d'aide annuelle pour la conservation pour les pays en développement, les pays du Sud notamment ? Est-ce que cet accord, concrètement, au-delà des chiffres, au-delà de ce qui est sur le papier, ça va avoir des effets concrets sur la biodiversité dans les années qui viennent ?
CHRISTOPHE BÉCHU
La réponse est oui. C'est un accord qui est historique, qui a été salué comme tel à la fois par le secrétaire général de l'ONU, par d'innombrables ONG, et qui, vous l'avez dit, est le premier accord contraignant dans lequel 196 pays se retrouvent, avec des engagements qui sont chiffrés, avec des dates, et avec des moyens. Les conséquences de ça, vous avez évoqué quelques-uns des points principaux, en particulier la préservation de 30% des terres et de 30 % des mers, ça va donner lieu à un cadre de protection, à la fois dans un pays comme le nôtre, parce qu'on va décliner une partie de cet accord, en adaptant ce qu'on appelle notre stratégie nationale biodiversité, mais à une échelle plus large, la France, le Costa Rica, le Royaume-Uni, avec 113 autres pays dans le cadre d'une coalition pour la haute ambition pour la nature, se sont fixé comme ambition de définir un cadre particulier. On s'est doté d'un secrétariat, d'une plateforme, qui va nous permettre d'échanger nos bonnes pratiques et de définir en 2023 ce cadre de protection amplifié.
CHRISTOPHE BÉCHU
Les négociations étaient longues, difficiles, notamment sur certaines questions comme les pesticides, et là on voit qu'effectivement sur les pesticides, l'Europe, la France s'est retrouvée très isolée par rapport aux États-Unis, par rapport aux pays d'Amérique du Sud notamment.
CHRISTOPHE BÉCHU
Ça a été un des points principaux de cette bataille, parce qu'il n'y avait que l'Europe qui demandait une trajectoire de réduction de pesticides, qui soit chiffrée. On a été rejoint par la Colombie, on a été rejoint par d'autres pays, mais on a fait bloc au niveau européen, et on en a fait un point, une ligne rouge dans les négociations. Et on a obtenu là-dessus la nécessité de la réduction des risques liés aux pesticides, avec une division par deux de ces risques dans les 10 ans qui viennent, ce qui est historique et extrêmement important, et ce qui explique l'âpreté des négociations avec certains pays, nous expliquant que pour nourrir leur population ils ne voulaient pas s'engager dans des trajectoires de réductions de ce qui permet parfois de stimuler les récoltes. Mais à court terme, parce que les conséquences ensuite sur la nature ou sur la santé, elles ne sont pas bénéfiques, quand vous vous projetez sur le moyen terme.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Juste un mot finir. C'est vrai que la radicalité, notamment des jeunes, qui veulent toujours qu'on aille plus loin, qui trouvent que cet accord il est largement insuffisant, et une partie des Français qui au contraire disent "nous on n'arrive plus à suivre avec la fin des voitures thermiques notamment", est-ce qu'on ne va pas vers un fossé de plus en plus grand entre les générations, entre des Français, sur les questions de l'écologie ?
CHRISTOPHE BÉCHU
Il y a un million d'espèces, sur les 8 millions que compte notre planète, qui sont menacées d'extinction. On a aujourd'hui des trajectoires d'augmentation des températures, qui menacent la façon dont on vit. Donc je comprends que certains n'aient pas envie de changer, mais on n'a pas le choix. Nos comportements et nos usages doivent s'adapter, et en même temps on ne réussira pas la transition écologique, on ne réussira pas la préservation de la nature, si on le fait contre les Français, si on en fait un nouveau sujet de disputes, de débats, de polémiques. On a besoin de tout le monde. Et donc il faut trouver un chemin, entre ceux qui considèrent qu'on ne va pas assez vite, et ceux qui à l'inverse considèrent que ça va trop vite, en ayant à la fois une attention particulière aux plus fragiles, parce que la dimension de solidarité et de transition, juste, elle est nécessaire, et en même temps avec une pédagogie et une clarté dans les objectifs.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Merci beaucoup Christophe BÉCHU d'avoir été l'invité des "4V".
CHRISTOPHE BÉCHU
Merci à vous.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Bonne journée.
MAUD DESCAMPS
Merci à tous les deux. Christophe BÉCHU, donc, qui estime que la grève des contrôleurs de la SNCF n'est pas digne, et même abîme le droit de grève. Le ministre a été très clair : il n'y aura pas d'amélioration d'ici demain. En revanche, il espère qu'une issue sera trouvée avant le week-end du Nouvel An, puisqu'un autre préavis de grève a été déposé pour le 31 décembre.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 décembre 2022