Interview de M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice, à France Inter le 6 janvier 2023, sur le plan d'action pour la justice.

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Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
Éric DUPOND-MORETTI, bonjour.

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Bonjour monsieur DEMORAND.

NICOLAS DEMORAND
Et bienvenue au micro d'Inter au lendemain de la présentation de votre plan d'action pour la justice qui se décline en 60 mesures visant à simplifier et fluidifier les procédures, à accélérer le travail de la justice. Dans ces mesures vous couvrez de grands chantiers mais vous proposez aussi de petites améliorations. De tout cela on va parler évidemment en détails. Mais un mot d'abord de la genèse de ce plan issu des états généraux de la justice dont les conclusions vous vous en souvenez, avaient été accablantes. Elles pointaient l'état de délabrement avancé d'une institution au bord de la rupture, frappées d'un sentiment de désespoir voire de honte face au manque de moyens humains et matériels. Alors pensez-vous que le plan que vous avez présenté hier permettra de tourner cette page et de sortir du délabrement, du désespoir et de la honte ?

ÉRIC DUPOND-MORETTI
C'est évidemment mon espérance. En réalité ces états généraux, c'est d'abord un exercice démocratique inédit. Vous savez, on a demandé aux Français de dire ce qu'ils pensaient de leur institution judiciaire. Ils nous ont dit : la justice est trop lente et elle est trop complexe. Il faut les entendre et ça nous oblige. Puis grande consultation de tous les acteurs, de tous les professionnels de la justice qui nous disent 3 choses. La justice manque de moyens, ce que bien sûr nous savions déjà ; l'organisation de la justice n'est pas optimale et puis il faut une pause dans les textes, il faut moins de textes, il faut nous simplifier la vie. Et il faut là aussi entendre les professionnels et ce qu'ils nous disent nous oblige bien sûr.

YAËL GOOSZ
Alors ça n'est pas forcément un big bang mais une série de mesures avec par exemple le toilettage du code de procédure pénale, des amendes forfaitaires en ligne, la réduction par deux des délais de traitement des procédures civiles comme les divorces. Vous voulez aussi des caméras piétons pour les gardiens de prison, une application Smartphone pour les indemnisations. La liste est longue mais pour vous, si vous deviez résumer Eric DUPOND-MORETTI les choses pour les auditeurs d'Inter, quel serait le coeur de ce plan si vous deviez retenir une mesure ?

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Ah, c'est compliqué d'en retenir une puisqu'il y en a plus de 60, mais ce que je veux dire c'est qu'elles sont toutes concrètes et opérationnelles. On n'est pas dans le conceptuel, on est dans quelque chose qui va immédiatement prendre sa place au sein de nos juridictions et l'objectif c'est de réduire les délais.

NICOLAS DEMORAND
Voilà, c'est l'accélération. C'est ça le cœur.

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Réduire les délais par deux, faire mieux comprendre la justice. Je voudrais vous donner un exemple de ce que l'on veut faire en matière civile. On veut que la médiation devienne la règle. C'est 1 % de nos affaires qui passe par la médiation. La médiation, c'est quoi ? C'est obtenir l'accord des parties.

YAËL GOOSZ
À l'amiable, règlement à l'amiable.

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Je voudrais vous donner un petit exemple, une question de responsabilité. Nous sommes adversaires, aujourd'hui que se passe-t-il ? Les justiciables doivent tout dire, tout écrire. Les avocats font des conclusions, il y a des renvois, les justiciables ne comprennent jamais à quoi ça correspond. C'est 2 ans en moyenne. Ce que je souhaite c'est que d'emblée, le juge puisse trancher la question de droit : êtes-vous responsable comme je le dis, oui, non ? Si c'est non c'est terminé.

YAËL GOOSZ
Mais il y a des magistrats qui disent que vous dénaturez leur fonction, qu'un juge n'est pas un conciliateur.

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Il y a peu de magistrats qui le disent mais j'y reviendrai. Il y a beaucoup de voix qui s'élèvent aujourd'hui pour dire que la solution, elle est là. Et si vous me permettez, naturellement pour tout ce qui est factuel les parties vont régler ça entre elles et les avocats vont prendre une place plus importante que celle qui est la leur et le juge, bien sûr, il dira les choses essentielles. C'est un recentrage vers le cœur de métier. Qu'est-ce que ça donne à l'étranger puisqu'on est allé chercher ces mesures à l'étranger…

YAËL GOOSZ
Où ça ? Au Québec ?

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Aux Pays-Bas d'abord sur une procédure qui s'appelle la césure. C'est deux fois plus de contentieux traités en deux fois moins de temps. Et au Québec c'est 72 % des Québécois qui utilisent une procédure. Cette procédure-là, elle consiste à ce que le juge d'emblée réunisse les parties. Alors on perd un peu de temps à faire cela, mais pour ne pas emboliser les juridictions on a mis en place un plan d'embauche des magistrats à titre temporaire, des magistrats honoraires pour que cette conciliation puisse avoir lieu. L'avantage c'est évidemment le temps gagné, mais c'est aussi le fait que quand vous participez à la décision de justice qui vous concerne, vous acceptez mieux la décision de justice. Moi ce que je veux en un mot, c'est que 77 % des Français ne sont pas contents aujourd'hui.

YAËL GOOSZ
Sondage Ifop du mois de novembre.

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Je souhaite que dans un prochain sondage, les Français nous disent : ça va mieux. C'est ça mon objectif.

NICOLAS DEMORAND
Alors hier Eric DUPOND-MORETTI, vous avez rappelé que le budget de la justice avait augmenté de 26 % en 3 ans, vous voulez le porter à 11 milliards à la fin du quinquennat soit une hausse totale de 60 %. Effort budgétaire sans précédent. Suffira-t-il à colmater toutes les brèches parce qu'on voit, si on compare les choses avec un autre service public, on voit sur l'hôpital que l'argent ne suffit pas à résoudre les crises.

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Je pense que nous allons grâce à cet argent mettre en place un plan massif historique d'embauches. 1 500 magistrats de plus, 1 500 greffiers de plus, des assistants de justice contractuels et naturellement des surveillants pénitentiaires puisque nous avons un plan ambitieux de construction des prisons.

YAËL GOOSZ
On va y venir.

ÉRIC DUPOND-MORETTI
C'est en 5 ans davantage de magistrats embauchés que durant ces 20 dernières années. J'ai par ailleurs dit, c'est une annonce importante, que je souhaitais que tous autour de la table - je dis bien tous, c'est-à-dire professionnels, syndicats, ministères - nous puissions travailler sur un accord cadre relatif aux conditions de vie au travail. Ça c'est extrêmement important. Je souhaite de trouver un accord, je souhaite que les choses soient améliorées et je veux tout regarder avec beaucoup de lucidité. Les audiences tardives, la surcharge, j'ai d'ailleurs accéléré un outil qui est un outil qui permet de mesurer au mieux la charge de travail des magistrats. Pour tout vous dire, il avait été mis en place en 2010 et tous les Gardes des sceaux l'avaient mis sous le tapis craignant peut-être les résultats. Nicole BELLOUBET l'a relancé, je l'ai accéléré. Donc je veux aller au bout de ces choses avec détermination et beaucoup de volonté.

YAËL GOOSZ
Vous dites cocorico pour 1 500 magistrats mais le syndicat de la magistrature estime que les besoins humains ce n'est pas 1 500 mais 5 000 juges. Qu'est-ce que vous lui répondez ?

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Je dis que je suis davantage proche des conclusions des états généraux de la justice. Je le rappelle, tous les professionnels ont été entendus. On exprime la nécessité d'embaucher 1 500 magistrats et je veux vous rappeler que nous avons déjà embauché plus de 700 magistrats, 850 greffiers, 2 000 contractuels. Le syndicat est, comment dirais-je, plus demandeur mais n'est-ce pas au fond le rôle d'un syndicat.

NICOLAS DEMORAND
On va venir à la question des prisons via les questions des auditeurs de France Inter, mais sur les cours criminelles départementales qui ont été généralisées au 1er janvier après 3 ans d'expérimentation, je dis les choses de manière synthétique, les jurys populaires disparaissent avec cette réforme pour tous les jugements en première instance de crimes punis de moins de 20 ans de réclusion, par exemple principalement les viols mais aussi les coups mortels, les vols à main armée. Vous dites vouloir depuis que vous êtes ministre de la Justice rapprocher la justice des citoyens, mais là les citoyens disparaissent non ?

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Ils disparaissent, vous avez dit vous-même en posant votre question, que jury populaire était là pour toutes les infractions punies de plus de 20 ans, premièrement. Deuxièmement, si le justiciable n'est pas content d'une décision rendue par la Cour criminelle départementale, il interjette appel et en appel il retrouve la cour d'assises traditionnelle. Troisièmement, j'ai renforcé la souveraineté populaire. J'ai exigé que pour condamner il y ait une voix de jurés en plus, car cette expression de souveraineté populaire avait perdu beaucoup de sens puisqu'on pouvait condamner sans avoir obtenu une majorité de jurés. J'ai rétablit ça. Puis je vais vous dire autre chose : il y a eu un premier rapport de la DACG, direction des affaires civiles et des grâces. Il y a eu un rapport parlementaire qui a été conduit par deux avocats. Stéphane MAZARS qui est de notre majorité et Antoine SAVIGNAT qui est LR. Qu'est-ce que dit ce rapport ? Il dit que ça marche bien, que ça va plus vite, que surtout ça permet de régler la question de la correctionnalisation que l'on infligeait aux victimes. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que les cours d'assises traditionnelles étaient tellement embolisées que des femmes qui avaient subi des viols voyaient leur affaire jugée devant le tribunal correctionnel.

YAËL GOOSZ
Mais quand vous étiez avocat, Eric DUPOND-MORETTI, vous disiez le contraire. Vous disiez que c'était la mort des cours d'assises cette réforme.

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Je n'ai pas tout à fait dit ça. J'ai dit que je craignais qu'effectivement nous allions vers la mort de la cour d'assises. Mais je voudrais vous faire remarquer que quand on n'est pas aux manettes si j'ose dire et quand on n'est pas au pouvoir, parfois on s'exprime peut-être un peu vite.

YAËL GOOSZ
Donc vous regrettez.

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Non, j'ai exprimé des craintes. Je disais : je ne veux pas que ce soit la mort de la cour d'assises. Et l'une des premières choses que je fais en la matière, c'est de rétablir la souveraineté populaire. Et puis pardon, moi quand on me dit que ça marche bien, que c'est plus fluide et dans le rapport - et j'en termine - que les débats sont apaisés, est-ce que vous voulez qu'au nom d'un propos qui a été le mien autrefois je vienne démolir quelque chose dont on me dit qu'il marche ? Je suis maintenant garant de l'intérêt général ; j'étais lorsque j'étais avocat garant d'intérêts particuliers.

NICOLAS DEMORAND
On va dériver très probablement sous la pression productiviste vers des audiences où on risque fort de faire un ou deux dossiers de viols par demi-journée, ça c'est ce que déclare Vincent CHARMOILLAUX, le vice-procureur au tribunal judiciaire de Lille. Une mauvaise justice qui va être rendue par ces cours criminelles estimait sur France Inter mercredi et Me Romain BOULET, avocat pénaliste président de l'Association des pénalistes de France. Vous répondez quoi à ces critiques qui sont dures ?

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Elles sont dures. C'est deux critiques que vous m'opposez. Je pense que vous êtes allé regarder tous ceux qui, magistrats, avocats, disent que ça fonctionne bien. Que c'est plus fluide, que les plaidoiries et les débats sont apaisés, que nous audiençons plus vite - plus vite - et 6 mois de gagnés pour une victime ou pour un accusé, ce n'est pas rien. Et une dernière chose, on a dit : mais il y a un peu plus d'appel pour les cours d'assises pour les cours criminelles départementales que pour les cours d'assises classiques. C'est un argument fallacieux puisque vous savez qu'en cour d'assises, on peut interjeter appel et puis on peut se désister, et là on n'a pas encore eu le temps du désistement donc on n'a pas mesuré cela. Moi les rapports que j'ai eus, notamment le rapport parlementaire, et je rappelle que c'est deux avocats qui étaient aux manettes si j'ose dire, disent que ça fonctionne bien.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 9 janvier 2023