Texte intégral
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Madame la ministre, mes chers collègues de la commission des affaires économiques et de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, permettez-moi au préalable de vous adresser tous mes vœux pour cette nouvelle année.
Je remercie Mme la ministre chargée de la transition énergétique de nous présenter aujourd'hui le projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, dont l'examen a été confié à notre rapporteur Daniel Gremillet, président du groupe d'études "Énergie".
Je remercie vivement de leur présence nos collègues Jean-François Longeot, président de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, avec laquelle nous conduisons conjointement cette audition, et Pascal Martin, rapporteur pour avis, qui devront toutefois quitter l'audition à 9 heures, en raison de leur propre ordre du jour.
Nous terminerons l'audition de Mme la ministre vers 9 heures 45 ; les questions seront limitées à une minute par orateur.
Madame la ministre, les dispositions du texte que le Sénat s'apprête à examiner visent avant tout la simplification normative. Or les enjeux sont bien plus nombreux, puisque la relance du nucléaire concerne la planification, le financement, la formation, la recherche, la sûreté, la sécurité, ou encore le cycle du combustible. C'est l'un des enseignements de notre table ronde sur la relance du nucléaire, tenue en décembre dernier.
Dans ces conditions, à quelle date le Gouvernement prévoit-il de lancer la construction de nouveaux réacteurs ? De plus, pourquoi le Gouvernement n'abroge-t-il pas les dispositions règlementaires, désormais obsolètes, de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), qui prévoit toujours la fermeture de douze réacteurs, hors ceux de Fessenheim ?
Il existe dans l'Union européenne des financements par fonds propres, par emprunt, par prix régulé ou encore par participations de consommateurs électro-intensifs : quel modèle de financement a la préférence du Gouvernement ?
Par ailleurs, la filière a conduit un effort de redressement, au travers du plan Excell d'EDF ou du plan Boost d'Orano : la formation ne devrait-elle pas être davantage soutenue par l'État ?
La relance du nucléaire n'impose-t-elle pas de revaloriser les moyens de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ?
Par ailleurs, quand l'État décidera-t-il de pérenniser les installations de retraitement-recyclage, qui arriveront à leur cinquantième année de fonctionnement au cours de la décennie 2040 ? Pourquoi ne pas avoir évalué l'impact de la construction de quatorze EPR2 - European Pressurized Reactors 2 -, et non de six, sur les installations de stockage gérées par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) ?
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Je suis heureux que nous puissions nous retrouver pour cette audition conjointe sur un sujet cher à nombre de sénateurs.
Depuis le début de l'année, nos deux commissions ont été mobilisées - chacune dans leur domaine de compétences - par l'importante séquence parlementaire consacrée à notre politique énergétique, qui a débuté avec l'examen projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, et se poursuit avec ce texte, sur lequel reviendront les rapporteurs dans leur présentation.
L'annonce de la relance de la filière nucléaire par le Président de la République rompt avec près d'une décennie d'atermoiements. L'actuel projet de loi suscite certaines frustrations. Madame la ministre, pourriez-vous préciser le calendrier prévisionnel du Gouvernement pour l'examen du projet de loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC) ? Pouvez-vous rappeler le montant des investissements prévus par le plan France Relance et le plan France 2030 pour soutenir les filières industrielles qui participeront à la construction des nouveaux réacteurs ? Enfin, quels sont précisément vos objectifs en matière de gestion des compétences et des emplois pour la filière industrielle ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. - Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous présente mes meilleurs vœux pour cette année 2023, qui s'ouvre de la meilleure des manières avec l'examen de ce texte important.
Ce projet de loi vise à accélérer les procédures administratives de construction de nouveaux réacteurs électronucléaires en France afin de raccourcir les délais de réalisation de ces projets et à baisser leur coût, en réduisant la capitalisation d'intérêt et la prime de risque. Pour rappel, les charges de capital peuvent représenter, pour un projet de nouveau nucléaire, plus de 50% du coût complet de l'électricité.
Le projet de loi s'inscrit dans le contexte de l'urgence de la crise climatique, qui menace nos écosystèmes, nos sociétés et l'avenir de nos enfants. Cette crise doit nous conduire à réduire drastiquement et durablement nos émissions de gaz à effet de serre (GES) pour atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050.
Il s'inscrit également dans le contexte de la crise énergétique que connaissent notre pays et notre continent depuis l'année dernière. La guerre en Ukraine remet profondément en cause notre approvisionnement et fragilise notre économie. Ces deux crises ont la même cause : notre dépendance aux énergies fossiles, qu'il s'agisse du gaz, du charbon ou du pétrole.
C'est la raison pour laquelle l'ambition du Président de la République et de la Première ministre est de faire de la France le premier grand pays industriel à sortir de cette dépendance aux énergies fossiles. C'est impératif pour le climat, pour le pouvoir d'achat des Français, pour la capacité d'investissement de nos collectivités territoriales, pour la compétitivité de nos entreprises et pour notre indépendance énergétique, liée à l'indépendance politique.
Notre stratégie pour sortir des énergies fossiles repose, vous le savez bien, sur quatre piliers : la sobriété et l'efficacité énergétiques - la consommation a réduit de 8,5% depuis le lancement du plan "Sobriété" en octobre 2022 -, l'augmentation drastique de notre production d'énergie décarbonée, les énergies renouvelables et la relance d'un programme nucléaire. Le Gouvernement recommande la construction d'EPR2 et la prolongation des réacteurs en exercice. D'ailleurs, nombre de nos partenaires européens - la République tchèque, la Finlande, les Pays-Bas, la Roumanie, ou encore la Suède - ont manifesté leur souhait de se doter de nouvelles capacités de production nucléaire ou de prolonger l'utilisation de leurs capacités nucléaires existantes, tout en misant sur les énergies renouvelables.
Le projet de loi introduit un cadre d'accélération du processus d'autorisations administratives pour les futurs projets nucléaires, mais ne vise pas à décider de la place de l'énergie nucléaire dans le mix énergétique français, ni des détails d'un programme de nouveau nucléaire. Ce n'est pas un texte de programmation énergétique. Ces aspects seront traités d'abord lors de la grande concertation qui sera conclue, du 19 au 22 janvier 2023, par un forum des jeunesses réunissant 200 jeunes de 18 à 35 ans, et dont la Commission nationale du débat public (CNDP) restituera les travaux. Ensuite, ils feront l'objet d'une étude en vue d'un projet de loi qui sera présenté, je l'espère, au Parlement au mois de juin prochain.
Cette programmation pluriannuelle de l'énergie abordera la question de notre mix énergétique et le dimensionnement du programme nucléaire - le Président de la République a annoncé la création de quatorze EPR2, ce qui correspond aux capacités indiquées par la filière d'ici 2050. Nous avons lancé la construction de six premiers EPR2 et lancé une étude pour l'installation de huit autres.
L'accélération et la sécurisation juridique permises par ce texte tendront également à ne pas compliquer les procédures administratives pour garantir la construction des réacteurs nucléaires à horizon 2035-2037. Le texte permettra également de réduire le coût complet de l'électricité et de sécuriser juridiquement ces processus.
Notre stratégie énergétique et climatique ne repose pas sur la perte de compétitivité de notre économie ni sur la décroissance. De plus, le coût de l'énergie nucléaire produite par ce nouveau programme doit être compétitif. Aujourd'hui, le coût de sortie des énergies renouvelables est compris entre 40 et 60 euros, par exemple, pour le photovoltaïque et les éoliennes marines. Il faudrait tendre vers ce niveau de prix pour le nucléaire. Sur la partie existante, et donc déjà amortie, du nucléaire, la Cour des comptes a estimé qu'un prix de 49 euros n'était pas déraisonnable.
Le texte ne modifie ni le processus d'autorisation environnementale ni le processus d'autorisation de création, qui traitent des enjeux de sûreté nucléaire. Ces deux autorisations restent en place, de la même manière que les deux enquêtes publiques préalables.
Le texte ne modifie pas non plus le processus de débat public, qui se fait sous l'égide de la CNDP avant tout projet. Il n'interfère donc pas sur le déroulement du débat relatif à la construction d'une première paire de réacteurs EPR2 à Penly, qui a été lancé le 27 octobre 2022 et qui s'achèvera le 27 février 2023.
Enfin, ce cadre d'accélération ne s'applique que pour les projets de construction de réacteurs nucléaires qui produisent de l'électricité, qui sont localisés à proximité du périmètre de sites nucléaires existants, et dont la demande d'autorisation de création est déposée dans les quinze ans qui suivent la promulgation du présent projet de loi. Cela permet d'éviter la création de nouveaux sites nucléaires isolés sur le territoire et d'être compatible avec la relance de notre politique électronucléaire, sans verrouiller les orientations en matière de technologie de réacteur.
Le nucléaire demande du temps et de l'anticipation : la durée de quinze ans semble correcte pour mettre en œuvre l'ambition, fixée par le Président de la République, de construire six réacteurs et de lancer les études pour les huit autres. Ainsi, le texte ne tend pas à cranter la technologie des réacteurs, bien que le Gouvernement souhaite recourir à la technologie EPR2, qui est actuellement disponible.
Une fois ces précisions apportées, je tiens à vous exposer le contenu du projet de loi.
Tout d'abord, ce texte rend possible la mise en compatibilité des documents locaux d'urbanisme, car les procédures actuelles sont incompatibles avec la complexité d'un projet de réacteur électronucléaire, et leur nécessaire mise à jour conduirait à augmenter de plusieurs années la durée de construction. Il vise également à réduire le risque juridique des projets.
Ce projet de loi a ensuite pour objet de garantir le contrôle de la conformité au respect des règles d'urbanisme, tout en dispensant de permis de construire les installations et les travaux portant sur la création d'un réacteur électronucléaire et des équipements et installations nécessaires à son exploitation. Cela permet de limiter les contentieux sur la forme, tout en laissant possible celui sur le fond.
À compter de l'obtention de la première autorisation environnementale, le texte garantit également l'instruction de l'autorisation de création et, en parallèle, les activités relatives aux constructions, aménagements, installations et travaux préalables liés aux projets de réacteurs nucléaires. Ces activités recouvrent, par exemple, les travaux de terrassement ou de construction des bureaux, clôtures et parkings nécessaires au chantier. Les activités liées à la spécificité du nucléaire - la construction de bâtiments destinés à recevoir des combustibles nucléaires, par exemple - ne débuteront que si elles ont obtenu l'autorisation de création.
Sans rentrer dans le détail de toutes les dispositions de ce projet de loi très technique, j'indique que certaines d'entre elles tendent à modifier la loi Littoral, à l'instar des mesures propres au projet de construction de la première paire d'EPR2 à Penly et de la deuxième paire à Gravelines.
Le texte contient également des mesures d'expropriation pour les projets de réacteurs électronucléaires reconnus d'utilité publique, à l'instar des dispositions prises pour les Jeux Olympiques de Paris 2024.
Ce texte rassemble, dans différents articles, la gestion des autorisations nécessaires à la réalisation du projet dans les mains du Gouvernement afin d'en renforcer le pilotage. L'octroi de ces autorisations par décret sécurise juridiquement le projet ; les contentieux sont gérés directement par le Conseil d'État en premier et en dernier ressort.
De manière plus subsidiaire, ce texte vise à sécuriser certaines procédures administratives relatives à la prolongation des réacteurs nucléaires existants, et clarifie la procédure de réexamen périodique des réacteurs électronucléaires, qui a lieu tous les dix ans.
Nos réacteurs nucléaires ont été construits pour quarante ans, nous avons décidé de les prolonger jusqu'à cinquante ans. Si nous souhaitons les prolonger de nouveau - l'échéance arrivera en 2035 -, ils devront passer une visite exigeante, pour garantir toute la sécurité. Sur le décret de l'actuelle PPE, vous aurez l'occasion de l'ajuster dans quelques mois. Il n'y a pas de difficulté sur le chemin critique de ces décisions.
Enfin, le texte vise à ratifier l'ordonnance du 10 février 2016 portant diverses dispositions en matière nucléaire et à corriger certaines incohérences sur la caractérisation d'un arrêt définitif de réacteur, au regard du retour d'expérience de certains arrêts longs résultants de difficultés techniques, comme à Flamanville.
Sur la date de lancement de nouveaux réacteurs, la décision appartient au Parlement, qui se prononcera lors de l'examen du projet de la loi sur l'énergie et le climat à l'été prochain, mais le Gouvernement a déjà anticipé la modernisation des procédures administratives d'installation de réacteurs nucléaires. Le programme des fermetures prévues par la PPE sera également revu à cette occasion. Je serai très claire : le Gouvernement se donne les moyens de prolonger les réacteurs nucléaires le plus longtemps possible.
Sur la question du mode de financement, nous n'avons pas encore arbitré celui que nous choisirons. L'enjeu sera celui de la régulation, dans le cadre du fonctionnement du marché de l'électricité européen.
Au sujet de la formation, le Gouvernement accompagne l'effort de la filière nucléaire qui a signé, en 2019, un contrat stratégique qui était doté d'un volet formation important, par ailleurs accompagné par les plans France Relance et France 2030. D'ailleurs, le Gouvernement a validé un projet de 40 millions d'euros de soutien aux formations nucléaires, afin de venir en appui aux projets menés à Penly et Gravelines.
Par ailleurs, les décisions relatives à la pérennisation des installations de recyclage seront abordées lors du prochain comité de politique nucléaire, qui se tiendra au début du mois de février prochain.
Enfin, le plan France Relance consacre 470 millions d'euros à la mise à niveau de la filière nucléaire, notamment sur la digitalisation des entreprises de la sous-traitance, et le plan France 2030 attribue 2 milliards d'euros à l'innovation, à la recherche et au développement (R&D) et à la réindustrialisation, pour des projets relatifs aux Small Modular Reactors (SMR) et aux enjeux du combustible.
M. Daniel Gremillet, rapporteur de la commission des affaires économiques. - Je salue la présence du rapporteur pour avis Pascal Martin avec qui je conduis actuellement mes travaux préalables.
Les auditions que j'ai menées ont permis d'entendre cents personnalités à l'occasion de cinquante auditions. Je retiens de ces échanges un large consensus sur l'objet du texte, qui permettrait des gains de temps substantiels, mais aussi des critiques sur la méthode utilisée par le Gouvernement, qui légifère dans le désordre. Il aurait en effet fallu soumettre à l'examen parlementaire la loi de programmation de l'énergie, puis celle sur le nucléaire, et enfin celle sur le renouvelable. Dans cet ordre. De plus, le Gouvernement légifère sans cesse : nous en sommes au troisième texte énergétique depuis juillet, avec les lois sur le pouvoir d'achat, le renouvelable et le nucléaire. Le Gouvernement légifère dans la précipitation, omettant la tenue d'un débat public en cours. Enfin, il légifère sur la simplification, sans répondre aux autres enjeux soulevés par la Présidente.
Face à ces difficultés, je souhaiterais votre éclairage sur plusieurs points.
En ce qui concerne l'article 1er, le champ de la relance du nucléaire ne pourrait-il pas être étendu ? Les professionnels nous ont indiqué que le délai de quinze ans était un peu juste pour réaliser le programme complet de quatorze EPR2. Par ailleurs, ne pourrait-on pas prévoir une plus grande neutralité technologique du texte, qui semble focalisé sur les EPR2, au détriment des SMR, des électrolyseurs d'hydrogène ou des réacteurs de quatrième génération ?
S'agissant des articles 2 et 3, entendez-vous consolider une forme de pilotage interne spécifique aux procédures d'urbanisme, pour mieux coordonner l'ensemble ? Prévoyez-vous d'augmenter les moyens ou les effectifs des administrations concernées, afin de garantir que les délais d'instruction ne soient pas un frein à la relance du nucléaire ?
Sur l'article 4, pourrions-nous préciser la définition actuelle des travaux - selon qu'ils puissent être anticipés ou non -, en permettant à l'ASN de donner un avis, pour prévenir tout risque relatif à la sûreté ? Par ailleurs, ne devrions-nous pas compléter les garanties prévues pour l'étude d'impact et pour l'enquête publique, qui sont lacunaires ?
Les articles 5 et 6, visant à faciliter la construction de réacteurs sur la façade maritime, dérogent à la loi "Littoral". Si je comprends bien tout l'intérêt pour l'exploitant et les collectivités territoriales concernées de bénéficier de ces facilitateurs, pensez-vous que ce projet de loi s'attaque suffisamment à la question des risques littoraux et de la vulnérabilité face aux aléas climatiques ? Est-ce qu'il n'y aurait pas des marges de manœuvre supplémentaires sur ce point, afin d'accélérer la production d'électricité nucléaire, tout en tirant les conséquences du changement d'époque dans lequel nous nous trouvons ?
La nécessité de libérer du foncier, prévue par la procédure d'expropriation d'extrême urgence de l'article 7, est légitime. Pour autant, il ne faut pas perdre de vue les garanties, constitutionnelles, du droit de propriété. Pourquoi ne pas avoir repris les mêmes mesures que celles qui sont prévues pour le projet de l'International Thermonuclear Experimental Reactor (Iter), en matière de relogement des occupants ou d'indemnisation des commerçants ? De plus, ne pourrions-nous pas préférer une expropriation simple, à une expropriation d'extrême urgence ; pour les installations liées à l'exploitation et aux ouvrages de raccordement ?
En ce qui concerne l'article 9, relatif aux modalités de réalisation du réexamen décennal, ne devrions-nous pas maintenir le principe d'un rapport intermédiaire, quitte à ajuster son objet, de manière à prévoir un point d'étape entre l'exploitant et l'ASN ? Par ailleurs, ne faudrait-il pas clarifier les conditions dans lesquelles une modification peut être soumise à déclaration ou à autorisation, selon qu'elle soit notable ou substantielle ? Enfin, l'essentiel n'est-il pas oublié, à savoir la résilience des réacteurs au changement climatique dans la démonstration de sûreté ?
En ce qui concerne l'article 10, relatif à la mise à l'arrêt définitif des réacteurs, les délais prévus n'appellent-ils pas à être clarifiés, pour faire prévaloir le délai fixé par la puissance publique dans le décret, à celui qui est proposé par l'exploitant dans la déclaration ?
Enfin, à propos de l'article 11, quel est votre avis sur le souhait de l'ASN de déléguer davantage de pouvoirs de sanctions à sa commission ?
M. Pascal Martin, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Le projet de loi qui nous est soumis permettra d'accélérer les procédures d'urbanisme et d'environnement nécessaires à la construction de nouveaux réacteurs EPR2 - le gain serait évalué à plusieurs mois, si l'on prend en compte les mesures réduisant les contentieux potentiels. Quels seront les délais d'instruction des autorisations de création, sous l'égide de l'ASN, et quels seront vos objectifs précis de mise en service de vos premières paires d'EPR2 ?
Par ailleurs, les moyens humains de l'ASN vous semblent-ils adaptés au nombre des demandes d'instruction qui va augmenter sous l'effet des nouveaux projets EPR2 ?
Enfin, la notion de "proximité immédiate", inscrite à l'article 1er du texte, pourrait être précisée, à partir du périmètre actuel des plans particuliers d'intervention (PPI). La définition retenue dans le projet de loi paraît trop imprécise et serait source de contentieux. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce que vous comptez inscrire dans le décret en Conseil d'État, prévu à l'article 8 du texte, et qui a pour objet de définir plus précisément cette notion ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Monsieur le rapporteur Gremillet, le texte ne se focalise pas sur les EPR2 - il ne cite aucune technologie particulière -, mais concerne l'ensemble des réacteurs qui produisent de l'électricité.
Sur la question de la méthode, le Gouvernement souhaite respecter la chronologie des débats publics lancés par la CNDP, relatifs au mix énergétique et à la construction d'un nouveau programme de réacteurs. Nous anticipons le vote du Parlement sur leur construction en mettant à jour l'ensemble des procédures administratives afin de tenir les délais de construction. Gouverner, c'est prévoir ! La durée de quinze ans renvoie au délai pour déposer les autorisations et non pour construire les réacteurs.
La distinction des travaux entre ceux qui relèvent du cœur du réacteur et les autres - parkings, bureaux, etc. - pourrait être clarifiée, mais l'avis de l'ASN serait une charge supplémentaire inutile, car elle a d'autres missions que de se préoccuper de parkings... Cela retarderait et complexifierait le projet.
Les risques littoraux sont bien pris en compte dans le plan d'adaptation au changement climatique d'EDF. À très court terme, c'est la mise à niveau des réseaux de transport qui doit retenir notre attention, car les variations de température et les aléas climatiques peuvent avoir des effets importants sur les postes sources. De gros travaux ont déjà été réalisés sur les installations nucléaires, à la suite de la catastrophe de Fukushima.
J'entends votre question sur l'expropriation, et nous y apporterons une réponse.
Sur la question du rapport intermédiaire de l'article 10, il me semble que dans cinq ans, nous aurons encore trop peu de recul. Je le redis, en matière de nucléaire, c'est l'échelle du temps long qui compte. De plus, les dossiers de création tiennent bien compte, dans l'analyse de la sûreté, du sujet du changement climatique.
Sur la suggestion de l'ASN à l'article 11, la question des sanctions me semble opportune. En matière d'emplois, en 2023, il y aura six équivalents temps plein (ETP) de plus, monsieur le rapporteur Martin. Pour rappel, nous instituons une délégation de programme interministérielle au nouveau nucléaire. Cette dernière sera dotée de quinze collaborateurs, et s'assurera de la bonne coordination entre l'ensemble des acteurs, pour tenir les délais du programme de construction. L'enjeu est de réduire les risques administratifs pour limiter les risques pesant sur le processus industriel.
Les objectifs précis et datés de mise en service et les durées d'instruction sont de cinq ans. L'objectif, très ambitieux, est que la première coulée de béton ait lieu à la fin du quinquennat. La réalité, c'est que cela risque d'être plutôt pour la fin de l'année 2027 que pour le début. La première mise en service serait pour 2035-2037, la première date étant sans marge et supposant donc une exécution parfaite du projet.
Nous souhaitons que la notion de "proximité immédiate" soit assez large afin de ne pas devoir légiférer sur chaque cas particulier... Le décret en Conseil d'État vise à préciser le critère d'éloignement, car il est plus facile à modifier. En séance, je pourrais m'engager à retenir vos orientations pour encadrer cet élément, tout en ayant une flexibilité plus importante.
M. Daniel Salmon. - La construction de l'EPR est une longue descente aux enfers de la filière nucléaire française, mais EDF nous dit que tout va changer et que nous irons très vite... Madame la ministre, comment pouvons-nous croire ce calendrier et ces coûts qui seraient divisés par deux ? Par ailleurs, qui va payer ces nouveaux réacteurs, sachant qu'EDF est terriblement endettée ?
M. Bruno Belin. - Je serai bref et j'irai à rebours de l'intervention du rapporteur Gremillet : le délai n'est-il pas trop long, au regard de notre degré de dépendance énergétique ?
M. Jean-Pierre Moga. - Ce projet de loi facilitera la construction de nouveaux réacteurs, néanmoins, EDF connaît toujours des problèmes de ressources humaines, qui pourraient ralentir cet effort. Que comptez-vous faire pour dégager les moyens financiers nécessaires à la formation rapide des milliers de techniciens et d'ingénieurs qui lui sont indispensables, alors que de nombreux métiers de la filière sont en tension ?
M. Stéphane Demilly. - Le 5 décembre dernier, des scientifiques californiens ont atteint l'ignition, le seuil à compter duquel la fusion nucléaire crée plus d'énergie qu'elle n'en consomme. Est-il prématuré d'envisager cette solution ? Son développement ne risque-t-il pas de se télescoper avec le calendrier d'implantation des centrales classiques ?
M. Franck Montaugé. - Concernant la PPE, l'hypothèse la plus favorable au nucléaire avancée par Réseau de transport d''électricité (RTE) prévoit une puissance installée de 51 gigawatts (GW), dont 24 GW issus du parc nucléaire historique. Or vous avez indiqué vouloir fermer douze réacteurs.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Non, monsieur Montaugé, je n'ai pas dit cela.
M. Franck Montaugé. - Nous nous dirigeons donc, dans cette hypothèse, vers une diminution de 10 % de la puissance installée. Quelle est votre position à ce sujet ?
Qu'en est-il des négociations avec nos partenaires européens sur la structure des marchés européens de l'énergie et de l'électricité ? Quelles sont vos hypothèses en matière de tarification pour sortir de la situation dans laquelle nous nous trouvons ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Vous me demandez comment diviser le coût des nouvelles centrales par deux. Nous proposons avant tout de tenir les coûts, en évitant les dérapages dans le temps et en profitant des effets de standardisation qui opèrent dans toute l'industrie.
Je vous rappelle, en outre, qu'il s'agit d'investissements. Les réacteurs que nous allons construire ont vocation à produire de l'électricité de manière suffisamment compétitive pour rapporter de l'argent et couvrir leurs coûts. L'enjeu de ce sujet concerne avant tout la structuration du financement. Si nous proposons des contrats à 100 euros le mégawattheure (MWh), les entreprises s'en saisiront car cet investissement répond à une demande d'électricité.
La question de la régulation introduit toutefois un élément de complexité : selon la vision de la Commission européenne, les infrastructures doivent être accessibles à des concurrents et nous ne pouvons donc pas disposer d'une seule entité assurant à la fois la production et la distribution. Ce point pose question. Nous pouvons entendre la nécessité de la concurrence, mais nous sommes attachés à confier à EDF les moyens de bénéficier de la meilleure performance industrielle, et donc de la meilleure capacité à piloter les différents moyens de production, sans être contraint de les mettre à disposition de concurrents.
Le délai de quinze ans est le maximum prévu dans la loi au dépôt du dossier. Si nous pouvons faire mieux, nous ferons mieux ! Reste que, selon EDF, la durée individuelle de construction d'un réacteur est bien celle-ci. S'il est possible de la compresser, nous accompagnerons bien sûr le mouvement. Pour autant, attention à ne pas commencer la mise en œuvre avant d'avoir terminé le design. C'est là un des péchés originels de Flamanville, et cela induit des risques de dérive et de hiatus qui peuvent provoquer des dérapages. Il convient donc de ne pas confondre vitesse et précipitation. Les nouvelles technologies permettront-elles d'accélérer le processus ? C'est une question qu'il faut poser à la filière elle-même et qui relèvera de la compétence du délégué interministériel au nouveau nucléaire, M. Joël Barre.
Pour ce qui concerne les ressources humaines, depuis 2020, 200 millions d'euros ont été consacrés à la formation dans toute la filière. Le programme nucléaire recouvre 10% des capacités de formation d'ingénieurs, alors même que la demande de compétences de ce niveau concerne tous les secteurs. Notre ambition est donc forte, avec deux enjeux : disposer de l'appareil de formation et attirer les talents. Nous constatons d'ailleurs une surdemande dans les sections d'ingénieurs, mais ce n'est pas encore le cas s'agissant des techniciens et des opérateurs. Nous y travaillons : c'est un des axes du contrat stratégique de filière de 2019.
Vous évoquez la fusion ; c'est en effet une très bonne nouvelle, mais il s'agit d'un résultat obtenu en laboratoire. Le passage à l'industrie peut prendre de très nombreuses années, comme le démontre le projet de l'Iter (réacteur thermonucléaire expérimental international) qui devrait aboutir à une application industrielle à la fin du XXIe siècle.
Monsieur le sénateur Montaugé, vous m'interrogez sur une baisse de la puissance installée. Les réacteurs actuels ont été prévus pour fonctionner durant quarante ans ; certains réacteurs ont maintenant atteint cinquante ans, et ils ont tous passé cette étape avec succès. C'est une bonne nouvelle. Lorsqu'ils atteindront soixante ans, l'ASN décidera de manière entièrement indépendante s'ils peuvent continuer à fonctionner. Notre travail consiste à préparer son inspection de manière à ce que celle-ci se déroule dans les meilleures conditions. Nous devons donc préserver le capital installé, assurer de bonnes conditions de maintenance et éviter les dérives en termes d'usure sur les pièces essentielles. Le problème de "corrosion sous contrainte" des tuyaux est ennuyeux, mais il se règle par un remplacement de la pièce concernée ; en revanche, si un problème touchait une cuve nucléaire, c'est toute l'installation qui serait en cause. Notre objectif est donc que les pièces critiques, non remplaçables, passent le cap des soixante ans. Pour autant, cela ne relève pas de la décision politique. La volonté politique est de faire durer le plus possible le parc installé, dans les limites des exigences de la physique.
M. Franck Montaugé. - Il y a bien de la place pour la politique : on fait le choix ou on ne le fait pas !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Nous ferons le maximum pour que nos centrales nucléaires soient prolongées, mais si une fissure devait être détectée sur une cuve, la physique s'imposerait à la politique ! Mécaniquement, le fait que l'on n'ait pas lancé de nouvelle construction en 2000 emporte une diminution proportionnelle du poids du nucléaire dans notre mix énergétique, c'est mathématique.
M. Franck Montaugé. - On aurait aussi pu le faire en 2017 !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Cela n'aurait rien changé ou assez peu.
M. Jean-Michel Houllegatte. - Quels sont les gains attendus avec ce projet de loi ? Ce délai de quinze ans est soumis à interrogation, il nous semble qu'il doit être objectivé. En 2023, avec la PPE et la stratégie française pour l'énergie et le climat, nous y verrons plus clair.
M. Éric Gold. - Beaucoup de centrales nucléaires sont exploitées à proximité des fleuves, ce qui permet de garantir leur refroidissement. Or les sécheresses successives de ces dernières années ont impacté les débits de nos fleuves et les températures de l'eau ayant servi au refroidissement menacent la biodiversité en aval. Comment envisagez-vous de résoudre ces problèmes ? Comment refroidir les centrales quand l'eau vient à manquer, sans menacer les autres usages ?
Mme Martine Filleul. - Je salue la décision de maintenir en fonction la centrale de Gravelines et de lui ajouter deux nouveaux réacteurs, mais je m'interroge sur les déchets radioactifs qui constituent la question majeure qui se pose aux yeux des citoyens. Comptez-vous disséminer les sites destinés à leur gestion, comme les sites de production, ou les rassembler dans un site de stockage ? Ce texte est, certes, technique, mais il débouche aussi sur ce type de questions importantes relatives à la sécurité.
Mme Angèle Préville. - Une centrale a besoin d'eau ; qu'en est-il des sécheresses, alors qu'en Occitanie, par exemple, la pluviométrie a déjà baissé de 20% ? Il s'agit d'un élément important, car cela pourrait mettre une centrale à l'arrêt, si l'eau venait à manquer ou si sa température était trop élevée, comme c'est le cas de la Garonne chaque été. Concernant la gestion des déchets, nous arrivons à saturation des sites de surface et le stockage à Bure n'a pas commencé. Comment peut-on envisager un tel programme alors que ces deux problématiques émergentes s'imposent ?
M. Gilbert-Luc Devinaz. - Ces nouveaux réacteurs seront donc installés sur des sites existants. Ont-ils vocation à se substituer aux installations déjà présentes, ou à s'y ajouter ? Dans cette seconde hypothèse, faudra-t-il déployer de nouvelles lignes électriques ?
En outre, ces projets fonctionneront au mieux à partir de 2035 pour une soixantaine d'années. Comment prenez-vous en compte leur sûreté et leur sécurité dans le contexte des évènements extrêmes à venir, issus du changement climatique, dont nous n'avons pas encore fait l'expérience ?
M. Étienne Blanc. - Des technologies nouvelles sont développées actuellement, notamment chez Newcleo, qui utilise le plomb liquide pour le refroidissement. Cela règle, en grande partie, le problème de la production de déchets.
Qu'avez-vous prévu dans ce projet de loi pour accompagner une filière privée qui semble avancer bien plus rapidement qu'EDF sur les technologies nouvelles ?
M. Jean-Claude Anglars. - Le Sénat est favorable à une stratégie énergétique d'anticipation qui donne un cap au pays pour son indépendance énergétique et la sécurisation de sa production. Le 12 janvier 2021, le Sénat débattait du risque de blackout par manque de stratégie. Nous appelons depuis des mois à une politique énergétique sans atermoiement.
Madame la ministre, pourquoi proposez-vous une approche en silo ? Nous l'avions déjà regretté lors de l'examen du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, dans lequel l'hydroélectricité n'était pas traitée. Légiférer par secteur empêche la planification. À quoi ce projet de loi sert-il ? Quand discuterons-nous d'un projet stratégique et débattrons-nous des orientations du Gouvernement ?
Il ne faudrait pas que l'hydroélectricité connaisse le sort du nucléaire, après avoir été abandonnée par idéologie. La situation juridique de l'hydroélectricité empêche depuis trop longtemps d'investir massivement dans des solutions innovantes.
Les barrages représentent un gisement essentiel pour le mix énergétique, notamment en Aveyron. Que prévoit le Gouvernement sur la mise en concession des barrages EDF ? L'entreprise doit pouvoir enfin investir dans les technologies de stockage.
M. Ronan Dantec. - Madame la ministre, vous avez dit que des entreprises seraient intéressées par des contrats de long terme à 100 euros le mégawattheure (MWh). Or vers 2037-2040, en Europe, les pays du Nord seront exportateurs d'électricité éolienne à 60 euros le MWh et les pays du Sud de photovoltaïque entre 30 et 40 euros le MWh. Sur quel rapport de l'État vous appuyez-vous pour considérer qu'il y aura des acheteurs à 100 euros le MWh en 2040 ? Pouvez-vous nous le transmettre ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Je trouve aussi qu'un délai de construction de quinze ans est trop long, mais c'est ce qui ressort des deux audits externes demandés par le Gouvernement en 2019 et 2022. En matière d'énergie, la réalité s'impose à chacun. Comment réduire ce délai ? C'est l'enjeu de ce projet de loi qui porte sur la dimension administrative.
La question de la formation est essentielle. Depuis 2019, nous menons des actions en ce sens et accompagnons les sous-traitants pour les faire monter en compétence.
La question de l'eau est évidemment prise en compte dans les dossiers d'autorisation de construction. Ainsi, les deux premières paires de réacteurs sont construites en bordure de littoral. L'enjeu de l'eau sera déterminant dans le choix de l'implantation de nouveaux réacteurs et conduira EDF à proposer tel site plutôt que tel autre.
Actuellement, on observe une évolution sensible de la population qui soutient le nucléaire, mais s'interroge sur le traitement des déchets. C'est le principal point sensible, davantage que la sécurité. Les déchets de faible et très faible activité représentent 91% du volume, pour moins de 0,05% de la radioactivité totale. Les déchets les plus dangereux représentent 3% du volume pour plus de 99% de la radioactivité totale. La réponse est adaptée au type de déchets. Le cinquième plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGDMR) a été publié en décembre 2022. Il couvre la période 2022-2026.
Nous travaillons, avec le projet Cigéo, sur un site présentant des caractéristiques géologiques n'ayant pas évolué depuis plus de 300 000 ans, et qui est donc apte à stocker des déchets dont la radioactivité est importante, à 300 mètres de profondeur, avec un niveau de sécurité maximal. Une solution se dessine donc pour les déchets les plus radioactifs. Nous menons également un travail sur le cycle du combustible afin d'encourager le recyclage du maximum de déchets. Nous soutenons Orano pour que ces capacités soient davantage développées.
Il faudra adapter le réseau de transport, au regard du changement climatique et des nouvelles installations. Si nous allons vers une diminution de notre consommation totale d'énergie, mais une augmentation importante de notre consommation d'électricité, les réseaux de transport et de distribution devront être adaptés. En outre, la diversité de petites unités de production implantées sur le territoire change la logique de ces réseaux.
Vous m'avez interrogée sur le plomb, le sodium, les sels fondus. Rassurez-vous : via France 2030, nous sommes ouverts à toutes les technologies, y compris de rupture. Newcleo a été invité à participer à cet appel à projets. Cette ligne budgétaire est dotée de 1,2 milliard d'euros pour des projets dont la maturité est modeste, mais qui présentent un intérêt.
J'ai clairement dit à Joël Barre et à Luc Rémont qu'il fallait être très attentif aux évolutions technologiques pour être prêt à s'en saisir.
Le projet de loi sur les énergies renouvelables comporte bien des mesures relatives à l'hydroélectricité. Nous débattrons cet été d'un projet de loi sur notre stratégie énergie-climat. L'hydroélectricité fait plus que jamais partie de notre mix énergétique. Nous avons l'intention d'investir dedans.
Monsieur le sénateur Dantec, à aucun moment je n'ai dit que les entreprises seraient intéressées par des contrats à 100 euros le MWh en 2040. J'ai indiqué que, aujourd'hui, des contrats de long terme pouvaient constituer un positionnement intéressant pour les entreprises. C'est ce qu'elles nous disent ; cela ne ressort pas d'un rapport. C'est ce que nous faisons avec les Power Purchase Agreements (PPA). L'un des éléments de réforme du marché de l'électricité est de signer des contrats sur la base des coûts de production et des marges. L'électricité nucléaire est pilotable, contrairement au renouvelable, ce qui la rend attractive pour les industriels.
Enfin, madame la sénatrice Filleul, le recyclage des déchets est bien traité dans le projet de loi énergie-climat.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Merci à nos collègues de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, que nous libérons avant de poursuivre cette audition.
M. Fabien Gay. - Pourquoi ce projet de loi maintenant ? Le nucléaire, c'est du temps long. Quels financements ? Quelles filières industrielles ? Quelles formations ? Qui va payer ? Est-ce EDF ? Si c'est le cas, est-ce que ce sera toujours dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) ? Quelle régulation ? Il faudrait d'abord débattre de toutes ces questions avant d'aborder un projet de loi technique. Pourquoi tant d'empressement, alors qu'il faudrait d'abord un débat politique ?
M. Bernard Buis. - Alors que le projet de loi concerne également le fonctionnement des installations existantes, où en sommes-nous de la remise en service du parc existant ?
Le président d'Orano Projets, Guillaume Dureau, a appelé à définir une stratégie d'ensemble sur l'amont et l'aval. Le président de l'ASN a déclaré qu'il serait pertinent de traiter la problématique de la prolongation du parc existant, dont les trois quarts datent des années 1980, ce qui provoquera un effet falaise en fin de vie. Cette stratégie d'ensemble sera-t-elle intégrée à la loi de programmation pluriannuelle de l'énergie ?
Mme Sylviane Noël. - Madame la ministre, vous n'avez pas complètement répondu à notre collègue Jean-Claude Anglars. La crise énergétique actuelle ne devrait-elle pas conduire le Gouvernement à s'opposer très fermement à l'ouverture à la concurrence des barrages hydroélectriques, qui pourrait conduire à un morcellement du marché préjudiciable à la filière ?
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - La sûreté des centrales nucléaires est une priorité absolue. De nouvelles menaces sont apparues ces dernières années sur les infrastructures, notamment en raison de fortes tensions géopolitiques. Cet été, l'autorité britannique du nucléaire a placé les infrastructures d'EDF sur son territoire sous vigilance renforcée. Comment intégrez-vous ces nouveaux risques dans votre projet de loi ?
Mme Anne-Catherine Loisier. - Le foncier de ces nouveaux sites est-il déjà artificialisé ? Sinon, quel sera leur traitement dans le cadre de la stratégie zéro artificialisation nette (ZAN) ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Monsieur le sénateur Gay, nous avons élaboré un rétroplanning. Les dossiers administratifs doivent être adaptés dès maintenant si l'on veut livrer des réacteurs nucléaires dans quinze ans. Ce projet de loi fait gagner plusieurs années. Si l'on veut tenir l'objectif d'une première coulée de béton dans cinq ans, il doit être adopté avant la fin du premier semestre. C'est ici encore une réalité physique.
Je prends mes responsabilités en tant que ministre ; je ne fais pas courir de risque aux projets, même pour faire de la belle politique.
Vous aurez à débattre du devenir de la régulation de l'Arenh, qui se termine en 2025.
Un schéma de régulation post-Arenh doit être négocié avec la Commission européenne. La France a pris position en faveur d'un découplage des marchés du gaz et de l'électricité, afin que les consommateurs paient un prix reflétant objectivement la réalité de notre mix énergétique. La Commission européenne a formulé des propositions allant en ce sens le 19 décembre dernier.
Quand la demande en électricité augmente, il est toutefois assez logique que la centrale, dont les coûts sont les plus élevés, ne produise pas à fonds perdu ; il me semble qu'il est interdit de vendre de l'électricité à un prix inférieur au coût de production. Lorsque l'on importe de l'électricité, il est normal d'en payer le prix.
Aujourd'hui, 45 GW ont été réinjectés dans le réseau, ce qui correspond au scénario de RTE pour passer l'hiver. Quelque quarante-quatre réacteurs sont en fonctionnement ; douze sont arrêtés, contre trente-deux au mois d'août 2022 : le calendrier de remise en route des réacteurs est respecté. À cela s'ajoutent les effets du plan Sobriété : nous économisons l'équivalent de la production de sept réacteurs. Ainsi, nous ne faisons pas face à des difficultés d'approvisionnement à court terme.
Mes services finalisent actuellement la préparation d'arrêtés visant à rehausser le niveau de sécurité et de cybersécurité des installations nucléaires et des laboratoires de recherche. Le projet de loi ne modifiera cependant pas le cadre global des règles de sécurité et de sûreté applicables aux équipements nucléaires. L'ASN formule des recommandations sur la prolongation de la durée de vie des centrales, mais il revient au Gouvernement de prendre la décision finale. La stratégie amont et aval sera examinée dans la loi de programmation énergie-climat.
Je souscris à la préoccupation exprimée par Mme Loisier sur l'artificialisation des sols. Une vision globale est néanmoins nécessaire ; c'est pourquoi un projet de loi spécifique sera consacré à ce sujet. Du point de vue du ministère de la transition énergétique, il est bien entendu plus confortable d'avoir des facilités.
Mme Sophie Primas, présidente. - De notre point de vue aussi !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Nous souhaitons que les barrages hydrauliques soient exploités avec la meilleure performance industrielle et opérationnelle. Nous avons prolongé la concession de la Compagnie nationale du Rhône (CNR). J'attends des propositions du PDG d'EDF à ce sujet en vue de préparer éventuellement un projet de loi et de négocier au mieux avec la Commission européenne. Nous voulons investir dans les stations de transfert d'énergie par pompage (Step) et les barrages hydrauliques. Quelque 6 milliards d'euros sont nécessaires pour augmenter de 30 % la puissance de nos barrages, à l'heure où le réchauffement climatique tend à réduire leurs capacités de production.
M. Pierre Louault. - L'énergie nucléaire a besoin de beaucoup d'eau : est-ce vraiment compatible avec la politique environnementale tendant à diminuer le niveau des nappes phréatiques et des cours d'eau ? Depuis des années, nous supprimons des barrages.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Le refroidissement des centrales ne nécessite pas beaucoup d'eau. Nos difficultés tiennent plutôt à la température des eaux rejetées par le circuit de refroidissement, supérieure de quelques dixièmes de degré à celle des eaux des rivières et des fleuves. La différence peut atteindre un degré au maximum. Nous encadrons ces rejets afin de limiter les conséquences en matière de biodiversité. Nous assurons également un suivi systématique de la faune et de la flore, notamment lorsque nous avons autorisé des dérogations.
Les centrales nucléaires consomment très peu d'eau. Pas moins de 98 % de l'eau prélevée est restituée au milieu naturel. Voilà un bel exemple d'économie circulaire.
Mme Martine Berthet. - Dans quel délai pensez-vous pouvoir réunir suffisamment de compétences humaines pour mener à bien les nouveaux projets nucléaires ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - La première coulée de béton des nouvelles installations, qui suppose des compétences en matière de génie civil, aura lieu en 2027. Une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) est nécessaire : nous n'avons pas besoin de soudeurs dès la semaine prochaine, mais plutôt d'ingénieurs spécialisés dans le design.
Progressons dans la gestion courante des centrales : les audits montrent que l'on peut gagner en moyenne un mois lors des "arrêts de tranche". La prolongation d'exploitation des centrales nucléaires représente un travail considérable, qui doit démarrer environ cinq ans avant l'échéance. À cela s'ajoute le programme relatif au nouveau nucléaire, essentiel pour respecter notre trajectoire énergétique.
À cette fin, une augmentation de 40% des effectifs est nécessaire d'ici à 2030. Renforcer l'attractivité des métiers de soudeur, de mécanicien et d'électromécanicien est essentiel. Tel est l'enjeu de la réforme de l'enseignement professionnel : l'appareil de formation doit être le mieux adapté aux besoins. La question est récurrente : comment convaincre des jeunes ne connaissant pas ces métiers à envisager des carrières dans l'industrie, qui souffre d'une image dévalorisée ? Peu d'entreprises ont un projet de développement aussi important : cela représente un élément de mobilisation et de fierté pour les équipes d'EDF. Je compte sur la mobilisation des jeunes et des jeunes retraités pour relever ce défi.
M. Franck Menonville. - Quand l'annonce des nouveaux sites d'implantation des futures centrales aura-t-elle lieu ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Deux premiers sites ont déjà été rendus publics. Pour les autres, il convient d'examiner leur adéquation à la lumière de plusieurs facteurs : réserve foncière disponible, capacités de refroidissement des emplacements retenus, enjeux liés à la sécurité et au bassin d'emploi... EDF tient compte de ces contraintes pour nous faire part de ses propositions sur le troisième site ; sur la base de ces propositions, l'État tranchera. Au sujet des huit sites à venir, nous en sommes à peine au démarrage du scénario. Ce n'est pas une décision de cette année.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Nous vous remercions de votre participation, madame la ministre.
Source http://www.senat.fr, le 17 janvier 2023