Déclaration de M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées, sur la baisse démographique en France, à Paris le 28 février 2023.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Débat sur le thème "Baisse démographique en France", Assemblée nationale le 28 février 2023

Texte intégral

Mme la présidente
L’ordre du jour appelle le débat sur les conséquences de la baisse démographique en France et les politiques à mettre en œuvre pour y remédier.
La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties : nous entendrons d’abord les orateurs des groupes, puis le Gouvernement ; nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.

(…)

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées.

M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées
À l’initiative du groupe Démocrate, que je remercie, nous débattons de la démographie française. Oui, le monde change, et vite. La France, comme la plupart des pays occidentaux, connaît une transition longue qui poursuit néanmoins son déroulement. La population est passée de 42 millions en 1950 à 68 millions aujourd’hui. La natalité stagne depuis 1970 et recule depuis 2015. La population vieillit puisque l’espérance de vie s’allonge, ce dont il faut bien entendu se féliciter.

À l’explosion des naissances de l’après-guerre correspondent les départs massifs à la retraite observés depuis plusieurs années. Dès lors, nous anticipons un plateau décroissant : le point le plus haut serait atteint vers 2040, avant que ne s’amorce une baisse très lente qui nous ramènerait au niveau actuel en 2060.

Face à cette situation, il faut entendre l’inquiétude exprimée par certains de nos concitoyens, qui redoutent un déclin de notre pays lié à son déclassement démographique. Il faut aussi, naturellement, mettre ces chiffres en regard de la crise climatique à laquelle l’humanité est confrontée.

Le taux de natalité doit être observé avec autant d’attention que le PIB. Il est en effet au croisement des enjeux productifs, sociaux, culturels et environnementaux. Surtout, il illustre l’image qu’une société a d’elle-même, je dirai même : l’amour qu’elle se porte et ses espoirs pour l’avenir. Mais l’Histoire n’est jamais écrite, et nous ne sommes pas là pour commenter des projections ; je m’en tiendrai donc là sur ce sujet. La tentation est toujours grande de jouer à l’historien ou aux Cassandre mais, en tant que ministre des âges de la vie, ce qui m’intéresse, ce sont les faits et les solutions.

En la matière, nous pouvons compter sur de nombreuses productions de qualité. Je pense, bien entendu, aux travaux de l’Ined, mais aussi à l’excellente note du haut-commissariat au plan, datée de mai 2021 et intitulé « Démographie : la clé pour préserver notre modèle social ». L’essentiel s’y trouve résumé ; je rejoins d’ailleurs le haut-commissaire François Bayrou dans la plupart de ses constats et recommandations.

M. Cyrille Isaac-Sibille
Très bien !

M. Jean-Christophe Combe, ministre
Le premier de ces constats est celui d’un ralentissement de la croissance de notre population. L’indicateur le plus regardé est celui du recul du nombre de naissances rapporté au nombre de femmes en âge de procréer. Le taux de fécondité stagne depuis le milieu des années 1970 ; il a atteint son point bas au milieu des années 1990 avant de remonter légèrement puis de repartir à la baisse depuis 2015 – même si, avec un taux de fécondité de 1,8 enfant par femme en 2022, la France reste le pays d’Europe où la fécondité est la plus élevée.

M. Xavier Breton
Disons plutôt la moins basse !

M. Jean-Christophe Combe, ministre
Nous ne sommes pas au point bas des années 1990, mais il nous faut regarder en face ce recul, ses causes et ses conséquences.

Il s’explique principalement par quatre facteurs.

Le premier d’entre eux est purement démographique : il y a moins de femmes en âge de procréer.

Le deuxième est d’ordre sociétal : les couples se forment plus tard et le monde du travail pénalise celles et ceux qui s’arrêtent au moment où les carrières se dessinent. Cette situation est source d’inégalité car elle touche, nous le savons, principalement les femmes. Elle contribue, du reste, au recul de l’âge de la première grossesse – 24 ans en 1977, presque 31 ans en 2020 – ainsi qu’à la diminution du nombre d’enfants. En effet, si le risque moyen de ne pas avoir d’enfant est de 4 % à 20 ans, il s’élève à 14 % à 35 ans, à 35 % à 40 ans et à 80 % après 45 ans.

Mais l’âge de l’homme est également un enjeu – que l’on tait trop souvent –, car le génome des spermatozoïdes s’altère avec l’âge et accroît les risques génétiques, les difficultés à concevoir et le risque de fausses couches. Pour rappel, le taux de fausses couches est multiplié par 6,7 si l’homme a plus de 40 ans et la femme plus de 35 ans.

Le troisième facteur est environnemental : il s’agit, en particulier, de l’exposition à des polluants et à des perturbateurs endocriniens qui contribuent à la hausse de l’infertilité féminine, mais aussi masculine, dont on parle beaucoup moins – j’y reviendrai.

Enfin, le quatrième facteur est économique : il est lié à la succession des crises sanitaires et économiques et aux incertitudes pesant sur la conjoncture.

Parallèlement à la baisse de la fécondité, nous observons un vieillissement marqué de la population. En 2030, un tiers de la population française sera âgé de plus de 60 ans et les plus de 65 ans seront plus nombreux que les moins de 15 ans – la part des plus de 60 ans dans la population était encore de 17 % en 1980. À ce propos, nous aurons l’occasion d’examiner en profondeur la manière dont nous préparons l’accompagnement de ce vieillissement lors de l’examen d’une proposition de loi déposée par la majorité, qui convergera avec les conclusions des ateliers citoyens du Conseil national de la refondation dédiés au bien vieillir.

L’enjeu démographique est donc clair ; ses conséquences le sont tout autant. Elles sont de trois ordres : il y a celles qui touchent au financement de notre modèle social, celles qui affectent notre modèle productif et celles qui interrogent notre manière de faire société en nous projetant dans l’avenir.

Qu’en est-il, tout d’abord, de la pérennité de notre système de protection sociale ? Celui-ci est fondé, vous le savez, sur un principe de redistribution. Il repose sur la solidarité entre les territoires, entre les familles, entre les générations, entre les bien-portants et les malades, entre les actifs et les inactifs. Ce modèle peut et doit être l’une de nos forces dans un monde incertain. Je m’attache chaque jour à l’expliquer et à tout mettre en œuvre pour l’améliorer.

Un exemple parmi d’autres, qui ne vous surprendra pas : celui de notre système de retraite. La natalité et, plus largement, la démographie sont des paramètres déterminants de l’équilibre d’un système de retraite par répartition.

M. Philippe Gosselin
Eh oui !

M. Jean-Christophe Combe, ministre
Selon le COR, qui s’appuie, en la matière, sur les projections de l’Insee, le nombre des cotisants était, dans les années 1970, de trois pour un retraité. Ce ratio a décru depuis : il est actuellement de 1,7 cotisant par retraité et pourrait s’établir, à l’horizon 2050, à 1,2. C’est sur le fondement de ces faits que le Gouvernement a construit son projet d’allongement de la durée d’activité. En réalité, l’enjeu dépasse la seule question des retraites, mais celle-ci montre bien les menaces que les transitions démographiques font peser sur notre système de protection sociale.

Il en va de même pour notre système productif : je viens d’évoquer la baisse du nombre de cotisants par retraité ; j’aurai pu raisonner en termes d’actifs. Aux évolutions scientifiques et techniques s’ajoutent des transitions démographiques qui, si nous n’y prenons pas garde, mettront en péril certaines professions, certains secteurs. Un exemple tiré, là encore de l’actualité : celui du monde agricole. D’ici à dix ans, après avoir dédié leur vie active à produire, 166 000 exploitants ou coexploitants agricoles seront partis à la retraite, soit plus d’un tiers d’entre eux. Qui prendra leur place ? Quelle jeunesse les relaiera ? Telles sont les questions posées dans le cadre de la concertation en cours pour construire un pacte et une loi d’orientation et d’avenir agricoles auxquels œuvre mon collègue Marc Fesneau.

Le troisième type de conséquences est sociétal. Quelle société voulons-nous ? J’évoquai en introduction la peur du déclassement que certains éprouvent face à ces perspectives démographiques. Elles ne sont pas neuves : le taux de natalité d’un pays a toujours été l’un des critères retenus pour mesurer sa force et sa vigueur. L’accroissement de la population n’est pas une fin en soi : nous ne voulons pas être plus nombreux pour être plus nombreux. Mais nous voulons que la France continue.

Nous voulons qu’elle soit un pays de transmission, d’innovation, de création, de développement des arts et des techniques. Et, pour cela, nous comptons sur nos enfants, nos petits-enfants, sur des êtres qui ne sont pas encore là et qui apporteront au pays et au monde leurs singularités, leurs vulnérabilités et leurs talents.

C’est pourquoi nous voulons que celles et ceux qui veulent avoir des enfants puissent aller au bout de leur projet. Nous voulons soutenir cette ouverture à la vie et à sa transmission. Le désir d’enfant est de 2,38 enfants par femme ; il suffirait donc de s’en approcher pour assurer le renouvellement des générations et éviter que tant d’individus souffrent, que tant de vies soient empêchées dans la réalisation de leur souhait de fonder une famille.

Nous voulons, enfin, que la natalité soit l’expression collective d’une volonté de construire ensemble, l’expression d’une nation solidaire qui place les familles, parents et enfants, au cœur de son projet de société. Désir individuel et engagement collectif : tels sont les deux piliers de la politique familiale que nous défendons. Car le collectif sans la volonté individuelle est un totalitarisme, et le désir personnel sans le sens du collectif est un individualisme.

On dit souvent que le taux de natalité est le signe de la confiance des familles dans l’avenir. Mais, en réalité, il est aussi le reflet des moyens que la société se donne pour leur faciliter la vie et répondre à leurs aspirations. C’est pourquoi notre politique familiale a un objectif que nous comptons atteindre en actionnant un levier. Son objectif est de réduire l’écart entre le désir d’enfant exprimé dans la population et le taux de natalité observé dans les faits ; le levier consiste à compléter la politique d’allocations familiales par une politique de services aux familles, des services qui répondent à leurs besoins. C’est ainsi que nous permettrons aux Français de faire plus d’enfants.

C’est pourquoi nous bâtissons une politique familiale à deux dimensions.

La première dimension est son universalité. Il s’agit de s’adresser à l’ensemble des familles pour les soutenir et leur offrir un environnement favorable à l’accueil d’un enfant. C’est une marque de solidarité de la nation à l’égard des familles, qui assurent le renouvellement et l’éducation des générations. Tel est le sens de la stratégie des 1 000 premiers jours de la vie, mise en œuvre lors du quinquennat précédent, et de mesures telles que l’allongement du congé paternité à un mois. Tel est le sens également du chantier structurant que j’ai lancé en vue d’élaborer un service public de la petite enfance.

Promise depuis plus de trente ans sans jamais être réalisée, cette réforme marquera profondément l’histoire sociale du pays. De fait, en matière d’accueil du jeune enfant, 40 % des besoins potentiels ne sont pas couverts et près de 70 % des parents nous disent que la garde de leur enfant est la première de leurs préoccupations. Nous avons posé ensemble la première brique de ce service public dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 en réformant le complément de mode de garde, comme Mme Bellamy l’a souligné.

Cette réforme permet en effet, grâce à la « linéarisation » du barème en fonction du nombre d’heures et des ressources des parents, de réduire le reste à charge des familles qui ont recours à une assistante maternelle pour qu’il soit équivalent à celui des familles qui mettent leur enfant en crèche. Par ailleurs, nous avons étendu, pour les familles monoparentales, le bénéfice de ce complément aux enfants de 6 à 12 ans, et nous avons permis qu’il soit partagé en cas de garde alternée. Cette réforme sera mise en œuvre à partir de 2025.

L’objectif est que chaque famille dispose d’une solution accessible et adaptée à ses besoins. À cette fin, nous devons continuer à développer une offre diversifiée. Cette priorité sera au cœur de la prochaine convention d’objectifs et de gestion entre l’État et la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) ainsi que des travaux du comité de filière petite enfance que nous avons constitué.

Dans le cadre du service public de la petite enfance, se pose aussi la question des congés de naissance, notamment du congé parental. Je souhaite ouvrir une réflexion sur ce sujet, en m’appuyant sur le rapport de la commission des 1 000 premiers jours, qui recommandait de raccourcir ce congé, de mieux l’indemniser et de faire en sorte qu’il soit réellement davantage partagé entre les parents. La question de la conciliation entre vie familiale et carrière est essentielle.

Nous devons, à ce propos, mentionner la responsabilité des entreprises. Nous évoquons depuis longtemps leurs responsabilités environnementales et sociales ; il est temps d’introduire la notion de responsabilité familiale. Nous devons aussi soutenir davantage l’offre en matière de soutien à la parentalité mais aussi en matière de prévention et d’accompagnement des ruptures des liens familiaux.

Les parents, ces « aventuriers du monde moderne » dont parlait Péguy, ont besoin de notre soutien à chaque étape. Ils ont entre leurs mains l’éducation des enfants du pays, qui est la mère de toutes les batailles.

Ces questions m’amènent tout naturellement à évoquer la seconde dimension de notre politique familiale : le renforcement de l’accompagnement des familles qui en ont le plus besoin, pour réduire les inégalités de destin. Je pense en particulier aux familles monoparentales : 30 % d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté et il s’agit bien souvent de femmes élevant seules leurs enfants. C’est pour elles que nous avons créé un système de lutte contre les impayés de pensions alimentaires. C’est pour elles que nous avons revalorisé l’allocation de soutien familial. C’est pour elles que nous avons élargi le bénéfice du complément mode de garde aux enfants de 6 à 12 ans.

Pour faire le point sur les mesures déjà prises et tracer des perspectives pour l’avenir, je vous donne rendez-vous à la prochaine conférence des familles que j’organiserai avant la fin de l’année. Elle rassemblera toutes les parties prenantes et elle portera spécifiquement, je vous l’annonce, sur l’enjeu de la natalité et les moyens d’enrayer son attrition.

Avant de conclure, je voudrais évoquer une question rarement abordée et pourtant essentielle, sur laquelle je souhaite mettre l’accent dans les prochains mois, avec mon collègue ministre de la santé, François Braun. Cette question, je l’ai indiqué tout à l’heure, est au cœur de notre débat et, surtout, au cœur de millions de situations douloureuses. Pourtant, elle n’est presque jamais abordée dans le débat public. C’est celle de l’infertilité, notamment l’infertilité masculine, qui est un tabou dans notre société.

J’ai évoqué tout à l’heure l’âge des parents, qui est la première cause d’infertilité, y compris pour les hommes. Nous connaissons également, bien sûr, le rôle dramatique que joue le tabac dans ce domaine. Mais je pourrais également parler de l’alcool, de l’obésité et de la sédentarité, de l’alimentation et de problèmes médicaux comme l’endométriose chez la femme ou les lésions des voies génitales chez l’homme.

Autant de phénomènes qui sont à l’origine de situations douloureuses pour près de 3,5 millions de nos concitoyens : l’infertilité touche un couple sur quatre ! Nous aurons l’occasion, dans les prochains mois, de discuter de cet enjeu de société et de santé publique majeur et d’aborder beaucoup plus vigoureusement les causes environnementales de l’infertilité. Les polluants, et pas seulement les perturbateurs endocriniens, sont nocifs pour la santé mais aussi à chaque étape de la procréation.

Le lien étroit entre natalité, infertilité et environnement souligne combien le thème de notre débat est au carrefour de tous les enjeux de notre temps. La politique familiale seule ne permettra pas de relever tous ces défis, mais nous assumons d’en faire un des piliers de notre politique sociale. Car investir dans les familles, c’est le meilleur investissement social qui soit. Un investissement pour le renouvellement des générations, mais aussi pour la vie de la nation dans toutes ses dimensions. Et cela doit nous conduire à promouvoir un récit résolument positif.

Et c’est par ce point que je veux terminer. Pour soutenir la natalité, il faut soutenir les familles – notamment celles qui en ont le plus besoin – en leur donnant accès à des services qui leur facilitent la vie, mais aussi en les inscrivant dans un discours positif et enthousiaste plutôt que décliniste et anxieux.

Vous connaissez l’engagement du Gouvernement dans la lutte contre les violences intrafamiliales, contre les inégalités de destin et pour les libertés acquises par l’éducation et le travail. Les familles peuvent être des lieux de souffrance et des carcans, mais il faut rappeler encore et toujours qu’elles sont le plus souvent des lieux d’éducation, d’entraide, d’amour et de protection. Il faut le dire encore et encore : les familles sont les cellules les plus essentielles de la solidarité et une valeur refuge intemporelle.

Nous avons besoin d’un grand récit mobilisateur pour relever les défis de notre temps. J’ai la conviction que les familles peuvent être le cœur de ce récit positif, qui insiste sur le développement des capacités des personnes, les liens qui les unissent et les milieux de vie qui permettent leur épanouissement.

Je vous remercie et, en notre nom à tous, je souhaite la bienvenue aux trente nouveau-nés qui ont poussé leur premier cri en France depuis que je suis monté à la tribune. (M. Cyrille Isaac-Sibille applaudit.)

Mme la présidente
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que la durée des questions ainsi que celle des réponses est limitée à deux minutes sans droit de réplique. Il est dix-neuf heures trente : si chacun respecte son temps de parole de façon très rigoureuse, nous devrions terminer ce débat aux alentours de vingt heures quinze, soit un peu au-delà de l’heure réglementaire de levée de séance. C’est pourquoi je vous invite à faire preuve du plus grand esprit de synthèse possible lors de vos interventions.
La parole est à Mme Maud Petit.

Mme Maud Petit (Dem)
Les récents débats sur notre système de retraite par répartition, qui repose sur une forte solidarité entre générations, nous ont donné l’occasion de mesurer l’importance de la démographie. Or la natalité recule en Europe, notamment en France où elle a atteint son plus bas niveau depuis soixante-dix ans.

Pour compléter votre liste des facteurs explicatifs de cette baisse, monsieur le ministre, je citerais ceux-ci : meilleur accès aux soins et à la contraception ; éducation ; difficile articulation entre parentalité et travail ; poids de la charge mentale ; inégalités d’accès aux modes de garde ; augmentation du prix de l’immobilier ; crise sanitaire des deux dernières années ; angoisse face à l’avenir.

Tout en laissant la liberté à chacune et chacun de construire son projet de vie, avec ou sans enfant, il est primordial de soutenir et d’accompagner ceux qui font le choix de devenir parents. Face à l’hémorragie démographique du département, la collectivité territoriale de Martinique réfléchit à attribuer une prime de natalité dès le deuxième enfant.

Il existe plusieurs outils pour redonner souffle à notre politique familiale, considérée comme un modèle à l’étranger. Lesquels choisir ou repenser ? Faut-il soutenir la natalité, maintenir le niveau de vie des familles, multiplier l’offre de garde pour permettre la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, repenser l’universalité des allocations dès le premier enfant ? Faut-il accroître l’attractivité du congé parental ou corriger les effets de la loi de 2014 instaurant la prestation partagée d’éducation, qui ne semble pas avoir changé la faible sollicitation du congé notamment par les pères ?

Quelles mesures le Gouvernement entend-il mettre en œuvre pour continuer de soutenir notre politique familiale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Christophe Combe, ministre
Vous avez raison, pour relancer la natalité nous devons proposer aux familles des dispositifs innovants, adaptés à leurs besoins et aux attentes évolutives de la société. Pour illustrer ce raisonnement, il n’y a pas de meilleure mesure que l’allongement du congé de paternité, réforme emblématique du précédent quinquennat.

Cependant, le recours à ce beau dispositif fait apparaître de fortes disparités, liées notamment au statut professionnel du père. Nous devons continuer à promouvoir cette réforme, à encourager les employeurs et les individus à s’en saisir. La présence du père est bénéfique pour lui, mais aussi pour l’enfant et pour la mère, soutenue au cours de ces premières semaines déterminantes. Il en va de même pour le congé d’adoption, lui aussi allongé.

Quant au congé parental, que j’ai moi-même évoqué lors de ma première intervention, il est l’un des outils permettant de concilier la vie familiale et la vie professionnelle, un critère que les études décrivent comme essentiel dans le choix de fonder ou non une famille. Dans le cadre des réflexions en cours sur le service public de la petite enfance, nous allons réfléchir sur la manière de faire évoluer le congé parental, en nous inspirant du rapport sur les 1 000 premiers jours. L’idée est de faire en sorte que ce congé soit plus court, mieux indemnisé et pris de façon plus paritaire par le père et la mère. Cette mesure sera très importante pour concilier vie familiale et professionnelle.

Mme la présidente
La parole est à M. Alain David.

M. Alain David (SOC)
Au mois de mai 2021, le haut-commissariat au plan a publié une note dans laquelle était proposé un pacte national pour la démographie reposant sur deux piliers : avoir plus d’enfants et mieux accueillir des personnes venant d’autres pays. Dans ce document, on peut lire que notre « modèle social repose, pour beaucoup, sur la solidarité entre les générations » pour le financement de notre système par répartition des retraites et même pour le financement de l’action sociale et de tous les services publics.

Développant une approche assez pessimiste, les auteurs estimaient que notre dynamique démographique montre des signes préoccupants d’un dérèglement. L’indice de fécondité se tasse, passant de 2,02 enfants par femme en 2010, à 1,83 en 2019 et à 1,8 en 2022. Le nombre de naissances baisse, année après année : 818 000 en 2014, 753 000 en 2019, 723 000 en 2022. Selon la note du haut-commissariat au plan, il manquerait 40 000 à 50 000 naissances par an pour assurer le renouvellement des générations.

Comme je l’ai déjà indiqué, de nombreux travaux parlementaires évoquent des pistes pour favoriser la natalité. Que propose le Gouvernement ? Il faut manifestement une politique familiale qui permette aux gens d’avoir le nombre d’enfants qu’ils souhaitent. On peut d’ailleurs noter que la dégradation de la natalité en France a été concomitante avec des mesures fiscales touchant notamment le quotient familial. À mon sens, cette ambition doit passer par l’amélioration de l’accueil de la petite enfance, par la politique du logement et par le soutien aux familles pour que la carrière des parents – celle des mères, en particulier – ne soit pas affectée par le fait d’avoir des enfants.

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Christophe Combe, ministre
Le désir d’enfant étant supérieur au taux de renouvellement générationnel, mon travail consiste à faciliter la réalisation de ce désir, notamment en levant l’un de ses principaux freins : la difficile conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, due à un manque de services aux familles.

Au cours des prochains mois, je vais donc faire aboutir la concertation actuelle sur la création du service public de la petite enfance. Dans le cadre de la renégociation de la convention d’objectifs et de gestion de la Cnaf, nous devons proposer une politique de services aux familles, qui soit mieux-disante et permette cette conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Il s’agit d’offrir à chaque enfant une place d’accueil dans un dispositif adapté pour les familles, qu’il soit collectif ou individuel.

Nous allons donc soutenir le recrutement de professionnels dans le secteur de la petite enfance, en nous efforçant de remédier au gros problème d’attractivité de ces métiers. Nous travaillons avec le comité de filière petite enfance pour former des professionnels pour les crèches, pour recruter des assistantes maternelles et développer les maisons d’assistantes maternelles. À cet égard, j’ai visité un bel incubateur de maisons d’assistantes maternelles en Saône-et-Loire, la semaine dernière.

Comme je l’ai déjà indiqué, nous allons aussi faire évoluer le congé parental pour que les parents puissent accompagner leur enfant pendant ses premiers mois. Que l’on soit papa ou maman, c’est très important.

Mme la présidente
La parole est à M. Thierry Benoit.

M. Thierry Benoit (HOR)
Dans votre intervention initiale, monsieur le ministre, vous avez évoqué notre système de retraite par répartition, qui repose sur le dynamisme de la démographie et de la natalité en France. Alors que Parlement débat de la réforme des retraites, que proposez-vous pour que les carrières des femmes soient mieux prises en compte – je pense en particulier aux temps que les femmes consacrent à la maternité et l’éducation des enfants ?

Un autre sujet a été évoqué au Sénat il y a quelques jours et soulevé par différents orateurs ici même : l’universalité des allocations familiales. Quel est votre point de vue sur ce sujet ? Un enfant doit-il ouvrir le droit aux mêmes allocations familiales, qu’il soit né dans un foyer aisé ou modeste ?

M. Philippe Gosselin
Bonne question !

M. Thierry Benoit
Lorsqu’ils s’interrogent sur leur projet familial, les jeunes couples sont confrontés à de nombreuses sources d’angoisse concernant la santé, en raison des virus qui circulent à travers le monde, le changement climatique ou les guerres. Mais il est une autre source d’inquiétude dont nous avons peu parlé jusqu’à présent : la difficulté pour les jeunes parents vivant dans certaines parties du territoire d’avoir accès à des médecins généralistes et à des pédiatres. Que proposez-vous, monsieur le ministre, pour que les jeunes couples aient un meilleur accès aux généralistes et aux pédiatres ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Christophe Combe, ministre
Monsieur Benoit, il me faudrait beaucoup de temps pour répondre à toutes vos questions. Avant d’en venir à la modulation des allocations familiales, je vais vous répondre sur la réforme des retraites. Comme indiqué par la Première ministre, les discussions, qui se poursuivent au Sénat, portent notamment sur la prise en compte de la maternité dans la carrière et les droits à la retraite des femmes. Je n’irai pas plus loin sur ce thème car il faut laisser la place au débat sur les propositions avancées par les sénateurs.

Comme vous, je pense que la natalité dépend de la confiance en l’avenir des familles. Sans être naïfs et sans méconnaître les difficultés et les angoisses de la population, nous devons tenir un discours résolument positif sur l’avenir et sur notre capacité collective à relever les défis – climatiques, sanitaires, économiques ou géopolitiques – auxquels nous sommes confrontés. En ce qui concerne les inquiétudes liées à la démographie médicale, François Braun, ministre de la santé et de la prévention, et sa ministre déléguée, Agnès Firmin Le Bodo, devraient apporter des réponses puissantes dans les semaines à venir.

S’agissant de la modulation des allocations familiales, je crois à l’universalité du système.

M. Philippe Gosselin
À quand son rétablissement, alors ?

M. Jean-Christophe Combe, ministre
C’est l’un des fondements, l’un des piliers de notre système de solidarité. Il faut le maintenir tel qu’il est actuellement.

M. Grégoire de Fournas
C’est le « en même temps », ça !

M. Jean-Christophe Combe, ministre
Rappelons que la modulation ne concerne que 10 % des familles, celles qui sont les plus aisées.

M. Xavier Breton et M. Philippe Gosselin
Ce n’est donc pas universel ! Vous n’êtes pas très cohérent !

Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Marc Tellier.

M. Jean-Marc Tellier (GDR-NUPES)
En janvier dernier, l’Insee a publié le bilan démographique de la France, dont nous ne retenons souvent qu’un seul élément : la baisse de la natalité. Disons tout de suite que bon nombre de chercheurs précisent que ces chiffres n’ont rien d’alarmant. La France n’est pas dans une spirale de baisse démographique comme, par exemple, la Chine ou la Corée du Sud. Les conséquences de cette baisse démographique ne doivent donc pas être davantage dramatisées et, surtout, elles ne doivent pas servir de prétexte pour attaquer nos conquis sociaux ou remettre en cause notre système de solidarité.

Malheureusement, force est de constater que c’est trop souvent le cas. On assiste ainsi à des fermetures sauvages de classe, sous prétexte qu’il n’y aurait pas assez d’enfants à scolariser, sans que jamais le Gouvernement ne s’interroge sur les conditions de travail des enseignants et celles de l’apprentissage de nos enfants dans des classes surchargées.

Ainsi en va-t-il aussi de l’acharnement à vouloir faire travailler les Français davantage et plus longtemps, au prétexte qu’il n’y aurait plus suffisamment de cotisants au régime de retraite, mais sans jamais remettre en cause le choix politique consistant à réduire les ressources de la sécurité sociale, ni envisager un partage des richesses plus juste. Et si la réponse au déclin démographique à l’œuvre dans notre pays était précisément de nature sociale ? Cette baisse, en effet, est aussi due à l’augmentation de la mortalité et à la diminution de l’espérance de vie, qui sont des conséquences de la dégradation des conditions de vie et de l’intensification du travail.

Alors ne croyez-vous pas que, pour répondre à la baisse démographique, il faudrait, à l’inverse du chemin emprunté par le Gouvernement, améliorer urgemment les conditions de vie et de travail de nos concitoyens ? Dans cette perspective, que pensez-vous du projet pilote mené au Royaume-Uni pour instaurer une semaine de travail de quatre jours sans baisse des salaires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES.)

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Christophe Combe, ministre
Vous présentez la situation comme s’il fallait choisir entre la réforme des retraites et l’amélioration des conditions de travail des salariés. Or nous voulons travailler sur ces deux aspects à la fois, en accompagnant la réforme des retraites de mesures portant sur le travail tout au long de la vie. À titre d’exemple, dans les secteurs dont j’ai la responsabilité, j’ai fait de l’attractivité des métiers une priorité du volet « bien vieillir » du Conseil national de la refondation. Dans ce cadre, nous travaillons avec les professionnels du secteur à l’amélioration de leur parcours, de leurs conditions de travail et de leur qualité de vie au travail. Cette démarche doit se poursuivre tout au long de la vie et de la carrière des personnes concernées. C’est donc bien une priorité que d’assurer un accompagnement du début à la fin de la carrière et de concevoir des parcours professionnels différents, qui permettent aux salariés de changer de secteur et de métier, de transmettre leur expérience et d’adapter les fins de carrière. Nous devons travailler sur tous ces points à la fois : il faut en même temps réformer les retraites et améliorer les conditions de travail.

La question de la semaine de quatre jours mérite également d’être abordée. J’estime que nous devons donner ce choix aux professionnels. Pour prendre une nouvelle fois l’exemple du secteur médico-social, certains soignants travaillent même parfois trois jours par semaine, leur établissement proposant des rotations de douze heures. De telles configurations sont donc envisageables et doivent faire l’objet de discussions avec les partenaires sociaux. Il me semble en tout cas qu’il faudra, à l’avenir, laisser davantage de choix et de souplesse aux salariés pour organiser leur vie et trouver l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle qui leur convient le mieux.

Mme la présidente
La parole est à Mme Danielle Brulebois.

Mme Danielle Brulebois (RE)
Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, la France fut, de très loin, le pays le plus peuplé d’Europe. Bien que le taux de fécondité connaisse actuellement un repli, elle fait toujours figure d’exception, en affichant une fécondité plus stable que ses voisins.

Depuis 2017, nous menons une politique familiale globale et ambitieuse, qui s’est traduite par de nombreuses mesures destinées aux familles. Outre son aspect directement financier – les allocations et les prestations familiales –, elle repose sur des mesures fiscales tenant compte de la capacité contributive des familles et sur des services visant à faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, sans oublier sa dimension éducative, dont témoignent l’importance de l’école maternelle et des aides conséquentes versées aux collectivités pour qu’elles développent des systèmes d’accueil des jeunes enfants dans les communes. Espérons que ces mesures continueront de produire leurs effets.

Afin que les perspectives soient encore plus favorables, comptez-vous prendre d’autres mesures pour favoriser la natalité ? Envisagez-vous, par exemple, d’accorder des aides dès le premier enfant ou de rétablir l’universalité des allocations familiales ? La question du logement est aussi essentielle, car agrandir la famille suppose d’agrandir la maison ou l’appartement, à l’heure où les jeunes couples ont de moins en moins les moyens d’investir. Que comptez-vous faire pour les aider ? Nous devons aussi redonner aux femmes et aux hommes en âge de procréer confiance en l’avenir de la France, qui est l’un des pays plus favorables pour accueillir un enfant, en ce qu’il cumule respect des droits de l’homme, égalité entre les sexes, égalité salariale, taux d’emploi élevé, sécurité, politiques généreuses en matière de congés maternité et paternité, et gratuité des systèmes d’éducation et de santé, lesquels sont par ailleurs très développés.

Enfin, à l’opposé de l’individualisme, de l’égoïsme et des idéologies zéro enfant, prônant d’arrêter de faire des enfants pour sauver la planète, il nous faut encourager la générosité et l’esprit d’accueil de la vie, en mettant en valeur le bonheur de mettre au monde et d’élever un enfant, car, comme l’écrit Victor Hugo :

« Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille
« Applaudit à grands cris.
« Son doux regard qui brille
« Fait briller tous les yeux ».

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Christophe Combe, ministre
S’agissant d’abord des allocations familiales, comme l’ai indiqué, notre politique est pleinement tournée vers le développement du service aux familles. Je n’ai donc pas prévu de faire évoluer les allocations familiales, l’objectif étant de consacrer l’ensemble des moyens de la branche famille au développement du service aux familles, afin de favoriser la venue et l’accueil des enfants en leur sein.

Ensuite, vous avez raison de souligner que la question de l’accès au logement est essentielle pour qui projette d’agrandir sa famille. Je concentrerai ma réponse sur ce point. En l’occurrence, de nombreux dispositifs existent pour soutenir les jeunes parents ou les futurs parents. Je songe notamment au dispositif prévu à l’article 109 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Elan), qui permet aux personnes de moins de 30 ans d’accéder à un logement social en signant un bail d’un an renouvelable et qui aide de nombreux foyers à commencer leur parcours résidentiel. On estime ainsi que 15 % des logements sociaux sont attribués à des jeunes de moins de 30 ans. L’accession à la propriété sera quant à elle favorisée par le développement du bail réel solidaire (BRS), qui bénéficiera notamment aux jeunes. Enfin, un prêt à taux zéro (PTZ) bénéficie aux primo-accédants dont, en pratique, plus des deux tiers ont moins de 35 ans.

En plus de ces dispositifs qui facilitent l’accès au logement, nous devons poursuivre nos efforts en matière de construction. S’agissant par exemple des logements intermédiaires, je rappelle ainsi que les bailleurs qui investissent bénéficient d’un crédit d’impôt, que les processus d’agrément ont été simplifiés en 2022 afin d’accélérer le traitement des dossiers et que 13 000 logements ont été produits en 2022. Nous continuerons bien sûr de promouvoir ces dispositifs et de tout faire pour protéger le pouvoir d’achat des Français, en particulier celui des familles.

Mme la présidente
La parole est à M. Christophe Bentz.

M. Christophe Bentz (RN)
Je dois l’avouer, il est très compliqué de critiquer votre politique de natalité, et pour cause : vous n’en avez pas. Il est très difficile de se forger une opinion sur votre politique familiale, et pour cause : vous n’en avez pas. La natalité et le soutien aux familles qui doit nécessairement en découler sont les angles morts de la politique que vous menez depuis maintenant six longues années. La natalité en est la grande oubliée, alors qu’elle constitue le principal facteur de croissance – démographique, bien sûr, mais aussi économique.

Dans votre réforme des retraites, vous avez d’ailleurs réussi la prouesse de proposer de pérenniser un système par répartition, qui repose essentiellement sur le renouvellement des générations, sans jamais évoquer la question de la natalité. Quel talent ! Ou plutôt, quel grave oubli, qui en dit long sur votre vision de la France ! C’est à se demander si, désormais, les mots « natalité » ou « famille » ne sont pas devenus tabous pour ce gouvernement, qui a d’ailleurs supprimé le ministère de la famille, alors que même François Hollande en avait maintenu un pendant son quinquennat– c’est dire !

M. Philippe Gosselin
C’est pourtant lui qui a porté atteinte à l’universalité des allocations familiales !

M. Christophe Bentz
L’immigration ne saurait être une réponse au recul de la natalité française, au vu de ses conséquences, que nous connaissons tous. Dans toute société, a fortiori dans une société en crise, la puissance publique doit soutenir la cellule familiale. Pour permettre aux Français de se projeter et leur redonner confiance dans l’avenir, vous devez instaurer des politiques d’accompagnement des familles et d’incitation à la natalité. La France et les Français en ont cruellement besoin.

Ma question est donc simple : pourquoi vous obstinez-vous à ne rien proposer et à ne rien vouloir faire pour relancer la natalité française ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Christophe Combe, ministre
À vous entendre, le Gouvernement ne ferait rien en matière de politique familiale. J’ai pourtant passé dix-sept longues minutes à décrire la politique familiale du Gouvernement.

M. Christophe Bentz
Je vous ai écouté !

M. Jean-Christophe Combe, ministre
Je pense avoir égrainé de nombreuses mesures et expliqué notre vision des choses. J’ai ainsi évoqué les travaux en cours sur le service public de la petite enfance, sur le congé parental, ou encore sur la lutte contre l’infertilité, afin de montrer combien nous sommes volontaristes en la matière. La différence entre nous, c’est que nous ne sommes pas favorables aux mesures incitatives : nous ne demandons pas aux femmes de procréer pour procréer.

M. Grégoire de Fournas
Personne ne le fait !

M. Hervé de Lépinau
Ce ne sont pas des animaux !

M. Jean-Christophe Combe, ministre
En revanche, nous proposons de rapprocher le taux de fécondité du désir d’enfant exprimé par les Français, pour éviter les projets familiaux contrariés.

Vous dénoncez notre supposée absence de politique de natalité, en la liant à la réforme des retraites. J’ai bien compris que vous vous efforciez de donner de la France une vision absolument apocalyptique, dont vous faites votre miel.

Mme Caroline Parmentier
Quelle honte que de tenir de tels propos !

M. Jean-Christophe Combe, ministre
Pour ma part, je pense avoir présenté notre politique familiale et rappelé que la réforme des retraites n’a pas vocation à répondre à tous les problèmes ni à toutes les difficultés sociales que rencontrent les Français – problèmes qui doivent être traités tout au long de leur vie et de leur carrière, et non par le seul biais d’une unique réforme.

Mme la présidente
La parole est à Mme Bénédicte Auzanot.

Mme Bénédicte Auzanot (RN)
La famille est la cellule élémentaire de la communauté nationale. À ce titre, elle est le premier lieu de la solidarité : plus la famille est forte, mieux la nation se porte. Plus les familles françaises seront nombreuses, plus notre pays retrouvera un avenir. La dénatalité qui frappe notre corps national n’est pas une fatalité : elle est la conséquence de quarante années d’abandon et de recul qui ont remisé la politique familiale au troisième rang des préoccupations de l’État. Il y a donc maintenant urgence à déployer une politique familiale de grande envergure : celle que proposait, l’an dernier, Marine Le Pen.

Ainsi, à titre d’exemple, une fois au pouvoir, le Rassemblement national instaurera une part fiscale pleine pour le deuxième enfant. Nous accorderons un prêt à taux zéro aux jeunes couples, dont le capital restant à rembourser serait annulé dès le troisième enfant. Bien évidemment, toutes les allocations et primes relevant de la politique familiale seront réservées exclusivement aux familles dont au moins un des parents est français. Cette mesure de priorité nationale permettra de réaliser des économies substantielles, qui seront reportées au bénéfice des nationaux. Nous pourrons ainsi, enfin, suivre la règle élémentaire qui s’applique partout dans le monde, sauf en France : faire passer les nôtres avant les autres.

M. Christophe Bentz
Eh oui !

Mme Bénédicte Auzanot
Alors, sans attendre 2027 et l’élection de Marine Le Pen, qu’attendez-vous pour traduire enfin en actes l’objectif qu’affichait Emmanuel Macron en 2019, lorsqu’il prétendait vouloir rétablir « la force d’une politique familiale » ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Christophe Combe, ministre
Je me contenterai de rappeler une nouvelle fois tout ce que nous avons fait en matière de politique familiale depuis 2018 : la stratégie nationale de soutien à la parentalité a été déployée, les crèches ont été placées au cœur de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, dont elles constituaient l’axe majeur ; et la politique des 1 000 premiers jours a permis d’accompagner les parents pendant la périnatalité et les trois premières années de vie de l’enfant. Enfin, en 2021, mon prédécesseur, Adrien Taquet, a réactivé la conférence des familles, que je réunirai d’ici à la fin de l’année pour aborder le thème de la politique familiale. Je vous donne rendez-vous d’ici-là, pour travailler sur ces questions.

Mme la présidente
La parole est à Mme Élise Leboucher.

Mme Élise Leboucher (LFI-NUPES)
Ce débat nous permet de lancer une réflexion autour d’une politique de la natalité qui soit émancipatrice et non d’une politique nataliste qui assigne les femmes à faire des enfants, comme le propose le Rassemblement national. Nous ne sommes pas des incubateurs chargés de produire de la main-d’œuvre pour le patronat. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)

M. Hervé de Lépinau
C’est le ministre qui dit cela, pas nous !

Mme Élise Leboucher
Nous devons permettre aux personnes qui formulent le projet d’avoir un ou des enfants de le mener à bien dans les meilleures conditions et sans crainte s’agissant de la prise en charge de la grossesse, de l’accouchement et du suivi de périnatalité, mais aussi du suivi médical et de la scolarité de l’enfant ou encore du risque, pour les parents, de connaître un parcours professionnel précaire.

Pour faire tomber ces craintes, il faut mener une réelle politique périnatale qui passe par la sauvegarde des maternités, ainsi qu’une politique de santé globale, qui inclut la lutte contre la désertification médicale ainsi qu’un vrai plan de sauvegarde de l’hôpital public et de toutes ses spécialités.

Je rappelle qu’un Français sur quatre rencontre des difficultés pour accéder à un généraliste, que 6 millions de personnes ne disposent pas de médecin traitant et que plus de 23 % des femmes de plus de 15 ans vivent dans un désert médical s’agissant de la gynécologie.

Une action particulière doit être menée dans les départements d’outre-mer où le taux de mortalité maternelle est quatre fois plus élevé qu’en métropole, le taux d’enfants mort-nés 1,5 fois plus élevé et le taux de mortalité néonatale deux fois plus élevé.

Nous devons également développer un véritable service de la petite enfance pour que les modes de garde ne constituent pas un frein à l’emploi, principalement à l’emploi des femmes. Il faut aussi lancer une réflexion sur le congé paternité.

La précarité économique est un frein qui doit être limité par l’augmentation des salaires et par la lutte contre les temps partiels imposés. Afin que le taux d’emploi des femmes augmente, un effort national est nécessaire. Si le taux d’emploi des femmes et celui des hommes étaient équivalents en France, il y aurait 1,1 million de femmes supplémentaires en emploi – ce qui résoudrait aussi les problèmes évoqués dans le cadre de la réforme des retraites.

À elles seules, les femmes ne peuvent pas porter le poids des responsabilités liées à l’arrivée d’un enfant. Le fait d’avoir un enfant ne signifie pas que les femmes doivent être assignées à domicile. Dès lors, que comptez-vous faire pour mettre en place une vraie politique de la natalité émancipatrice ? Celle-ci n’aurait aucun sens si elle ne s’accompagnait pas de la sauvegarde et du renforcement des services publics, lesquels garantissent un égal accès aux droits sur l’ensemble du territoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Christophe Combe, ministre
Je suis d’accord avec vous pour considérer que notre politique doit favoriser l’émancipation des femmes. Telle est bien l’idée que nous défendons dans la politique que nous conduisons. Celle-ci vise en effet à permettre aux femmes d’accéder plus facilement à un emploi sans qu’elles aient à choisir entre vie familiale et vie professionnelle. Tel est l’objectif du service public de la petite enfance et de la réforme du congé parental.

S’agissant de la santé des enfants, vous le savez, le ministre François Braun a lancé les assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant dont les prochaines conclusions pourront apporter des réponses à ces questions.

D’autre part, j’ai bien noté le caractère prioritaire de la question des outre-mer. La nouvelle politique des 1 000 premiers jours devra notamment mieux prendre en considération la situation de ces territoires.

Enfin, les enjeux que constituent la petite enfance et la lutte contre les inégalités de destin seront au cœur du futur pacte des solidarités. C’est le premier axe sur lequel nous avons travaillé avec l’ensemble des acteurs de la solidarité, dans la continuité de la politique des 1 000 premiers jours, pour favoriser l’accès à la santé et à une alimentation de qualité et pour lutter inlassablement contre l’illettrisme et contre les inégalités en matière de scolarité et d’éducation de nos enfants.

Mme la présidente
La parole est à M. François Piquemal.

M. François Piquemal (LFI-NUPES)
Ma question porte sur une question spécifique, la lutte contre l’infertilité, un phénomène qui touche en France un couple sur quatre.

La concentration de spermatozoïdes a diminué de 50 % depuis 1973, ce qui s’explique par plusieurs facteurs, notamment l’exposition à des risques environnementaux, la pollution atmosphérique ou encore les perturbateurs endocriniens. Que faites-vous en la matière ? L’État a été condamné en octobre dernier pour inaction contre la pollution de l’air, une grave question de santé publique qui ne concerne pas uniquement le problème de la fertilité.

D’autres facteurs en cause dans l’infertilité sont liés au mode de vie et d’autres encore sont d’ordre médical, comme l’endométriose. L’Assemblée nationale a voté en janvier 2022 une résolution visant à reconnaître cette maladie en tant qu’affection de longue durée. Une stratégie nationale de lutte contre l’endométriose doit être lancée depuis 2021. On l’attend toujours. Quand les femmes pourront-elles enfin être soignées ?

L’infertilité est également liée à des causes sociales, comme le recul de l’âge de la maternité, qui est un choix personnel, mais aussi le manque d’information de la population sur le sujet.

À la suite de la loi de bioéthique de 2021, un rapport a été publié. Y sont formulées des propositions, notamment sur l’information et la prévention de l’infertilité. Quand allez-vous enfin agir pour mettre en œuvre ses recommandations ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Christophe Combe, ministre
Je vous l’ai dit, la lutte contre l’infertilité doit être notre priorité. Je ferai des annonces à ce sujet dans les prochains mois, sur la base des travaux conduits par Salomé Berlioux et Samir Hamamah, auteurs d’un rapport sur les causes de l’infertilité qui a déjà été abondamment cité au niveau international. Il avait été commandé par mes prédécesseurs, Olivier Véran et Adrien Taquet, lesquels n’ont bien sûr pas eu le temps d’appliquer ses recommandations en raison des élections de 2022. Je reprendrai les conclusions de ce rapport pour apporter une réponse.

Je travaillerai sur ce dossier avec François Braun – qui, je le sais, s’est déjà penché sur le sujet –, par exemple sur la lutte contre l’endométriose mais aussi sur toutes les causes, notamment environnementales, de l’infertilité.

Mme la présidente
La parole est à M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton (LR)
Je tiens tout d’abord à remercier le groupe Démocrate d’avoir demandé l’inscription à l’ordre du jour de ce débat sur les conséquences de la baisse démographique en France et les politiques à mettre en œuvre pour y remédier. La parution des chiffres de la natalité, qui a atteint son niveau le plus bas depuis 1946, a suscité parmi nous de vives interrogations et inquiétudes.

Cette baisse de la natalité coïncide très exactement avec la remise en cause de la politique familiale que nous observons depuis une dizaine d’années. Je pense aux atteintes portées aux allocations familiales, au congé parental ou au quotient familial.

Pourtant – et c’est ce qui est grave – la politique familiale faisait l’objet d’un consensus dans notre pays. Elle constituait un pilier autour duquel, sur tous les bancs, nous pouvions nous retrouver. Malheureusement, elle a été remise en cause au nom d’une idéologie antifamiliale, selon laquelle la famille n’est plus la cellule de base de la société. Si je parle d’idéologie, c’est aussi parce que les mesures prises vont à l’encontre des souhaits de nos concitoyens, j’en veux pour preuve l’écart entre le nombre d’enfants désirés, qui s’élève à 2,39, et l’indice de fécondité, qui s’établit à 1,8.

Ma question porte sur les objectifs de la politique familiale. Il convient en effet de les clarifier avant de discuter des mesures. Menez-vous une politique sociale ou une politique familiale ? La première, totalement légitime par ailleurs, vise à réduire les inégalités de revenus entre les familles alors que la seconde vise à soutenir les familles avec enfants. Ce sont deux politiques distinctes : d’un côté une redistribution verticale, de l’autre une redistribution horizontale.

Monsieur le ministre, allons-nous revenir à une politique familiale digne de ce nom, qui s’appuie sur une redistribution horizontale ?

M. Philippe Gosselin
Bravo ! Excellente intervention !

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Christophe Combe, ministre
La force de notre politique familiale c’est de conjuguer soutien à la natalité et mesures sociales. Il faut garantir à la fois la solidarité de la nation vis-à-vis de celles et ceux qui s’engagent pour le renouvellement des générations et l’éducation des enfants, mais aussi la solidarité entre les familles aisées et les familles modestes.

Je sais que cette question fait l’objet d’un débat entre nous mais, à mes yeux, notre modèle reste universel, avec des allocations versées à toutes les familles à partir de deux enfants, malgré une modulation qui ne concerne que les 10 % des familles les plus aisées.

Je rappelle qu’aucune corrélation entre cette modulation et la baisse de la natalité n’a été prouvée, cette dernière touchant l’ensemble de la population, quel que soit le niveau de vie, depuis 2015.

Le vrai enjeu, que j’ai déjà évoqué, est celui des 1 000 premiers jours. Il faut en effet lutter contre les inégalités de destin et répondre à la première préoccupation des parents qui est de trouver une solution d’accueil pour leur jeune enfant. Celle-ci doit être de qualité, proche de chez eux et accessible financièrement.

Nous misons ainsi sur le soutien aux parents, aux couples et aux femmes qui élèvent seules leurs enfants. C’est pourquoi nous avons engagé une politique ambitieuse de services aux familles et la construction d’un service public de la petite enfance. La première pierre de ce projet – la réforme du complément de libre choix du mode de garde – a été posée à l’occasion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.

Actuellement, j’anime la concertation nationale sur le service public de la petite enfance – les débats étant menés au niveau territorial par Mme Élisabeth Laithier – qui rendra ses conclusions au printemps. Grâce à celles-ci, nous continuerons de renforcer notre soutien aux familles, un des piliers de ce quinquennat car nous pensons qu’il s’agit là du meilleur investissement social possible.

Mme la présidente
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard (NI)
Selon les données publiées par l’Insee en janvier, et citées ici à plusieurs reprises, on a compté en France seulement 723 000 naissances en 2022, soit 19 000 de moins qu’en 2021. C’est le chiffre le plus bas depuis 1946.

Le taux de fécondité s’est établi à 1,8 enfant par femme tandis qu’en 2020 – dernière année disponible pour établir une comparaison –, la France restait le pays le plus fécond de l’Union européenne avec la Roumanie. Malgré ces chiffres, la France est désormais touchée par la dénatalité qui frappe ses voisins européens, au premier rang desquels trônent Malte, l’Espagne et l’Italie. Si rien n’est fait, il est à craindre que la France s’enfonce dans un hiver démographique dont on peut aisément imaginer les conséquences.

Les causes de cette baisse sont bien sûr multifactorielles mais les politiques familiales – si l’on peut les appeler ainsi – mises en place depuis dix ans sous les quinquennats de François Hollande et Emmanuelle Macron ont eu des effets assez catastrophiques : baisse du quotient familial, passé de 2 336 euros à 1 500 euros ; gel de la prestation d’accueil du jeune enfant, dite Paje ; baisse du montant des allocations familiales pour les revenus dépassant un certain plafond de ressources, et j’en passe.

Si elle a un coût, la politique familiale est avant tout un pari, une ambition mais aussi une vision à long terme qui, malheureusement, fait trop souvent défaut. Cessons de confondre la politique familiale avec une politique sociale redistributive – en cela, je rejoins les propos de M. Breton.

Puisque, selon les mots de M. Attal lui-même, le soutien à la natalité n’est « pas du tout tabou », quand allez-vous réaffirmer le caractère universel des allocations familiales, les verser dès la naissance du premier enfant, remettre en place un service public de qualité pour la petite enfance et baisser le taux de CSG, la contribution sociale généralisée, par exemple sur les revenus d’activité des mères de famille ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Christophe Combe, ministre
Je vous l’ai dit, notre objectif n’est pas d’augmenter les allocations ni de revoir le barème mais de travailler sur le service aux familles car c’est pour nous la seule façon d’obtenir une hausse de la natalité dans notre pays en faisant en sorte que le désir d’enfant se traduise dans les faits par une augmentation de l’indice de fécondité.

Je ne suis pas d’accord avec vous : notre politique familiale est universelle. Ce n’est pas parce que les 10 % de familles les plus aisées sont concernées par un plafonnement des allocations que ce principe de solidarité, fondamental dans notre pays, est remis en cause.

Je pense comme vous que nous devons avancer rapidement s’agissant de la promesse, faite depuis trente ans, de créer un service public de la petite enfance. Nous allons nous y atteler dans les prochains mois pour assurer une offre de qualité et de proximité, accessible financièrement à l’ensemble des familles. J’appelle également de mes vœux une réforme du congé parental qui permettrait à l’ensemble des familles de notre pays de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale.

Mme la présidente
Le débat est clos. 


Source https://www.assemblee-natinale.fr, le 2 mars 2023