Texte intégral
Mesdames messieurs les parlementaires, chère Caroline, Chère Laurence, cher Thani, cher Didier,
Mesdames, messieurs les chefs de cour et chefs de juridiction,
Monsieur le président de la conférence des bâtonniers, cher Bruno,
Madame la bâtonnière de Paris, chère Julie,
Mesdames, messieurs les présidents,
Mesdames, messieurs les directeurs,
Madame l'honorable juge Gagné,
Madame Chritsmann,
La parole est désormais aux actes. C'est un véritable plaisir pour moi de vous accueillir ce matin à la Chancellerie pour lancer officiellement cette grande politique de l'amiable dont j'ai annoncé les grandes lignes lors de la présentation de mon plan d'action pour la justice la semaine dernière.
Nos concitoyens qui se sont largement exprimés dans le cadre des États Généraux nous ont dit que la justice était trop lente et que pourtant elle n'avait pas suffisamment de temps à leur consacrer.
Si j'ai souhaité vous réunir aujourd'hui c'est parce que vous représentez, par vos fonctions, vos engagements ou vos mandats la communauté qui travaille au quotidien pour que nos concitoyens puissent devenir acteurs dans la résolution de leurs propres litiges.
Et pour cela, je veux vous remercier.
Merci d'abord aux plus de 2 800 conciliateurs de justice qui bénévolement, dans les palais de justice, les Points-justice ou les France Services, donnent sans compter leur temps pour permettre aux justiciables, souvent les plus démunis, de se concilier, voire comme le dit leur devise, de "se réconcilier".
Vous êtes, Mesdames et Messieurs les conciliateurs, les premiers maillons de la chaîne, ceux qui écoutent, qui comprennent et qui accompagnent. Vous savez mieux que quiconque, grâce à votre expérience et votre formation, toucher le cœur du problème et arriver à un accord qui pacifiera durablement les relations humaines. Le gain judiciaire est évident : ce sont presque 82.000 affaires qui ont trouvé une résolution sans recours au juge : non seulement le litige a été réglé, mais surtout, un stock de 500 affaires nouvelles par tribunal a été évité !
Merci également aux plus de 2 800 médiateurs de justice qui, en amont du procès ou au cours de celui-ci, interviennent auprès de nos concitoyens afin de les aider à résoudre leur conflit de manière amiable.
Parmi ces médiateurs se trouvent également bon nombre d'avocats et certains magistrats, que je veux ici saluer. Vous êtes en quelque sorte les pionniers de vos professions, vous qui avez fait le choix, par conviction, de mettre la médiation au cœur de vos pratiques.
Au-delà des mesures que je m'apprête à annoncer, c'est sur vous que reposera la diffusion de la culture de l'amiable auprès de vos confrères et collègues.
Pour les avocats, dont je salue chaleureusement les représentants aujourd'hui, il s'agira de leur démontrer, non seulement que la pratique de la médiation apporte une grande satisfaction humaine et intellectuelle, mais aussi que le modèle économique de l'amiable est un modèle d'avenir.
Je n'oublie pas non plus les officiers publics et ministériels qui, dans leurs études, œuvrent au quotidien pour favoriser le dialogue et le compromis.
Je souhaite également saluer les magistrats qui, par leur présence aujourd'hui, démontrent que les juridictions sont prêtes pour ce grand changement de culture.
Merci enfin aux parlementaires présents qui portez plusieurs projets qui visent à promouvoir le développement de l'amiable pour la justice et je me réjouis de cet engagement commun.
Alors à présent je voudrais répondre à la question : qu'est-ce que la politique de l'amiable ?
Commençons par dire ce qu'elle n'est pas : ce n'est pas un gadget procédural et ce n'est pas un outil de gestion des flux. Une justice où le citoyen est placé au cœur de la décision n'est pas une justice au rabais, surtout quand magistrats et avocats sont également renforcés dans leurs rôles respectifs.
C'est, si j'osais dire, une "révolution culturelle" pour le monde judiciaire. Bien entendu, je l'ai déjà dit, nous ne partons pas de rien.
Depuis la loi du 8 février 1995, premier texte d'envergure sur l'amiable, de multiples textes législatifs ont témoigné du volontarisme du ministère en la matière.
On peut citer le renforcement de la place des modes alternatifs des règlements des différents (MARD) dans le procès civil : la loi du 23 mars 2019 a ainsi consacré l'obligation de tenter une démarche amiable préalable à la saisine des juridictions, mais aussi la possibilité pour le juge d'enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur pour lever, par une information adaptée, les réticences à s'engager dans un processus amiable.
On peut citer aussi, plus récemment, l'apport de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire que j'ai portée et qui a créé le Conseil National de la Médiation et développé des services en ligne de conciliation, médiation, arbitrage, dans l'objectif de rendre le recours aux MARD plus simple et plus sûr.
Mais nous allons aller plus loin, nous devons aller plus loin.
Concrètement, changer de modèle pour nos concitoyens cela veut dire :
• Je me réapproprie mon procès et j'y participe volontairement,
• J'en maîtrise la durée : dans les affaires familiales en particulier, le temps de la procédure est toujours une épreuve car seule la décision définitive permet de tourner la page d'une histoire intime douloureuse.
• Je laisse au juge les questions de droit ou les sujets les plus complexes.
En matière d'amiable, en comparaison avec d'autres pays étrangers, nous avons encore une marge de progression. En Angleterre et au Québec par exemple, 90 à 95 % des affaires dont le juge est saisi font l'objet règlement amiable. Tandis qu'en France, peu d'affaires sont transigées en amont.
Certes nos procédures et nos cultures juridiques ne sont pas les mêmes mais il n'en demeure pas moins que nous pouvons, par une politique volontariste, inverser la tendance et diffuser la culture du compromis. Mon objectif est clair : réduire par deux les délais de notre procédure civile d'ici 2027, éviter les mises en état, les renvois à des audiences ultérieures toujours incompris par nos concitoyens.
Comment allons-nous procéder ? Nous allons, tous ensemble, mettre aux vert tous les feux de l'amiable.
Avec les conciliateurs de justice tout d'abord, dont la mission de rendre la justice au plus proche de nos concitoyens est plus que jamais confirmée.
Nous allons redonner une base légale à l'obligation d'un recours préalable à un mode amiable de résolution du litige avant toute action judiciaire pour les litiges portant sur une somme inférieure à 5 000 euros.
Nous continuerons ensuite de valoriser le recrutement des conciliateurs de justice, dont le nombre a augmenté de 9 % en 2022. Pour cela, nous lancerons au premier semestre 2023 une grande campagne de communication sur les missions du conciliateur.
Enfin, je souhaite que nous portions pour 2024 dans nos demandes budgétaires la revalorisation de l'indemnité forfaitaire destinée à couvrir les dépenses des conciliateurs de justice. Cette revalorisation devra prendre en compte les réalités économiques et concrètes du terrain, pour éviter que l'inflation ne restreigne l'accès à la conciliation, et pour garantir aux conciliateurs l'effectivité de leur mission.
Je pense également aux médiateurs et au nouveau Conseil national de la médiation et dont nous attendons beaucoup.
Je souhaite notamment que cette nouvelle instance, pour laquelle nous avons reçu près de 50 candidatures d'associations et de hautes personnalités, travaille à harmoniser les pratiques afin de rendre la médiation plus lisible et donc plus accessible.
Donner aux conciliateurs et aux médiateurs les moyens de bien travailler et de faire connaître leur travail, tel est le premier levier que je souhaite mobiliser au service de ma politique ambitieuse de l'amiable.
J'encourage également toutes les initiatives qui permettraient localement de créer des liens avec les acteurs de l'amiable. Je pense par exemple aux conventions avec les barreaux qui permettent de fluidifier les échanges au quotidien.
J'en viens aux avocats. Chers maîtres, j'en suis convaincu, la réussite de ce changement de culture ne se fera pas sans une implication forte de la profession. Or ça n'est pas inné, je le sais que trop bien.
Cela passe bien entendu par une meilleure formation, dès la faculté et à l'école du barreau, aux techniques de l'amiable. Et je veux saluer aujourd'hui la présence de plusieurs universitaires mais également de représentants de l'ENM et de l'EFB. Nous devons bâtir des programmes de formation voire même des diplômes, qui permettront de former les futurs acteurs de l'amiable. Car un changement de culture cela prend du temps, et cela commence par la formation de nos jeunes générations.
Je n'oublie pas non plus la formation continue : beaucoup a déjà été fait, mais nous pouvons faire encore mieux, notamment en créant des formations communes à plusieurs professions.
Par ailleurs, pour que la profession prenne toute sa part dans la mise en place de la politique de l'amiable, il faut que le recours à l'amiable devienne "payant" pour l'auxiliaire de justice.
Il faut qu'un avocat, qui obtient un accord par le biais d'un MARD, soit mieux rémunéré. Cela passera par la revalorisation de l'aide juridictionnelle dès l'année 2023.
J'encourage également les assureurs de protection juridique, qui nous font le plaisir d'être présents parmi nous aujourd'hui, à valoriser dans leurs barèmes de rémunération les praticiens qui jouent le jeu de l'amiable. Je souhaite vous réunir très prochainement à la Chancellerie pour que nous trouvions des moyens à cette fin.
Je propose enfin aux avocats de valoriser leur savoir-faire en créant une spécialisation "droit de l'amiable" qui leur permettra de faire reconnaître leurs compétences en la matière.
Vous savez, j'ai eu l'occasion d'échanger avec plusieurs avocats et juges (anciens avocats) lors de mon déplacement au Québec en novembre dernier. Tous m'ont dit combien, prudents voire circonspects au départ, ils ont été conquis par le développement d'une culture de la médiation au sein de l'institution judiciaire. Certains ne font plus que cela aujourd'hui et nous confient que leur activité n'a jamais été aussi florissante.
Mesdames et Messieurs les magistrats, votre présence aujourd'hui nombreuse est pour moi un beau présage. Car vous serez au cœur de la nouvelle politique de l'amiable.
Pour cela, l'École de la magistrature vous proposera des formations qui vous permettront d'acquérir les nouvelles compétences que ce changement de culture implique : comment être acteur de l'amiable dès la mise en état et comment concilier à l'audience de règlement amiable les parties.
Car notre politique va s'incarner aussi dans nos textes.
Je souhaite ainsi opérer plusieurs changements dans le code de procédure civile.
Tout d'abord, nous allons réunir dans un seul chapitre l'ensemble des dispositions qui concernent les MARDs afin de leur donner plus de cohérence et de lisibilité. Nous allons également introduire le principe de coopération des acteurs du procès civil et celui de proportionnalité procédurale, qui découlent de notre droit actuel, mais qui ne sont pas encore inscrits noir sur blanc.
La déclinaison concrète de ces principes directeurs va nous conduire à repenser la mise en état. Il faut, pour reprendre les mots de Mme la professeure Amrani-Mekki, dont je salue la présence dans cette assemblée, "une mise en état intellectuelle et même intelligente du procès civil".
Ainsi, le rapport des états généraux de la justice préconise :
• Une première audience purement technique servant à vérifier les constitutions des parties,
• Puis une seconde audience dite "de dialogue utile" qui va permettre de recevoir les parties et leurs avocats afin de décider de l'orientation de l'affaire.
Lors de cette seconde audience, les parties, assistées de leurs avocats, décideront de l'orientation de la procédure :
• Soit vers une voie amiable courte,
• Soit vers une voie contentieuse nécessairement plus longue.
Les rôles du juge et des avocats seront ici complémentaires.
Au juge de proposer aux parties, si elles ne le font pas de manière proactive, le MARD qui correspond le plus à la nature du dossier et à l'enjeu du litige. Par exemple, une problématique de voisinage ira plus naturellement en conciliation, un litige familial en médiation, un contentieux de responsabilité ou un contentieux dit "sériel" se prête bien à la césure.
Aux avocats de conseiller leurs clients et de dialoguer entre eux pour mener à bien, dans des délais raisonnables et avec des moyens procéduraux adaptés, leur dossier.
Cela peut par exemple passer par une convention de procédure participative aux fins de mise en état, qui n'est pas un MARD mais qui est un outil de l'amiable qui vous sera présenté tout à l'heure. Certaines juridictions la pratiquent déjà, comme le tribunal judiciaire de Grasse dans lequel je me rendrai cet après-midi.
Cette "mise en état intelligente" va permettre au magistrat, qui sera assisté pour la préparer de son équipe, de piloter ses dossiers et, si chacun joue le jeu de l'amiable, de ne conserver en voie contentieuse que les dossiers les plus complexes.
Au fond, l'idée est simple, c'est celle de dire que les ressources procédurales doivent être utilisées à bon escient, je dirais même avec "sobriété".
Si la voie de l'amiable réussit, qu'elle ait été pilotée par un conciliateur, un médiateur, par le juge ou par les avocats eux-mêmes, l'accord ainsi obtenu sera homologué dans le mois de sa réception au tribunal.
Nous permettrons ainsi au justiciable qui joue le jeu de l'amiable de participer à la solution de son litige et d'en maîtriser la durée.
Permettez-moi à présent de m'arrêter quelques instants sur deux des trois nouveaux outils de l'amiable qui vous seront présentés au cours de de la matinée : la césure et l'audience de règlement amiable.
Je veux d'abord remercier l'honorable juge Gagné qui a traversé l'Atlantique et qui nous fait le plaisir d'être présente parmi nous aujourd'hui pour nous présenter la conférence de règlement amiable québécoise.
Madame la juge, je dois vous faire une confidence : c'est grâce à vous, grâce aux échanges que nous avons eus lors de mon déplacement au Québec en novembre dernier, que je porte aujourd'hui, avec une telle conviction, l'introduction dans notre droit français de ce nouveau mode amiable de résolution des différends.
Pour ne pas déflorer les propos que vous tiendrez tout à l'heure, je me bornerai à indiquer que les conférences de règlement amiable civiles réussissent dans 72 % des cas chez vous. Elles consistent pour le juge à mettre les parties autour de la table et à les inviter à trouver une solution à leur litige en évitant ainsi le procès.
J'insiste cependant sur deux points :
- D'abord, ce nouveau mode amiable ne vient pas remplacer mais compléter l'offre de MARDs existante ;
- Ensuite, je ferai en sorte que des magistrats honoraires et des magistrats à titre temporaire viennent seconder le juge dans son office de juge conciliateur. Ces derniers seront également aidés par l'équipe qui va se former autour du magistrat.
Venons-en à présent à la césure. Il s'agit d'un procédé qui consiste à faire trancher partiellement le litige par un juge afin d'en favoriser la résolution amiable.
Par exemple faire trancher le principe de la responsabilité (question de droit) puis de renvoyer les parties en médiation, avec l'aide de leurs avocats, pour la liquidation du préjudice (c'est plus une question de fait). C'est un outil qui a fait ses preuves, en Allemagne et aux Pays-Bas.
Alors merci, Mme Christmann, pour votre présence aujourd'hui parmi nous. Vous êtes juge auprès d'un tribunal cantonal allemand et vous allez présenter dans quelques instants votre expérience de la césure. Je suis persuadé que vos propos seront particulièrement éclairants pour tous les praticiens.
Nous allons donc nous inspirer, sans les copier, de ces pratiques innovantes pour introduire la césure "à la française" dans le code de procédure civile. La tâche, je ne vous le cache pas, est complexe.
Et je veux ici remercier les bureaux de la direction des affaires civiles et du sceau qui travaillent sur ce projet depuis plusieurs semaines et qui ont préparé des projets de texte d'une grande qualité.
Tous ces projets sont réglementaires. Néanmoins, ils vous seront, mesdames et messieurs les parlementaires, présentés en détail car je souhaite que, dans un dialogue fructueux, que vous soyez associés à la mise en place de cette politique qui concerne tous nos concitoyens.
Je crois que je vous ai tout dit, enfin presque.
Car une véritable politique de l'amiable ne pourra se mettre en place que si l'élan que nous prenons aujourd'hui se poursuit dans les mois, les années à venir.
Pour cela il appartient à chacun de nous, conciliateurs, médiateurs, avocats, magistrats, mais aussi professions du droit ou acteur du secteur privé, de faire évoluer nos pratiques pour que la culture de l'amiable se diffuse, année après année, dans nos juridictions.
Il nous faudra également évaluer la bonne mise en œuvre de cette politique qui s'échelonnera d'un point de vue légistique sur 2023 et pour les juridictions bien au-delà. Je mettrai donc en place un comité de suivi qui mettra en place des indicateurs et assurera le lien entre l'administration centrale et les juridictions.
Mesdames et Messieurs, je vous souhaite de beaux et riches échanges autour de nos intervenants et vous dis, s'il en était besoin, toute ma confiance pour qu'ensemble nous portions cette politique de l'amiable permettant pour reprendre les mots du Président de la République de mettre en place une justice plus proche, plus rapide, plus protectrice.
Je vous remercie.
Source http://www.justice.gouv.fr, le 18 janvier 2023