Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, dans "La Repubblica" le 3 mars 2023, sur la réponse européenne au plan américain de l'Inflation Reduction Act, l'idée d'un fond souverain européen financé par une nouvelle dette commune, la réforme du Pacte de stabilité et les relations franco-italiennes.

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Intervenant(s) : 
  • Bruno Le Maire - Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Média : La Repubblica

Texte intégral

Q - Commençons par la réponse européenne au plan américain de l'IRA. La France et l'Allemagne ont demandé un assouplissement des aides d'Etat qui suscite l'opposition de certains pays européens, dont l'Italie. Que répondez-vous ?

“Prenons toute la mesure du choc que représente l'Inflation Reduction Act pour notre industrie. Face à ce choc, nous devons apporter les bonnes réponses. La première, c'est la réforme du marché européen de l'électricité pour garantir que partout en Europe, nous ayons une électricité décarbonée à un coût raisonnable. Il y a urgence à négocier et mettre en œuvre cette réforme. La deuxième réponse a été apportée par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen : un plan pour développer l’industrie verte européenne. Ce plan permettra de simplifier et accélérer les procédures, mais aussi d’accorder des aides d'un montant équivalent à celui que les Etats Unis vont apporter à leurs industriels, sur une base qui doit être totalement transparente”.

Q - Et au niveau de la coordination européenne ?

“Elle doit être la plus étroite possible. Je comprends parfaitement les inquiétudes de pays comme l'Italie, qui alertent sur le risque que les investissements ne bénéficient pas à l'ensemble des pays européens. Je veux les rassurer : nous ne plaidons pas pour un assouplissement tous azimuts du cadre temporaire pour les aides d’État ! Ces aides d’Etat devront être proportionnées et ciblées sur seulement certains secteurs stratégiques. Mais regardons la réalité en face : nous allons avoir besoin d'investissements massifs dans l'hydrogène, dans les batteries électriques, dans les panneaux solaires et les éoliennes. Nous devons nous assurer que chaque État européen bénéficie bien de cette révolution industrielle verte”.

Q - Avec votre homologue allemand, vous avez organisé en tandem un voyage à Washington qui a suscité des critiques en Italie.

“Nous avons fait ce voyage en totale transparence. J'ai tenu mes homologues italiens informés des résultats de ce déplacement. Je suis par ailleurs ouvert à toute initiative avec nos partenaires et amis italiens. À Washington, nous avons obtenu des exemptions sur un certain nombre de produits européens qui pourront bénéficier des avantages de l'Ira, ainsi qu'une transparence totale sur le montant des crédits d'impôt et des subventions qui seront accordés par l'administration américaine aux industriels.”

Q - Est-ce que la France a renoncé à la création d'un fond souverain européen financé par une nouvelle dette commune ?

“Non. Cela reste une bonne idée que l'Union européenne se dote d'un fonds souverain qui doit lui permettre de financer un certain nombre d'activités stratégiques. Cela fait partie des questions dont je discuterai avec Adolfo Urso. Mais il y a déjà des fonds existants disponibles. Il y a 250 milliards d'euros de Next Generation Eu, 40 milliards d'euros d'Horizon Europe, 100 milliards d'euros des fonds de cohésion. Utilisons-les ! Cela représente près de 400 milliards d'euros pour financer l'industrie verte. Cela n’empêche pas de laisser ouverte la possibilité d'un fonds souverain européen sur le long terme”.

Q - L’idée de lever une nouvelle dette commune est un tabou, notamment pour des pays du Nord et l’Allemagne ?

“Il faut en discuter de manière très ouverte avec tous nos partenaires. Mais au-delà du fonds souverain, il y a une troisième étape qui me paraît indispensable : c'est l'Union des marchés de capitaux. Si nous voulons vraiment avoir une profondeur de financement comparable à celle des Etats Unis, mettre en place l’Union des marchés de capitaux est indispensable. Avec ces trois étapes - l'utilisation des 400 milliards d'euros, le fonds souverain européen, l'Union des marchés de capitaux - l'Europe sera en ordre de bataille pour financer les investissements indispensables à la transition écologique.”

Q - La suspension du Pacte de stabilité prend fin en décembre 2023. Quelles sont les pistes de réforme ?

“Je vois trois principes directeurs. D’abord, un principe de réalité : nos niveaux d'endettement sont devenus très différents au sein de la zone euro. Ensuite, il y a un principe de responsabilité. Nous serons d'autant plus efficaces que chaque Etat se sentira responsable de la maîtrise et du redressement de ses finances publiques. Enfin : un principe de contrôle. À partir du moment où nous acceptons des différences dans le rythme de retour à des finances publiques saines et que nous acceptons une responsabilité de chaque Etat, il faut aussi qu'il y ait un contrôle effectif et efficace. Autour de ces trois principes, je souhaite que nous trouvions un accord collectif”.

Q - Le traité du Quirinal est entré en vigueur depuis quelques semaines. Est-ce que Rome et Paris peuvent avancer ensemble malgré les différences politiques et les récentes polémiques ?

“Nous devons avancer ensemble et nous voulons avancer ensemble. Vous connaissez mon attachement à l'Italie et à la coopération franco-italienne. Ce traité du Quirinal est historique. Il doit se traduire concrètement par un certain nombre de décisions. La première, c'est de lancer notre forum de consultations au niveau des ministres. Mon déplacement à Rome sera donc la première réunion officielle de ces consultations ministérielles. En deuxième lieu, nous devrons trouver une position commune sur la réponse à l'IRA et notre manière de construire une politique industrielle européenne souveraine. L'Italie et la France ont vocation à travailler ensemble”.

Q - Sur le front des projets industriels ?

“Nous devons continuer à consolider les entreprises franco-italiennes existantes, qui sont des modèles de réussite. Nous devons aussi être capables d'ouvrir de nouveaux champs de coopération. Je pense à l'intelligence artificielle et à notre ambition spatiale. Il est évident que nous devons réfléchir à l'avenir des lanceurs spatiaux européens. Nous voulons y travailler en coopération étroite avec l'Italie”. »


source https://it.ambafrance.org, le 8 mars 2023