Déclaration de M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, sur le projet de loi de réforme des retraites et la pénibilité, à l'Assemblée nationale, le 27 février 2023.

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Circonstance : Débat sur la réforme des retraites et pénibilité, Assemblée nationale 27 février 2023

Texte intégral

Mme la présidente
L'ordre du jour appelle le débat sur la réforme des retraites et la pénibilité.

Ce débat a été demandé par le groupe Écologiste-NUPES. À la demande de ce dernier, il se tient en salle Lamartine, afin que des personnalités extérieures puissent être interrogées. La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Nous commencerons par une table ronde en présence de personnalités invitées, d'une durée d'une heure, puis nous procéderons, après avoir entendu une intervention liminaire du Gouvernement, à une nouvelle séquence de questions-réponses, d'une durée d'une heure également. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.

Pour la première phase du débat, je souhaite la bienvenue à Mme Anne Lauseig, aide-soignante, à M. André Bouchut, représentant de la Confédération paysanne, et à Mme Catherine Delgoulet, professeur au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), titulaire de la chaire d'ergonomie.

Je vais maintenant donner la parole à chacun de nos invités, pour une intervention d'environ cinq minutes.

(…)

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion
Nous nous retrouvons aujourd'hui pour débattre, à la demande du groupe Écologiste-NUPES, de la prise en compte de la pénibilité, qui constitue un volet central de la réforme des retraites en cours d'examen et, au-delà, des questions relatives au travail et à la qualité des emplois proposés. Les attentes exprimées par les différents partenaires sociaux en la matière sont nombreuses, mais les concertations menées dans le cadre de la préparation du projet de loi de réforme des retraites ont permis d'identifier plusieurs points d'équilibre et de convergence – même si cela ne signifie pas, tant s'en faut, qu'il y ait un accord sur la réforme ; bien au contraire.

Nous avons ainsi pu engager des discussions, de manière variable, avec les organisations patronales, d'une part, qui avaient des attentes particulières et les organisations syndicales, d'autre part, même si, pour le dire de manière très schématique voire simpliste, celles-ci étaient partagées entre celles qui, dès la création du C3P puis du C2P, avaient déclaré leur hostilité ou leur absence d'adhésion à cet outil et celles qui y croient davantage, si je puis dire, et considèrent qu'au-delà des désaccords exprimés sur les questions d'âge ou les modalités d'application, des convergences et des progrès sont possibles.

Il s'agit d'un volet central de la réforme, car la logique de travailler plus longtemps implique de travailler mieux et de prévenir davantage les problèmes de pénibilité et d'usure au travail, d'améliorer les conditions de travail, d'éviter l'enfermement dans des métiers difficiles et de faciliter l'accès aux formations et aux reconversions, qui sont autant de priorités à la fois de la réforme examinée et de l'ensemble de ma feuille de route.

Ce débat me permettra de préciser les dispositions que nous prévoyons dans le cadre du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) en matière de pénibilité, puisque nous n'avons pas pu examiner l'article y afférent dans l'hémicycle. C'est pourquoi je remercie le groupe Écologiste pour ce temps d'échange qui me donne l'occasion de le faire.

En matière de pénibilité et de prévention de l'usure professionnelle, notre premier objectif est de changer d'échelle. En effet, les précédentes réformes relatives aux retraites ou à la prise en compte de la pénibilité ont permis d'approcher le sujet, d'améliorer la situation, sans jamais totalement l'épuiser. La réforme de 2010 engagée par Éric Woerth a introduit dans le droit la notion de pénibilité sous l'angle de la réparation, c'est-à-dire d'un départ anticipé au titre de l'incapacité permanente – j'y reviendrai. Celle de Mme Touraine en 2014 a conçu le compte de pénibilité, un dispositif très ambitieux dans son principe – il s'agissait alors du C3P –, mais difficile à appliquer s'agissant des critères ergonomiques – j'y reviendrai également –, ce qui nous a conduits en 2017 à le remplacer par le C2P.

Nous souhaitons donc, avec le texte que je défends devant le Parlement depuis quelques semaines, apporter une réponse à la fois plus ambitieuse, plus complète et plus effective.

Une réponse plus ambitieuse, car la mise en œuvre de cette politique s'accompagne de la création d'un fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle, doté de 1 milliard d'euros sur les quatre prochaines années du quinquennat : par rapport aux moyens consacrés par la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) à la prévention de la pénibilité, qui sont de l'ordre de 40 millions par an, le changement d'échelle se perçoit aisément, tout au moins d'un point de vue arithmétique. Nous souhaitons placer ce fonds auprès de la branche AT-MP – dans le cadre du dialogue social, puisque ce sont les partenaires sociaux qui gèrent principalement cette branche.

Une réponse plus complète également car, au-delà des six facteurs encore inscrits dans le C2P, nous souhaitons une approche nouvelle avec des solutions aussi concrètes que possible pour prévenir l'usure et la réparer si nécessaire pour les métiers les plus exposés au port de charges lourdes, aux postures pénibles et aux vibrations mécaniques – ce qui relève des trois critères dits ergonomiques –, qui génèrent l'écrasante majorité des troubles musculo-squelettiques.

Une réponse effective enfin, car l'un des plus grands écueils en matière de pénibilité est d'imaginer des dispositifs trop éloignés des réalités du quotidien dans l'entreprise. Notre objectif est donc de réfléchir à un dispositif qui soit le plus opérationnel possible et le plus concret en matière de résultats.

Permettez-moi d'ajouter encore quelques mots. Tout d'abord, nous entendons améliorer le C2P en levant les verrous qui existent actuellement et le rendent parfois plus difficile à utiliser que nous ne le souhaiterions. C'est pourquoi nous abaisserons plusieurs seuils qui permettent d'acquérir des droits, renforcerons l'acquisition de droits pour les salariés dits polyexposés et augmenterons la valeur des droits acquis par les salariés au titre du C2P. Ainsi, à titre d'illustration, nous abaisserons de 120 à 100 le nombre de nuits travaillées par an permettant d'obtenir des points ; nous supprimerons le plafond actuel de 100 points ; un point de C2P permettra de financer 500 euros de formation au lieu de 375 actuellement – traduisant l'augmentation de la valeur des points ; enfin, les trimestres d'anticipation de départ à la retraite seront désormais, si la réforme est adoptée, intégralement pris en compte dans le calcul de la pension des assurés.

Ensuite, autre nouveauté que je veux souligner pour les travailleurs disposant d'un C2P : la possibilité nouvelle d'utiliser les points ainsi accumulés dans le cadre d'un congé de reconversion, afin de mettre fin à l'enfermement dans des métiers difficiles. J'ai écouté une partie des propos des intervenants précédents, je pense notamment à Mme Delgoulet qui, en sa qualité d'ergonome auprès du Cnam, soulignait combien il est important d'éviter l'enfermement dans des métiers pénibles et de favoriser les reconversions vers de nouveaux parcours professionnels et l'orientation vers des métiers moins exposés à l'usure professionnelle. L'objectif est que les travailleurs qui auraient recours à cette nouvelle possibilité bénéficient d'un congé de reconversion professionnelle rémunéré à 100 % et, bien sûr, d'une formation totalement financée.

En ce qui concerne les critères ergonomiques, l'objectif est de faciliter la prévention et la réparation de l'exposition à la pénibilité. Nous proposons donc que la branche AT-MP, qui dispose de statistiques et d'outils d'analyse très nombreux – je pense notamment à la prévalence des maladies professionnelles, au taux d'accidentologie s'agissant des accidents du travail, mais aussi à l'enquête Sumer (surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels) sur les conditions de travail –, transmette aux branches professionnelles la liste des métiers qui sont, par principe et par hypothèse, selon ces éléments statistiques, les plus exposés au risque d'usure professionnelle et aux trois critères dits ergonomiques. Les branches seront ensuite tenues de négocier un accord de prévention, cofinancé par le fonds évoqué précédemment, et de l'appliquer afin de mettre l'accent sur la prévention de l'usure et d'éviter un maximum d'exposition.

Les salariés des métiers ainsi identifiés feront également l'objet d'un suivi médical spécifique, avec notamment une première visite médicale obligatoire à mi-carrière, une dernière obligatoire à 61 ans, afin d'avoir l'assurance que celles et ceux qui n'auraient malheureusement pas été suffisamment protégés par la prévention bénéficient d'un départ anticipé. Dans l'intervalle, chaque branche devra déterminer le rythme des visites et du suivi médical.

J'ai évoqué précédemment les départs en retraite pour incapacité permanente : nous maintenons cette possibilité de départ à taux plein deux ans avant l'âge légal et souhaitons en simplifier l'accès à la fois en assouplissant fortement les conditions pour les salariés ayant un taux d'incapacité compris entre 10 % et 20 % et en rendant automatique le droit à un départ anticipé pour ceux qui se sont vu reconnaître un taux d'incapacité supérieur à 20 %.

Dernière parenthèse, le départ anticipé sur avis médical amène de ma part deux observations : la première, c'est qu'il y a là un point de désaccord avec les partenaires sociaux, en particulier les organisations syndicales que j'ai désignées précédemment comme étant plutôt convaincues par l'utilité du C2P – ce qui n'est pas le cas de toutes –, qui auraient préféré que le départ anticipé soit automatique pour les travailleurs exerçant l'un des métiers identifiés par la branche AT-MP. Nous ne partageons pas ce point de vue, car nous considérons que le départ anticipé est une réparation lorsque l'usure n'a pas pu être prévenue, mais que l'avis médical individuel doit prévaloir : en effet, derrière un même code métier, la réalité des conditions d'exposition à l'usure professionnelle peut se révéler très différente.

Je prendrai deux exemples. En premier, celui des aides-soignantes qui exercent dans les Ehpad : ce métier est, par définition, pénible et tout le monde le reconnaîtra volontiers ; toutefois, l'exposition à la pénibilité n'est pas la même selon que l'établissement est équipé de rails, de lève-malades, d'assistance mécanique pour la manipulation des patients ou qu'au contraire l'intégralité des manipulations doit être réalisée par les personnels. Cela reste un métier pénible, mais les conditions d'exercice diffèrent. De la même manière, un menuisier peut travailler sur des chantiers à l'extérieur et être ainsi exposé à des températures très variables ou, à l'inverse, exercer dans un lieu clos, avec une température régulée et parfois des machines à commande numérique : tout en relevant d'un même code métier, le niveau d'exposition à la pénibilité sera très différent. C'est pourquoi nous privilégions le suivi médical individuel.

Enfin, la volonté de mieux prendre en compte la pénibilité dans le cadre de la réforme des retraites constitue un jalon, une étape supplémentaire qui intervient après les questions relatives à la santé au travail, notamment après l'accord interprofessionnel ayant donné lieu à l'adoption de la loi du 2 août 2021, qui a profondément revu les missions des services de santé au travail et concrétisé des avancées, telles que la visite de mi-carrière.

Elle est aussi une étape avant d'autres réflexions qui seront à mener sur la qualité de vie et les conditions de vie au travail. C'est là la deuxième observation que je voulais faire après celle concernant le suivi médical : en réalité, les départs anticipés au titre de la réparation – terme utilisé depuis la loi de 2010 – ne sont pas totalement satisfaisants. Il s'agit d'un droit que nous devons protéger et dont nous devons garantir et simplifier l'accès. Toutefois, de manière plus structurelle, nous partageons tous la volonté de mieux protéger les travailleurs de l'exposition à l'usure et à la pénibilité afin que chacun soit en mesure d'atteindre l'âge légal de départ à la retraite en bonne santé – quel que soit l'avis que l'on porte quant au niveau pertinent de cet âge légal – plutôt que de se satisfaire de départs anticipés avec une santé altérée. Prévenir l'exposition à l'usure professionnelle est le principal intérêt de notre politique en la matière.

Voilà ce que je voulais dire, madame la présidente, en ouverture de ce débat.

Mme la présidente
Je vous remercie. Nous en venons à la séquence de questions-réponses. Je rappelle que la durée des questions et des réponses est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.

Mme Sophie Taillé-Polian (Écolo-NUPES)
Je vous remercie, monsieur le ministre, pour ces éléments. Certes, nous n'avons pas formellement eu le temps de débattre de l'article 9 de la réforme, mais nous avons tout de même, au cours de ces dernières semaines, largement abordé les questions de pénibilité. Notre groupe a cependant souhaité approfondir le sujet en organisant le débat d'aujourd'hui ; il permettra de le faire, de façon certes limitée dans la mesure où il sera très court.

M. Frédéric Cabrolier
Oui, c'est sûr.

Mme Sophie Taillé-Polian
Vous avez déclaré que la politique menée est ambitieuse. Nous n'avons pas du tout la même vision des choses. À nos yeux, vos propositions ne sont que des mesures d'adaptation qui sont très faibles en comparaison de ce qui est demandé aux Français, c'est-à-dire travailler deux ans de plus.

Au cours des concertations, l'ensemble des organisations syndicales ont d'ailleurs estimé que la question de l'amélioration des conditions de travail et de la prévention au travail était un préalable à toute discussion relative aux retraites. Nous considérons que le départ anticipé doit permettre d'éviter que la santé des salariés ne s'altère, plutôt qu'il ne doit réparer une santé déjà altérée, qui empêchera de profiter pleinement de la retraite. Quelle politique mène le ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion pour développer la médecine du travail, lui redonner de l'allant et du dynamisme, et convaincre les étudiants d'embrasser cette voie, à l'heure où nous manquons tant de médecins du travail ? Qu'en est-il de l'indispensable politique de prévention primaire ? Quand sera enfin conduite une politique d'ampleur pour que la culture de la prévention se développe dans toutes les entreprises ? Peut-on encore parler de compte professionnel de prévention, quand le déplafonnement ne posera plus aucune limite à l'altération de la santé ? Où est votre politique visant à limiter et à prendre en considération la pénibilité des femmes, qui ne sont toujours pas placées au cœur du C2P ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Dussopt, ministre
Je ne m'attendais pas à ce que vous me félicitiez, madame la députée ; vos propos ne me surprennent donc pas, et je ne les partage pas. J'estime que l'ensemble des dispositions relatives à la pénibilité ne peuvent pas figurer dans le projet de loi que je défends. Pour autant, le texte comporte déjà des améliorations en la matière ; il constitue une étape, et devra être suivi par d'autres avancées votées dans le cadre d'une loi ordinaire.

Par ailleurs, la revalorisation et le regain d'attractivité de la médecine du travail ne passeront pas par des lois, mais par des plans sectoriels – nous devons y travailler avec M. le ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées. La désaffection que subissent les services de santé au travail n'est pas nouvelle et appelle des réponses à l'échelle de la filière. La loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail fournit des outils en ce sens, comme la possibilité de confier certains actes à des infirmiers en pratique avancée, sous l'autorité des médecins – le décret d'application afférent a été publié le 1er janvier 2023.

J'en viens à ce qui constitue probablement le cœur de notre désaccord : je considère qu'il n'y a rien de contradictoire à déplafonner le C2P et à mener une politique de prévention. Cette dernière est la clé absolue de la lutte contre la pénibilité : elle doit concentrer tous les efforts et l'essentiel de notre énergie. L'objectif est certes utopique, car nous visons le long terme et, en la matière, la perfection absolue n'existe pas : il s'agit d'éviter que les salariés soient exposés à la pénibilité et qu'ils doivent partir à la retraite de façon anticipée à titre de réparation. Nous devons renforcer la prévention, mais aussi faciliter les bifurcations et les réorientations. Déplafonner, c'est donner aux salariés qui sont exposés – ou qui l'ont été – la possibilité d'accumuler autant de points que leur situation le justifie, en leur permettant de les utiliser de façon plus diversifiée – par exemple, en recourant au départ anticipé ou au congé de reconversion.

Mme la présidente
La parole est à M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville (GDR-NUPES)
Avant d'aborder le sujet de la pénibilité, je tiens à réaffirmer la position du groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES : votre projet de loi doit être retiré, vu l'opposition massive qu'il suscite et la régression sociale qu'il implique. Je vois d'ailleurs un aveu dans les mesures dites d'accompagnement que vous avez été contraint d'y introduire, mais qui ne constituent en rien une compensation – comment le pourraient-elles, quand il est demandé aux salariés de travailler deux ans de plus ?

Passons aux questions. N'est-il pas nécessaire de dresser un véritable bilan du C2P ? Dans un rapport publié fin 2022, la Cour des comptes juge que ce dispositif « est voué à n'exercer qu'un effet réduit, sans impact sur la prévention ». Nous en dressons également un diagnostic sévère. Vous continuez pourtant d'investir dans cet outil, alors que, de toute évidence, il ne répondra pas aux enjeux – sans compter que votre logique de médicalisation va à l'encontre de la logique de droits collectifs que nous défendons.

Par ailleurs, je crois savoir que des discussions sont en cours au sujet de l'invalidité – couperet dont nul ne saurait se satisfaire. Où en est ce chantier ?

Enfin, le fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle heurte la philosophie même de la branche AT-MP, en lui assignant un objet qui n'est pas le sien : il interviendra là où la responsabilité des entreprises devrait être engagée. Je suis pour le moins étonné par ce nouveau fonds et par la philosophie qui le sous-tend.

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Dussopt, ministre
Je ne reviendrai pas sur vos propos liminaires, qui rappellent notre désaccord concernant la réforme des retraites.

Vous citez le rapport de la Cour des comptes : il constitue l'une des raisons pour lesquelles nous apportons des modifications au C2P. Nous souhaitons que ce dispositif se déploie plus facilement et qu'il présente un intérêt accru. Les mesures que nous prévoyons y contribueront : citons le déplafonnement des points du C2P, l'accroissement des possibilités de formation auxquelles ces points donnent droit, ouvrant à des parcours plus marqués, la meilleure prise en compte de la polyexposition, ou encore l'abaissement des seuils, qui facilitera la mise en œuvre du dispositif – car il est évident que si les critères d'obtention des points sont trop restrictifs, les salariés ne verront pas d'intérêt à ouvrir un C2P. Le C2P offrira en outre de nouvelles possibilités de reconversion.

Vous avez évoqué une logique de médicalisation qui serait contraire à la logique des droits collectifs. Je crois aux droits collectifs pour ce qui concerne la prévention ; c'est pourquoi le sujet est renvoyé aux branches et au dialogue social. En revanche, je reste convaincu que la logique de réparation – notamment le départ anticipé – doit s'appuyer sur un suivi médical individuel, pour prendre en compte l'exposition effective à des facteurs de pénibilité et à des conditions de travail particulièrement pénibles.

Pour ce qui concerne l'invalidité, je ne dispose pas d'éléments suffisants pour vous répondre immédiatement ; je vous communiquerai ces informations ultérieurement.

Enfin, la branche AT-MP affiche un résultat excédentaire significatif, et le maintiendra ces prochaines années ; il représente un flux de 1 à 1,2 milliard d'euros par an pour la branche maladie. Nous estimons qu'après les retraitements relatifs aux sous-déclarations, ce flux atteindra 3,3 milliards en 2025 ; il est donc justifié qu'il finance des dépenses "actives".

Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Lenormand.

M. Stéphane Lenormand (LIOT)
Je vous remercie de participer à cet échange, monsieur le ministre, même si nous aurions aimé discuter plus longuement d'un sujet aussi important.

Sachant que le compte professionnel de prévention a perdu quatre critères de pénibilité au cours de sa mutation, j'aimerais recueillir votre avis sur certaines propositions soumises par le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, ainsi que par certains de nos collègues.

Seriez-vous favorable à la réintégration des trois critères ergonomiques dans le C2P, par le biais d'un mécanisme issu du dialogue social et fondé sur la cartographie des métiers ?

Que pensez-vous de l'idée de bonifier votre texte et de maintenir les possibilités de départ anticipé à 60 ans en application du C2P ? Nous parlons en effet de salariés qui seront cassés par la pénibilité des métiers qu'ils auront exercés.

Serait-il envisageable d'étendre le C2P aux agents contractuels de la fonction publique ? Cette population en est pour le moment exclue, puisque le dispositif est essentiellement destiné au secteur privé.

Enfin, êtes-vous favorable à ce que le fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle soit élargi aux dix facteurs de risques professionnels, au-delà des trois critères ergonomiques ? Comment le montant important alloué au fonds d'investissement sera-t-il utilisé ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Dussopt, ministre
Nous sommes ouverts à ce que le dialogue social et les accords de prévention contribuent à définir les dépenses éligibles au fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle : il pourra s'agir de financer tant des équipements ergonomiques, visant à prévenir l'usure et la pénibilité, que des formations, des campagnes d'information collectives ou des parcours de reconversion. C'est à dessein que la liste des actions éligibles n'est pas définitivement arrêtée : dès lors que nous renvoyons la définition des accords de prévention au dialogue social de branche, nous ne pouvons pas fermer la liste des actions qui relèveront de ces accords et qui pourront être cofinancées par le fonds d'investissement.

Nous préférons concentrer le fonds sur les trois critères ergonomiques, car les six autres critères peuvent plus difficilement faire l'objet d'accords de prévention ou de financement d'actions au titre de ces derniers – je pense notamment aux contraintes d'organisation que constituent le travail de nuit et le travail en trois-huit.

La piste consistant à étendre le C2P aux agents contractuels de la fonction publique a fait l'objet de discussions, mais nous ne l'avons pas retenue à ce stade. Il nous paraît préférable de dédier des outils spécifiques à la fonction publique. La fonction publique d'État sera donc mobilisée, et nous mettrons en place les dispositifs nécessaires – notamment financiers – à cette fin. Le projet de loi prévoit ainsi la création d'un fonds de prévention de la pénibilité pour les métiers du soin de la fonction publique hospitalière (FPH) comme de la fonction publique territoriale (FPT), à hauteur de 100 millions d'euros par an. Enfin, une discussion a été ouverte – ou le sera bientôt – entre mes collègues en charge des collectivités et de la fonction publique d'une part, et les représentants d'associations d'élus locaux d'autre part : il est important de réfléchir à la façon dont nous pouvons progresser en matière de pénibilité, en respectant la libre administration des collectivités.

Pour ce qui est de la réintégration des trois critères ergonomiques, il nous paraît matériellement impossible d'effectuer un décompte individuel et quasi quotidien de l'exposition aux postures pénibles, aux charges lourdes et aux vibrations. Nous en avons fait le constat en 2017 lors du passage du C3P au C2P. Nous proposons plutôt de traiter ces trois critères par le biais des accords de prévention et du suivi médical renforcé.

Mme la présidente
La parole est à Mme Astrid Panosyan-Bouvet.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE)
Dans le rapport qu'a évoqué M. Dharréville, la Cour des comptes regrette qu'en matière de pénibilité, le principe pollueur-payeur, qui avait été institué en 2014, ait été supprimé en 2017. Le fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle, doté de 200 millions d'euros par an, reprend-il ce principe qui constitue un outil d'incitation puissant pour les entreprises ? L'économiste Philippe Askenazy a démontré que cette approche avait permis de réduire massivement les accidents du travail aux États-Unis dans les années 1990.

Je conçois par ailleurs qu'il soit difficile d'intégrer les trois critères ergonomiques dans le C2P, mais certaines professions sont présumées pénibles : par définition, un déménageur porte des charges lourdes, de même qu'un plombier canalisateur est soumis à des contraintes ergonomiques inhérentes à son activité quotidienne – la directrice générale de Veolia le reconnaît d'ailleurs. La liste des métiers présumés pénibles pourrait donc très bien comporter des professions soumises à de fortes contraintes ergonomiques.

Enfin, vos services ont-ils établi un croisement entre les salariés qui exercent des carrières présumées pénibles et ceux qui commencent à travailler avant 20 ans ? Dans quelle mesure les deux catégories se recoupent-elles ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Dussopt, ministre
Nous ne souhaitons pas réintégrer les cotisations pénibilité qui existaient avant 2017, car elles ont exercé un effet de bord sur le coût du travail. En revanche, le fait que le fonds d'investissement soit financé par la branche AT-MP renvoie aux modalités de financement de cette dernière, qui incluent le principe pollueur-payeur : les taux sont majorés selon l'accidentologie et la prévalence des maladies professionnelles. Nous retrouvons donc cet état d'esprit dans le financement général de la branche AT-MP, laquelle financera le fonds que nous proposons de créer.

Vous évoquiez également la comptabilisation des critères ergonomiques pour certaines professions connues pour leur pénibilité inhérente. Effectivement, les exemples que j'ai cités pour illustrer l'exposition variable aux facteurs de pénibilité étaient sans doute simplistes – les exemples le sont souvent. Les branches professionnelles pourront bien entendu distinguer certaines professions dont la pratique expose invariablement à des facteurs de pénibilité, afin d'en assouplir et d'en faciliter la prise en compte. Toutefois, je ne souhaite pas présumer du résultat des négociations de branche ; puisque nous faisons confiance aux branches pour conclure des accords de prévention et pour déterminer les solutions appropriées en matière de prévention et de réparation, il convient de leur laisser le temps de négocier.

Enfin, il n'existe aucune corrélation statistique entre les travailleurs bénéficiant d'un départ anticipé pour carrière longue et les travailleurs exposés à la pénibilité. Il ne s'agit pas des mêmes populations. En effet, une partie des carrières longues correspond à des métiers peu pénibles. D'autre part, de nombreuses personnes éligibles à un départ anticipé pour carrière longue, quand bien même elles auraient commencé leur carrière en exerçant un métier pénible, connaissent une évolution professionnelle qui les mène à occuper un poste non pénible. L'espérance de vie à la retraite nous en donne une vision certes froide et statistique, mais instructive : elle s'élève en moyenne à vingt-quatre ans toutes catégories confondues, mais à près de vingt-six ans pour les personnes bénéficiant du dispositif carrières longues, qui, étant parties à la retraite deux ans plus tôt, disposent donc de la même espérance de vie globale.

Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric Cabrolier.

M. Frédéric Cabrolier (RN)
Nous réitérons notre opposition à votre réforme des retraites, qui repoussera l'âge légal de départ de 62 ans à 64 ans. En revanche, l'article 9, relatif à la pénibilité, contient plusieurs mesures qui nous semblent aller dans le bon sens. Il laisse toutefois perdurer quelques injustices.

Vous mentionnez la création d'un congé de reconversion rémunéré à 100 %, qui s'accompagnerait de droits à la formation à hauteur de 500 euros. Lorsque nous avons visité ensemble l'entreprise de transports Coulom, à Albi, les seniors que nous avons rencontrés ont effectivement formulé cette demande ; je salue donc cette mesure.

Vous évoquez également la question de l'incapacité et, si j'ai bien compris, la possibilité d'un départ anticipé à 62 ans. Comme je le soulignais plus tôt, j'y vois une injustice, car les salariés dépendant du régime complémentaire Arrco subissent une décote de 10 % pendant trois ans pour tout départ avant 63 ans. Que répondez-vous à cela ?

Enfin j'ai cru comprendre – peut-être ai-je mal suivi – que le C2P permettrait l'octroi de droits supplémentaires liés au passage à temps partiel. Là encore, les salariés de l'entreprise Coulom ont demandé cette mesure. Pouvez-vous nous éclairer davantage à ce sujet ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Dussopt, ministre
Je répondrai par trois précisions. La première concerne le financement de la formation. La mesure que nous proposons consiste à faire évoluer la valeur du point de 375 euros à 500 euros. Les droits à la formation ne s'élèvent donc pas à 500 euros au total, mais à 500 euros par point consacré à financer des formations permettant un reclassement.

M. Frédéric Cabrolier
Ah, d'accord !

M. Olivier Dussopt, ministre
Le déplafonnement s'inscrit d'ailleurs dans la même logique, qui nous conduit à vouloir accompagner les congés de reconversion de manière plus globale.

La deuxième concerne le temps partiel. En utilisant dix points de son C2P, il est actuellement possible de passer à temps partiel pour trois mois en restant payé à taux plein ; nous étendrons cette durée à quatre mois. Une personne souhaitant travailler à temps partiel pendant un an avant de partir à la retraite devra dépenser trente points, et non quarante comme c'est actuellement le cas. À défaut d'abaisser les seuils d'acquisition des points, cette mesure permet d'en valoriser l'utilisation.

La troisième concerne la décote dans le cadre des régimes complémentaires, notamment de l'Agirc-Arrco. Ce point ne relève pas de l'État, mais de l'accord national interprofessionnel (ANI) entre les partenaires sociaux. Au-delà de cet exemple, nous proposons de mettre en œuvre plusieurs dispositions relatives au régime général qui susciteront certainement – mais je ne veux pas présumer de l'échange entre les partenaires sociaux – des discussions quant à la gouvernance des régimes complémentaires. Par exemple, nous voulons rendre contributif le cumul emploi-retraite, ce qui le rendrait créateur de droits. Il reviendra aux partenaires sociaux, s'ils le souhaitent, de se saisir de cette question, afin que cette disposition ne soit pas réservée au régime général, mais soit également applicable aux régimes complémentaires.

Mme la présidente
La parole est à M. Aurélien Saintoul.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES)
J'ai sous les yeux le tableau de sinistralité des accidents du travail en 2019, qui est sans équivoque : la fréquence des accidents graves et mortels augmente constamment avec l'âge. Le nombre d'accidents mortels par milliard d'heures rémunérées s'élève à 20,5 en moyenne, à 15 pour les 15-19 ans, à 7 pour les 20-29 ans – cette légère baisse par rapport à la tranche d'âge précédente souligne surtout la vulnérabilité particulière des apprentis –, à 8 pour les 30-39 ans, à 19,2 pour les 40-49 ans, à 39,3 pour les 50-59 ans – il dépasse donc la moyenne – et à 54,2 au-delà de 60 ans. Repousser l'âge du départ à la retraite revient donc indubitablement à accroître le risque de mourir au travail. Comment votre réforme répond-elle à ce problème ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Dussopt, ministre
De prime abord, les chiffres que vous citez semblent soutenir votre argumentation, mais ils cachent une réalité plus complexe. Vous avez bien fait de rappeler la date de 2019 : en effet, c'est l'année où une jurisprudence de la Cour de cassation a amené l'État à comptabiliser les malaises parmi les accidents du travail mortels survenus dans le lieu de travail. Cela explique d'ailleurs le pic d'accidents constaté en 2019 – il fut suivi en 2020 par une décrue liée à la pandémie, puis par le retour à un niveau moyen en 2021 et 2022. Le détail des chiffres révèle que la fréquence des accidents du travail diminue avec l'âge. En revanche, la fréquence des malaises au travail augmente avec l'âge, ce qui s'explique aussi par des raisons de santé. La lecture des données brutes ne suffit donc pas ; l'intégration des malaises dans les chiffres des accidents mortels demande une analyse plus poussée.

Lors de ma prise de fonction, j'ai demandé à être prévenu systématiquement de chaque accident mortel survenu au travail, à l'exception des accidents de trajet entre le domicile et le lieu de travail. Il est frappant de constater que les accidents du travail graves ou mortels présentent presque systématiquement deux caractéristiques. Premièrement, la victime a rejoint récemment l'entreprise ou le lieu de travail en question ; cela inclut donc les apprentis, mais également les nouveaux embauchés, quel que soit leur âge, les salariés intérimaires et les salariés détachés. Deuxièmement, la victime était isolée au moment de l'accident, ce qui est particulièrement fréquent dans le milieu agricole. C'est sur ces deux aspects que je souhaite travailler. Le projet de loi à venir que j'évoquais pourra contenir des mesures en la matière. Je rappelle également que l'axe transversal du quatrième plan national de santé au travail (PST) est consacré à la lutte contre les accidents du travail graves et mortels. J'ai mobilisé depuis décembre les services du ministère du travail pour lutter contre ces accidents ; en effet, outre les accidents mortels – et 650 accidents mortels par an, sans compter les accidents de trajet, c'est trop –, il survient 9 600 accidents par an qui mènent à une incapacité permanente partielle ou totale du salarié. Ce chiffre – 10 000 personnes marquées à vie chaque année par un accident du travail – est tout aussi inacceptable, et peut-être plus inquiétant encore, que les centaines de morts.

Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Viry.

M. Stéphane Viry (LR)
Vous venez de répondre aux questions qui me taraudaient, relatives aux accidents du travail graves ou mortels et à votre plan pour les diminuer et offrir aux victimes une réparation intégrale.

Nous débattons du droit au départ anticipé à la retraite fondé sur la pénibilité du travail, et donc sur la capacité physique à travailler. Cette question est directement liée à celle du travail en général. Vous avez évoqué des divergences quant à l'exposition à la pénibilité et quant à la pénibilité en soi, définie légalement en 2010 selon plusieurs facteurs. Je sens néanmoins que la société évolue : plutôt que les conditions de travail, ne s'interroge-t-on pas désormais sur les conditions du travail lui-même ? En écoutant les témoins invités par nos collègues écologistes, on comprend bien qu'au-delà des questions techniques, le cœur du débat concerne notre rapport au travail. Est en question non seulement la santé au travail, mais aussi, plus largement, le lien de subordination entre le salarié et son employeur. La notion de soutenabilité au travail a été évoquée. Cette question est centrale : dès lors qu'on peine à admettre l'existence de difficultés liées à son travail, on cherche surtout à tenir le coup, à endurer l'effort. Force est de constater que votre projet de loi contient des mesures techniques destinées à combler des carences en matière de prévention et de prise en compte de l'usure professionnelle, mais ne crée pas de nouveau souffle, ne repense pas la définition légale de la pénibilité. Je le regrette. Je vous pose donc une question liée à celle de mon collègue : entendez-vous créer de nouveaux critères de pénibilité relatifs à la charge psychique et à la santé mentale ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Dussopt, ministre
Il est passionnant de débattre du travail en général, mais cela ne se traduit pas nécessairement par des dispositions législatives. Il s'agit d'une question plus large : quelle place donne-t-on au travail dans la société, dans une vie ? De telles discussions sont en cours dans le cadre des assises du travail. La difficulté consiste à passer du constat, de l'énoncé de principe, à sa traduction technique, nécessaire pour orienter l'évolution de la loi. Cette tâche reste à accomplir. J'ai bon espoir que les propositions issues des assises du travail trouveront leur place dans les débats que nous mènerons au printemps et à l'été, de sorte que les questions relatives à la qualité des conditions de vie au travail seront pleinement examinées. Il conviendra également d'aborder le thème de la démocratie au travail dans un nouveau contexte caractérisé par l'éclatement du lieu de travail – je pense au recours accru au télétravail ou à des tiers lieux –, qui invite à repenser le rapport aux instances de représentation du personnel.

En ce qui concerne les risques psycho-sociaux, je tiens d'abord à rappeler que la part des départs pour incapacité liée à la santé mentale augmente progressivement, et que la jurisprudence permet désormais de mieux prendre en compte ce facteur. La difficulté consiste à quantifier et à objectiver les risques psycho-sociaux. Faute de consensus méthodologique, nous ne sommes pas en mesure d'établir les grilles qui permettraient de considérer ces risques comme facteurs objectifs de pénibilité, mesurables et applicables de manière indifférenciée, donnant droit à un départ anticipé pour incapacité.

Cela m'amène à préciser mes propos relatifs aux départs pour incapacité, dont j'ai dit que nous les faciliterions. Nous souhaitons que les salariés dont le taux d'incapacité est supérieur à 20 % bénéficient d'un droit automatique au départ anticipé, considérant que l'attribution d'un tel taux vaut avis médical définitif. Pour les salariés dont le taux d'incapacité est compris entre 10 % et 20 %, nous simplifierons considérablement les processus administratifs et diminuerons le critère de durée d'exposition à une situation pénible, qui passera de sept à cinq ans.

Mme la présidente
La parole est à M. Gérard Leseul.

M. Gérard Leseul (SOC)
En 2014 a été créé le C3P, le compte personnel de prévention de la pénibilité, un dispositif bien connu permettant aux salariés exposés à des conditions de travail difficiles de gagner des points servant à financer des formations, un passage à temps partiel sans baisse de salaire, ou encore un départ à la retraite anticipé. En 2017, la nouvelle majorité a remplacé le C3P par le compte professionnel de prévention, dit C2P. En plus de changer la dénomination du dispositif pour supprimer le mot « pénibilité », loin d'améliorer la prise en compte de la pénibilité, vous en avez supprimé plusieurs critères : risque chimique, vibrations mécaniques, posture pénible et port de charges lourdes.

Sous couvert de supprimer une usine à gaz, comme vous l'appeliez, vous avez créé une usine à mirages. Comme mes collègues l'ont rappelé, la Cour des comptes a conclu que le C2P n'exerce qu'un effet réduit sur la pénibilité, n'améliore pas la prévention, et ne se montre pas à la hauteur des objectifs qui lui sont assignés, dans un contexte où, par ailleurs, l'âge de départ à la retraite recule.
Les syndicats, vous le savez, sont unanimement opposés à cette réforme des retraites. Ils sont bien conscients que la pénibilité au travail est encore loin d'être reconnue et que les dispositifs existants ont été affaiblis par votre majorité depuis 2017.

À de très nombreuses reprises, vous avez répété, sûrement pour vous rassurer, que votre texte sur les retraites permettrait une amélioration de la prise en compte de la pénibilité. Cependant, il n'en est rien. Ainsi, dans votre projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS), vous auriez pu au moins réintégrer des facteurs de risque supprimés en 2017. Au lieu de cela, vous avez relancé l'usine à mirage en évoquant les retraites à 1 200 euros pour tous. Nous nous opposons à cette réforme, pour préserver des années de vie en bonne santé pour tous les travailleurs, et en particulier pour ceux qui vivent la pénibilité au travail.

Alors que l'ensemble des syndicats s'oppose à cette réforme des retraites et demande la réintégration des critères de pénibilité, je vous poserai une double question, monsieur le ministre. Quand ouvrirez-vous le dialogue social sur les retraites et sur la pénibilité ? Quand réintroduirez-vous les critères que vous avez supprimés ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Dussopt, ministre
Monsieur Leseul, vous évoquez la réforme de 2014, celle qui a augmenté la durée de cotisation requise pour avoir accès à la retraite à taux plein. Il est toujours utile de rappeler qui a voté cette réforme et les conditions dans lesquelles elle a été instaurée.

Si c'était à refaire, nous prendrions les mêmes décisions qu'en 2017. Dans le cadre de cette réforme, les trois critères ergonomiques faisaient l'objet d'une quantification individuelle quasi quotidienne – c'était mission impossible, notamment pour les petites et moyennes entreprises. Avec la réforme actuelle, avec le PLFRSS que je présente devant vous, nous avons acté le fait qu'en matière de port de charges, d'exposition aux postures pénibles et aux vibrations, il n'était pas possible de procéder systématiquement à des mesures individuelles, d'où le recours à un dialogue social de branche et à des mesures collectives de prévention assorties d'un suivi individuel médical renforcé tel que je l'ai défini précédemment.

Ensuite, vous ne pouvez pas dire que ce texte ne permet pas d'améliorer la prise en considération de la pénibilité. En effet, élargir les possibilités d'obtention de points, augmenter la valeur des points, créer des utilisations nouvelles de droits et améliorer la prise en considération de l'exposition multiple contribue, que vous le vouliez ou non, à améliorer la C2P – et cette réforme est effectivement vue comme une amélioration.

Les trois critères ergonomiques qui avaient été exclus en 2017 font l'objet d'un nouveau traitement, qui repose sur des accords de prévention financés à hauteur de 1 milliard d'euros et sur un suivi médical donnant lieu à des départs anticipés, ce qui constitue également une amélioration. Vous pouvez juger que c'est insuffisant, mais vous ne pouvez pas prétendre que ce n'est rien.

Enfin, vous avez évoqué le critère de l'exposition au risque chimique. Nous considérons – ce parti pris peut être discuté – que cela ne relève pas de la pénibilité, mais de la sécurité. L'objectif est de faire respecter l'intégralité des normes et de faire en sorte qu'il n'y ait pas d'exposition, ou du moins que celle-ci soit le plus réduite possible – là encore, il faut être réaliste et prendre en compte la réalité des conditions de travail. Nous voulons interdire l'exposition à des niveaux excédant les normes plafonds définies par la France et par l'Union européenne.

Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Claude Raux.

M. Jean-Claude Raux (Écolo-NUPES)
Dans une société que je n'appelle pas de mes vœux, on demanderait sans discernement ou presque à tout le monde de travailler deux ans de plus. Cela pose de nombreuses questions, notamment celle des portes de sortie. Si quelqu'un cesse de travailler pour incapacité permanente, ce sera déjà trop tard ; il s'agira d'un échec cuisant de la prévention.

On a évoqué le besoin de temps de respiration dans une carrière. Parfois, me semble-t-il, des temps de réorientation s'imposent également. En effet, la pénibilité n'est pas seulement éprouvée par le corps, même si c'est souvent lui qui donne le premier signal d'alerte.

Dans de nombreux métiers, les risques d'usure sont peut-être moins flagrants ; ils sont néanmoins bien réels. Vous avez donné des exemples concrets, monsieur le ministre. J'en donnerai à mon tour quelques-uns. Un professeur des écoles, une enseignante, s'ils sont au bout du rouleau, vous en conviendrez, ne sont plus utiles pour personne. Quelle porte de sortie ont-ils ? Une infirmière, une aide-soignante essorées par les restructurations, par les remplacements liés au manque de personnel, un maçon, un travailleur de la logistique, une auxiliaire de vie, une coiffeuse usés par l'exercice ou par les conditions d'exercice de leur métier, des travailleurs sociaux découragés par la dureté et l'ampleur de la tâche, ainsi que par le manque de moyens, quelle alternative ont-ils à ce qui se passe couramment, à savoir les arrêts maladie à répétition ou le chômage de longue durée ?

Monsieur le ministre, vous avez évoqué un congé de reconversion avec le maintien du salaire à 100 %. À qui s'adressera-t-il ? S'agira-t-il d'une liste restrictive ou plutôt ouverte ? Quand sera-t-il déclenché ? Combien de fois un travailleur pourra-t-il en bénéficier ? Enfin, faut-il en faire un outil central de la formation tout au long de la vie et repenser également le compte épargne temps (CET), qui est inopérant et fait l'objet de nombreuses dérives ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Dussopt, ministre
D'abord, nous souhaitons que l'utilisation du congé de reconversion soit de droit pour les salariés titulaires d'un C2P et qu'elle soit nourrie par des points de C2P. Dans ce cas-là, du fait du déplafonnement, il n'y a pas de limite ; il est simplement requis d'avoir suffisamment de points pour accéder à cet outil de reconversion avec financement de la formation et maintien de la rémunération. Bien évidemment, dans le cadre des discussions d'accord de prévention autour des critères ergonomiques, les branches pourront, si elles le souhaitent – cela relève du dialogue social –, inscrire ces congés de reconversion dans les utilisations et les débouchés possibles de ces accords. Je pense que ce peut être un outil central de reconversion pour des salariés exposés à des critères de pénibilité.

Cela ne règle pas la question des salariés qui ne sont pas exposés à des critères de pénibilité quantifiables tels qu'ils sont définis actuellement, mais qui, au cours de leur vie, peuvent avoir besoin – vous parliez de respiration – d'envisager une reconversion. Nous devons donc aussi améliorer les dispositifs de transition professionnelle « de droit commun », mais il s'agit d'un autre chantier que celui de la pénibilité : la formation tout au long de la vie.

Ensuite, parmi les exemples que vous avez mentionnés, vous avez évoqué des agents publics qui, à la fin de leur carrière, sont parfois fatigués – je parle de fatigue plutôt que d'usure, car le premier terme recouvre des situations très diverses – et plus en mesure d'exercer à une activité à temps plein, comme ils doivent le faire actuellement. C'est ce qui nous a amenés à prévoir l'ouverture à la fonction publique du dispositif de retraite progressive, deux ans avant l'âge d'ouverture des droits, tel qu'il existe dans le privé. Nous voulons l'assouplir dans le privé et le créer dans le public pour permettre de décélérer sans remettre en cause la capacité à acquérir des trimestres de cotisation.

Enfin, vous avez parlé du compte épargne temps. C'est là un très beau chantier qui doit faire l'objet d'une négociation professionnelle, car cela relève de l'article L. 1 du code du travail : il s'agit du compte épargne temps universel, de la capacité à établir un compte épargne temps pour chaque salarié, qui soit portable d'un employeur à l'autre, pour que l'utilisation des jours ainsi accumulés puisse être décidée par les salariés tout au long de la vie et pas uniquement pendant leur période de salariat ou d'engagement dans une entreprise.

Mme la présidente
La parole est à M. Francis Dubois.

M. Francis Dubois (LR)
Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur le statut des secrétaires de mairie dans les petites communes, notamment en milieu rural.

Maillon essentiel et incontournable de la vie communale, les secrétaires de mairie sont l'appui technique et juridique des maires et participent, comme vous le savez, à la mise en œuvre des politiques de l'équipe municipale. C'est un emploi qui nécessite des compétences multiples qui peuvent être d'ordre financier, ou relever de la gestion des services techniques, des ressources humaines, de l'urbanisme, de l'état civil, de l'organisation des élections et de l'accueil du public.

Le secrétaire de mairie doit ainsi faire preuve d'adaptabilité, de polyvalence et d'organisation. C'est d'autant plus vrai en milieu rural, comme en Corrèze, par exemple, où très souvent, plusieurs communes partagent un même secrétaire de mairie.

Cependant, malgré un profil très complet et un rôle décisif dans la bonne vie de la commune, la reconnaissance de cette fonction n'est pas en adéquation avec les dispositions statutaires actuelles. Les missions sont mal définies. Les agents qui partent sont systématiquement remplacés par des adjoints administratifs de catégorie C titulaires ou contractuels. Les secrétaires de mairie n'ont pas pu bénéficier du protocole sur les parcours professionnels, carrières et rémunérations, qui permet une refonte des grilles de salaires.

Devant la nécessité de mieux reconnaître ce métier dans un contexte de tension du recrutement et de vieillissement des agents, une récente proposition de loi transpartisane déposée par M. Pierre Morel-À-L'Huissier, à laquelle j'ai apporté ma signature, vise à revaloriser le métier des secrétaires de mairie.

Cette proposition de loi tend à faire évoluer l'appellation de cette profession pour la renommer « responsable de l'administration communale » et à créer un statut d'emploi comprenant deux grilles indiciaires. Pour pallier les difficultés de recrutement, elle tend à élargir la possibilité pour les communes de recruter des agents contractuels en relevant le plafond démographique en deçà duquel ce recrutement est ouvert de 1 000 à 2 000 habitants.

Elle vise également à créer, en lien avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), des formations spécifiques pour faciliter la prise de poste. Ces formations seraient en effet très utiles, en particulier pour les contractuels recrutés.

Je vous demande donc, monsieur le ministre, si, en écho à cette initiative parlementaire soutenue sur le terrain, votre ministère entend revoir les statuts de secrétaire de mairie des petites communes. Des décisions seront-elles prochainement prises en vue d'assurer une pleine reconnaissance à ce métier ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Dussopt, ministre
On s'éloigne un peu du champ de la pénibilité, monsieur Dubois. (Sourires.) Plus sérieusement, cette question du statut des agents communaux et des secrétaires de mairie relève très directement des compétences de Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques, et de celles de Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales. J'aurais pu vous répondre il y a quatre ans, quand j'étais en charge de la fonction publique (Sourires) , mais votre question est très largement extérieure à mon champ de compétences ministériel actuel.

Je ne connais pas le détail de la proposition transpartisane que vous avez évoquée. Il est impossible pour moi de me prononcer, même si, étant comme vous élu dans une circonscription située dans un département rural, qui compte quatre-vingt-douze communes, je connais les difficultés que rencontrent les maires pour recruter et les secrétaires de mairie pour assurer des tâches qui souvent sont multiformes, dans plusieurs lieux, parfois avec plusieurs temps partiels, dans de toutes petites communes. Les élus comptent beaucoup sur eux, ou plutôt sur elles, car c'est une profession très féminisée. Stanislas Guerini, qui vous rejoindra tout à l'heure, pourra peut-être vous répondre, mais je ne peux pas sortir de mon périmètre pour le faire.

Mme la présidente
La parole est à M. Sébastien Peytavie.

M. Sébastien Peytavie
Il est pénible d'entendre depuis trois semaines renvoyer les discussions à un futur projet de loi « travail » qui arrivera après le texte sur les retraites, car ce projet de loi contiendra de nombreux éléments qui auraient éclairé nos débats sur la manière d'envisager les départs anticipés ou non à la retraite.

Je regrette également que vous n'ayez pas été présent lorsque nous avons entendu les témoignages d'une aide à domicile et d'un paysan. J'ai cru comprendre que vous n'étiez pas loin et que vous aviez pu entendre ce qui a été dit, mais votre présence aurait été préférable. Ce qui m'a marqué dans leurs témoignages, c'est que tous les deux exercent leur métier en étant isolés. Ils répondent pourtant à une grande attente : nourrir les citoyens français ou accompagner des personnes fragiles, soit parce qu'elles sont âgées, soit parce qu'elles sont en situation de handicap.

Ils ont tous les deux relevé qu'il était très difficile pour la médecine du travail de reconnaître tous les soucis de santé qu'ils peuvent rencontrer. Étant élu dans une circonscription rurale, je ne peux qu'être frappé par le taux de suicide chez les paysans, qui est terrible. Quant aux aides à domicile, elles doivent faire face à des temps partiels subis et à des amplitudes horaires très importantes. Certains dispositifs, comme les lève-personnes, ne peuvent pas être utilisés à domicile.

Comment donc répondre aux difficultés soulevées par ces deux témoignages ?

Pour conclure,…

Mme la présidente
Oui, il est temps !

M. Sébastien Peytavie
…vous évoquez une visite médicale autour de 40 ans pour réfléchir à partir de là à une réorientation. C'est quand même dommage d'attendre que les corps soient abîmés pour leur trouver un autre usage.

Mme la présidente
Monsieur Peytavie, je vous réponds sur la forme, d'autant que d'autres collègues se sont posé la question. Ce n'est pas la pratique – cela ne l'a jamais été – que le ministre soit présent au moment de la table ronde. Ces débats sont construits en deux phases. Peut-être faut-il faire évoluer cette pratique, mais c'est là la tradition.
La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Dussopt, ministre
J'allais dire à M. Peytavie que, n'étant pas invité, je m'étais contenté de suivre ce premier temps du débat par écran interposé (Sourires) , moi-même ou par l'intermédiaire de mon équipe. Je ne pense pas qu'il faille être frustré par la perspective de la loi « travail » à venir, car elle offre la possibilité de débattre à nouveau de ces sujets et elle me permettra de vous retrouver les uns et les autres en commission et dans l'hémicycle.

Vous avez raison au sujet des aides à domicile. C'est un trait particulier de cette profession. Ce que j'évoquais au sujet de la différenciation de l'exposition à l'usure professionnelle pour les aides-soignants en Ehpad avec ou sans rail, de manière très schématique, ne vaut pas pour le domicile, ou très rarement, puisque le niveau d'équipement à domicile est évidemment moins important que dans les établissements d'hébergement. Nous devons donc mener un énorme travail avec les partenaires sociaux de ce secteur pour définir comment les conditions de travail des aides à domicile pourraient être améliorées. Je ne saurais pas vous exposer immédiatement comment le faire. Si quelqu'un avait une solution magique, efficace et très rapide, tout le monde serait très heureux de l'appliquer, mais en réalité c'est un énorme chantier.

Sur les questions relatives à l'agriculture – vous avez notamment évoqué l'isolement et les suicides –, M. Daniel Lenoir devrait bientôt rendre les conclusions de la mission qui lui a été confiée il y a un peu plus d'un an. Parmi les quelques préconisations d'ores et déjà émises, citons la désignation de ce que l'on pourrait appeler des sentinelles, afin de mieux prévenir le risque de suicide.

Les difficultés de la profession d'agriculteur, y compris en termes de risques psychosociaux et d'exposition à l'usure, me conduisent à vous rappeler une disposition du texte dont nous avons discuté il y a quelques jours, qui va permettre d'améliorer la situation de retraités actuels ou futurs de ce secteur – je parle des exploitants ou des indépendants.

Deux lois adoptées à l'initiative d'André Chassaigne prévoient une garantie de retraite minimum pour les exploitants agricoles ayant effectué une carrière complète. Ceux qui sont contraints par l'usure à prendre un départ anticipé pour incapacité sont privés du bénéfice de ce texte. Le PLFRSS pour 2023 contient une disposition selon laquelle sera réputée complète la carrière d'un exploitant agricole parti de manière anticipée pour incapacité.

Sans parler du flux de retraités à venir, quelque 45 000 retraités actuels pourraient bénéficier de cette requalification et d'une hausse de 80 à 85 euros de leur pension. Sachant que la loi dite Chassaigne 1 avait permis d'améliorer les retraites d'une centaine d'euros en moyenne, la correction apportée pour mieux prendre en compte ces situations serait du même ordre.

Mme la présidente
Le débat est clos.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 2 mars 2023