Déclaration M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques, sur les retraites et la protection sociale dans la fonction publique, à l'Assemblée nationale le 27 février 2023.

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Circonstance : Débat à l'Assemblée nationale sur les retraites et la protection sociale dans la fonction publique

Texte intégral

Mme la présidente
L’ordre du jour appelle le débat sur les retraites et la protection sociale dans la fonction publique, demandé par le groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES.
Comme le précédent, ce débat sera organisé en deux parties : une table ronde, en présence de personnalités invitées, d’une durée d’une heure ; une intervention liminaire du Gouvernement suivie d’une nouvelle séquence de questions-réponses, d’une heure également, la durée des questions et des réponses étant limitée à deux minutes sans droit de réplique.

(…)

Mme la présidente
Nous en venons à la seconde partie du débat sur les retraites et la protection sociale dans la fonction publique. La parole est à M. le ministre de la transformation et de la fonction publiques.

M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques
Je remercie le groupe GDR-NUPES d’avoir rendu possible ce moment d’échange sur une thématique qui m’est chère en tant que ministre de la transformation et de la fonction publiques. Je vous remercie notamment d’avoir lié la question des retraites et celle de la protection sociale des agents de la fonction publique. Lier ces deux sujets, c’est être dans l’esprit de la loi de 1946 relative au statut général des fonctionnaires. C’est précisément dans cet esprit que je m’inscris et que j’inscris l’action du Gouvernement.

Dans mon intervention liminaire, je reprendrai l’ordre que vous avez suggéré par l’intitulé de ce débat : mon point d’entrée portera sur les retraites ; j’élargirai ensuite mon propos à la question de la protection sociale complémentaire des agents de la fonction publique et, au-delà, à celles du parcours de carrière, de la rémunération et de l’attractivité de la fonction publique. Selon moi, les questions de retraite et de parcours professionnel au sein de la fonction publique sont intimement liées.

Pour cadrer le sujet des retraites, je commencerai par évoquer les trois principes qui ont guidé les mesures spécifiques à la fonction publique que le Gouvernement défend dans son projet de loi.

Le premier principe est l’évolution symétrique des paramètres pour les salariés du privé et pour les agents de la fonction publique. Les mesures d’effort sont demandées à tous les salariés du pays, qu’ils soient salariés du privé ou agents de la fonction publique. Ainsi, qu’ils relèvent d’une catégorie active ou sédentaire, les agents du public seront concernés au même titre que les salariés du privé à la fois par le décalage de l’âge d’ouverture des droits et par l’accélération de l’allongement de la durée de cotisation.

Au moment où nous abordons, dans le débat sur les retraites, les questions spécifiques à la fonction publique, il faut avoir en tête un deuxième élément : à la différence de ce qu’il avait prévu dans la réforme de 2019, le Gouvernement a fait le choix de ne pas proposer de convergence entre le système de retraite du privé et celui de la fonction publique. Autrement dit, il a fait le choix de conserver les caractéristiques fondamentales du système de retraite des agents de la fonction publique : le calcul de la pension restera fondé sur les six derniers mois, alors qu’il l’est sur les vingt-cinq meilleures années dans le privé ; l’assiette des cotisations demeurera constituée par la rémunération indiciaire, à l’exclusion de la part indemnitaire – c’est l’autre différence fondamentale avec le privé ; le principe des catégories dites actives sera maintenu. Dans les trois versants de la fonction publique, 700 000 agents relèvent de ces catégories, lesquelles autorisent la prise en compte la pénibilité dans la fonction publique.

Je me permets de préciser, comme je le fais systématiquement, que l’État consent chaque année un effort budgétaire important pour financer le système de retraite de la fonction publique. En 2022, 64,4 milliards d’euros ont ainsi été consacrés au versement des pensions relevant du périmètre de l’État. Cependant, j’entends parfois dans le débat un discours induit selon lequel l’État financerait de la sorte un système de privilégiés ; les agents de la fonction publique seraient en cela privilégiés par rapport aux salariés du privé. Je m’inscris en faux contre cette idée. Ce qu’il convient de comparer, c’est le taux de remplacement, autrement dit ce que l’on perçoit au moment de sa retraite par rapport à ce que l’on percevait pendant sa carrière professionnelle. Or le taux de remplacement est identique, à 0,6 % près, pour les salariés du privé et pour les agents de la fonction publique ; il tourne dans les deux cas autour de 74 %.

En réalité, l’effort budgétaire de l’État est bien davantage lié au fait que les déséquilibres démographiques sont très accentués dans la fonction publique d’État – rappelons que les déséquilibres démographiques justifient la réforme dans son ensemble. Au moment où nous nous parlons, on compte 0,86 fonctionnaire actif pour 1 fonctionnaire retraité. On voit bien quels enjeux de financement en découlent, d’où l’effort budgétaire consenti par l’État.

Troisième élément : la réforme présentée par le Gouvernement permettra un certain nombre de progrès ou d’avancées de nature à améliorer le système. Je voudrais en citer cinq qui me semblent importantes. Au préalable, je souligne que toutes les mesures spécifiques à la fonction publique concernent l’adaptation et l’aménagement des carrières ; selon moi, c’est là le cœur du débat que nous devrions avoir sur la question des retraites.

La première mesure est l’introduction, pour la fonction publique, d’un dispositif de retraite progressive. Il n’en existait plus depuis 2010, date de la suppression de la cessation progressive d’activité. Grâce à ce nouveau dispositif, l’agent pourra aménager son temps de travail à partir de 62 ans, soit deux ans avant l’âge d’ouverture des droits à la retraite : il pourra se mettre à temps partiel tout en préservant sa rémunération globale, puisqu’il touchera par anticipation une partie de sa pension de retraite. Cela offrira un outil tout à fait intéressant d’aménagement des carrières, qu’il conviendra de mettre en œuvre ; c’est là le véritable enjeu. Ce dispositif serait notamment tout à fait pertinent pour les professeurs de l’éducation nationale. Cela fait l’objet des discussions que je mène avec les organisations syndicales.

Je rappelle à ce sujet que, lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, plusieurs groupes parlementaires ont déposé un amendement qui permettrait aux professeurs du primaire de partir en retraite à la date de leur anniversaire. Je tiens à vous indiquer que le Gouvernement est favorable à cet amendement et souhaite le reprendre à l’occasion de la discussion au Sénat. Ce serait une mesure de justice pour les professeurs du primaire par rapport aux professeurs du secondaire.

La réforme des retraites permettra une deuxième amélioration : elle rendra totalement portables les droits associés aux catégories actives ou super-actives de la fonction publique, pour les 700 000 agents qui les composent. Dans le système en vigueur, un policier n’a aucun intérêt à devenir douanier, de même qu’un surveillant pénitentiaire n’a aucun intérêt à rejoindre la police, parce qu’il perd alors tout le bénéfice acquis des années de service antérieures. Le projet de loi prévoit désormais une portabilité complète des droits, tant des règles relatives à la durée de service que des différentes bonifications associées aux catégories actives. C’est une véritable avancée qui facilitera les mobilités de carrière. S’agissant des catégories actives, je précise que nous décalons de deux ans l’âge d’ouverture des droits – actuellement 52 ou 57 ans selon les cas – mais que nous laissons inchangée la durée de service donnant le droit de partir à la retraite – dix-sept ans ou vingt-sept ans selon les cas.

Troisième mesure spécifique : nous améliorons la situation des agents contractuels du public, en permettant, pour les agents titularisés, la prise en compte des années de service effectuées en tant que contractuel. Je pense notamment aux aides-soignants contractuels qui font le même travail que des agents titulaires de catégorie active, mais sans bénéficier du droit à un départ anticipé à la retraite associé à cette catégorie, ni du compte professionnel de prévention (C2P) qui existe dans le privé. Plus de 100 000 aides-soignants titulaires de la fonction publique ont exercé auparavant ce métier comme contractuels, parfois pendant cinq ou six ans. Désormais, ces cinq ou six années seront intégrées à leur durée de service, au lieu de compter pour rien. C’est une véritable mesure d’attractivité. Il y aura ainsi un bénéfice associé au fait d’être titularisé dans la fonction publique.

Quatrième mesure spécifique : nous entendons donner la possibilité aux agents publics qui le souhaitent et qui en font la demande à leur employeur – j’insiste sur ces précisions – de travailler au-delà de 67 ans, limite d’âge en vigueur. Nous gommons ainsi une différence entre le public et le privé : dans le privé, la limite d’âge est de 70 ans, soit trois ans après l’âge d’annulation de la décote ; dans le public, il n’existe que quelques rares dérogations permettant de travailler au-delà de 67 ans. Nous harmonisons les limites d’âge en alignant celle du public sur celle du privé.

La dernière mesure, avancée très importante selon moi, a trait à la prévention de l’usure et de la pénibilité. Cela fait partie de la révolution culturelle et managériale que nous devons introduire dans la fonction publique.

Il faut certes des dispositifs de réparation ; je viens de mentionner à cet égard les catégories actives : pour ceux qui exercent un métier pénible, l’âge d’ouverture des droits est anticipé par rapport à celui des catégories sédentaires. Mais il faut surtout investir pour développer les dispositifs de prévention de l’usure et de la pénibilité. C’est ce que nous faisons en créant un fonds de prévention de l’usure professionnelle dédié aux soignants qui travaillent dans les établissements hospitaliers et médico-sociaux, qu’ils relèvent de la fonction publique hospitalière ou de la fonction publique territoriale. Nous y consacrerons environ 100 millions d’euros chaque année, c’est-à-dire un demi-milliard d’euros sur le quinquennat. Cela permettra d’aménager les postes de travail, de rendre les métiers moins pénibles, le cas échéant de financer des formations permettant de changer de métier. Cet investissement est l’un des bénéfices que comporte la réforme des retraites présentée par le Gouvernement.

Je précise que nous menons en ce moment des discussions avec les employeurs territoriaux pour créer des instruments collectifs de prévention de l’usure et de la pénibilité dans la fonction publique territoriale, laquelle est moins couverte par le dispositif des catégories actives.

Ce que nous devons promouvoir, c’est notre capacité à investir dans l’aménagement des carrières. L’agent peut-il aménager son temps de travail ? C’est la retraite progressive. Est-il à même d’aménager son poste de travail ? C’est le fonds de prévention de l’usure professionnelle que nous créons. A-t-il la possibilité de changer de métier ? C’est la possibilité de financer une formation professionnelle en vue d’aménager une fin de carrière.

L’évocation de cette dernière mesure me permet de faire une transition avec la question de la protection sociale complémentaire. Nous avons obtenu des avancées en la matière au cours des dernières années, sachant qu’il existait des différences importantes entre les mécanismes applicables dans le privé et dans le public, tant sur le volet santé que sur le volet prévoyance.

Sur le volet santé, nous sommes parvenus au cours du précédent quinquennat à un accord unanime avec les syndicats de la fonction publique. C’est une avancée très positive pour les millions d’agents concernés. Cet accord est en cours de déclinaison dans les trois fonctions publiques – ministère par ministère dans la fonction publique d’État.

Sur le volet prévoyance, les discussions sont en cours. Il s’agit des dispositifs destinés à couvrir les risques les plus lourds tels que le décès, l’invalidité ou l’incapacité – autrement dit les arrêts maladie de longue durée. Ces questions ont fait l’objet d’un accord de méthode avec les organisations syndicales. J’ai fait part à celles-ci de mon souhait que les discussions aboutissent, dans le cadre du dialogue social que nous menons, au cours du premier semestre 2023. Le volet prévoyance est sans doute plus complexe que le volet santé, car nous avons des choix structurels à faire. En tout cas, il est tout aussi important.

Pour ne pas être trop long, je vous propose de revenir sur ces sujets techniques, parfois complexes, mais essentiels pour la protection des agents de la fonction publique, au cours de nos échanges, et je suis à votre entière disposition si vous souhaitez élargir la discussion aux aménagements de carrière car ces questions sont, en réalité, intimement liées. C’est le vrai débat derrière le débat sur les retraites : travailler un peu plus longtemps, avec la capacité d’aménager le parcours des agents de la fonction publique.

Mme la présidente
Nous en venons aux questions. Je rappelle que la durée des questions et des réponses est de deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville (GDR-NUPES)
Il n’y a aucune générosité dans les mesures pour les retraites que vous venez d’évoquer. Il est évident qu’il faut améliorer les droits, mais la facture est insoutenable : deux ans de plus. C’est pour nous un point de blocage fondamental. De plus, parmi les éléments d’amélioration que vous avez cités, il y en a un qui serait plutôt un facteur de fragilisation du système, à savoir la suppression de la limite d’âge, suivant une logique parallèle à celle des coups qui ont été portés au système de retraite du secteur privé. Par ailleurs, vous avez évoqué un effort de la part de l’État, mais il ne s’agit pas d’un effort : c’est son rôle, en tant qu’employeur, d’assurer le droit à la retraite de celles et ceux qui ont travaillé pour lui en tant qu’agents de la fonction publique.

La question de la protection sociale complémentaire est au croisement d’enjeux importants : celui de la santé, celui de la prévention – tous deux étant liés à celui des retraites – et celui de l’invalidité, sur lequel les organisations syndicales nous ont expliqué que chacun se renvoyait la balle sans jamais réellement aborder le sujet avec elles. Que pouvez-vous nous dire là-dessus ? Vous avez annoncé que les conclusions devaient être rendues au premier semestre 2023. Quels sont vos objectifs ? Quelles sont vos craintes ? Quels sont, selon vous, les critères à retenir pour les appels d’offres ? Avez-vous eu recours à un cabinet de conseil, et pour quoi faire ? Ne craignez-vous pas un effet déstructurant, affaiblissant, de ces mesures pour la protection sociale des agents de la fonction publique ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre
Pour ne pas refaire les débats qui ont eu lieu dans l’hémicycle sur les raisons qui sous-tendent cette réforme et la préservation de notre système par répartition, je consacrerai moins de temps à notre différend fondamental sur le recul de l’âge de départ à la retraite, pour me concentrer davantage sur les questions spécifiques à la fonction publique.

Je récuse l’idée selon laquelle l’assouplissement de la limite d’âge conduirait à une fragilisation du système. Ce n’est pas vrai. La mesure répond aux attentes de certains agents, qui font la demande de travailler plus longtemps ; je ne prétends pas qu’ils le fassent par pur bonheur de servir la fonction publique, même si cela peut arriver, car cette demande est souvent formulée en raison d’un impératif financier. Avec l’évolution des familles, les services des ressources humaines font remonter des cas d’agents qui souhaiteraient travailler une ou deux années de plus pour continuer de percevoir leur rémunération car leurs enfants sont en fin d’études supérieures. Actuellement, l’employeur public est obligé de refuser ; il y a quelques dérogations, mais elles sont limitées. Je ne fais pas de cette mesure l’alpha et l’oméga de la réforme, mais je répète qu’il ne s’agit pas d’une fragilisation et que cette possibilité ne sera ouverte que sur demande des agents.

J’en viens à votre question sur l’invalidité et, plus largement, sur la protection sociale complémentaire.

Le dispositif de protection sociale complémentaire, dans son volet santé, représente une avancée considérable en matière de protection des agents de la fonction publique, lesquels en sont rendus, en l’état actuel du système, à souscrire des contrats de protection complémentaire auprès des mutuelles. Certains ministères ou collectivités offrent des complémentaires santé, mais d’autres agents ne sont pas du tout couverts. L’accord rendant obligatoire la prise en charge de 50% des frais de santé par les employeurs des trois versants de la fonction publique est donc une avancée notable pour des millions d’agents de la fonction publique. Dès cette année, cela représente 15 euros par mois de prise en charge par l’employeur public d’État ; à partir de 2024, ce sera 30 euros par mois. J’ajoute que le panier de soins, qui est en cours de déclinaison interministérielle, a été bien négocié et qu’il représente un progrès par rapport aux paniers précédemment négociés, de moins bonne qualité. L’accord a été unanime avec les organisations syndicales.

Pour ce qui est du volet prévoyance, l’enjeu décisif est de savoir quelle part de la couverture relève de l’autoassurance, c’est-à-dire de la protection offerte par l’employeur public à travers le statut, et pour quelle part il est envisageable de s’appuyer sur des acteurs tiers, mutualistes ou assureurs, dans un dispositif complémentaire.

Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Lenormand.

M. Stéphane Lenormand (LIOT)
Malgré votre prestation, monsieur le ministre, vous ne me ferez pas changer d’avis sur la réforme, même si je pense qu’il faut réformer le système des retraites. Je voudrais vous poser des questions plus pointues.

Premièrement, vous évoquez la retraite progressive dans la fonction publique : concerne-t-elle les trois versants de la fonction publique, à savoir la fonction publique d’État, la fonction publique hospitalière et la fonction publique territoriale ?

Deuxièmement, j’aimerais évoquer les outre-mer, et plus précisément la position du Gouvernement sur les dispositifs de bonification pour le calcul des retraites en outre-mer : vont-ils passer à la trappe ou seront-ils maintenus ? Un autre sujet important pour les outre-mer est la réforme de l’ITR, l’indemnité temporaire de retraite, sur laquelle un rapport d’information a été rendu en 2021 par notre collègue Philippe Dunoyer. Des travaux sont en cours sous l’égide du ministère des outre-mer. C’est un vrai sujet en termes d’attractivité et de respect de la parole de l’État : je rappelle qu’en 2008, une réflexion devait être lancée pour proposer un système de substitution à l’ITR après la disparition de celle-ci ; cette promesse n’a pas été tenue, non plus que celle sur le processus dit « de compensation » pour l’économie circulaire des territoires. Il y a aussi une réflexion à mener sur les territoires non concernés par l’ITR car la cherté de la vie, plus importante dans les outre-mer, y pose la question de l’attractivité de la fonction publique. La position de mon groupe est qu’il faut que ce travail puisse être réalisé dans un temps assez court, qu’il serait bienvenu que l’État suspende la dégressivité du processus en cours durant ces travaux et que la réflexion devrait englober non seulement les fonctionnaires d’État, mais aussi les deux autres fonctions publiques.

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre
Je peux vous confirmer que la retraite progressive concernera bien les trois versants de la fonction publique. L’enjeu fondamental pour ce dispositif qui, contrairement à ce que je peux entendre parfois, est attractif – et même plus attractif que les politiques de cessation progressive d’activité – est que, si nous voulons en faire un réel instrument d’aménagement des carrières, il faut l’inscrire au cœur de la politique de ressources humaines de la fonction publique. C’est la raison pour laquelle j’ai réuni, il y a quelques jours, les secrétaires généraux et les directeurs des ressources humaines des différents ministères, ainsi que les employeurs territoriaux et les employeurs hospitaliers, pour faire de la retraite progressive un vrai outil d’aménagement des parcours professionnels ; qu’elle ne soit pas qu’un droit de papier, mais un droit réel. Il y a dans la fonction publique territoriale des enjeux de transmission importants – je pense aux secrétaires de mairie –, et l’on pourrait imaginer des aménagements de fin de carrière pour que les agents publics puissent, à temps partiel, former leur successeur. Cela fait partie des transformations et des réformes souhaitables.

Pour ce qui est des dispositifs ultramarins, nous ne remettons en cause aucune clause ni bonification particulière pour les agents publics ultramarins. Pour reprendre votre expression, aucun dispositif ne passe à la trappe. C’est extrêmement clair.

L’indemnité temporaire de retraite est un dispositif instauré en 2008, souvent discuté mais jamais remis en cause par aucun gouvernement. Il s’agit d’un mécanisme dérogatoire permettant à des agents publics de bénéficier d’une bonification de pension de retraite dans le cas où ils s’installeraient, au moment de leur retraite, dans un territoire ultramarin, qu’ils aient travaillé ou non en outre-mer.

Il est vrai que nous devons mener une réflexion sur les mécanismes compensatoires de cette ITR, progressivement mise en extinction. C’est l’engagement qui avait été pris par le Gouvernement. Nous avons réuni un premier comité de travail sous le quinquennat précédent. Conformément à nos engagements, nous l’avons réuni à nouveau il y a quelques jours, le 17 février, sous l’égide du ministère de l’intérieur et des outre-mer et du ministère de la transformation et de la fonction publiques, pour travailler avec les parlementaires sur des mécanismes compensatoires, afin de répondre à la cherté de la vie dans les territoires ultramarins. Nous avons pris, Jean-François Carenco et moi-même, deux engagements : d’une part, celui de qualifier la cherté de la vie et donc le financement complémentaire ou compensatoire à prévoir et, d’autre part, celui de faire aboutir à temps pour le projet de loi de finances pour 2024, c’est-à-dire d’ici l’automne, la réflexion sur des mécanismes comme la surcotisation facultative pour les agents publics, afin de tenir les engagements de l’État sur cette question-là.

Mme la présidente
Merci, monsieur le ministre. Je vous demanderai de vous en tenir à deux minutes pour les interventions suivantes afin de ne pas créer de précédent.

M. Gabriel Amard
C’est déjà fait ! (Sourires.)

Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric Cabrolier.

M. Frédéric Cabrolier (RN)
Si je voulais être désobligeant, je dirais que, pour maintenir votre totem de recul de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans, on a l’impression que vous lâchez quand même beaucoup. On le voit pour la fonction publique : vous avez parlé de cinq améliorations, indiqué que la signature d’un accord sur la complémentaire santé dans la fonction publique d’État était en cours et mentionné l’objectif de prévoyance collective dans la fonction publique d’État.

L’objet de la réforme était de faire des économies sur la branche retraite. Chacun a compris que les retraités servaient de variable d’ajustement pour faire baisser le déficit public et le ramener, à l’horizon 2027, sous le critère européen des fameux 3% du PIB. M. Moscovici nous en avait parlé et M. Pierre-Louis Bras nous l’a bien expliqué.

Les deux questions que je voudrais vous poser sont les suivantes. Premièrement, à combien chiffrez-vous les économies que vous envisagez de faire avec le recul de l’âge légal dans la fonction publique, donc avec l’accélération de la loi Touraine ? Deuxièmement, combien de fonctionnaires sont concernés dans la fonction publique d’État, dans la fonction publique territoriale et dans la fonction publique hospitalière ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre
Je prends votre première remarque comme un compliment, puisque vous notez que nous apportons bon nombre d’améliorations au système de retraite de la fonction publique. Il ne s’agit pas de compensations – et je ne les ai jamais présentées comme telles aux organisations syndicales – mais de réelles améliorations, toutes liées à l’aménagement des carrières et à la possibilité de réduire le temps de travail, de moduler les conditions d’exercice de sa fonction ou bien de changer de métier dans la fonction publique. Pour ma part, je présente de façon transparente les efforts demandés et les améliorations apportées au système par le projet de réforme des retraites que vous avez eu à examiner il y a quelques jours.

Quant aux économies attendues du report de l’âge légal de départ à la retraite dans la fonction publique, elles sont précisées dans l’étude d’impact de la réforme et représenteront 2,5 milliards d’euros sur les 17,5 ou 18 milliards d’économies prévues au total. Les dispositifs qui améliorent le système de retraite de la fonction publique – je pense notamment à l’instauration d’un mécanisme de retraite progressive, à l’amélioration de la portabilité des droits pour les catégories actives, aux mesures visant à améliorer les droits des contractuels titularisés, dont j’ai déjà parlé, et à l’instauration d’un fonds de prévention de l’usure professionnelle et de la pénibilité – ont un coût bien moins important, estimé à environ 330 millions d’euros. Tels sont les grands équilibres de la réforme des retraites dans le périmètre de la fonction publique.

Je le répète, cette réforme concernera les 5,7 millions d’agents de la fonction publique, qu’ils soient contractuels ou titulaires, c’est-à-dire fonctionnaires. Il y a aujourd’hui 20% de contractuels pour 80% de titulaires dans les trois fonctions publiques. Vous trouverez les chiffres sans difficulté : la fonction publique d’État emploie 2,5 millions d’agents, la fonction publique territoriale 1,9 million d’agents et la fonction publique hospitalière 1,2 million d’agents.

Je précise, pour finir, que les fonctionnaires cotisent à un système de retraite spécifique de la fonction publique et que les contractuels dépendent du régime général et cotisent à l’Ircantec, la retraite complémentaire publique. Les titulaires et les contractuels sont donc soumis à des systèmes différents, mais la réforme les concernera de manière symétrique. Voilà la réponse la plus complète que je pouvais vous faire, monsieur le député !

Mme la présidente
La parole est à M. Gabriel Amard, pour environ deux minutes. (Sourires.)

M. Gabriel Amard (LFI-NUPES)
Ne vous inquiétez pas, madame la présidente !
Au sujet du déséquilibre entre le nombre d’actifs et le nombre de retraités dans les fonctions publiques, je ne vous surprendrai pas en rappelant que les besoins d’effectifs sont grands dans nos services publics, qui servent l’intérêt général. Ainsi, dans la fonction publique territoriale, en raison des restrictions financières qui leur ont été imposées au cours des dernières années, les collectivités territoriales ne sont pas en mesure de remplacer leurs fonctionnaires partis à la retraite. Et je ne parle pas des besoins de l’éducation nationale et du manque criant d’accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH). De toute évidence, nos fonctions publiques mériteraient d’être renforcées en effectifs, ce qui conduirait à une augmentation du nombre de cotisants actifs.

Ma première question porte sur un sujet évoqué par les représentants des organisations syndicales dans la première partie de la table ronde : ils craignent que la mise en concurrence des complémentaires santé remette en cause le modèle construit par le mouvement mutualiste français pendant des décennies et que les mutuelles perdent ainsi tous leurs cotisants actifs. Monsieur le ministre, quelle réponse pouvez-vous apporter à leurs inquiétudes ? Certaines mutuelles vont souffrir fortement de l’ouverture à la concurrence, laquelle me paraît plus que contestable, car nous pourrions très bien nous soustraire aux obligations fixées par la Commission européenne.

J’en viens à ma seconde question. Le 27 janvier dernier, comme beaucoup d’autres, nous avons été stupéfaits d’apprendre la décision du Gouvernement de relever de 1 point le taux de cotisation des employeurs de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), la caisse de retraites des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers. Les collectivités locales subissent déjà la hausse de leurs dépenses de fonctionnement, en matière d’énergie notamment. Comment pourront-elles faire face à une telle situation ? Avez-vous prévu de leur verser une compensation financière ? Ou bien est-ce le retour, sans les nommer, des contrats de Cahors ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre
Je vais tenter d’apporter les réponses les plus concises possibles aux trois questions que vous avez soulevées. En ce qui concerne le besoin de nouveaux agents dans les trois fonctions publiques, je peux vous assurer, en tant que ministre de la transformation et de la fonction publiques, que notre politique ne repose pas sur les suppressions de poste. Vous aurez d’ailleurs noté que les emplois de la fonction publique sont restés stables au cours du précédent quinquennat – ce n’était d’ailleurs pas prévu, puisque le programme d’Emmanuel Macron, pendant la campagne présidentielle de 2017, prévoyait 120 000 suppressions de postes. Les différentes crises que nous avons traversées, et notamment la crise sanitaire, nous ont amenés à revoir notre politique. En 2022, le Président de la République, de nouveau candidat, n’a pas proposé de suppressions de poste dans la fonction publique. Au contraire, le Gouvernement a même engagé des investissements importants dans les services publics, dans les secteurs de la justice, de l’école et de la santé, par exemple.

Sur la CNRACL, je serai très clair. Avec Dominique Faure, la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, et Gabriel Attal, le ministre délégué chargé des comptes publics, nous avons réuni les employeurs territoriaux à plusieurs reprises ces derniers jours et nous avons acté la compensation intégrale de la hausse des cotisations. Au cours des prochaines années, la CNRACL verra son déficit se creuser pour des raisons démographiques. Contrairement aux deux hausses de cotisations précédentes, décidées par d’autres majorités et non compensées, nous avons pris l’engagement d’une compensation intégrale, ce qui n’avait jamais été fait. Je pense pouvoir dire sans me tromper que nous avons instauré un dialogue de confiance avec les employeurs territoriaux. Le sous-entendu de votre question est donc sans aucun fondement.

Il me reste peu de temps pour aborder votre dernière question, pourtant capitale. Selon moi, l’enjeu de la prévoyance n’a rien à voir avec une prétendue mise en concurrence dictée par Bruxelles ou des raisons idéologiques. L’enjeu de la prévoyance, c’est l’amélioration de la couverture et de la protection des agents de la fonction publique. En tant que ministre de la transformation et de la fonction publiques, c’est cet objectif qui m’anime et qui me guide.

Aujourd’hui, les agents de la fonction publique recourent à des systèmes de protection très hétérogènes. Certaines mutuelles ont des liens historiques avec des ministères et des collectivités, mais, dans certains cas, les agents ne sont pas couverts du tout. Je pense à cette jeune femme qui apprend qu’elle a un cancer du sein ou à ce couple dont l’un des deux décède : ils découvrent que leur protection statutaire en matière de santé est mauvaise parce qu’ils n’ont pas de mutuelle complémentaire. Notre objectif doit être d’améliorer leur protection. Pour cela, devrons-nous choisir le tout-statutaire – c’est l’employeur public qui assume le risque et protège, au détriment des acteurs mutualistes et assurantiels – ou adopter une part d’assurantiel – en faisant appel à des spécialistes, les acteurs mutualistes et assurantiels – pour couvrir et prévenir le risque ? Telle est la question à laquelle il nous faut réfléchir. Mon seul objectif est d’améliorer la couverture prévoyance des agents de la fonction publique.

M. Gabriel Amard
Dommage qu’on s’arrête là !

Mme la présidente
Oui, c’est l’inconvénient de poser plusieurs questions dans une question ! (Sourires.) Mais, évidemment, c’est intéressant…
La parole est à M. Francis Dubois.

M. Francis Dubois (LR)
Ma question porte sur les carrières et sur le statut des secrétaires de mairie dans les petites communes, notamment en milieu rural. Maillon essentiel et incontournable de la vie communale, les secrétaires de mairie sont l’appui technique et juridique des maires et participent à la mise en œuvre des politiques de l’équipe municipale. Leur emploi nécessite des compétences multiples dans les domaines de la finance, de la gestion des services techniques, des ressources humaines, de l’urbanisme, de la préparation des conseils municipaux, de la gestion de l’état civil, de l’organisation des élections, de l’accueil du public, etc. Les secrétaires de mairie doivent faire preuve d’une grande adaptabilité, de polyvalence et d’organisation, en particulier en milieu rural. En Corrèze, très souvent, plusieurs communes se partagent une même secrétaire de mairie.

Malgré un profil très complet et un rôle décisif dans la bonne tenue de la vie de la commune, les dispositions statutaires actuelles ne sont pas en adéquation avec la reconnaissance que mériterait cette fonction : les missions sont mal définies ; les agents sur le point de partir sont systématiquement remplacés par des agents administratifs de catégorie C, titulaires ou contractuels ; enfin, le protocole relatif aux parcours professionnels, carrières et rémunérations et à l’avenir de la fonction publique (PPCR), qui prévoit la refonte des grilles de salaires, ne bénéficie pas aux secrétaires de mairie.

Parce qu’il est nécessaire de mieux connaître et de valoriser ce métier, dans un contexte de tension des effectifs et de vieillissement des agents, une proposition de loi transpartisane, dont je suis signataire, a récemment été initiée par notre collègue Pierre Morel-À-L’Huissier. Ce texte propose de faire évoluer l’appellation de la profession en " responsable de l’administration communale " et de créer un statut d’emploi comprenant deux grilles indiciaires. Pour pallier les difficultés de recrutement, il suggère d’élargir la possibilité, pour les communes, de recruter des agents contractuels en relevant le plafond démographique en-deçà duquel le recrutement est ouvert de 1 000 à 2 000 habitants. Il envisage aussi l’organisation, en lien avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), de formations spécifiques, dont une au titre de la prise de poste. Ces formations seraient très utiles, en particulier pour les contractuels recrutés.

Monsieur le ministre, en écho à cette initiative parlementaire soutenue sur le terrain, votre ministère entend-il prendre prochainement des décisions en vue d’assurer la pleine reconnaissance des secrétaires de mairie ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre
Il n’est pas un jour où je ne parle pas des secrétaires de mairie ! Leur métier revêt une importance capitale, en particulier dans les communes rurales. Plus une commune est petite, plus la secrétaire de mairie joue un rôle décisif. J’ai coutume de dire qu’une secrétaire de mairie qui part à la retraite et qui n’est pas remplacée est comme une maison France Services qui ferme. Son expérience est telle que je ne crois pas exagérer, d’autant qu’une secrétaire de mairie travaille parfois pour plusieurs collectivités.

Je pense également, comme vous, qu’il faut revaloriser ce métier pour le rendre attractif, car les secrétaires de mairie qui partent à la retraite doivent être remplacées. Or, au cours des huit prochaines années, environ un tiers d’entre elles cesseront leur activité. Il s’agit en effet d’un enjeu majeur.

En revanche, il est inexact de dire que rien n’a été fait pour cette profession. Au cours du précédent quinquennat, un dispositif de nouvelle bonification indiciaire (NBI) lui a été appliqué – il a permis d’apporter 15 points de revalorisation indiciaire. Cette mesure n’était sans doute pas suffisante pour relever le défi de l’insuffisante attractivité du métier, mais je me devais de la rappeler.

Allons-nous agir ? Au fond, telle est votre question, et ma réponse est évidemment oui. Je défendrai, au cours de l’année 2023, une réforme sur l’accès, les parcours et la rémunération dans la fonction publique. Cette réforme, dont seront saisies les organisations syndicales, nous donnera l’occasion de démontrer notre capacité à relancer l’attractivité des métiers – celui de secrétaire de mairie sera, à ce titre, exemplaire – grâce à plusieurs leviers.

Le premier concerne les recrutements, notre objectif étant de favoriser l’accès aux métiers de la fonction publique en levant les contraintes – sur ce point, les pistes que vous évoquez sont intéressantes et nous en rediscuterons. Nous devons raisonner davantage à partir de la valorisation des acquis de l’expérience professionnelle et nous affranchir du formalisme de certains concours.

En ce qui concerne les parcours, je ne me résous pas aux carrières trop linéaires, et je veux donner davantage de marges de manœuvre aux employeurs pour leur permettre de faire progresser plus rapidement les secrétaires de mairie.

Enfin, dans le cadre de cette même réflexion sur les parcours, nous devons offrir la possibilité aux secrétaires de mairie d’évoluer, parfois même en changeant de métier. Une secrétaire de mairie pourrait ainsi envisager de devenir directrice générale des services (DGS) dans une collectivité de taille plus importante. Des possibilités de ce type doivent être développées et nous aurons, je l’espère, l’occasion d’en reparler cette année dans le cadre du chantier de la refonte des rémunérations et des carrières dans la fonction publique.

Mme la présidente
La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES)
Monsieur le ministre, il faudrait des heures, sans doute, pour répondre à la question que je vais vous poser ; je vais donc essayer de la réduire au maximum. Cela m’empêche presque de dormir : pour quelle raison avez-vous fait appel à un cabinet de conseil pour travailler sur la protection sociale complémentaire – si c’est bien le cas –, et vous êtes-vous, par exemple, interrogés sur les risques inhérents à la marchandisation de ce secteur ? Une question a été posée à ce sujet tout à l’heure et vous avez répondu, si j’ai bien compris, en évoquant notamment « l’enjeu d’amélioration de la protection » ; vous n’avez pas été très convaincant !

Avez-vous commandé des études sur les conséquences de la suppression des régimes spéciaux, compte tenu de l’inégalité et des injustices qu’elle va provoquer entre les salariés recrutés au statut et les nouveaux entrants, ou sur l’impact du recours à des retraites complémentaires – donc à des assurances ou à des mutuelles privées –, qui va s’élargir considérablement ? Avez-vous demandé une étude précise sur la manière dont va évoluer la prise en compte de l’invalidité pour les fonctionnaires qui se retrouvent mis à la retraite – avec les conséquences que cela implique –, contrairement à ce qui se passe dans le privé ? Êtes-vous en mesure d’apporter des réponses à toutes ces questions, peut-être grâce au travail qui a été fait – pas gratuitement – par un cabinet de conseil ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre
Premièrement, est-il légitime pour l’État de se faire accompagner, sur des sujets aussi complexes et techniques que ceux ayant trait aux dispositifs de prévoyance ? Je vous réponds sans détour : oui ! Je pense qu’il serait à l’inverse assez irresponsable, de la part de l’État, de travailler à des sujets qui nécessitent tant d’implication et dont les conséquences, s’agissant de la protection des agents mais aussi des finances publiques, sont aussi lourdes, sans le faire avec le soutien de professionnels qui ne sont pas des cabinets de conseil en stratégie tels que l’on peut en trouver sur d’autres types de dossiers, mais tout simplement des actuaires, dont le travail permet de chiffrer les différentes pistes qui font l’objet de négociations avec les organisations syndicales. C’est exactement de cette manière, en toute transparence, que le Gouvernement travaille, et je crois, contrairement à vous, que cela relève d’une bonne gestion de nos finances publiques et permet de préparer de bonnes mesures pour nos agents publics.

Deuxièmement, dans quel état d’esprit travaillons-nous sur ces questions, et quelles sont les exigences qui nous animent ? Je le dis et je le répète : notre objectif, c’est l’amélioration de la protection des agents de la fonction publique. Nous partons d’un constat que je ne détaillerai pas de nouveau ici : le mécanisme de protection sociale qui les concerne est – au minimum – très hétérogène. En effet, entre les agents qui sont couverts par une complémentaire et ceux qui ne le sont pas, les différences de protection sont abyssales. Il y a des agents qui ne sont pas suffisamment bien couverts, et qui n’en sont parfois pas assez conscients !

L’objectif poursuivi par le Gouvernement, conformément à l’accord de méthode qui, je le rappelle, a été unanime – à l’exception de Force ouvrière (FO), si je ne dis pas de bêtises –, est d’aboutir à un dispositif de protection sociale complémentaire en matière de prévoyance, qui permette de couvrir l’ensemble des agents de la fonction publique sur ses trois versants. Il s’agit ainsi d’améliorer la protection actuelle qui n’est que statutaire, puisque les dispositifs existants sont des dispositifs d’autoassurance par l’employeur public, le coût de la protection complémentaire étant entièrement supporté, le cas échéant, par les agents qui souscrivent une mutuelle, cette dernière couvrant souvent de façon conjointe les risques santé et prévoyance.

Voilà donc le cadre des discussions que nous avons avec les organisations syndicales sur les trois sujets de l’invalidité, de l’incapacité et du décès. Je souhaite améliorer la couverture des agents publics et je dirai un dernier mot, madame la présidente, pour ne pas laisser le président Chassaigne trop frustré, sur la question de l’invalidité. Il y a deux enjeux essentiels : le premier tient à la prise en compte des trimestres en invalidité, une fois que les agents concernés sont à la retraite ; le second a trait à la couverture des agents de la fonction publique lorsqu’ils sont touchés par l’invalidité. Sur ces deux enjeux, je souhaite que nous puissions avancer et aboutir ; c’est en tout cas mon objectif, en concertation avec les organisations syndicales.

Mme la présidente
La parole est à M. Gérard Leseul.

M. Gérard Leseul (SOC)
Je remercie le groupe GDR-NUPES d’avoir mis ces thèmes à l’ordre du jour. Mon groupe souhaite tout d’abord vous questionner, monsieur le ministre, sur l’appauvrissement des retraités issus de la fonction publique, que votre texte prévoit d’aggraver.

Ce phénomène d’appauvrissement s’illustre essentiellement grâce au taux de remplacement, qui est le ratio entre le montant de la retraite perçu à la liquidation et le salaire versé juste avant de partir à la retraite. Précisons que selon le Conseil d’orientation des retraites (COR), le taux de remplacement des fonctionnaires est aujourd’hui inférieur à celui des salariés du secteur privé. Cela signifie concrètement qu’à carrière et salaire égaux, la pension du fonctionnaire est plus faible que celle d’un salarié du secteur privé.

D’après notre lecture du rapport du COR de septembre 2022, le Gouvernement prévoit non pas de mettre fin à cette injustice, mais bien de l’aggraver. En effet, dans les hypothèses macroéconomiques transmises au COR, il prévoit un gel du point d’indice jusqu’en 2027, ainsi qu’une stabilité de la part des primes dans la rémunération. Pour un fonctionnaire payé 2 000 euros net par mois en 2022, ce gel du point d’indice jusqu’en 2027 représenterait une perte de pouvoir d’achat d’environ 11 000 euros sur tout le quinquennat. Le Gouvernement réalise là un virage discret mais grave par rapport aux hypothèses transmises au COR en 2021. Le gel va mécaniquement faire baisser le « pouvoir de vivre » des futurs retraités de la fonction publique ; ainsi, quel que soit le scénario envisagé, le COR estime que le taux de remplacement baissera, pour les agents publics, de 2 à 10 points dans les prochaines années.

Dès lors, le Gouvernement peut-il confirmer à la représentation nationale qu’il compte geler le point d’indice jusqu’en 2027, compte tenu de l’impact qu’aura cette décision comptable sur les pensions des retraités issus de la fonction publique ?

Ensuite, mon groupe souhaiterait obtenir une précision que l’étude d’impact jointe à la réforme des retraites n’apporte pas. Dans celle-ci, vous estimez qu’après la réforme la pension moyenne sera, tous régimes confondus, supérieure à celle d’avant la réforme ; mais pourriez-vous nous préciser les montants précis des pensions moyennes avant et après la réforme pour les fonctionnaires, en tenant compte du fait que le décalage de l’âge légal de départ à la retraite va annuler la surcote dont bénéficiaient certains agents publics ?

Enfin, vous avez évoqué la retraite progressive à partir de 62 ans. J’ai quelques inquiétudes sur sa réussite, et nous resterons vigilants. Je vous remercie, monsieur le ministre, de répondre au moins à mes deux premières questions.

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre
Je le dis sous le contrôle de Mme la présidente : répondre en deux minutes aux nombreuses questions que chacun d’entre vous me pose, ce n’est pas une tâche facile !

Premièrement, j’ai moi-même mentionné, dans mon propos liminaire, la comparaison entre les taux de remplacement observés respectivement dans le privé et dans le public ; en réalité, ils sont très comparables et même similaires, à 0,6 point près. S’agissant des fonctionnaires, le taux de remplacement dépend de la structuration de leur rémunération, c’est-à-dire de l’importance de la part indemnitaire dans cette rémunération, qui varie entre les différentes catégories d’agents publics. La situation, en la matière, est plutôt hétérogène, et une étude récente a montré que le basculement sur le régime du privé ferait des gagnants et des perdants parmi les fonctionnaires, ce qui avait d’ailleurs rendu le projet de 2019 anxiogène pour certains d’entre eux ; celui de 2023 l’est un petit peu moins.

La réalité, c’est que le taux de remplacement repose sur la rémunération des agents de la fonction publique, et notamment sur l’évolution de leur traitement indiciaire. Je peux le dire en regardant la représentation nationale droit dans les yeux, puisque je suis le ministre de la fonction publique qui a le plus augmenté le point d’indice ces trente-sept dernières années, en l’augmentant de 3,5% l’année dernière, ce qui est, au passage, beaucoup plus que lors des quinquennats précédents, le premier de la majorité actuelle mais aussi ceux des présidents Hollande et Sarkozy – au cours desquels le point d’indice est resté gelé. La majorité actuelle a donc davantage augmenté le point d’indice que toutes les majorités qui l’ont précédée ces dernières années, et cela aura un impact sur les pensions de retraite à venir.

Ensuite – c’est le deuxième point –, vous mentionnez les hypothèses qui ont été transmises au COR. Vous conviendrez qu’il était complexe de faire des prévisions quant à l’inflation, qui a beaucoup évolué ces derniers mois et qu’il est difficile de prédire pour les mois à venir. Ces hypothèses, présentes dans l’étude d’impact qui accompagne le texte sur les retraites, ne valent pas pour les discussions que j’ai et que nous allons continuer à avoir avec les organisations syndicales.

J’ai pour ma part tenu une position claire vis-à-vis d’elles, et je l’exprime de façon transparente devant la représentation nationale, alors que nous allons de nouveau faire face à une inflation importante cette année : je ne souhaite ni éviter les sujets relatifs au pouvoir d’achat, à la conjoncture et à l’inflation, ni dissocier ces questions des discussions que nous avons sur la rémunération des agents de la fonction publique, qui devront intégrer la situation conjoncturelle et le niveau d’inflation auquel nous faisons face.

Je souhaite que nous menions une réforme – à mes yeux essentielle – des rémunérations dans la fonction publique. Vous m’avez interrogé sur les évolutions de carrière que l’on pourrait envisager pour certains agents de la fonction publique – nous avons évoqué l’exemple des secrétaires de mairie. J’appelle de mes vœux une réflexion, qui doit être menée en concertation avec les organisations syndicales, sur la structure des rémunérations et sur la manière dont on pourrait faire évoluer les carrières. Je le répète donc, je ne veux ni dissocier ni éviter : je veux mener cette réflexion structurelle sur la rémunération et nous prendrons aussi en compte, dans les mois qui viennent, le niveau de l’inflation. Je continuerai ces discussions dans le cadre des conférences salariales qui se tiennent avec les organisations syndicales.

Mme la présidente
Le débat est clos.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 2 mars 2023