Texte intégral
APOLLINE DE MALHERBE
L'invitée du jour, c'est vous Isabelle ROME. Bonjour
ISABELLE ROME
Bonjour
APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes ministre, ministre déléguée à l'Egalité entre les femmes et les hommes. L'émoi, la tristesse, l'incompréhension après ce qui s'est passé à Blois. Je le rappelle, cette jeune femme est venue la semaine dernière pour tenter de porter plainte contre son compagnon pour violence conjugale. Elle a été renvoyée chez elle. Le policier lui a dit de revenir le lendemain. Et entre-temps, elle n'a pas pu revenir puisqu'elle est dans un état critique entre la vie et la mort, toujours à l'hôpital. Elle a été le jour même violemment agressée par son compagnon. Le journal Le Parisien nous révèle d'ailleurs aujourd'hui que le compagnon était un multirécidiviste déjà condamné pour violence conjugale. Est-ce que ça veut dire quand même, Isabelle ROME, que si le policier avait tout simplement mis le nom du compagnon, pris le temps juste de prendre la plainte, il aurait découvert que cet homme était multirécidiviste, et la vie de cette femme serait évidemment très différent aujourd'hui ?
ISABELLE ROME
Moi, ce que je voudrais dire d'abord, c'est que je pense à Chloé. Et comme je pense aussi à toutes ces femmes qui sont victimes de violences conjugales et toutes ces femmes que j'ai pues, moi aussi, rencontrer au cours de toutes ces années où j'ai été magistrate, présidente de cour d'assises, et pour toutes ses fans pour qui je mène aujourd'hui ce combat. Et au vu de ce combat, au vu de tous les efforts qui sont faits depuis des années, depuis ces cinq dernières années ; une situation comme celle-ci ne devrait plus exister ; et que nous serons intransigeants si la défaillance est avérée une inspection bien sûr est diligentée. L'agent a été suspendu.
APOLLINE DE MALHERBE
Le policier en question a été suspendu.
ISABELLE ROME
Cette situation devrait d'autant moins exister que nous avons fourni beaucoup d'efforts sans précédent. Et puis, que je peux témoigner ; puisque moi, je me déplace beaucoup sur le territoire et que je rencontre des policiers et des gendarmes. Et que je les rencontre d'ailleurs depuis des années. Et je peux témoigner vraiment qu'ils sont de mieux en mieux formés : 160 000 policiers et gendarmes formés ; qu'ils sont impliqués, sensibilisés. Récemment encore, j'étais dans une maison de protection des familles des gendarmes. Je vois avec quel soin ils accueillent les victimes ; avec quel soin ils les accompagnent. Il faut vraiment continuer.
APOLLINE DE MALHERBE
Je veux bien le croire Isabelle ROME, mais je sais… J'imagine bien sûr que votre parcours en témoigne. Vous qui avez, en effet, été magistrate, qui est aujourd'hui à la tête de ce ministère. Je ne remets pas en cause votre bonne volonté, évidemment. Mais, en fait, il suffit d'un homme qui ne prenne pas cette plainte pour qu'il y ait une Chloé qui soit dans cet état. C'est-à-dire que, bien sûr, vous pouvez nous dire tous les efforts qui ont été faits par ailleurs ; mais qu'un policier…Quelle est la procédure aujourd'hui ? C'est-à-dire que quand une jeune femme comme Chloé se présente et dit voilà « j'ai peur j'ai peur et je veux porter plainte ». Normalement, le policier a obligation de prendre sa plainte de manière immédiate. Je voudrais qu'on comprenne.
ISABELLE ROME
Et c'est pour ça que je pense que c'est important aussi de dire qu'effectivement, voilà, cette situation ne devrait pas exister et que les sanctions soient prises.
APOLLINE DE MALHERBE
Voilà, et en ce moment, Chloé est à l'hôpital.
ISABELLE ROME
Ce que je puis dire, pour autant, il ne faut pas qu'elle puisse constituer un blocage, qu'une telle situation ne bloque pas les victimes. Et que justement, ce que je veux leur dire c'est que vraiment nous sommes en train de construire un parcours de protection intégrale pour elle. Et que, par exemple, bien sûr que le policier ou le gendarme doit prendre sa plainte. Mais qu'aujourd'hui aussi, elle peut aussi déposer plainte à l'hôpital ; que les policiers, les gendarmes peuvent recevoir une plainte hors les murs des commissariats ou des gendarmeries y compris dans les locaux d'une association.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous dites, en fait, elle n'a même pas besoin de venir au commissariat. Mais quand elle fait la démarche, quand elle rentre dans un commissariat, quand elle va voir le policier. La mère de Chloé dit même que devant la détresse de sa fille, elle a elle-même, qu'elle a appelé depuis le commissariat ; elle a elle-même parlé à un policier et dit "je vous en conjure. Prenez la plainte de ma fille". La mère qui savait la détresse de sa fille. Que même dans cette situation-là, c'est-à-dire que moi, je veux bien… vous dites "il y a d'autres". Maintenant, elles n'ont même plus besoin de venir aux commissariats. Mais si alors qu'elles y vont, elles en ressortent pour se faire tabasser…
ISABELLE ROME
Je pense que cette situation, elle ne doit plus se reproduire. Et tout est fait justement pour qu'on y voit vraiment clair sur ce qui s'est passé. Et nous allons poursuivre comme nous le faisons depuis des années tous ces efforts. Justement, en termes de formation ; parce qu'il faut vraiment continuer à former. Et puis aussi, ne jamais baisser la pression. Parce que oui, il faut que nous restions toutes et tous sous pression. C'est-à-dire que tous les acteurs qui sont engagés dans cette lutte contre les violences faites aux femmes, doivent rester sous une pression ; une tension, j'allais dire même, constante pour ne pas laisser ces femmes en danger. Et c'est vraiment dans ce sens-là que nous devons continuer à travailler. C'est l'esprit dans lequel nous travaillons.
APOLLINE DE MALHERBE
Si je reviens quand même au cas de ce policier, Isabelle ROME ; il a été suspendu. Ça ne veut pas dire qu'il est exclu de la police. Il a été suspendu alors qu'il avait déjà fait l'objet de plusieurs signalements de la part de sa hiérarchie. Est-ce que vous vous dites honnêtement si les faits sont confirmés ; il faudra qu'il soit exclu de la police ?
ISABELLE ROME
Alors, moi, je vais laisser faire… ; en plus, je suis magistrate, donc je vais laisser faire l'enquête de l'IGPN.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous n'êtes plus magistrate au moment où on parle.
ISABELLE ROME
J'ai cette formation qui fait que je respecte effectivement les enquêtes en cours. Là, il y a une enquête de l'IGPN. Je pense que tout est dit pour l'instant sur cette situation. Et n'oublions pas aussi l'auteur, aujourd'hui encore présumé, est…
APOLLINE DE MALHERBE
Il a été arrêté.
ISABELLE ROME
Il est aujourd'hui sous les verrous. Ce que je veux aussi dire c'est que nous avons pris aussi pleinement conscience qu'il fallait travailler sur la violence des auteurs.
APOLLINE DE MALHERBE
Précisément, c'est un multirécidiviste. Si on arrête un instant sur lui, ça veut dire que c'est quelqu'un qui a déjà été condamné pour des violences sur compagnes. Qu'est-ce qu'on peut faire de plus ? C'est-à-dire qu'est-ce qu'il aurait fallu, est-ce que vous vous dites a posteriori ? Il dit n'avoir pas forcément vraiment suivi les instructions qui lui avaient été données. Est-ce qu'il y a pas un problème ensuite de suivi de ces gens-là ?
ISABELLE ROME
Non, en fait, si vous voulez, la prise de conscience de la nécessité de traiter la violence, de prendre en charge la violence des auteurs et de mieux prévenir la récidive ; elle est assez récente. Et vraiment, elle a vu le jour, vraiment, lors du Grenelle des violences conjugales en 2019. Et moi-même, je l'ai vu justement aux assises. Combien d'accusés pour féminicide n'ai-je pas vu qui étaient déjà condamnés pour des violences antérieures sur d'autres campagnes ? Ce qui révèle que si on ne traite pas cette violence ; eh bien, on va mettre des années…
APOLLINE DE MALHERBE
Ce n'est pas juste punir, c'est traiter ? C'est ça le mot que vous utilisez ?
ISABELLE ROME
Voilà ! C'est ça. Parce que si on ne traite pas, on pourra mettre des années de prison. Lorsque la personne sortira, elle rencontrera une nouvelle compagne, elle risque de …
APOLLINE DE MALHERBE
Traiter, ça veut dire quoi ? Ça veut dire des soins ?
ISABELLE ROME
Ça veut dire des soins et des obligations. Et c'est dans ce sens-là que nous travaillons, notamment dans les trente centres de prise en charge des auteurs qui ont été mis en place, suite au Grenelle des violences conjugales. Et dès mon arrivée, justement, à ce ministère ; je me suis préoccupée de ces trente centres de prise en charge qui viennent d'ouvrir pour, justement, faire en sorte que le suivi des auteurs y soit effectif. Parce que oui ; c'est extrêmement important. On ne protège pas efficacement les victimes si on ne prévient pas efficacement la récidive. Mais ça, je répète : c'est une prise de conscience qui n'est pas si ancienne que ça.
APOLLINE DE MALHERBE
Et qui est assez récente. Isabelle ROME, il y a un point sur lequel vous avez immédiatement réagi, notamment sur les réseaux sociaux. C'est les injures racistes dont Kylian MBAPPE et Kingsley COMAN sont victimes aujourd'hui. Est-ce que là aussi, il faut poursuivre ? Il faut poursuivre les auteurs ? Y compris ceux qui sont anonymes sur Internet ? Est-ce qu'il faut poursuivre les auteurs de manière plus poussée ? Est-ce qu'il faut condamner ? Comment faire pour en sortir de cette spirale ?
ISABELLE ROME
Moi, ce que j'ai vu, c'est un match, comme des millions de téléspectateurs, un très beau match, une très belle équipe et qui nous a fait plaisir, qui nous a fait rêver. Et de voir ensuite ces commentaires racistes ; ça m'a complètement révoltée. Et donc c'est pour ça que j'ai réagi très vite. Mais cela révèle aussi que le racisme existe au sein de notre société. Et c'est pour cela aussi que le Président de la République, la Première ministre, m'ont demandée de construire donc un nouveau plan national de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, avec des mesures très concrètes qui sera d'ailleurs annoncé…
APOLLINE DE MALHERBE
Quel genre de mesures ?
ISABELLE ROME
Je ne peux pas vous expliquer exactement aujourd'hui.
APOLLINE DE MALHERBE
Non, mais j'ai l'impression que des plans contre le racisme et l'antisémitisme, il y en a tous les ans.
ISABELLE ROME
Non, justement, il n'y en a pas tous les ans. Et en fait, j'ai réuni plus de trente associations pour justement aboutir à des mesures concrètes, quinze ministères. Enfin, vraiment un gros travail de concertation.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais par exemple, il y a des gens qui sont les auteurs, ils seront…
ISABELLE ROME
Oui, il ne faut rien laisser passer. Il y aura bien sûr aussi dans ce cas
APOLLINE DE MALHERBE
Vous aurez aussi les outils pour les contenir ?
ISABELLE ROME
Un volet aussi « sanction ». Voilà, il faut oser nommer les choses. Il faut travailler aussi en termes de formation et d'éducation. Il faut aussi que les enfants soient, dès le plus jeune âge, sensibilisés ; qu'on puisse les emmener par exemple sur des lieux de mémoire. Et puis cette formation. Et aussi, ne rien laisser passer ; oui. Moi, je pense qu'il faut nommer les choses, il faut les qualifier. Et quand il y a des délits, il faut les sanctionner, bien sûr.
APOLLINE DE MALHERBE
Isabelle ROME, ministre déléguée à l'Egalité entre les femmes et les hommes. Merci d'être venue. Vous êtes également en charge donc de la diversité et de l'égalité des chances.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 décembre 2022