Interview de M. Olivier Dussopt, ministre du Travail, du Plein Emploi et de l'Insertion, à RMC, le 7 février 2023, sur les principales dispositions de réforme des retraites, allongement de la durée de cotisations, report de l'âge légal de la retraite, dispositif carrières longues et la mobilisation sociale contre ce projet.

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Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
Olivier DUSSOPT est dans le studio de RMC, bonjour Monsieur le Ministre.

OLIVIER DUSSOPT
Bonjour. 

APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes ministre du Travail, c’est vous qui portez cette réforme des retraites. Depuis hier, c’est dans l’Hémicycle de l’Assemblée, avec un débat très houleux, on va y revenir. Lors de votre prise de parole, vous avez d’ailleurs été traité de « vendu », vous qui êtes renvoyé devant un tribunal, pour soupçon de favoritisme, on y reviendra. Mais, aujourd’hui, c'est la troisième journée de mobilisation, est-ce que vous regardez ce qui se passe dans la rue ou est-ce que vous dites, « maintenant, non, ça y est, c'est à l’Assemblée » ?

OLIVIER DUSSOPT
Toujours. Il faut toujours regarder ce qui se passe dans une manifestation, dans une mobilisation, il ne faut jamais être dans le déni. Les deux premières ont été des manifestations importantes, avec un certain nombre de messages. Il y a des Français qui s'opposent à la réforme, qui qui disent « nous ne souhaitons pas travailler plus », et d'une certaine manière on peut entendre ce message. 

APOLLINE DE MALHERBE
Il n’y a pas « des Français », il y a beaucoup de Français.

OLIVIER DUSSOPT
Je l’ai dit… 

APOLLINE DE MALHERBE
Il y a une majorité de Français.

OLIVIER DUSSOPT
Pardon, mais j’ai dit il y a un instant que la mobilisation était importante. Il n’y a pas de déni, mais il y a des Français qui nous disent « nous ne voulons pas travailler plus », parce que c'est un effort et nous pouvons l'entendre. Il y a aussi des Français qui ont des inquiétudes, des inquiétudes pour leur avenir, des inquiétudes pour l'avenir de leurs enfants. Je pense que la réforme que nous proposons, celle que nous portons, que nous défendons au Parlement, c'est une réforme qui est nécessaire parce que le système est déficitaire, et si on tient au système, il faut le sauver, nous avons aujourd'hui un peu plus de 1,5 cotisants pour un retraité, il y a 30 ans c'était 3 cotisants pour un retraité. Ça montre qu’il faut faire quelque chose. Et puis… 

APOLLINE DE MALHERBE
C'est la réforme ou la faillite, c'est ce qu'a dit votre collègue Gabriel ATTAL.

OLIVIER DUSSOPT
Vous savez… 

APOLLINE DE MALHERBE
Il y a un côté « c’est moi, ou le chaos ».

OLIVIER DUSSOPT
Non, mais Gabriel ATTAL s'appuie sur des chiffres, les chiffres du Conseil d'orientation des retraites. Aujourd'hui nous sommes en 2023, le système sera déficitaire de 1,8 milliard, mais dès 2027, c’est 12,5 milliards par an, et puis ça se creuse, et en 2040 c'est 25 milliards par an. Si on ne fait rien, mais vraiment rien du tout, d'abord il n'y a aucun nouveau droit, on n'augmente pas les petites pensions, on ne tient pas mieux compte de la pénibilité, mais non seulement il n'y a pas de nouveaux droits, mais en plus en 10 ans, c'est 150 milliards de déficits accumulés donc de dettes en plus. 

APOLLINE DE MALHERBE
On va rentrer dans le détail sur ces questions de pénibilité, sur ces questions de seniors, sur la question des carrières longues, mais tout de même ce qui me frappe, c'est que vous dites : les chiffres du COR sont évidents, si on ne fait rien ça s'écroule. Vous parlez des milliards de déficit, est-ce que, honnêtement, tout cela est audible pour les Français ? Un, le COR, le rapport du COR, chacun y voit ce qu'il veut, et vos adversaires eux-mêmes, en prenant la même référence que vous, c'est-à-dire le rapport du COR, prennent d'autres scénarios possibles dans ce même rapport. Et puis surtout vous dites : « il y a des milliards de déficit ». Après le « quoi qu'il en coûte » on se dit que les milliards au fond, quand vous les voulez, vous les avez.

OLIVIER DUSSOPT
Alors, deux réponses à ces deux questions. La première, sur le rapport du COR. Le rapport du COR, le Conseil d'Orientation des Retraites, c'est un rapport qui est adopté par les membres du Conseil, qui sont les partenaires sociaux. Il y a effectivement plusieurs hypothèses, mais il y a deux choses à avoir en tête. La première c’est que quelle que soit l'hypothèse, quelle que soit la convention comptable, pour reprendre des termes très techniques du rapport, il y a un déficit sur les 25 années qui viennent, c’est marqué, c’est… 

APOLLINE DE MALHERBE
Mais qui n’est pas forcément de la même ampleur.

OLIVIER DUSSOPT
Et quand on regarde l'hypothèse centrale, l'hypothèse centrale c'est celle sur laquelle tout le monde a toujours travaillé, et cette hypothèse centrale elle dit quoi ? Elle dit que c'est l'hypothèse d'un taux de chômage à 4,5 % en 2027. C'est notre objectif, mais vous conviendrez avec moi que si on passe de 7 à 4,4 % de chômage, tout le monde sera content, mais que c'est un bon résultat qu'il faut atteindre. Dans ces conditions, et dans ces conditions pourtant optimistes, c'est 12,5 milliards de déficit en 2027 et presque 15 en 2030. Ça c'est la première chose. Et puis ensuite il y a une réflexion, et je la partage avec vous, nous étions pendant la période de pandémie, pendant la période de mesures d'urgence, pour sauver l'économie, dans un contexte où effectivement nous avons beaucoup dépensé. J'étais le ministre du Budget, je sais ce que nous avons dépensé. Mais nous l’avons fait dans un moment de crise très particulière, dans un moment où, ça peut paraître technique, mais la Banque centrale européenne, la Commission européenne, avaient ouvert les vannes et protégeaient, garantissaient, tout ce qu'on pouvait emprunter. Ça ne veut pas dire que ça ne crée pas de la dette, mais c'est de la dette garantie. Et aujourd'hui nous sommes dans un moment plus normal économiquement, et j'ajoute que nous sommes dans un moment, où du fait de l'inflation, du fait des tensions économiques, non pas en France, mais partout dans le monde, les taux d'intérêt que la France paie, quand elle emprunte, sont à 3 %, ils étaient à zéro… 

APOLLINE DE MALHERBE
Donc on ne peut plus aller chercher des milliards, comme ça, comme on a pu le faire encore il y a 2 ans.

OLIVIER DUSSOPT
Pardon, mais ça signifie deux choses très claires, très basiques. Soit on laisse filer la dette, et ce n'est pas soutenable, parce que la dette est devenue beaucoup plus chère et insoutenable. Soit on peut dire, on ne travaille pas plus, mais dans ce cas-là qu'est-ce que ça signifie ? Ça signifie qu'on augmente les cotisations, les prélèvements ? Ça signifierait si on écoutait par exemple la France insoumise, sans même parler de leur idée de retraite à 60 ans, qui coûte 85 milliards d'euros. Mais juste face au déficit d'aujourd'hui, sans leurs idées totalement infinançables, ça signifierait demander en 2030 à chaque personne qui travaille, à chaque salarié, à chaque travailleur, un effort de 500 € par an. 500 € de cotisations, de cotisations… 

APOLLINE DE MALHERBE
Vous avez chiffré à 500 € par an l'effort qu’il faudrait faire, si vous ne faites pas, par salarié en France…

OLIVIER DUSSOPT
En 2030. Mais c'est très facile, il suffit de diviser le déficit public de 2030 par le nombre de personnes qui cotisent. 

APOLLINE DE MALHERBE
Olivier DUSSOPT, Laurent BERGER alerte, il alerte sur votre incapacité dit-il à regarder ce conflit social avec les bonnes lunettes, et il précise surtout que vous avez l'air de favoriser la violence, en quelque sorte. C'est-à-dire que quand les Gilets jaunes étaient violents, vous leur avez lâché du lest. Quand les manifestants ne sont pas violents, et c'est ce qu'il dit, au pic de leur mobilisation les Gilets jaunes ont réuni 284 000 personnes, dit Laurent BERGER, avec malheureusement trop de violence. Le 31 janvier il y avait 1, 27 million qui ont manifesté pacifiquement. Faut-il l’outrance, la violence et la hargne, pour se faire entendre ?

OLIVIER DUSSOPT
J’ai beaucoup de respect pour Laurent BERGER, il le sait, et je crois que malgré nos désaccords qui sont réels, et que nous assumons, il y a une capacité à parler et à se dire les choses, de manière assez directe, et je pense même, pour ce qui me concerne en tout cas, je ne veux pas parler à sa place, en confiance. Je ne crois pas qu'il y ait évidemment de prime à la violence ou l'outrance. La réforme que je présente, celle que nous avons présentée il y a quelques jours publiquement avec la Première ministre, ce n’est pas la même réforme qu'il y a 4 mois, et si ça n'est pas la même réforme qu'il y a 4 mois, c'est parce que les concertations que nous avons menées, sur la retraite minimum, on devait la faire pour les nouveaux retraités, on l’a fait pour tous les retraités, ça signifie que 1,8 million de retraités actuels, c'est plus de 1 sur 10… 

APOLLINE DE MALHERBE
Mais…

OLIVIER DUSSOPT
Pardon, c'est important, je me permets de finir cette phrase. Sur ce point-là, sur la pénibilité, sur les carrières longues, sur l’emploi des seniors, la réforme que nous présentons a été améliorée grâce à la concertation. Je ne dis pas, parce qu'il faut être très précis et très clair sur les termes du débat, je ne dis pas que là où il y a convergence avec telle ou telle organisation syndicale, il y aurait un accord. Il n'y a pas d'accord parce que les organisations syndicales ne veulent pas entendre parler de l'âge et donc comme ils ne veulent pas entendre parler de l'âge… 

APOLLINE DE MALHERBE
Et que c'est le point que vous ne voulez pas négocier.

OLIVIER DUSSOPT
… ça signe un désaccord. 

APOLLINE DE MALHERBE
Mais sur le fond ? Sur le fond, sur les points, vous avez dit par exemple que cette réforme elle était juste pour les femmes, et quand on a regardé dans le détail, on s'est bien rendu compte que c'était beaucoup plus compliqué que ça, et que proportionnellement les femmes allaient quand même devoir plus travailler.

OLIVIER DUSSOPT
Non. 

APOLLINE DE MALHERBE
Pourquoi ne l'avez-vous pas dit ?

OLIVIER DUSSOPT
Non, là aussi pardon, mais il faut être extrêmement précis. La réforme n'est pas injuste pour les femmes. Nous sommes dans… 

APOLLINE DE MALHERBE
Mais elle n’est pas juste. Vous avez dit « elle est juste », vous l’avez même vantée comme telle.

OLIVIER DUSSOPT
Eh bien je vais vous répondre en deux points, mais vraiment, il faut que vous me laissiez aller au bout. Deux phrases. 

APOLLINE DE MALHERBE
Allez-y.

OLIVIER DUSSOPT
La première phrase c'est pour dire que jusqu'à aujourd'hui, jusqu'à il y a un an, les femmes structurellement, parce que leurs carrières sont plus souvent hachées, partaient plus âgées que les hommes, en départ effectif. Aujourd'hui c'est le même âge. Demain, en 2030, les femmes partiront plus jeunes que les hommes. Plus tard, parce que nous remontons l'âge, donc les hommes les femmes travailleront plus, mais plus jeunes que les hommes, ça c'est la première chose. Et il y a une question qui est posée avec cela, c'est la question des trimestres de maternité, parce que ces trimestres dans les années 70, remplaçaient, compensaient les trimestres qui ne pouvaient pas être cotisés, aujourd'hui il est en plus des trimestres cotisés, et parfois pour certaines femmes qui ont une carrière complète, il y a moins d'intérêt, et donc c'est pour ça qu’on va ouvrir un débat sur les droits familiaux. La deuxième… 

APOLLINE DE MALHERBE
Attendez, moi sur les droits familiaux, j’aimerais bien quand même vous poser une question. Vous connaissez la vie des parents des 4 premières années de l'enfant ?

OLIVIER DUSSOPT
Oui, mais justement… 

APOLLINE DE MALHERBE
Non mais la vie des parents des 4 années…

OLIVIER DUSSOPT
Alors, il se trouve… 

APOLLINE DE MALHERBE
Parce qu'il y a un petit alinéa quand même Olivier DUSSOPT, qui est que oui on peut partager ses trimestres avec le père, mais uniquement si on l'a décidé avant le 4e anniversaire de l’enfant. Qui a inventé ce système ?

OLIVIER DUSSOPT
Madame de MALHERBE, je vais même en ajouter. On peut partager, les femmes ont 4 trimestres de maternité. Il y a 4 trimestres que les parents peuvent se partager avant les 4 ans de l’enfant… 

APOLLINE DE MALHERBE
Mais avant les 4 ans de l’enfant, qui y pense avant les 4 ans d’un enfant ? Vous avez vu la vie des jeunes parents ?

OLIVIER DUSSOPT
Avant de me couper, laissez-moi vous dire que je suis d'accord avec vous. 

APOLLINE DE MALHERBE
Bon !

OLIVIER DUSSOPT
C'est quelque chose qui est « intordable », pardon pour l'expression, mais il y en a d'autres. Comment est-ce qu'on explique aujourd'hui que la maternité c'est 4 trimestres pour les femmes du régime général et 2 trimestres pour les femmes de la Fonction publique ? Comment est-ce qu'on explique aujourd'hui… 

APOLLINE DE MALHERBE
Donc vous allez améliorer…

OLIVIER DUSSOPT
… quand on parle de pension de réversion, qu'il y a 13 régimes différents et qu'avec 13 régimes, il y a autant d'inégalités. J'ai dit hier à la tribune, la Première ministre a dit il y a 15 jours que sur ce sujet des droits familiaux, on veut un débat large, et j'ai même ajouté hier, un point qui est important, c'est qu'aujourd'hui il existe une prestation d'accueil du jeune enfant, pour aider les couples qui justement accueillent un enfant, sur des questions de garde. Les classes moyennes en sont souvent privées, et j'ai dit que nous étions prêts à relever les plafonds pour couvrir plus de monde. Et puis il y a une deuxième chose que je voulais vous dire, vous m'avez arrêtée avant la deuxième phrase, quand nous disons que cette réforme apporte de nouveaux droits aux femmes, je prends deux exemples… 

APOLLINE DE MALHERBE
Deux exemples, parce qu’ensuite il y a les auditeurs qui voudraient vous interroger, notamment sur les carrières longues.

OLIVIER DUSSOPT
Deux exemples. La première, le premier exemple c'est que nous allons intégrer justement dans la durée de prise en compte, pour savoir qui est carrière longue ou pas, les trimestres de congé parental, et nous allons intégrer pour savoir qui a le droit ou pas à la retraite minimum, des trimestres aussi de congé parental. Quand on sait que souvent ce sont les femmes qui ont les carrières hachées, que malheureusement, parce que notre système de retraite est le reflet des inégalités de carrière, ce sont elles sont les plus exposées aux petites pensions, intégrer ces trimestres c'est une mesure de protection pour les femmes qui ont les plus bas revenus et qui ont les carrières les plus précaires. 

APOLLINE DE MALHERBE
Et on voit que le débat se poursuit donc, et qu'il y a, vous en avez encore peut-être un petit peu sous le pied pour pouvoir négocier, négocier dans l'hémicycle, mais écouter aussi le témoignage et les questions des auditeurs, ils sont avec nous, ils vous interrogent juste après le journal de 08h00.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 9 février 2023