Déclaration de M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice, sur le second plan de transformation numérique au sein de la Justice, à Chartres le 14 février 2023.

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Circonstance : Présentation du second plan de transformation numérique

Texte intégral

Madame la Préfète,
Monsieur le maire,
Mesdames, messieurs les élus,
Messieurs les chefs de cours,
Madame, monsieur les chefs de juridiction,
Mesdames les directrices, Messieurs les directeurs,


Si je suis venu ici à Chartres aujourd’hui c’est parce que je veux vous parler d’un sujet primordial à la fois pour le fonctionnement actuel de notre justice mais également pour son avenir : le numérique.

Le numérique au ministère de la Justice c’est un peu le sujet dont on n’espère plus rien. C’est le sujet dont on rit jaune. C’est le sujet avec lequel " on fait avec ".

Or, l’informatique a pris une place telle dans le fonctionnement de la justice que sa bonne marche est désormais indispensable au bon fonctionnement de la justice elle-même.

Si je suis là aujourd’hui devant vous c’est pour vous présenter le plan ambitieux de transformation numérique du ministère de la Justice. Je pense que nous avons trop longtemps manqué de vision sur ce sujet et j’ai voulu en faire une priorité des mesures que j’ai prises suite aux Etats généraux de la Justice.

Notre objectif commun est que vous puissiez réaliser votre travail dans les meilleures conditions. Je sais qu’il n’y a rien de plus pénible, de plus frustrant que d’être freiné dans la réalisation de sa mission par des difficultés purement techniques.

En quelques mots, je crois comprendre que ce que vous souhaitez, en grande majorité, ce sont :

- des logiciels adaptés,
- un matériel solide, mis à jour et qui fonctionne correctement,
- sur un réseau qui est stable, rapide et sans coupures,
- en cas de difficultés, un professionnel qui peut vous accompagner.

Comme vous le savez, j’ai été 36 ans avocat et j’ai vu moi-même le retard de nos juridictions sur le plan du numérique.

J’ai bien vu que, si la situation n’est pas catastrophique, elle est très loin d’être idyllique. Le rapport des Etats Généraux de la justice remis par Jean-Marc Sauvé est aussi très sévère sur cette question.

C’est pourquoi la première priorité que je souhaite mettre en oeuvre est un plan de soutien pour les tribunaux et cours d’appel pour 2023.

Je souhaite que les services du ministère viennent au plus près de vous et de vos besoins, afin de vous soutenir au mieux, dans une démarche de proximité qui est celle, vous le savez, que je conduis depuis le début de mon action à la Chancellerie.

J’ai donc signé une circulaire il y a quelques jours, qui permet le recrutement de 100 techniciens informatiques de proximité dès maintenant. D’autres arriveront début 2024 et il y aura ainsi, dans un an, un professionnel de l’informatique dans chaque ville accueillant une cour d’appel ou un Tribunal judiciaire. Ce sera quelqu’un qui sera à la fois capable de traiter tous les problèmes informatiques du quotidien mais aussi, lorsque la résolution du problème dépend de services plus spécialisés, capable de faire lui-même le lien avec les services en région ou à Paris. En clair, ce sera à lui de gérer les fameux " tickets ". Quelqu’un qui pour résumer sera à vos côtés, pour vous aider lorsque vous avez un souci informatique et pourra aussi venir en soutien des chefs de juridiction et du directeur de greffe.

La deuxième chose, sur laquelle nous devons absolument travailler c’est l’amélioration du réseau. Il faut tout d’abord dire que c’est un travail qui dépend du ministère de la Justice, mais pas seulement. Un certain nombre d’interruptions que vous subissez parfois viennent d’opérateurs privés ou du réseau informatique de l’Etat.

Ce que nous devons faire c’est éradiquer toutes les causes de ralentissement ou de coupure dont nous sommes responsables. Les services vont travailler pour qu’en fin d’année, la majorité des tribunaux ait ressenti une nette amélioration sur leur accès à l’intranet et aux applications.

Troisièmement nous devons améliorer vos équipements matériels. Sur ce sujet, nous avons fait des progrès très importants depuis 2017, grâce notamment au travail de ma prédécesseur Nicole Belloubet : Ultraportables, double écran, wifi, travail à distance grâce au VPN, visioconférence …

Mais j’entends encore des insatisfactions, parce que la répartition des moyens n’est pas toujours cohérente, et parce que les chefs de juridiction ne savent pas à quel type de matériel informatique leur tribunal pourrait prétendre. Il faut remédier à cela.

Pour ce faire, le Secrétariat Général du ministère et la Direction des Services Judiciaires vont travailler à établir un " schéma type " d’équipement informatique qui sera disponible courant 2023 et permettra à chacun de savoir sur quoi il peut compter en visioconférence, en scanner, en double écran, à Bastia, Bobigny, Bordeaux ou Brive, bref selon la taille des juridictions. Cela permettra ainsi, parmi les juridictions, de rééquiper celles qui sont sous-équipées.

Enfin, je veux développer ce qu’on appelle " les opérations 360 degrés ". Le but est de passer au crible toute une juridiction sur le plan informatique, du sol au plafond. On décortique, on analyse, on repère les manques dans les moindres détails, pour améliorer les choses sur la durée. La démarche a commencé à Bordeaux, Bobigny arrive ensuite, il y en aura d’autres.

Je pense que ce plan de soutien répond à l’essentiel des difficultés que vous rencontrez au quotidien. La feuille de route est tracée et nous pourrons ainsi vous aider à court, moyen et long terme.

Je vous ai parlé du plan de soutien. Le deuxième axe de ce nouveau plan de transformation numérique, c’est l’amélioration des logiciels.

Honneur au civil, je vais vous parler de Portalis : je sais que certains d’entre vous sont attachés à ces noms un peu barbares : CITI, NATI, TUTIMAJ, SATI, TUTIMIN, WINCI TGI, WINCI CA et WINGES CPH.

Mais vous conviendrez que 8 logiciels pour le civil, c’est trop ! Il y en a qui sont habitués à leur logiciel, je comprends… mais mettez-vous à la place des plus jeunes, qui arrivent et doivent essayer de se faire à 2, 3, 5 logiciels… ceux qui changent de mission et doivent découvrir un nouvel outil…

Mon objectif est donc clair : je veux que l’on simplifie la vie au travail. C’est donc Portalis qui vise à réunir en un logiciel tous les logiciels civils. Et je peux ici vous annoncer que Portalis, dont vous bénéficiez déjà pour le conseil des prud’hommes, sera généralisé pour tous les conseils des prud’hommes de France cette année, et que l’expérimentation Portalis JAF commencera au 2ème semestre 2023 dans certains sites.

Une fois ces deux contentieux passés, les deux les plus importants pour les Français, car traitant de la vie professionnelle et de la vie familiale, la généralisation interviendra peu à peu.

Au pénal, je veux vous parler de Cassiopée : un grand travail de refondation est mis en oeuvre cette année. C’est une priorité que de le moderniser, je sais que c’est crucial pour vous et c’est donc une priorité de la DSJ. Les besoins des utilisateurs ont été entendus sur le terrain en 2022 dans 20 juridictions, et le travail de reconstruction technique commence donc désormais.

Mais sur ce terrain du pénal, nous devons aller plus loin que Cassiopée. Autour de Cassiopée, il y a de nombreuses autres applications.

Et la réalité aujourd’hui c’est que pour traiter une même seule situation, vous devez vous connecter à trop d’outils différents : Cassiopée pour enregistrer, chercher des informations, faire vos trames, Pilot pour audiencer l’affaire, Vigie pour prendre des notes à la permanence parquet, mais aussi NPP pour stocker vos pièces numériques et les partager aux avocats, BPN pour signer électroniquement, la CAPP pour prendre les appels téléphoniques, Appi pour gérer la situation des probationnaires, Wineurs pour gérer les mineurs, et la liste est incomplète…

On ne peut pas continuer comme cela. Je vous annonce donc que j’ai demandé à mes équipes de travailler d’arrache-pied sur la convergence de nos applications pénales.

Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’à la fin du quinquennat avec un seul mot de passe vous accéderez librement à tous les logiciels, ça veut dire aussi qu’à terme on ne devra plus même plus avoir à passer d’un logiciel à l’autre pour traiter la même situation, ça veut dire qu’on récupérera automatiquement les données des enquêteurs dans nos applicatifs, comme la PPN commence à le faire.

Ce que je veux, c’est qu’on vous simplifie la vie. Je veux que l’on ait envie de travailler pour la justice, et que l’on puisse être fier d’y avoir des outils simples et performants.

Le plan de soutien, l’amélioration des logiciels. Ce sont les deux conditions qui nous permettront de réaliser le troisième axe du plan de transformation : le projet zéro papier.

Qu’est-ce que cela veut dire ? " Zéro papier ", ça n’est pas un slogan pour marquer les esprits. C’est un objectif très concret et qui, en réalité, répond à beaucoup de ce que j’ai entendu depuis que je suis devenu ministre. Ce que l’on veut c’est :

• Que l’on puisse signer électroniquement nos décisions (comme on signe chez le notaire), y compris à distance, au civil comme au pénal
• Que l’on sorte de nos piles de dossier papier, qui désormais ralentissent tout, compliquent le télétravail, nous prennent une place folle
• Que l’on puisse transmettre instantanément nos pièces et décisions en version dématérialisée aussi ; c’est ça aussi le respect du contradictoire et c’est un des fondements de la Justice, que le numérique doit nous permettre de gérer plus facilement.

Cela fait des siècles que la justice, c’est du papier, et je sais que la transition ne peut pas se faire en un claquement de doigts. Evidemment, il y aura besoin d’accompagnement, et d’ailleurs les ambassadeurs de la transformation numérique que nous déployons depuis 2020 sur tout le territoire seront là pour vous accompagner dans ce changement.

Mais cette transition a déjà commencé, grâce notamment aux avancées importantes de la procédure pénale numérique (PPN) depuis 2018. PPN nous montre en fait que la justice " zéro papier ", entièrement dématérialisée, est possible. 800.000 procédures transmises via PPN l’an dernier ! C’est considérable. Et je peux vous annoncer qu’à la fin de cette année 2023, tous les dossiers classés sans suite sur le territoire feront l’objet de transmissions dématérialisées via PPN. C’est une vraie avancée là aussi.

Zéro papier, cela veut dire que, bientôt, on commencera à voir disparaître les montagnes de papier que j’ai souvent vues dans les bureaux… voire même dans les couloirs, malheureusement… je pense que peu d’entre vous seront déçus de cette disparition.

Cela veut dire que le télétravail sera, pour ceux qui le souhaitent, beaucoup plus facile car les dossiers ne sont pas localisés au greffe ou dans le bureau du magistrat, mais accessibles à tous et à tous moments sur le réseau. Et ça, c’est intéressant aussi pour vos conditions de travail.

Cela veut dire qu’un jour, on fermera des locaux d’archives parce que ce projet aura été généralisé. Je crois que certains parmi vous, notamment les directeurs de greffe, sont impatients… L’année 2023 verra d’ailleurs le début de l’expérimentation d’Axone, notre logiciel d’archivage électronique.

Cela veut dire aussi que le justiciable, pour lequel nous travaillons, ne l’oublions jamais, n’aura pas l’impression d’une justice qui fonctionne en décalage de la société, car elle envoie ses décisions par les mêmes voies que celles par lesquelles il reçoit tant d’autres choses. Et cela aussi, je pense que cela rendra fier de travailler pour la justice.

Là-dessus aussi, mon plan est tracé et mes services mobilisés dans le cadre d’une " mission de préfiguration " pour ce projet " zéro papier ", qui rendra ses conclusions dans quelques mois.

De manière plus proche, je peux aussi vous annoncer que la signature électronique, au civil comme au pénal, sera possible, pour les juridictions qui le souhaitent, dès la fin de l’année, comme ce sera le cas pour votre juridiction.

Vous l’avez compris, ce projet " zéro papier 2027 " est ambitieux, mais nous le réaliserons car je sais que, dans le fond, c’est ce que beaucoup d’entre vous souhaitent et c’est d’ailleurs ce que souhaitent aussi les Français : une justice plus moderne et plus simple d’accès.

Pour conclure : ce nouveau plan de transformation numérique, est ambitieux, mais nous le réaliserons car nous en avons maintenant les moyens. Tout cela ne se fera pas en un jour, mais l’horizon est tracé, le cap est donné et les budgets obtenus et à venir nous permettront de réaliser les efforts pour arriver à bon port.


Source http://www.justice.gouv.fr, le 15 février 2023