Interview de M. Gabriel Attal, ministre chargé des comptes publics, à RTL le 6 février 2023, sur la réforme des retraites.

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Texte intégral

YVES CALVI
Amandine BEGOT, vous recevez donc ce matin le ministre délégué aux Comptes publics, Gabriel ATTAL

AMANDINE BEGOT
Gabriel ATTAL, c’est vous qui allez avec Olivier DUSSOPT défendre cette réforme dans l’hémicycle. Début des débats, on le disait, aujourd’hui. Alors, Elisabeth BORNE a annoncé hier un certain nombre de concessions, on va y revenir dans le détail dans un tout petit instant. Mais d’ores et déjà, est-ce que vous pouvez nous annoncer ce matin que vous aurez la majorité pour voter ce texte, qu’il n’y aura pas besoin de 49.3 ?

GABRIEL ATTAL
Il va y avoir un vrai débat. Et moi, je suis convaincu qu’on aura une majorité pour voter ce texte. Puis qu’une réforme des retraites, pour permettre de continuer à payer les pensions de nos retraités dans les années à venir sans augmenter les impôts, c’est un engagement qu’avaient pris plusieurs candidats à l’élection présidentielle. Il y avait Emmanuel MACRON, mais également Valérie PECRESSE et ensuite des candidats aux législatives qui ont fait campagne sur la base de ces programmes et de ce projet. Et puis, il y a une majorité à l'Assemblée nationale de ces députés qui se sont engagés sur ce sujet-là. Donc, je suis convaincu qu'on arrivera à trouver une majorité sur le sujet.

AMANDINE BEGOT
Alors, il y a cette concession notamment faite aux députés les Républicains : dispositif carrières longues qui va être étendu à ceux qui ont commencé à travailler à 20 ou 21 ans, qui pourront finalement partir à 63 ans à condition, bien sûr, d'avoir leurs 43 annuités. Ça va coûter entre 600 millions d'euros et un milliard d'euros disait hier la Première ministre. Vous nous confirmez ces chiffres ?

GABRIEL ATTAL
Oui, c'est un coût de 600 millions d’euros en 2030. C'est une mesure qui est importante. Je rappelle qu'il y a eu beaucoup de discussions d'abord avec les organisations syndicales et puis ensuite avec les formations politiques sur ce texte. Il faut se souvenir dans la campagne présidentielle, Emmanuel MACRON avait annoncé un report de l'âge à 65 ans. La revalorisation des petites pensions, ça ne devait concerner que les nouveaux retraités. Et finalement, ce sera 64 ans la revalorisation des petites pensions aussi pour les retraités actuels. Et le dispositif carrières longues effectivement étendu à ceux qui ont commencé à travailler à 20 ans.

AMANDINE BEGOT
Vous disiez : chaque ajustement devrait être financé. On les finance comment ce milliard d'euros par an ? Ce n'est pas rien quand même.

GABRIEL ATTAL
Alors, ça va être tout l'enjeu du débat parlementaire. Mais il y a notamment une autre annonce de la Première ministre qui est intervenue. Vous savez qu'on est très mobilisés pour favoriser l'emploi des seniors qu'aujourd'hui vous avez une fiscalité sur les ruptures conventionnelles pour les patrons, les entreprises, qui font qu'il y a une forme d'incitation à faire des ruptures conventionnelles avec des seniors plus tôt que 62 ans. Et donc, on va harmoniser la fiscalité ; ce qui permettra des recettes supplémentaires. Il y a d'autres mesures qui seront dans le débat, notamment sur l'index senior : le dispositif qu'on met en place pour inciter les entreprises à recruter des seniors. Vous avez des parlementaires qui veulent accroître les sanctions, les pénalités.

AMANDINE BEGOT
Tout ça, ça pourra servir à financer…

GABRIEL ATTAL
Ça fera aussi partie des leviers de financement parmi d'autres.

AMANDINE BEGOT
Le député LR, Aurélien PRADIE, souhaiterait que tous ceux qui ont cotisé un trimestre avant 21 ans puissent partir avant 64 ans. Ça, c'est inimaginable parce qu'impossible à financer ?

GABRIEL ATTAL
D'abord, je ne sais pas si c'est très juste, puisque vous avez des personnes qui ont cotisé un trimestre parce qu'elles ont fait un job d'été, par exemple, mais qui, ensuite, ont eu un métier qui n’était pas du tout pénible, qui en bénéficieraient. Puisque pour avoir un trimestre, il faut grosso modo cotiser un mois si on fait par exemple un job d'été. Donc, je crois que le dispositif qu'on a mis en place qui permet, selon l'âge auquel vous avez commencé à travailler, de partir dès 58 ans pour certains, à 60 ans pour d'autres, à 62 ans pour d'autres ; fait qu'on tient compte précisément de ceux qui ont vraiment commencé à travailler tôt. Je rappelle que quatre Français sur dix, avec notre système, partiront avant 64 ans.

AMANDINE BEGOT
Juste, pas juste, Gabriel ATTAL, c'est l'un des mots qu'on entend le plus autour de cette réforme des retraites. En l'état actuel des choses, ceux qui ont commencé à travailler entre 16 et 18 ans, eux, ils vont cotiser encore 44 ans. Ça, ce n’est pas injuste ?

GABRIEL ATTAL
Mais ceux qui ont commencé à travailler à 16 ans, ils pourront partir à 60 ans ; quatre ans avant les autres.

AMANDINE BEGOT
Oui, mais ils cotiseront 44 ans, plus que les autres.

GABRIEL ATTAL
Dans le système actuel, avant même notre réforme, vous avez des personnes qui doivent cotiser 45 ans. Donc déjà, il n’y en aura plus avec notre système. Quelqu'un qui a commencé à travailler à 16 ans, il pourra partir à 60 ans. On maintient quand même cet âge de départ anticipé.

AMANDINE BEGOT
Pourquoi ils devraient cotiser plus que les autres ? Laurent BERGER, on le comprend à demi-mot quand on lit son interview dans Les Echos ce matin, qui refuse toujours, le leader de la CFDT, cet âge de 64 ans. On comprend entre les lignes que, finalement, 43 ans de cotisations pour tout le monde, ça lui irait en abandonnant cette histoire d'âge. C'est aussi un peu ce que disait hier Xavier BERTRAND, du côté des Républicains. Ça, c'est inenvisageable ? On ne peut pas faire que 43 ans de cotisations et oublier l’âge ?

GABRIEL ATTAL
Il y a beaucoup d'études qui ont été faites sur ce sujet-là. S'il n’y avait pas d'âge légal de départ et qu'on se fondait que sur la durée de cotisation ; pour que le système soit équilibré, ça veut dire pour qu'on puisse payer les pensions de nos retraités sans avoir à les baisser, il faudra travailler 45 ans, en moyenne. Donc, vous voyez bien que ça serait injuste pour beaucoup de Français qui ont commencé à travailler jeunes. Le système qu'on a mis en place, encore une fois, en tenant compte de la pénibilité des carrières longues, il va permettre à quatre Français sur dix de partir avant 64 ans. Maintenant, on a besoin d'équilibrer le système. Mais quand je dis ça, ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'aujourd'hui, on a un gros problème pour payer les pensions de retraite dans les années à venir si on ne fait pas de réforme. Nous, on propose, effectivement, de travailler globalement et progressivement un peu plus longtemps. L'alternative, on le voit dans les amendements qui sont proposés à l'Assemblée nationale, c'est d'augmenter les impôts.

AMANDINE BEGOT
Ça, vous vous y refusez ?

GABRIEL ATTAL
Mais évidemment qu'on s'y refuse. Regardez la NUPES, ils proposent, pour payer les retraites, d'augmenter par exemple la fiscalité sur les heures supplémentaires. Il y a un Français sur deux qui fait des heures supplémentaires ; deux ouvriers sur trois. Ça serait une perte de pouvoir d'achat de plusieurs centaines d'euros pour la France qui travaille, qui fait des heures supplémentaires. Ça, on s’y refuse. Et le fait que l'opposition propose ces amendements montre bien qu'ils ont conscience qu'il y a un problème de financement pour payer les pensions. Nous, on refuse d'augmenter les impôts.

AMANDINE BEGOT
Vous évoquiez ces ajustements proposés par la Première ministre. Il y a d'autres marges de manoeuvre encore ? Où là, vous êtes au bout du bout ?

GABRIEL ATTAL
Non, mais quand on se lance dans un débat, c'est évidemment pour qu'il y ait un vrai débat et puis qu'on regarde toutes les propositions. Moi, simplement ce que je dis, c'est qu’il faut qu'on puisse payer les pensions de retraite dans les années à venir, donc il faut remettre notre système à l'équilibre en 2030. Et la deuxième chose, c'est qu'on ne souhaite pas augmenter les impôts des Français. A partir de là, une fois que vous avez fixé ces deux conditions, il peut y avoir des débats sur la question de l'emploi des seniors. Je pense que c'est un sujet pour lequel, évidemment, des propositions peuvent venir encore enrichir la réforme.

AMANDINE BEGOT
Sur la pénibilité, sur certains secteurs, est-ce qu'on peut imaginer des contreparties ?

GABRIEL ATTAL
Sur certains secteurs, oui, on peut évidemment y travailler. Par ailleurs, c'est un texte financier sur le budget de la Sécurité sociale donc il y a d'autres sujets qui seront abordés, ce n'est pas le coeur du texte. Mais, par exemple, je proposerai un amendement au nom du Gouvernement pour accroître le budget de l'hôpital de 600 millions d'euros en 2023.

AMANDINE BEGOT
Ça, vous nous l'annoncez ce matin sur RTL.

GABRIEL ATTAL
Puisque notamment le République a annoncé des mesures fortes pour l'hôpital à la fin de l'année dernière. Vous savez que notamment pour le travail de nuit, il y avait des majorations pour les personnels de santé qui travaillent la nuit à l'hôpital. Le Président de la République a annoncé qu'on allait les prolonger. Il y a d'autres mesures qui vont venir soutenir les soignants, notamment qui travaillent la nuit.

AMANDINE BEGOT
Et vous les trouvez où, ces 6 millions ? Puisqu'on nous explique qu’il faut combler chaque dépense etc… Ils viennent d’où ces 600 millions ?

GABRIEL ATTAL
Alors, c’est sur 2023. Et puis, sur 2023, on maintient notre objectif de déficit qui était à 5%. On avait cette possibilité notamment sur le budget de l'hôpital d'accroître notre engagement. Le Président de la République avait fait ses annonces en fin d'année dernière, donc évidemment, on en avait tenu compte dans les prévisions qu'on a faites. Mais ça se traduit concrètement par 600 millions d'euros qui seront proposés dans un amendement que je défendrai à l'Assemblée nationale.

AMANDINE BEGOT
Quand on veut de l'argent, quand on veut trouver de l'argent, on le trouve ?

GABRIEL ATTAL
Vous savez, on a un objectif de réduction des déficits. On était à 9% de déficit en 2020, on est descendu à 6,5% en 2021, on sera à 5% en 2022. Je veux dire que ce n'est pas évident à tenir ; mais c'est aussi le coeur de mon travail et on va continuer à agir.

AMANDINE BEGOT
Et ça fait maintenant, Gabriel ATTAL, plusieurs semaines que le Gouvernement explique cette réforme. Il y a eu des débats, des émissions spéciales ; et plus ça va, plus le nombre de Français hostiles à cette réforme grandit. Comment vous l'expliquez, vous ? Vous expliquez mal ?

GABRIEL ATTAL
Moi, quand je j'échange avec des Français, je me rends compte qu’ils sont majoritairement favorables à ce qu'on supprime les régimes spéciaux. On le fait parce que c'est inadmissible qu'un chauffeur de bus à Paris puisse partir cinq ou dix ans …

AMANDINE BEGOT
Vous le faites progressivement.

GABRIEL ATTAL
Cinq ou dix ans avant un chauffeur de bus dans toutes les autres villes françaises. Donc, on supprime les régimes spéciaux.

AMANDINE BEGOT
Progressivement ?

GABRIEL ATTAL
Oui. Faire une pension minimale à 1 200 euros pour quelqu'un qui a une carrière complète ; majoritairement, les Français y sont favorables. Agir pour l’emploi des seniors…

AMANDINE BEGOT
Mais quand vous voyez les sondages du nombre de Français qui grandit.

GABRIEL ATTAL
Oui, je vais y venir.
Et donc, je pense que là où les doutes, les inquiétudes, les angoisses se cristallisent, c'est autour du report de l'âge légal à 64 ans. Et je l'entends parfaitement. Je l'entends parfaitement parce qu'il y a des Français qui travaillent dans des conditions pénibles, qui ont commencé à travailler tôt. Je rencontre aussi des Français qui ont commencé à travailler à 16 ou 17 ans, qui pensent qu'ils vont devoir travailler jusqu'à 64 ans. Alors que, précisément je vous ai dit tout à l'heure, qu’ils pourraient partir…

AMANDINE BEGOT
62 mais avec 44 années de cotisations.

GABRIEL ATTAL
S’ils ont commencé à travailler à 16 ans, dès 60 ans. Donc, vous voyez, je pense qu’on peut encore beaucoup préciser les choses ? faire évoluer notre copie.

AMANDINE BEGOT
Je vous repose la question : vous expliquez mal ou Les Français ont du mal à comprendre ?

GABRIEL ATTAL
Mais, je pense qu’il n’y a pas une réforme des retraites ; je n'ai pas de souvenir d'une réforme des retraites qui se soit traduite par une très grande popularité. Parce qu'évidemment, c'est toujours difficile de demander un effort aux Français de travailler plus longtemps, parce qu'il y a beaucoup de Français qui travaillent dans des conditions pénibles. C’est pour ça qu'on veut agir aussi pour réduire les conditions de pénibilité au travail. Aujourd'hui, on dépense 40 millions d'euros par an pour améliorer les conditions de travail. On va passer à 200 millions par an dans la réforme que nous proposons.

AMANDINE BEGOT
Difficile, mais elle se fera.

GABRIEL ATTAL
Et des Français, aujourd'hui aussi, qui veulent travailler différemment. Moi, j'ai annoncé dans mes services de mon ministère une expérimentation…

AMANDINE BEGOT
La semaine de quatre jours.

GABRIEL ATTAL
Pour faire cette durée hebdomadaire de travail sur quatre jours. Je pense qu'on peut aussi beaucoup agir pour améliorer les conditions de travail, donner du sens au travail, mieux rémunérer le travail aussi. Parce que c'est aussi ça que nous disent les Français à travers le doute et l'inquiétude de devoir travailler plus longtemps.

AMANDINE BEGOT
Merci beaucoup, Gabriel ATTAL.

GABRIEL ATTAL
Merci.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 13 février 2023