Interview de M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice, à BFMTV le 28 février 2023, concernant l’affaire Palmade, le délit d'homicide involontaire, la baisse de 30 % du nombre de dossiers de justice civile en attente, le recrutement du personnel de justice, la revalorisation des agents de la pénitentiaire, la réforme des retraites et le conflit en Ukraine.

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Texte intégral

BENJAMIN DUHAMEL
Bonjour Monsieur Eric DUPOND-MORETTI.

ERIC DUPOND-MORETTI
Bonjour Monsieur DUHAMEL.

BENJAMIN DUHAMEL
Alors, on va bien sûr parler de vos chantiers, ils sont nombreux, justice civile, la prison, mais d’abord, évidemment, ce qu’on appelle l’affaire Palmade, ou du moins, les grands principes qui l’entourent, sa mise en détention provisoire a été décidée hier, et il est sous écrou dans sa chambre d’hôpital. Alors, bien sûr, vous ne pouvez pas commenter une affaire en cours, pour des raisons évidemment de séparation des pouvoirs. Mais ce matin, il y a beaucoup de réactions de Français, d’auditeurs qui se demandent au fond si la justice traite de la même manière une célébrité ou un Français lambda, s’il n’y a pas en l’espèce une forme d’acharnement de justice à deux vitesses ; qu’est-ce que vous pouvez répondre à ces Français ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Bon, d’abord, rappeler ce que vous avez-vous-même rappelé, le Garde des sceaux ne peut pas commenter une affaire en cours. Je pense qu’il y a tous les ingrédients dans cette affaire pour susciter, au mieux, de la curiosité, et au pire, une forme de voyeurisme ; plus on parle de cette affaire, et moins les conditions de sérénité sont requises, bon. La justice, au fond, a dit ce qu’elle avait à dire, moi, voyez, je voudrais vous faire une réflexion que je n’ai pas entendue, c’est qu’il y a une partie de nos concitoyens, qui regardent cette affaire, els commentaires, et puis, qui sont pro-prison, et puis, une autre partie de nos compatriotes, qui disent : non, il ne fallait pas.

BENJAMIN DUHAMEL
Qui, pour certains, sont étonnés de la sévérité de la décision de mise en détention provisoire.

ERIC DUPOND-MORETTI
Et ce que j’en tire comme conclusion, c’est que rendre la justice est difficile, que ça doit se faire dans la nuance, avec un certain nombre de principes, et que les solutions clefs en main qui nous sont parfois vendues ne sont pas les bonnes solutions. Chaque affaire est une affaire individuelle. Ce qu’on appelle la personnalisation de la peine, lorsque l’on est dans la phase de jugement, et c’est ce qu’on appelle l’appréciation souveraine des juges qui, eux, contrairement à beaucoup de commentateurs, connaissent le dossier.

BENJAMIN DUHAMEL
Mais vous voyez bien qu’il y a l’idée que la justice aurait agi sous la pression médiatique, sous la pression de l’opinion, certains disent, les anciens de vos confrères, les avocats disent : mais cette décision de mise en détention provisoire, elle est d’une sévérité incroyable par rapport aux faits qui sont reprochés à Pierre PALMADE ; est-ce que la justice, et là, je parle bien au Garde des sceaux, elle a fonctionné normalement ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Eh bien écoutez, il y a eu une décision, il y a eu des réquisitions du Parquet qui n’ont pas été suivies, le Parquet a interjeté l’appel, la Chambre de l’instruction a pris une autre décision que celle qui avait été initialement prise, sur le plan procédural, les choses ont été parfaitement respectées. Ensuite, les commentaires, sur la base, je le redis, d’un dossier que ceux qui commentent ne connaissent pas, c’est quand même incroyable le nombre d’experts autoproclamés que l’on voit défiler sur les plateaux de télévision, dont le vôtre d’ailleurs…

BENJAMIN DUHAMEL
Qui connaissent le droit, qui sont avocats, qui sont anciens magistrats…

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais le droit, j’entends bien, mais ce n’est pas parce que vous êtes ancien magistrat ou avocat ou psychiatre, que vous pouvez faire un diagnostic clinique de quelqu’un que vous n’avez pas rencontré, parler d'un dossier que, par essence, vous ne connaissez pas, moi, je suis toujours très circonspect quand je vois des professionnels de la justice venir parler de dossiers qui ne sont pas les leurs, voilà. Laissons faire…

BENJAMIN DUHAMEL
Vous aimeriez qu’ils ne le fassent pas, qu’il y ait une sorte, voilà, de retenue… ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Non, mais qu’il y ait un certain nombre d’annonces, évidemment, Pierre PALMADE est un homme connu, il se retrouve impliqué dans une affaire qui est une affaire grave, il y a des victimes auxquelles naturellement tout le monde pense….

BENJAMIN DUHAMEL
Il faut que la justice soit sévère selon vous, c'est aussi le message que certains ont voulu envoyer, parce que c'est paradoxal, on a aussi entendu au tout début avant la décision de la Chambre de l'instruction : c'est une personnalité : donc il va être favorisé, il y aura une justice différente parce qu'il est connu, parce qu'il est célèbre…

ERIC DUPOND-MORETTI
Je pense que vous avez la démonstration du contraire.

BENJAMIN DUHAMEL
Donc la justice traite de la même manière selon que vous serez puissant ou misérable ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais, je pense que la justice traite de la même manière, oui, bien sûr, je pense que vous en avez la preuve, là, ici, sur ce dossier-là, en particulier, mais ce que je veux redire, pardon, c'est que les situations vendues clefs en main, le manichéisme, les choses sans nuance, tout ça..

BENJAMIN DUHAMEL
Donc il faut avoir de la nuance sur l’affaire Palmade aussi…

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, mais évidemment qu’il faut avoir de la nuance, il faut connaître son dossier, il faut connaître les éléments de personnalité, avant, d'une part, de les commenter, mais surtout, quand on juge, il faut être au rendez-vous de toutes ces obligations-là. Et encore une fois, le débat que ça suscite démontre à quel point c'est difficile…

BENJAMIN DUHAMEL
De juger…

ERIC DUPOND-MORETTI
De rendre la justice.

BENJAMIN DUHAMEL
Un tout dernier mot sur cette affaire par rapport à ce que votre collègue, Gérald DARMANIN, le ministre de l'Intérieur, a annoncé, sa volonté de retirer le permis à tout automobiliste conduisant sous l'emprise de la drogue, est-ce qu'au fond, c'est sain de légiférer, de réagir sous le coup de l'émotion, sous le coup d’une affaire en l'espèce, est-ce que c'est une bonne façon de faire de la politique ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Eh bien, légiférer, vous allez plus vite que la musique.

BENJAMIN DUHAMEL
C’est l’idée.

ERIC DUPOND-MORETTI
Bon, il a annoncé effectivement dans le périmètre qui est le sien, la possibilité de revoir les retraits de points, j'indique d'ailleurs que quand justice est rendue, le juge a la possibilité, au titre des peines complémentaires qu’il a dans son panel…

BENJAMIN DUHAMEL
Mais là, ce serait une automaticité…

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, mais attendez, on en est au stade de la discussion, et d'ailleurs, Gérald DARMANIN et moi, nous avons, dès le mois de décembre, discuté sur la façon dont nous pourrions renommer, sans changer les peines, le délit d'homicide involontaire…

BENJAMIN DUHAMEL
Homicide routier en l’espèce…

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui…

BENJAMIN DUHAMEL
Vous n’avez pas l’air très enthousiaste sur le retrait de permis en cas de consommation de drogue, vous dites, oui, on verra, ce n’est pas tout de suite…

ERIC DUPOND-MORETTI
Non, non, je ne dis pas : on verra, je dis d'abord que c'est du périmètre du ministère de l'Intérieur, je dis qu'ensuite, le juge a la possibilité d'annuler le permis de conduire, que…

BENJAMIN DUHAMEL
Non, mais est-ce qu’il y a vraiment besoin d’aller plus loin, au fond, c’est un peu l’idée ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais, on n’est pas non plus tenu à de l'attentisme, c'est vrai que la question se pose, moi, j'envisage aussi un travail, voilà, je vous l'indique sur un certain nombre de produits que l'on peut ingérer, et qui ne tombent pas sous le coup d'une infraction pénale…

BENJAMIN DUHAMEL
Lesquels par exemple ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais qui peuvent avoir des effets délétères, je pense au protoxyde d'azote par exemple, mais je pense à d'autres produits, je pense qu’il est temps que l'on fasse la liste des produits qui peuvent avoir des effets dangereux, délétères, notamment lorsque l'on conduit, la liste n'est pas faite, voilà, ça, c'est un travail qu'il faut faire, et il faut le conduire sur le long terme ; l'attentisme, non, la réaction trop rapide, non, la nuance, Monsieur DUHAMEL, la nuance.

BENJAMIN DUHAMEL
On essaye d'être nuancé ici aussi. Eric DUPOND-MORETTI, vous avez annoncé une bonne nouvelle hier, la baisse de 30 % du nombre de dossiers de justice civile en attente, c'est-à-dire les divorces, les gardes d'enfants, c'est mieux, mais la justice met encore 2 ans en moyenne à traiter ces dossiers, ça veut dire qu'il reste beaucoup, beaucoup de boulot !

ERIC DUPOND-MORETTI
Ah oui, bien sûr.

BENJAMIN DUHAMEL
Non, mais parce qu’on se satisfait de cette baisse de 30%, mais certains avocats disent : c'est en trompe-l'oeil, ça prend toujours autant de temps…

ERIC DUPOND-MORETTI
Non, on ne se satisfait pas de cette baisse de 30%, mais on peut quand même la souligner comme étant un succès…

BENJAMIN DUHAMEL
C’est pour ça que je disais bonne nouvelle…

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, mais un morceau avalé ne peut pas ne pas avoir de saveur, bon, je vais rappeler 2 ou 3 choses contextuelles, si vous m’y autorisez…

BENJAMIN DUHAMEL
Je vous y autorise.

ERIC DUPOND-MORETTI
Sous le quinquennat précédent, nous avons embauché plus de 700 magistrats, 850 greffiers et 2.000 contractuels. Bon, toutes ces énergies mises bout à bout, travail difficile, acharné, a permis une réduction des stocks d'un tiers des affaires civiles, des affaires de proximité, c'est-à-dire les affaires familiales, le contentieux de la protection, le contentieux social. Qu'est-ce que ça veut dire ça, la baisse des stocks, c'est une expression néo-capitalistique assez désagréable à l'oreille, au fond, ça veut dire que les dossiers en attente, ils ont baissé d'un tiers, et donc ça veut dire…

BENJAMIN DUHAMEL
Et ça prend toujours du temps…

ERIC DUPOND-MORETTI
Attendez, n’allez pas trop vite, vous parlez de temps, laissez-moi le temps de vous répondre, et ça veut dire donc que les dossiers qui arrivent seront plus rapidement traités, qu'est-ce qu’ils disent nos compatriotes, notamment dans l'expression citoyenne qu’ils ont eue dans les états généraux : justice trop lente, justice pas assez proche. Alors, j'avais embauché 2.000 contractuels, ils ont permis cette réduction importante, je vais vous donner quelques chiffres, 57% des diminutions de stock d'affaires en attente à Bordeaux, 88% à Evreux, dans le contentieux de la protection, à Vesoul, 73 % des stocks affaires familiales, bon, c'est pas mal, ça n'est pas suffisant, donc ces contractuels, on va les pérenniser, les institutionnaliser. On les avait appelés sucres rapides, parce que, on était dans l'urgence, et ils ont donné des résultats, au début, quand je les ai embauchés, il y a eu beaucoup de critiques, beaucoup de critiques, et puis, ensuite, les juridictions m'ont demandé de les pérenniser, ce que nous allons faire. Donc je vous ai rappelé les chiffres des embauches massives qui ont eu lieu, je vais maintenant vous indiquer ce que nous devons faire, parce que vous avez raison, on ne peut pas s'arrêter là…

BENJAMIN DUHAMEL
Et rapidement pour avoir le temps de parler d’autres sujets…

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, mais c’est important, ça, parce que la justice, et en particulier, la justice civile, ça touche le quotidien des Français…

BENJAMIN DUHAMEL
Le quotidien des Français, vous avez raison…

ERIC DUPOND-MORETTI
1.500 magistrats embauchés, 1.500 greffiers embauchés, des contractuels à embaucher, qui vont s'appeler maintenant les attachés de justice, et hier, j'ai annoncé que nous avions embauché 300 de ces attachés de justice. Ils vont prêter serment, ils vont recevoir une formation à l’ENM. L'objectif que je me suis fixé, c’est de diminuer les délais par 2, de passer du double au simple…

BENJAMIN DUHAMEL
A quelle échéance ?

ERIC DUPOND-MORETTI
2027.

BENJAMIN DUHAMEL
2027, une question précise sur la pénitentiaire, vous avez annoncé une revalorisation des agents, des statuts de la pénitentiaire, ils sont à peu près 40.000, très concrètement, ça veut dire qu'ils vont voir leur traitement, leur salaire augmenter, c'est bien ça ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, oui, je n’ai pas tout à fait terminé, pardon, vous savez, moi, je suis…

BENJAMIN DUHAMEL
Oui, mais il faut quand même qu’on avance un petit peu, donc…

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, mais je sais bien, mais enfin, la justice, ça intéresse nos compatriotes…

BENJAMIN DUHAMEL
Absolument, et c’est pour ça que vous êtes ici…

ERIC DUPOND-MORETTI
Et comme elle est traitée de façon presque uniquement fait diversière…

BENJAMIN DUHAMEL
Non, non, ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai, pas ici…

ERIC DUPOND-MORETTI
Presque, j’ai dit presque…

BENJAMIN DUHAMEL
Presque, ça reste… il reste une petite partie alors…

ERIC DUPOND-MORETTI
Je veux dire également que ces contractuels vont être cédéisés, s'ils nous écoutent et s'ils nous entendent, c’est pour eux très important.

BENJAMIN DUHAMEL
Et donc sur le salaire des agents de la pénitentiaire.

ERIC DUPOND-MORETTI
Pénitentiaire maintenant, vous savez qu’on a un plan très ambitieux de construction de nouvelles places, notamment pour régler les questions de surpopulation pénale, et donc, il était important que la République rende hommage à la troisième force de sécurité de notre pays, c'est 40.000 fonctionnaires qui travaillent dans des conditions, je peux vous l'assurer, particulièrement difficiles, donc les agents qui étaient en catégorie C vont passer en B…

BENJAMIN DUHAMEL
Donc revalorisés…

ERIC DUPOND-MORETTI
Revalorisés. Les agents qui étaient…

BENJAMIN DUHAMEL
Mais pour ceux qui nous écoutent, en salaire, ça fait combien de plus ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Alors, ça va être discuté, là, dans les temps qui viennent, mais ils le savent tous…

BENJAMIN DUHAMEL
Il faut un peu de patience encore, c’est ça ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais vous savez, monsieur DUHAMEL, j’aimerais avoir la baguette magique que certains disent avoir. 30 ans d’abandon humain, budgétaire et politique, ça ne se règle pas en quelques secondes, comme ça, et en quelques mots. Donc oui, ils vont être revalorisés, oui cette revalorisation catégorielle, ils l’attendaient depuis 20 ans.

BENJAMIN DUHAMEL
On vous a entendu sur ce sujet. L’actualité parlementaire, Eric DUPOND-MORETTI, c’est l’arrivée du texte aujourd’hui des retraites, au Sénat, après des jours – on peut le dire – chaotiques à l’Assemblée nationale. Quel regard vous portez sur la façon dont tout cela s’est passé ? Est-ce que c’était une ambiance de prétoire, est-ce que vous avez vu trop de violence, vous qui avez l’habitude de vous opposer assez vivement à vos adversaires politiques, parfois aussi dans l’hémicycle.

ERIC DUPOND-MORETTI
Je peux vous dire deux mots, d’abord ?

BENJAMIN DUHAMEL
Oui, vas-y… allez-y.

ERIC DUPOND-MORETTI
Contextuels, si vous m’en laissez le temps. La réforme des retraites, pour moi, c’est une question d’équité et de justice pour les générations qui viennent.

BENJAMIN DUHAMEL
Rejetée très massivement par l’opinion.

ERIC DUPOND-MORETTI
J’entends bien, mais on demande un effort à nos compatriotes. On le sait, les efforts sont rarement acceptés de façon consensuelle, mais toutes les réformes qui ont été faites dans les différents pays européens ont suscité naturellement de l’émotion, des attentes légitimes et de la contestation. Bon, au-delà de ça, ce que je veux vous dire, il y a trois solutions, trois : on augmente le temps de travail ; mais je veux quand même vous donner mon sentiment, je ne me suis pas exprimé là-dessus…

BENJAMIN DUHAMEL
Oui oui. Non mais monsieur MORETTI, vous avez raison, mais ces arguments-là on les a beaucoup entendus, moi ce qui m’intéresse…

ERIC DUPOND-MORETTI
Eh bien souffrez dans ma bouche de les réentendre très vite.

BENJAMIN DUHAMEL
Oui.

ERIC DUPOND-MORETTI
Très vite. Où l’on augmente le temps de travail, on taxe les entreprises, et je vous rappelle que les industriels étrangers choisissent la France, qui est aujourd’hui le premier pays réindustrialisé, ça veut dire aussi faire baisser le chômage. La troisième solution, c’est de baisser les retraites. Voilà, je vous ai rappelé ça. Maintenant…

BENJAMIN DUHAMEL
Et là, sur le débat à l’Assemblée, la façon dont ça s’est passé, Olivier DUSSOPT traité d’assassin, un ballon de foot à son effigie, comment est-ce que vous, vous avez… comment est-ce que vous avez vécu ces débats-là ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Eh bien très mal. Et les " ta gueule " et les " menteur ", et les invectives, et les injures, dans le coeur battant de la démocratie, quand on pense que là c’est exprimé Victor HUGO…

BENJAMIN DUHAMEL
On baisse de niveau, c’est ça ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, évidemment. L’amendement feuille de salade, comparé à JAURES, comme la dit la Première ministre, ça fait mal. Ça fait mal d’abord quand on est un démocrate convaincu. Mais je veux dire quand même, voyez, c'est le petit bémol que je veux apporter, attention à ne pas sombrer, à cause de ces comportements…

BENJAMIN DUHAMEL
A l'antiparlementarisme.

ERIC DUPOND-MORETTI
Ah oui, dans l'antiparlementarisme, oui bien sûr.

BENJAMIN DUHAMEL
Et alors, sur ce sujet, Olivier DUSSOPT, votre collègue ministre du Travail, a dit dans les colonnes du Monde ce week-end, que Marine LE PEN avait été dans cette séquence, plus républicaine que la France insoumise. Vous, le contempteur du RN, ça a dû vous exaspérer cette prise de parole. Elle est plus républicaine que la France insoumise, Marine LE PEN ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Eh bien vous savez, ils ont décidé de mettre une cravate, de ne pas dire un mot plus haut que l'autre, ils n'y parviennent pas toujours d'ailleurs, parce qu’il y a eu un des députés RN qui a été sanctionné, en raison des propos racistes qu'il avait tenus…

BENJAMIN DUHAMEL
Edouard de FOURNAS, oui, c’était après…

ERIC DUPOND-MORETTI
Non non, mais ils se tiennent bien, ils ont compris que les excès de LFI leurs profitaient, comme d’ailleurs…

BENJAMIN DUHAMEL
Mais est-ce qu’elle est plus républicaine, Marine LE PEN que la France insoumise ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Non mais attendez, comme d'ailleurs les excès de ZEMMOUR ont profité à madame LE PEN. C'est vrai qu'à côté de lui, elle paraissait bien sage au fond. Voilà. Républicaine, c'est autre chose. En tous les cas ils respectent le débat, et ils savent très bien, en opportunisme, ce que ça peut leur rapporter.

BENJAMIN DUHAMEL
Et c'est elle qui va bénéficier de cette séquence, de cette prise, au fond c'est ce que l’on entend, il y a le gouvernement qui est impopulaire, la France insoumise qui fait de l'obstruction, et Marine LE PEN qui récolte les fruits de cette colère. Est-ce que ça vous le craignez ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Ta ta ta ta tate, vous en oubliez un petit morceau, c'est qu’ils n’ont rien proposé. Ils se sont murés dans un digne silence, et c'est à peu près tout ce qu'ils ont fait. D'ailleurs dans le système que préconise MADAME LE PEN, vous aurez des gens qui seront tenus de travailler jusqu'à l'âge de 67 ans.

BENJAMIN DUHAMEL
Oui, avec la durée de cotisation de 42 ans, ce qui reste toujours moins que ce que vous proposez.

ERIC DUPOND-MORETTI
Ça se discute, et pardonnez-moi de vous dire qu’il n'y a pas eu de débat démocratique de leurs part. Ils ont regardé les invectives et les injures s'abattre sur nous notamment, sur Olivier DUSSOPT, sur Gabriel ATTAL. Ils ont compté les points, mais, qu’ont-ils…

BENJAMIN DUHAMEL
Donc ils vont plutôt récolter ces points-là.

ERIC DUPOND-MORETTI
Non, parce que je vous dis, vous oubliez un petit morceau, qui est le fond. Il y a la forme et il y a le fond.

BENJAMIN DUHAMEL
Un dernier mot sur le Rassemblement national. Hier à ce même micro, Jordan BARDELLA a confirmé au fond une sorte de changement de doctrine sur la question de l'Ukraine. Il a dit : " On a tous été naïfs collectivement à l’égard de Vladimir POUTINE ". Donc il se rapproche de vos positions internationales. C'est quoi, c’est la dédiabolisation qui continue, du côté du RN.

ERIC DUPOND-MORETTI
Non mais c'est sûr que naïveté et candeur, ce sont deux mots qui collent parfaitement avec le Front national. C'est les deux mamelles du Front national.

BENJAMIN DUHAMEL
Qu’est-ce que vous voulez dire ? Je vous sens un peu ironique là.

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, et vous avez raison. Vous savez, le président de l'Assemblée nationale d'Ukraine est venu. Qu'est-ce qu'ils disent ?

BENJAMIN DUHAMEL
D'ailleurs Marine LE PEN s'est rendue je crois à un dîner ou un déjeuner en son honneur. Ils évoluent.

ERIC DUPOND-MORETTI
Qu'est-ce qu'ils disent les gens du Front national devant le président de l'Assemblée nationale d'Ukraine ? Attention à l'escalade, c'est-à-dire que face à une agression russe, en violation de toutes les règles internationales, face aux crimes qui ont été commis, aux viols qui ont été commis, aux enfants qui ont été enlevés, on dit aux Ukrainiens : quand vous, vous défendez, vous faites monter la mayonnaise et vous êtes dans l'escalade. Pardon de le dire…

BENJAMIN DUHAMEL
Vous n’êtes pas favorable à l’escalade non plus, mais c’est quoi, j’essaie de comprendre ce que vous dites. Vous dites : ils sont hypocrites à… tout le monde a été naïf collectivement ? Bon, il y a aussi vous satisfaire d'une évolution des positions du Rassemblement national. Vous n'y croyez pas ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Monsieur DUHAMEL, la sagesse populiste ça n'existe pas, et la sagesse populaire en revanche ça existe. Il y a un joli dicton qui dit que : les bons comptes font les bons amis. Je rappelle que le Front national doit de l'argent, et beaucoup d'argent, c’est des millions d'euros, à ses banquiers, qui sont les amis de monsieur POUTINE. Je rappelle, sur le plan international, qu'ils ne se sont jamais offusqués quand la Hongrie donne des petits coups de canif dans l'Etat de droit. Je rappelle que les migrants massés à la frontière polonaise, ça fait dire à monsieur ODOUL qu'ils peuvent « crever de froid », c’était sur votre antenne.

BENJAMIN DUHAMEL
Donc vous ne croyez pas à ce virage.

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais non, mais bien sûr que non !

BENJAMIN DUHAMEL
D’un petit mot, est-ce que Marine LE PEN est la favorite pour 2027 ? C’est ce que pense par exemple Edouard PHILIPPE.

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais moi je ne pense pas ça du tout.

BENJAMIN DUHAMEL
Non.

ERIC DUPOND-MORETTI
Non.

BENJAMIN DUHAMEL
Ce n’est pas une crainte ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais vous savez, le Front national c'est un tas de recettes magiques, et à un moment on doit ouvrir les yeux et se dire que ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. Vous savez…

BENJAMIN DUHAMEL
Vous avez essayé, ça ne marche pas très bien, on peut le dire.

ERIC DUPOND-MORETTI
Non non, mais…

BENJAMIN DUHAMEL
Vous avez été candidat aux régionales, votre combat contre le RN, le RN prospère.

ERIC DUPOND-MORETTI
Non mais attendez, les régionales sans doute, mea culpa, mais je rappelle quand même que le président de la République c'est Emmanuel MACRON.

BENJAMIN DUHAMEL
Ça ne m’a pas échappé.

ERIC DUPOND-MORETTI
Ça ne vous a pas échappé, qu'il a été confronté à madame LE PEN au 2e tour, et que je pense pouvoir dire qu’il a une maîtrise de ses sujets, tous confondus, qu'elle n'a pas. Et pardon, une toute dernière chose, dans mon périmètre, ils critiquent en permanence la justice, ils n'ont jamais voté les budgets permettant d'obtenir ces moyens dont je vous parle, de nature à remettre à la justice sur les rails.

BENJAMIN DUHAMEL
Une toute dernière question qui concerne votre champ ministériel direct : l'actualité parlementaire, jeudi à l'Assemblée nationale sera discutée une proposition de loi du groupe Horizon, c'est le parti d'Edouard PHILIPPE, pour mettre en oeuvre une peine minimale d'un an de prison en cas de récidive d'agression sur policiers, élus, figures détentrices de l'autorité publique, c'est le retour de ce qu'on appelle les peines plancher. Pourtant vous n'en voulez pas. Il ne faut pas être plus sévère à l'égard de ceux qui s'en prennent aux figures d'autorité ? Là, honnêtement on ne comprend pas pourquoi vous vous y opposez.

ERIC DUPOND-MORETTI
Eh bien, si vous aviez lu les différentes circulaires de politique pénale générale que j'ai adressées aux procureurs généraux, vous sauriez que j'appelle à beaucoup de sévérité pour tout ce qui est agressions, atteintes…

BENJAMIN DUHAMEL
Mais là c’est peine minimale, ce que dit Naïma MOUTCHOU.

ERIC DUPOND-MORETTI
Vous allez beaucoup trop vire. Moi je vais vous dire, je suis un pragmatique, et un pragmatique qui avance ça va plus loin qu'un conceptuel assis. Monsieur DUHAMEL, si ces peines planchers marchaient, nous le saurions. Elles ont été expérimentées durant 5 ans dans notre pays, elles n'ont pas fait baisser la délinquance, et je vais même vous dire mieux…

BENJAMIN DUHAMEL
Sous Nicolas SARKOZY, en l'espèce.

ERIC DUPOND-MORETTI
Je vais même vous dire mieux : les chiffres que nous avons aujourd'hui, objectifs, pour les atteintes aux forces de sécurité intérieure, les peines prononcées sont supérieures à la peine d'un an qui est proposée et dans ce texte.

BENJAMIN DUHAMEL
Donc la proposition d'Edouard PHILIPPE c'est non.

ERIC DUPOND-MORETTI
Monsieur DUHAMEL, moi je suis un pragmatique, ni un dogmatique, ni un idéologue. Et si je pensais dans mon for intérieur, que ces peines planchers ça marche, je dirais oui, des deux mains, des deux pieds.

BENJAMIN DUHAMEL
Et donc là ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais je sais que ça ne marche pas, parce que nous avons une expérience de 5 ans, donc je dirais, à l'Assemblée nationale plus longuement ce que je suis en train de vous dire, on a davantage de temps, et l'Assemblée nationale fera ce qu’elle aura à faire.

BENJAMIN DUHAMEL
Et ça sera jeudi. Merci beaucoup Eric DUPOND-MORETTI.

ERIC DUPOND-MORETTI
Je vous en prie.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 1er mars 2023