Déclaration de Mme Olivia Grégoire, ministre chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme, sur les conséquences de l'inflation sur le pouvoir d'achat des Français, au Sénat le 1er mars 2023.

Prononcé le 1er mars 2023

Intervenant(s) : 
  • Olivia Grégoire - Ministre déléguée, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme

Circonstance : Débat d’actualité au Sénat

Texte intégral

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat d’actualité dont le thème, sur la proposition du président du Sénat après concertation avec les groupes, est le suivant : " Les conséquences de l’inflation sur le pouvoir d’achat des Français. "

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Le temps de réponse du Gouvernement à l’issue du débat est limité à cinq minutes.

Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura regagné sa place dans l’hémicycle.

(…)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur, je vous rejoins largement sur le constat, en particulier sur la nécessaire distinction entre l’inflation macroéconomique mesurée par l’Insee et l’inflation ressentie. C’est cette dernière qui est la plus importante à suivre et qui doit être notre boussole.

L’inflation est réelle – elle s’élève à 6,2% sur un an – et le Gouvernement ne le nie pas. La poussée inflationniste est particulièrement élevée sur les produits alimentaires : 14,5% en février, après 13% en janvier.

L’inflation demeure donc soutenue, mais l’Insee a également conclu que la croissance a été positive au quatrième trimestre de 2022. Ainsi, grâce aux mesures prises par le Gouvernement, le pouvoir d’achat de nos concitoyens ne s’est pas effondré au quatrième trimestre.

Cela s’explique notamment par le prolongement du mouvement de baisse des prélèvements obligatoires – suppression de la contribution à l’audiovisuel public et aboutissement du processus de suppression de la taxe d’habitation –, mais aussi par notre politique très volontariste en matière d’emploi.

Je veux aussi citer le versement particulièrement élevé, dixit l’Insee, de primes de partage de la valeur : plus de 1 milliard d’euros, pour aller vite, ont été ainsi versés à un million de salariés, soit une moyenne de 1 000 euros par salarié.

Finalement, malgré une inflation soutenue, le pouvoir d’achat s’est maintenu. Le Gouvernement a beaucoup fait pour cela et nous continuerons de faire en sorte que les efforts soient partagés – nous le savons, les Français en fournissent déjà beaucoup.

Je réponds donc à votre question, monsieur le sénateur : le Président de la République, la Première ministre, Bruno Le Maire et moi-même demandons aux distributeurs de contribuer à ces efforts, en limitant le plus possible l’inflation alimentaire par une action sur leurs propres marges plutôt que sur celles des producteurs. Vous le savez, les négociations se poursuivent à ce sujet.

M. le président. La parole est à M. Serge Babary. (M. André Reichardt applaudit.)

M. Serge Babary. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la guerre en Ukraine, depuis le 24 février 2022, et ses conséquences sur les prix des matières premières ont servi de catalyseur à de profonds bouleversements économiques.

Le premier d’entre eux est le retour de l’inflation qui avait pratiquement disparu depuis plus de vingt ans.

La crise de la covid-19, puis l’apparition de nombreux goulets d’étranglement au niveau des chaînes de production avaient déjà entamé les vertus d’un commerce mondial libéral, fonctionnant en grande partie sur la base d’une énergie à bas coût.

Même si certains économistes envisageaient une reprise modérée de l’inflation en 2022, le retour de cette dernière à des niveaux jamais vus depuis cinquante ans a surpris tous les spécialistes. En effet, l’affaiblissement croissant de la conjoncture mondiale, une mondialisation permettant de baisser les coûts de production, notamment en Asie, et l’abondance des matières premières énergétiques « bon marché » ont fixé durablement l’inflation sous la barre des 2%.

La sortie de la crise sanitaire de 2020 a induit une demande soutenue de la part des ménages, désireux de pouvoir enfin consommer après des semaines de confinement. Les prix de nombreux produits ont ainsi augmenté face à une production insuffisante et désorganisée et à des difficultés de transport.

Mais c’est surtout la guerre en Europe de l’Est qui a perturbé l’acheminement de matières premières énergétiques, industrielles et alimentaires. En réponse aux sanctions occidentales, les Russes ont sensiblement réduit leurs exportations de gaz en direction des Européens, jusqu’à les arrêter.

Il en a résulté une forte hausse des cours du pétrole et, surtout, du gaz européen, qui a entraîné une flambée de l’inflation. Cette dernière a ainsi atteint plus de 10% en zone euro, mettant sous pression le pouvoir d’achat des ménages, entraînant logiquement une baisse de la consommation. La guerre en Ukraine n’a pas provoqué l’inflation : elle l’a renforcée et accélérée.

Paradoxalement, l’inflation a dopé la croissance du chiffre d’affaires des principaux groupes français du CAC 40, qui affichent un résultat net cumulé de plus de 140 milliards d’euros. Ces résultats s’expliquent par des montées en gamme, des plans d’économies, mais aussi et surtout par le fait que la très grande majorité a pu répercuter dans ses prix la flambée des coûts.

Tel n’a pas été le cas, en revanche, des très nombreuses ETI et PME consommatrices d’énergie dans les domaines industriel, agricole et artisanal. Le cas bien concret des nombreuses fermetures de boulangeries en est le meilleur exemple.

Madame la ministre, pourquoi ne pas avoir supprimé le critère lié à la puissance installée permettant de bénéficier des tarifs réglementés de vente d’électricité – les fameux 36 kilovoltampères ?

En début de semaine, les ministres européens de l’énergie se sont retrouvés à Stockholm. Où en est la réforme du marché européen de l’énergie qui avait été annoncée pour la fin de l’année 2022 ? A-t-on enfin obtenu le découplage du prix de l’électricité et du gaz ?

M. André Reichardt. Très bien !

M. Serge Babary. Combinée à l’augmentation du prix de l’énergie, l’inflation des prix des produits de grande consommation ampute significativement le pouvoir d’achat des Français. De 5% à l’été dernier, l’inflation des prix à la consommation sur un an s’établit aujourd’hui à 6,2%.

À cette crise du pouvoir d’achat s’ajoute une crise sociale, voire sociétale. Selon une étude publiée ce lundi, 2,4 millions de personnes bénéficiaient de l’aide alimentaire à la fin de l’année 2022, soit trois fois plus qu’il y a dix ans. En ce début d’année, plus d’un tiers des personnes accueillies sont de nouveaux bénéficiaires.

Dès juillet 2022, notre collègue présidente de la commission des affaires économiques, Sophie Primas, vous enjoignait de cesser cette " politique de chèques dispendieuse et éphémère ", et d’engager " une politique ferme de revalorisation du travail, et notamment de défiscalisation et de socialisation des heures supplémentaires ".

L’exercice était, certes, difficile. Mais, faute d’anticipation et d’évaluation suffisante, la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, dite loi Pouvoir d’achat, n’a eu qu’un " effet pansement ", moyennant un coût non négligeable pour nos finances publiques. Les prix des produits alimentaires ont bondi de 14,5% sur un an ! La confiance des ménages est dégradée, avec un taux d’épargne qui s’établit à 16,6% du revenu brut.

Selon France Stratégie, les conséquences de la crise varient selon le profil des ménages, les personnes âgées et éloignées des centres-villes étant particulièrement exposées.

Alors que les négociations commerciales entre les industriels et les enseignes de la grande distribution s’achèvent aujourd’hui, on nous annonce un " mars rouge ".

Hier, devant nos collègues députés, M. Bruno Le Maire a écarté cette idée et affirmé que des solutions applicables aux produits alimentaires étaient à l’étude. Plus encore, " des mesures efficaces et crédibles " devraient nous être présentées dans quelques jours…

Pourtant, la Fédération du commerce et de la distribution évoque une augmentation à venir de l’ordre de 10%. Et, ce matin même, en plein salon de l’agriculture, la présidente de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) accuse une partie des distributeurs de refuser de payer l’intégralité de la part des agriculteurs.

Les causes de la crise inflationniste, on l’a vu, sont multiples. Cette crise appelle une stratégie claire, des mesures ciblées, et des investissements longs. Madame la ministre, quel sera le plan du Gouvernement pour aider les Français à traverser cette nouvelle crise ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur Babary, je ne reviens pas sur les causes. Je vous remercie d’ailleurs d’avoir rappelé que le retour de la demande post-covid a contribué à booster l’inflation, avant même la guerre en Ukraine.

D’abord, j’ai à cœur de vous répondre sur le bouclier tarifaire, notamment sur votre question précise relative aux 36 kilovoltampères. Vous évoquez, dans votre conclusion, la nécessité de cibler les aides. Je connais la sensibilité de la chambre haute à la dépense publique, et je partage entièrement cette préoccupation.

Ce choix aurait entraîné deux difficultés. Nous aurions été amenés à accompagner des entreprises qui n’auraient pas forcément eu besoin de ce bouclier. Cette prise en charge aurait entraîné des dépenses publiques massives – elles se comptent en milliards d’euros – et n’aurait pas été idoine.

Par ailleurs, je ne voudrais pas que l’on oublie – c’est important – qu’installer des compteurs ne se fait pas du jour au lendemain. Ce n’est pas si facile sur le plan logistique pour les énergéticiens. Cela dit, je connais votre sérieux…

Nous avons choisi de cibler un amortisseur plus un guichet, assez facile à utiliser – impôts.gouv.fr, site sur lequel tout est disponible –, et, pour les TPE, un tarif à 280 euros le mégawattheure lissé sur l’année 2023.

Vous parlez de " pansement " en matière de soutien au pouvoir d’achat. Je veux tout de même insister sur la taille du pansement ! Le bouclier tarifaire, qui protège nos concitoyens de la hausse des prix de l’énergie, représente une dépense de 110 milliards d’euros pour l’État entre octobre 2021 et décembre 2023, soit un plan de relance de la consommation à lui tout seul ! Je ne voudrais pas non plus que l’on oublie le paquet pouvoir d’achat, avec la revalorisation des aides personnelles au logement (APL), des minima sociaux, la prime exceptionnelle de rentrée, l’adoption du chèque énergie exceptionnel, mais aussi, je l’ai dit, la prime de partage de la valeur. Je connais votre sensibilité à la situation des entreprises : 300 000 entrepreneurs de nos TPE ont versé plus de 1 milliard d’euros à 1 million de salariés pour les accompagner face à cette poussée inflationniste.

N’ayant pas assez de temps pour répondre aux autres questions, je le ferai par écrit.

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec les conséquences économiques de la pandémie, les sécheresses et le dérèglement climatique, 2021 réunissait bon nombre de conditions propices à une inflation record.

L’invasion de l’Ukraine par Poutine a encore aggravé cette situation. Les prix de l’énergie ont bondi. La crise alimentaire est devenue plus menaçante lorsque les Russes ont délibérément choisi de bloquer les exportations ukrainiennes de blé.

Nous craignions que la fin du « quoi qu’il en coûte » n’apporte son lot de faillites, et le retour de la guerre en Europe, dans des économies déjà très éprouvées par les confinements, ne présageait rien de bon.

Au cours de la difficile année 2022, les prix ont augmenté, en France, de 6,2%. J’espère ne choquer personne en disant que ce n’est pas si mal. En effet, sur la même année, et à titre de comparaison, l’Argentine a battu son propre record, avec une inflation de 95%. Plus proche de nous, le Royaume-Uni, avec son Global Britain, a enregistré une inflation de 11%, devant celle des États-Unis, à 7%. Au sein de l’Union européenne, l’inflation moyenne constatée sur 2022 a été de 10%.

Avec une guerre à nos portes, avec la raréfaction de notre approvisionnement en gaz et l’envolée du prix des hydrocarbures, avec nombre de centrales nucléaires à l’arrêt, je crois pouvoir dire que nous ne nous en sommes pas trop mal tirés… Cela dit, quand on se compare, on se console, mais, quand on se regarde, on se désole. L’inflation frappe plus fortement les plus démunis de nos concitoyens. Ceux dont le pouvoir d’achat est fortement contraint par les dépenses obligatoires, les dépenses courantes, ceux-là sont en grande difficulté.

Les prix alimentaires ont bondi de 14,5% : cela pèse très lourd dans le budget des ménages français.

C’est aussi le cas, comme chacun sait, des prix de l’électricité. Le prix du mégawattheure est ainsi passé de 220 euros en décembre 2021 à 700 euros au cours de l’année 2022. Il est heureusement redescendu depuis. Malgré le bouclier énergétique, la facture de nos concitoyens a néanmoins augmenté de près de 15%.

Les prix des carburants ont également atteint des sommets, grevant l’activité de tous ceux qui travaillent, les artisans, les chauffeurs, les livreurs et, plus généralement, de tous les Français, particulièrement ceux qui vivent en milieu rural.

Face à ces augmentations, frappant plus violemment les plus vulnérables d’entre nous, la tentation est grande de recourir à l’argent public. Entre la crise de la covid-19 et les difficultés économiques que nous rencontrons actuellement, notre dette publique s’est elle aussi envolée. De 2 300 milliards d’euros en 2019, elle avoisine désormais 3 000 milliards d’euros. Avec la remontée des taux d’intérêt, cet état de fait est alarmant. Il est urgent de renverser la vapeur et de commencer à réduire notre dette publique.

Dans ce contexte, quelles solutions pour améliorer le pouvoir d’achat de nos concitoyens ? J’en vois principalement deux.

La première – je l’affirme, au risque de choquer – est la sobriété. En 2022, année de grandes tensions énergétiques, la consommation électrique de notre pays a nettement baissé par rapport à 2021, grâce, notamment, aux efforts consentis par nos entreprises et nos concitoyens. À travers nos écogestes, nous avons même réussi à diminuer notre consommation par rapport à l’année 2020, marquée par les confinements – les gens étaient beaucoup restés chez eux.

Les prix délirants de l’énergie rendent bien plus rentables les travaux d’isolation et les énergies renouvelables. La sobriété présente, en outre, l’avantage de ne pas participer à la spirale inflationniste.

La seconde solution pour le pouvoir d’achat est le travail. Les aides gouvernementales sont toujours prélevées sur nos concitoyens, que ce soit par l’impôt ou par la dette. Nous ne devons jamais l’oublier.

À cet égard, nous saluons, madame la ministre, l’effort du Gouvernement, qui, depuis 2017, s’efforce de réduire le poids des contributions sur nos entreprises et nos concitoyens. Nous souhaitons qu’il poursuive cet effort, notamment s’agissant des impôts de production.

Il nous faut favoriser les investissements dans nos territoires, tant dans les infrastructures que dans l’appareil productif. Le dérèglement climatique nous exhortait depuis longtemps à changer nos modes de production. La crise que nous traversons peut être l’accélérateur de ce changement.

Les Chinois désignent par un même mot " crise " et " opportunité ". Il y a longtemps que les Français le savent : à défaut d’avoir du pétrole, nous nous devons d’avoir des idées – et des bonnes !

M. le président. La parole est à M. Paul Toussaint Parigi. (Mme Monique de Marco applaudit.)

M. Paul Toussaint Parigi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les chiffres sont historiques : les prix à la consommation ont augmenté de 6,2% sur un an et, sur les six derniers mois, les structures alimentaires partenaires du réseau des banques alimentaires ont accueilli un tiers de personnes en plus.

La hausse des prix creuse dramatiquement l’écart entre les Français, qui, selon leurs revenus, mais aussi leurs lieux et conditions de vie, subissent plus ou moins fortement les conséquences de la crise. Celle-ci marginalise et précarise à vitesse accrue une grande partie de nos concitoyens.

À titre d’exemple, selon les récentes études de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et de France Stratégie, le choc varie fortement en fonction du profil des ménages, les personnes âgées, pauvres et éloignées des centres-villes étant plus touchées. Si l’inflation moyenne sur l’année 2022 se situait à 5,2%, elle était de 8,5% pour les ménages les plus exposés et de 3,4% pour les moins touchés, soit un écart de cinq points en défaveur des plus précaires.

Cela, je le constate chaque jour en Corse, sur mon territoire, majoritairement rural, dont 18% de la population vit sous le seuil de pauvreté, contre 15% au niveau national. Chaque jour, je constate les ravages de la crise, qui accentue la précarité et creuse les inégalités, car, à ses conséquences s’ajoutent, pour notre territoire, les surcoûts induits par l’importation de nombreux produits et matières premières.

Force est de constater que les mesures apportées par le Gouvernement sont, à ce stade, insuffisantes et trop ponctuelles face à une crise qui s’enracine, à une précarisation structurelle, qu’il a, hélas, contribué à aggraver en actant de nombreuses régressions sociales : réforme de l’assurance chômage, baisse des APL… Quant aux mesures temporaires, comme la revalorisation anticipée des minima sociaux en deçà de l’inflation, elles n’apportent aucune solution durable.

Pis, le Gouvernement agite et se vante de mesurettes à l’effet d’un moulinet par temps de canicule : je pense à la création d’un panier anti-inflation sur une cinquantaine de produits, basé sur le volontariat. Nous ne pouvons qu’en remercier le Gouvernement, dont l’action ambitieuse est à la hauteur des enjeux…

Cependant, en 2021, une étude de l’Insee sur l’aide alimentaire montrait que 64% des personnes interrogées exprimaient de la honte à se rendre aux points de distribution de l’aide alimentaire. La création d’une prime alimentation aurait limité tout effet de stigmatisation et laisserait les personnes actrices de leur alimentation.

Au cours des derniers mois, notre groupe avait présenté plusieurs propositions afin d’aider les Français face à l’envolée des prix.

Nous avions proposé, dès juillet dernier, de protéger les plus précaires en établissant des mesures visant à limiter à 1% la hausse des loyers pour les locataires. L’Espagne a suivi cette voie, en limitant la hausse à 2%. Nous avons défendu l’augmentation des salaires, notamment du salaire minimum, porté à 1 500 euros net. Aujourd’hui, nous défendons une augmentation substantielle des minima sociaux au-delà du seuil de pauvreté, comme l’instauration d’un revenu minimum garanti. Aucune de ces propositions, pourtant efficaces immédiatement et sur le long terme, n’a trouvé écho du côté du Gouvernement. Nous ne pouvons que le regretter.

Enfin, j’ajoute que, si l’inflation actuelle a des origines conjoncturelles, notamment du fait de la guerre en Ukraine et de ses conséquences sur l’acheminement de produits agricoles et énergétiques, nous serions tous coupables si nous omettions un facteur structurel : celui de la raréfaction des ressources.

En effet, nombreuses sont les études scientifiques qui ont directement lié la baisse des rendements agricoles ou encore de la production industrielle à la hausse des températures. Le réchauffement climatique impacte donc de manière durable les coûts et les volumes de production, entraînant une hausse inexorable des prix.

La Banque centrale européenne a déjà alerté à plusieurs reprises sur le sujet. La dégradation de l’environnement, associée à la raréfaction des ressources, nous expose à une inflation de fond, qui touchera plus durement les Français les plus modestes. C’est pourquoi nous ne cesserons de le rappeler : il est aujourd’hui urgent de donner à la France les moyens de réussir sa transition écologique et de mettre en place une économie au service de la construction de la sobriété.

Aujourd’hui, nous sommes au regret, madame la ministre, de constater que le Gouvernement n’apporte aucune solution durable à cette crise sans précédent qui s’annonce. (Mme Monique de Marco et M. Éric Bocquet applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Parigi, chacun qualifie comme il le veut les mesures mises en place par le Gouvernement, mais je ne peux pas ne pas réagir lorsque vous parlez de " mesurettes " à propos de ce que nous faisons depuis maintenant deux ans et demi.

D’abord, vous aurez remarqué que je n’ai pas commencé par rappeler les chiffres de l’inflation. Or, quelle que soit la façon dont on peint le tableau, la France s’en sort mieux que l’ensemble de ses voisins européens. Ce n’est pas le fruit du hasard, auquel je ne crois pas. C’est le fruit d’une politique économique, d’un combat pour l’emploi, d’un travail de fond pour faire baisser les prélèvements obligatoires et les impôts que paient les Français et pour augmenter leur pouvoir d’achat.

Je le répéterai aussi souvent que nécessaire : nous avons prévu 110 milliards d’euros de soutien à la demande par le truchement du bouclier tarifaire pour nos compatriotes. Si c’est une " mesurette ", que l’on m’explique comment on construit un budget ! À titre de comparaison, l’ensemble des Français paient 86 milliards d’euros d’impôt sur le revenu. Autrement dit, nous avons mis plus pour accompagner les Français durant cette période que ce que nous récoltons en matière d’impôt sur le revenu ! Nous avons augmenté les minima sociaux.

Vous considérez, monsieur Parigi, que ce que nous avons fait est, en un mot, assez " nul ". Chacun pense ce qu’il veut, mais j’ai à cœur de vous faire part de ce que cela donne, pour un certain nombre de nos compatriotes, des aides allant de 377 à 416 euros selon le nombre et l’âge des enfants par famille pour l’allocation de rentrée scolaire. Cela donne aussi, grâce à l’augmentation du point d’indice, un accompagnement de 687 euros net annuels pour une secrétaire de mairie ayant quinze ans d’ancienneté, mais aussi un gain de 543 euros net annuels pour un agent d’accueil en début de carrière, par exemple.

Par conséquent, je ne suis pas d’accord pour que l’on dise que ce sont des " mesurettes ". Cependant, vous pouvez dire que vous auriez fait autrement : c’est le charme des échanges que nous pouvons avoir au sein de la chambre haute !

M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pendant plus de trente ans, la hausse durable des prix, leur hausse généralisée, à la fois sur les biens et les services, a été contenue en France.

La rupture intervenue à l’été 2021 fut soudaine, avec des conséquences négatives sur le pouvoir d’achat des Françaises et des Français, sur le fonctionnement de nos services publics, de nos entreprises et de nos collectivités. Cette rupture fut violente, en particulier pour les plus modestes. De fait, le renchérissement du coût de la vie touche avant tout les produits alimentaires et l’énergie. Il touche aux fondamentaux de notre vie quotidienne. C’est, par conséquent, pour les responsables publics que nous sommes, une préoccupation majeure, d’où l’organisation de débats réguliers, dont celui de cet après-midi.

Les causes sont multiples et de natures différentes. Certaines sont d’ordre conjoncturel, quand d’autres sont plus structurelles. Elles produisent, en somme, un effet cocktail.

Cette inflation est la conséquence de la sortie de la crise pandémique, avec une demande qui a nettement pu augmenter, plus fortement que l’offre, restée fragile sur certains produits. Elle est la résultante de l’agression militaire russe en Ukraine, qui a occasionné une baisse des exportations et une montée des prix des matières premières. Elle est aussi alimentée par la baisse de l’euro, qui a renchéri le prix des importations. Les prix de l’énergie ont aussi été mis sous pression.

Au reste, l’explication ne réside pas que dans le contexte international. Elle réside aussi dans un fait durable : l’épuisement des sources d’énergies fossiles, couplé avec l’impérative transition écologique, qu’il nous faut nécessairement mener de front.

La rupture fut et demeure cependant moins appuyée en France qu’ailleurs.

Avec un taux à 6,2% sur un an, selon la dernière note de l’Insee, publiée hier, la France reste en dessous de la moyenne de la zone euro, et le pic inflationniste devrait être atteint cette année. Les explications sont à trouver dans les politiques mises en œuvre depuis maintenant plus d’un an. Contre l’inflation, l’État a agi, agit et agira encore. Nous soutenons toutes vos actions, madame la ministre.

En effet, afin de soutenir le pouvoir d’achat, de nombreuses mesures ont été adoptées, avec la revalorisation des minima sociaux, des prestations sociales et familiales, de même que des pensions de retraite de base.

Globalement, les dispositifs de soutien ont porté sur l’encadrement des prix de l’énergie : 12 millions de ménages – les plus modestes – ont été destinataires d’un chèque de 100 euros ou de 200 euros en décembre dernier. Un chèque exceptionnel a été attribué à ceux qui se chauffent au fioul ou principalement au bois.

L’action sur le travail a également été résolue : revalorisation du point d’indice des agents publics, « prime Macron » devenue " prime de partage de la valeur ". Ce dispositif pérenne, que les entreprises peuvent mettre en place chaque année, a bénéficié à 5,5 millions de salariés en 2022, en augmentation de 50% par rapport à 2021, et avant tout au sein des petites entreprises. La prime s’est élevée, en moyenne, à 739 euros, pour un total de 4,4 milliards d’euros. Elle a contribué à préserver le pouvoir d’achat des ménages en 2022, en dépit de la hausse des prix, ainsi que l’Insee le rappelle également.

J’en profite pour saluer l’accord intersyndical validé par la CFE-CGC, la CFDT, FO et la CFTC. Son objectif est de généraliser largement des dispositifs tels que l’intéressement, la participation et la prime de partage de la valeur à toutes les entreprises de plus de 11 employés. Nous avançons sur ce point essentiel.

Je forme le vœu que nous continuions à avancer lors de l’examen du futur texte relatif au plein emploi. Je pense, enfin, aux projets de loi relatifs à l’énergie adoptés ou en cours de discussion au Parlement.

Je citais les derniers chiffres de l’Insee. Quel est le constat, dans le détail ? La baisse des coûts de l’énergie est de 14% sur un an, contre 16,3% en janvier, mais la hausse persiste sur les prix de l’alimentation et des services. Alors que les négociations annuelles entre distributeurs et industrie agroalimentaire s’achèvent, les prix dans les rayons des supermarchés pourraient encore grimper.

Il est, par conséquent, nécessaire, madame la ministre, que ce domaine fasse l’objet d’une vigilance particulière afin de maîtriser ce que j’appellerai " l’inflation de l’assiette ". En visite au salon de l’agriculture, samedi, le Président de la République s’est exprimé à destination des pêcheurs, en donnant de la visibilité sur les aides, mais aussi sur la hausse des prix dans les supermarchés, en appelant les distributeurs à " faire un effort sur leurs marges ".

Il y a la détermination de nouvelles mesures, adaptées, ciblées, et puis il y a l’optimisation du recours aux dispositifs existants.

Par exemple, pour aider les Français modestes à faire face à la flambée des prix du carburant, le Gouvernement a mis en place une indemnité de 100 euros. Parce que plusieurs millions de conducteurs éligibles ne s’étaient pas encore manifestés, vous avez annoncé la prolongation du délai de demande jusqu’à la fin du mois de mars. Nous devons diffuser l’information sur les aides dans nos territoires respectifs.

Je veux conclure en soulignant la situation en outre-mer. Le ministre Jean-François Carenco a présenté, en décembre, un plan pour préserver le pouvoir d’achat des Ultramarins. Fruit d’intenses négociations, ce plan traitait essentiellement de l’élargissement des boucliers qualité-prix adaptés à chaque territoire. Où en est-on de cet " Oudinot du pouvoir d’achat ", à la carte, alors que, au-delà de cette période inflationniste, la vie chère est un problème structurel en outre-mer ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Madame la sénatrice Nadège Havet, je suggère, si vous m’y autorisez, de répondre par écrit à votre question sur l’Oudinot contre l’inflation outre-mer, après la présente séance, ce qui me permettra d’être parfaitement complète – le sujet est trop important pour que je l’élude.

Vous m’avez également interrogée sur la prise de parole du Président de la République au salon international de l’agriculture samedi matin et sur les actions que nous appelons de nos vœux pour continuer à juguler ensemble la poussée inflationniste, qui, même si elle est moins forte en France qu’ailleurs, reste assez soutenue en matière alimentaire, et, comme l’ont dit nombre d’entre vous, frappe en réalité très diversement nos concitoyens – elle touche d’abord les plus fragiles.

C’est un sujet sur lequel nous continuons à travailler. L’idée est assez simple. Nos compatriotes apportent leur contribution en payant cette hausse des prix. L’État a pris sa part : je ne reviens pas sur le bouclier tarifaire ni sur l’ensemble des aides, mais je rappelle qu’il y va de 46 milliards d’euros en 2023, soit, pour vous donner une idée, plus que le budget du ministère de la défense. Si nous parvenons à un prix à 280 euros le mégawattheure pour les TPE et à faire avancer le sujet avec les PME, c’est parce que les énergéticiens ont fait un effort. Total a aussi contribué. Le Président de la République a effectivement demandé aux distributeurs, avec Bruno Le Maire, de consentir un effort, en prenant sur leurs marges.

Nous attendons des propositions dans les prochains jours. L’objectif est d’aboutir à une solution collective, juste, où les distributeurs prendraient sur leurs marges, et non sur celle des producteurs ou de l’amont de la chaîne et, surtout, à une solution rapide qui soit efficiente et surtout opérationnelle pour les Français dans les supermarchés dès l’arrivée du printemps, qui, vous le savez, commence à la fin du mois de mars…

Nous sommes en train d’échanger et nous continuerons à le faire dans les prochains jours pour trouver une solution qui accompagne nos compatriotes durant les prochains mois.

M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Viviane Artigalas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Bruno Le Maire a dit, la semaine dernière, qu’il ne croyait pas aux prévisions des économistes, qui estiment qu’il faut s’attendre à un " mois de mars rouge " et à une inflation qui dépasserait les 10 % sur les produits alimentaires. Il a dit : " Ce n’est pas la réalité. "

J’aimerais vous rappeler ce qu’est de plus en plus la réalité quotidienne de nos concitoyens depuis près d’un an.

Les prix à la consommation ont augmenté de 6%. À cause de l’inflation, le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire a augmenté de 10% en 2022. Les retraités et les étudiants sont touchés, mais aussi les personnes qui ont un emploi.

Les prix de l’énergie ont augmenté de 16%, malgré le bouclier tarifaire et la " remise à la pompe ".

Dans les outre-mer, l’inflation et la forte dépendance de ces territoires aux importations, via l’aviation et le fret maritime, se répercutent particulièrement sur le prix des produits alimentaires. Dans ces mêmes territoires, les mêmes mécanismes entraînent les mêmes conséquences sur les populations les plus précaires. Ils renforcent le sentiment prégnant d’une " vie encore plus chère ", en raison d’un coût de la vie déjà supérieur à celui de la métropole. C’est aussi cela la réalité !

Cette hausse globale des dépenses contraintes a un impact direct sur la capacité des plus modestes à se loger. Le nombre de ménages en retard de paiement de loyer de plus de trois mois a augmenté de plus de 10 % en deux ans.

La précarité dans le logement, c’est aussi la précarité énergétique : 5,6 millions de Français sont dans cette situation, et le chiffre ne baisse pas. Avec la loi Climat et résilience, le Gouvernement s’est fixé pour objectif d’éradiquer les logements énergivores d’ici à 2028.

Or, avec 37% des passoires thermiques occupées par des ménages vivant en dessous du seuil de pauvreté, avec un reste à charge extrêmement important pour les familles modestes, avec une réelle difficulté d’accès aux droits et aux aides auxquelles elles peuvent prétendre, faute d’un accompagnement adéquat, comment réussir à atteindre un tel objectif ?

Nous formulons inlassablement des propositions dans le cadre de l’examen des projets de loi de finances successifs ou en déposant des textes législatifs, madame la ministre. Ainsi, mon collègue Rémi Cardon et moi-même avons récemment déposé une proposition de loi visant à recentrer l’effort budgétaire du pays sur l’éradication des passoires thermiques, à mettre en place un reste à charge zéro pour les personnes les plus précaires et à assurer un égal accès aux dispositifs d’accompagnement sur tous les territoires, y compris dans les zones peu denses.

Si les mesures que vous avez prises contiennent l’inflation et limitent les hausses des prix de l’énergie, elles ne sont ni pérennes ni structurelles et ne ciblent pas les classes moyennes et populaires, qui sont les plus en difficulté. Elles n’apportent pas une réponse sur le long terme.

Vous ne pouvez pas dire qu’il n’y aura pas de mars rouge : les Français sont déjà dans le rouge ! Pour lutter contre les conséquences de l’inflation, il faut de la cohérence et une véritable justice sociale.

Le forfait charges des APL doit être réévalué. De même, le chèque énergie doit atteindre sa cible : les personnes chauffées en collectif, les locataires du parc social, les copropriétaires et les personnes hébergées en foyers ou résidences sociales ne peuvent pas y recourir pour payer leurs factures. Toutes ces personnes ne peuvent pas utiliser le chèque énergie alors qu’elles y sont éligibles. Comment expliquez-vous cette inégalité ?

On demande aux 5,6 millions de ménages en situation de précarité énergétique, c’est-à-dire les plus exposés aux aléas climatiques et à la hausse du prix de l’énergie, d’agir pour la sobriété énergétique dans le cadre de la transition écologique. Comment leur reprocher d’éprouver un fort sentiment d’injustice ? Alors qu’ils sont les moins favorisés, ils sont les premiers à payer la facture. Et il en faut peu, madame la ministre, pour que ce sentiment ne se transforme en colère ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dès le mois de décembre 2020, les prix de l’énergie ont massivement augmenté : +41% pour le gaz entre décembre 2020 et octobre 2021, +21% pour le carburant, +4% pour l’électricité.

La tendance s’est confirmée en 2022, l’envolée des prix de l’énergie nous ayant entraînés dans une spirale inflationniste, jusqu’à atteindre des niveaux jamais vus depuis les années 1980.

Au mois de janvier 2023, les prix de l’énergie ont ainsi crû de 16,3% en glissement annuel, tandis que ceux de l’alimentation ont connu une hausse de 13,3%. Concrètement, pour les ménages, cela se traduit par +20% pour les pâtes, +29% pour le steak haché, +34% pour les légumes frais et – chacun s’en souvient – jusqu’à +120% pour l’huile de tournesol ! Le passage en caisse devient une épreuve…

Pour beaucoup, il faut choisir : manger, se chauffer ou se déplacer. En effet, plus de 10 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, dont un enfant sur cinq, et 7 millions se trouvent dans une situation de précarité alimentaire et doivent recourir à l’aide alimentaire. La fréquentation des Restos du cœur a ainsi augmenté de 12% en six mois, nous conduisant à une situation inédite.

Le 6 octobre 2021, six mois avant le début du conflit russo-ukrainien, le journal Les Échos s’inquiétait sur ces " traders pris dans la folie spéculative du prix du gaz ". Et pour cause : en un mois, l’activité sur les options, c’est-à-dire les produits dérivés spéculatifs sur la matière première, avait bondi de 158%.

Dans la même veine, si l’invasion de l’Ukraine par la Russie a bouleversé les chaînes de distribution, certaines entreprises, profitant de leur position dominante sur les marchés, ont spéculé sur les prix des denrées alimentaires ou ont augmenté leurs marges.

Mais tout cela n’est pas nouveau. Cela fait près de trois ans que nous vous alertons et que les associations vous alertent sur la paupérisation croissante d’une part toujours plus importante de la population.

Même son de cloche du côté des PME : pour les entreprises du secteur agroalimentaire, les coûts ont augmenté, par rapport à 2021, de 29% pour les matières premières agricoles, de 26% pour les emballages carton et plastique et de 57% pour l’énergie.

Et ce n’est pas fini : en 2023, la facture d’électricité et de gaz va être multipliée par trois par rapport à 2022 et par cinq par rapport à 2021, voire davantage.

En ce sens, ce débat d’actualité n’en est pas vraiment un. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un bilan des mesures prises par le Gouvernement pour tenter d’enrayer l’inflation, la spéculation et la perte de pouvoir d’achat.

Où est le chèque alimentaire promis dès 2020 par le Président de la République ? Comment expliquer que 50 % des personnes ayant droit à l’indemnité carburant d’un montant de 100 euros ne la demandent pas ? Idem pour le chèque énergie.

Par ailleurs, le bouclier tarifaire exclut de nombreuses entreprises qui, en raison des équipements nécessaires à leur activité, possèdent un compteur électrique dont la puissance excède 36 kilowattheures. L’amortisseur énergie se révèle également insuffisant au regard de l’explosion cumulée des prix des matières premières et des produits énergétiques. En outre, la complexité des différents dispositifs ne permet pas aux bénéficiaires de s’en saisir massivement.

Alors oui, comme le soulignent de nombreux observateurs, le prix des biens de première nécessité a moins augmenté en France que dans d’autres pays, mais il a tout de même augmenté dans des proportions sensibles.

Alors que de nombreux États ont mis en place des mesures de revalorisation des salaires, vous avez préféré des mesures ponctuelles, sans portée générale. Vous continuez de ménager le capital au détriment du travail. Pourtant, la relégation de la question des salaires en marge du débat politique explique, pour l’essentiel, la baisse de la qualité de vie de nos concitoyennes et de nos concitoyens.

Ainsi, la France est, selon l’OCDE, le pays qui a subi la plus forte baisse des revenus réels au deuxième trimestre 2022, là où la majorité des autres pays ont progressé. Et, paradoxalement, alors que les dividendes battent chaque jour des records, notre pays connaît une hausse de la pauvreté " inédite depuis de très nombreuses années ", selon les mots d’Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations unies.

Manger à sa faim, se chauffer, se soigner, cela devrait constituer un droit fondamental et une priorité politique. C’est la pauvreté qu’il vous faudrait combattre, par un véritable blocage des prix alimentaires, par une augmentation des salaires et des minima sociaux, par un tarif réglementé du gaz et de l’électricité pour tous et par la sortie du marché européen de l’énergie : autant de mesures que nous portons dans cet hémicycle de manière constante. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Bocquet, sans avoir l’espoir de parvenir à vous convaincre, je tiens tout de même à partager deux ou trois points.

Tout d’abord, nous ne serons effectivement pas d’accord sur une chose : quand le taux de chômage est de 7,2 % après six ans d’action résolue, quand le taux de chômage de nos jeunes est au plus bas depuis qu’on le mesure, quand la réindustrialisation de la France est en cours – cela prend du temps, car nous partons effectivement de loin –, quand 1 725 décisions d’investissement porteuses d’emplois industriels sont recensées dans notre pays, alors même que ces emplois quittaient le pays depuis quinze ans ou vingt ans, oui, la meilleure façon d’augmenter le pouvoir d’achat, c’est le travail.

Je sais que nous ne serons sûrement pas d’accord, mais c’est par le travail que nous nous en sortirons, pour des raisons non seulement pécuniaires, mais aussi d’épanouissement personnel.

C’est donc vers le travail que convergent nos efforts, notamment notre politique fiscale, dont l’allégement des prélèvements sociaux. Nous n’avons pas oublié, et j’imagine que vous non plus, la baisse des cotisations sur les feuilles de paie qui a augmenté les salaires nets en 2018. Cela fait six ans que nous nous battons pour que le travail paye mieux.

Est-ce à dire que nous ne faisons rien ? J’ai été chargée de l’économie sociale et solidaire, et j’ai trop de respect pour les acteurs associatifs pour le laisser dire. Le projet de loi de finances rectificative pour 2022 affecte quasiment 60 millions d’euros aux associations. Hier encore, le ministre Jean-Christophe Combe a annoncé que 60 millions d’euros seraient dédiés en 2023 à l’aide alimentaire de qualité.

Et je passe sur les vingt-sept appels à projets du plan de relance dont j’ai eu l’honneur de parler aux banques alimentaires pour que l’État, tout au long des années 2020 et 2021, continue de les soutenir financièrement.

Oui, nous nous battons pour que les gens travaillent et que le travail paye mieux ! Oui, nous accompagnons dans le même temps ceux qui, n’ayant pas de travail, ont besoin de la solidarité nationale ! J’avais à cœur de le rappeler.

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, rarement un débat sera tombé aussi à point.

Si nous devions nous interroger sur l’intérêt des débats d’actualité, celui d’aujourd’hui nous apporterait sans doute une réponse positive. À quelques heures de la fin des négociations commerciales, la grande distribution, les agriculteurs, les industriels et le Gouvernement se renvoient la balle sur une hausse à venir de 10% des prix alimentaires.

Des chiffres filtrent : les boîtes de Nesquik augmenteraient de 25%, tandis que Coca-Cola envisagerait une hausse de 17%.

Si l’inflation ralentit et si nous avons jusque-là évité la boucle prix-salaires, la hausse des prix alimentaires est, elle, plus alarmante. Même si nous essayons de faire la part des choses, nous ne pouvons qu’être inquiets.

Bien sûr, 6,2% d’inflation en France, c’est mieux que 8,5% dans l’ensemble de l’Union européenne. Bien sûr, le Gouvernement a su mettre en place un certain nombre de mesures pour soutenir le pouvoir d’achat, comme la remise carburant, l’indemnité inflation, le chèque énergie, le bouclier tarifaire sur le gaz et l’électricité ou encore les aides ciblées aux ménages et aux entreprises.

Toutefois, les chiffres de l’inflation alimentaire de février, sur un an, ont été connus hier : 14,5%. Le constat est simple : l’évolution des prix des denrées alimentaires est beaucoup plus forte que celle de l’inflation. En outre, ce qui filtre des discussions en cours laisse entrevoir de nouvelles hausses élevées, sans doute de niveau équivalent. Le président de Système U a évoqué 10% d’augmentation et celui de Carrefour s’est montré plus alarmant encore.

L’addition des 14,4% déjà constatés avec la hausse attendue de 10%, si elle devait se confirmer, fait froid dans le dos. Il y a, bien entendu, une part de bras de fer dans cette confrontation annuelle entre chacun des acteurs de la distribution, mais cela pose question. Les distributeurs accusent les transformateurs, qui désignent du doigt les hausses des prix des matières premières, voire les agriculteurs. Le Gouvernement demande aux grandes surfaces de réduire leurs marges et évoque un panier, ou un chariot de prix alimentaires à maintenir sous contrôle. Pouvez-vous nous dire, madame la ministre, où en sont ces discussions et quels dispositifs vous pensez pouvoir mettre en œuvre ?

On peine à expliquer totalement ces augmentations. L’année dernière, la guerre en Ukraine, les prix de l’énergie, des matières premières, des transports et des produits manufacturés pouvaient expliquer l’inflation alimentaire. Mais en 2023, ces chiffres sont bien moindres.

Bien sûr, le niveau des prix de production relaie peu à peu l’inflation déjà constatée et se diffuse. L’inflation des prix de production serait de 17%. Ce chiffre, au demeurant élevé, est inférieur à celui du reste de l’Union européenne. Faut-il y voir l’une des causes des augmentations attendues ?

Quoi qu’il en soit, si le pouvoir d’achat a pu être préservé en 2020 et en 2021, il a baissé de 0,2% en 2022, et nous risquons de perdre l’acquis en 2023. Il est vrai qu’en 2022, les salaires ont augmenté de 4,2% en moyenne alors que l’inflation s’élevait à 6%. L’évolution du niveau des prix sera donc plus marquée que celle du niveau des salaires. Les aides de l’État et les primes ne pouvant pas rester élevées, le moral des ménages se dégrade.

En somme, le problème est que les salaires augmentent moins vite que l’inflation et que la consommation s’en trouve affectée, alors qu’elle constituait jusque-là un moteur de l’économie. Sur ce point, il nous faut nous interroger sur les manières d’aborder l’avenir.

La soutenabilité de notre budget nous appelle évidemment à la plus grande vigilance ; c’est toute la quadrature du cercle. Elle suppose un effort collectif reposant sur la maîtrise de la dépense qui doit être couplée à la recherche d’une plus grande efficacité de celle-ci. Il y a là une contradiction dont il nous faut sortir. À cet égard, la croissance et la maîtrise de l’inflation sont des nécessités. Comment voyez-vous les choses sur ce point, madame la ministre ?

En attendant, il nous faut répondre de manière segmentée à plusieurs urgences.

L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a publié une étude sur les mesures budgétaires importantes qui ont été mises en place et leurs effets sur le pouvoir d’achat des Français en 2022 et 2023. Il estime qu’en 2023, le pouvoir d’achat pourrait revenir à son niveau de la fin de l’année 2019, avant la crise sanitaire, et se réduire de 1,2% à 2% entre la fin de l’année 2021 et la fin de l’année 2023 ; sans les mesures qui ont été prises, la baisse aurait pu atteindre 5%.

Cela prouve l’efficacité des mesures appliquées : le bouclier tarifaire et la remise carburant ont, semble-t-il, permis de soutenir le pouvoir d’achat à hauteur de 790 euros en moyenne en 2022 et auraient soutenu le niveau de vie des ménages les plus modestes de 5,1%, contre 2,2% pour les ménages les plus aisés.

L’inflation affecte les ménages de manière inégale en fonction de leurs revenus, de leur situation personnelle et de leur lieu de vie. Toujours selon les travaux de l’OFCE, les ménages ruraux, les plus éloignés des centres urbains et les plus modestes seraient les plus touchés par ce phénomène inflationniste. Madame la ministre, cela nous invite à réfléchir à des mesures différenciées pour prendre en compte l’impact disparate de l’inflation. S’il est évidemment très difficile de prendre des mesures catégorielles, nous voyons bien que l’inflation n’affecte pas chacun de la même manière selon l’âge ou le lieu d’habitation.

Selon une étude des banques alimentaires, le nombre de personnes bénéficiant de l’aide alimentaire a triplé en dix ans, avec une hausse de 10% en 2022. Quelque 2,4 millions de nos compatriotes ont été accueillis par ces structures en 2022 pour bénéficier d’une nourriture gratuite ou très peu chère. Je n’oublie pas, madame la ministre, l’effort réalisé en matière d’emploi et de soutien. Mais je ne veux pas non plus nier les difficultés.

Avant de conclure, je tiens à mettre l’accent sur l’envolée des taux d’intérêt, qui affecte la capacité des ménages primo-accédants à devenir propriétaires. Beaucoup d’entre eux sont exclus du marché, ce qui constitue une grande difficulté. C’est un point d’alarme, tant pour le secteur de l’immobilier et de la construction que pour ceux qui veulent accéder à la propriété.

Dans un contexte de hausse des taux, il serait utile aux accédants de proroger le prêt à taux zéro (PTZ), dispositif phare du soutien à la propriété, de même que de développer massivement le bail réel solidaire, notamment pour les jeunes ménages. En tout état de cause, la cherté et la difficulté d’accession constituent un vrai sujet de préoccupation.

En outre, étant donné le poids du logement dans le budget des ménages, il y a sans doute une réflexion à conduire pour mieux adapter les loyers des locataires ou futurs locataires du parc social.

Nous mesurons, madame la ministre, l’ampleur des difficultés et l’effort qui a déjà réalisé. Nous avons dans cet hémicycle une pleine conscience des contraintes budgétaires. Mais les mesures que le Gouvernement doit annoncer sont, pour beaucoup, une question de vie quotidienne, pour ne pas dire une urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur, je vous remercie de la précision de vos chiffres et de vos sources. Il est vrai que le débat tombe à point nommé, comme vous avez été nombreux à le souligner sur toutes les travées. Il ne vous a pas échappé que je ne me suis pas cachée derrière des chiffres macroéconomiques et que je reconnais la réalité de l’inflation et de l’inflation alimentaire ressentie par nos compatriotes. Étant chargée des PME, mais aussi de la consommation, c’est à l’aune de cette inflation ressentie que je raisonne.

Pour corroborer vos propos, je rappelle que l’Insee a estimé hier encore qu’au total, le pouvoir d’achat a été globalement préservé sur l’année 2022. Il ne faut pas oublier de prendre en compte, ce que vous avez fait, l’ensemble des mesures que nous avons adoptées, notamment les chèques énergie.

Ainsi, le pouvoir d’achat dit « ajusté » progresse même de 1,2% en 2022. J’en profite pour répondre au sénateur Babary, car les bonnes nouvelles sont rares : le taux de marge de nos entreprises progresse aussi au quatrième trimestre 2022, s’établissant en moyenne à 32% sur l’année. Il baisse un peu par rapport à 2021, qui était une année particulière, mais demeure 0,5 point au-dessus de son niveau de 2018. Malgré la crise inflationniste qui a succédé à la crise sanitaire, le taux de marge de nos entreprises est en augmentation.

Vous m’avez interrogée sur l’avancement de nos travaux sur la grande distribution. À la demande du Président de la République, nous travaillons d’arrache-pied, Bruno Le Maire et moi-même, pour embarquer les distributeurs à nos côtés et aboutir à une solution collective, rapide et juste. J’ai proposé une idée, qui est une sorte de mise de jeu ; je n’ai jamais dit que c’était la solution et encore moins qu’elle était parfaite. Elle a toutefois le mérite d’exister et de pouvoir être critiquée ou soutenue. J’attends d’autres propositions dans les jours à venir pour répondre à l’objectif de payer moins cher à la caisse.

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce matin, je regardais une émission sur une chaîne d’information en continu qui titrait : Inflation : mars, le mois de tous les dangers. Je vous ai aussi écoutée sur une grande chaîne publique, madame la ministre. C’est important ; cela met de bonne humeur. (Sourires.)

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Je le prends comme un compliment ! (Nouveaux sourires.)

M. Patrick Kanner. Au mois de novembre dernier, lors d’une audition par la commission des affaires économiques, M. le ministre de l’économie a confirmé ses déclarations antérieures selon lesquelles l’inflation que nous subissions n’était que transitoire et qu’une baisse des prix interviendrait à partir de la fin de l’année 2022.

Nous sommes au premier trimestre 2023 et cette baisse des prix n’est pas intervenue. Or si, pour certains, trois mois, c’est peu de chose, pour ceux qui éprouvent des difficultés financières, c’est une éternité.

On le sait désormais, cette inflation sera pérenne : les estimations portent plutôt sur une stabilisation d’ici à 2025. Mais de quoi parlons-nous en 2025 ? D’une inflation nulle ? D’une inflation à 2% ou 3% ? Comment évolueront les taux d’intérêt ? Quelle politique sera menée par la BCE ? Personne ne peut le dire, au vu de la vitesse à laquelle évolue l’économie mondiale. Méfions-nous des estimations ; la sagesse nous commande de relativiser toutes les prévisions que nous pourrions faire.

Il faut donc avoir en tête que, malheureusement, les épisodes de chocs économiques que nous avons connus avec la covid-19 sont amenés à se répéter et à devenir de plus en plus fréquents. Les prévisions peuvent donc être faussées, mes chers collègues.

Notre débat porte sur les conséquences de cette inflation sur le pouvoir d’achat des Français, et en particulier des plus modestes. Or, malgré le courrier que m’a envoyé Mme la Première ministre voilà quelques semaines, je reste persuadé que les difficultés éprouvées par les foyers français sont prégnantes.

Aussi, je reste mobilisé, avec mes collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, pour lutter contre la précarisation, contre les fins de mois difficiles, contre toutes ces trappes à pauvreté que ce gouvernement continue de ne pas voir. C’est d’ailleurs pour cela que notre groupe a proposé la tenue de ce débat, et je me réjouis que le président du Sénat l’ait retenu dans le cadre de ce que nous appelons désormais les débats d’actualité du premier mercredi de chaque mois.

Il est important de continuer de porter ces sujets au sein du débat national et d’être les porte-voix de nos concitoyens les plus modestes.

Madame la ministre, aucune prime, aucun chèque ne remplacera une hausse juste et durable des revenus pour maintenir – et seulement maintenir – le pouvoir d’achat. Car non, madame la ministre, l’augmentation du Smic de 8% et les aides ponctuelles mises en place par votre gouvernement ne suffisent pas à compenser la véritable déflagration économique que certains foyers subissent.

Par ailleurs, l’obsession dogmatique du " moins d’impôts ", que vous vous évertuez à ériger comme solution à tous les problèmes, ne me semble pas appropriée au contexte. Le seul ruissellement que nous connaissons, et de plus en plus, c’est celui de la précarité.

Madame la ministre, nous reconnaissons la réalité des mesures que vous avez prises en faveur du pouvoir d’achat. Pour autant, les coupes budgétaires que vous avez opérées pèsent également sur le budget des Français les plus modestes. Je pense bien sûr symboliquement à cette baisse de 5 euros décidée au début du quinquennat précédent sur les aides personnelles au logement.

Ce qu’il faut aux Français, ce ne sont pas des chèques énergie, des chèques carburant ou des chèques de rentrée.

Ce qu’il leur faut, c’est une revalorisation des salaires. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a d’ailleurs rédigé, sur l’initiative de notre collègue Thierry Cozic, une proposition de résolution visant à ce que soit tenu un Grenelle des salaires en France.

Ce qu’il leur faut, c’est que nous mettions fin au désarmement fiscal du pays. Pour rappel, la politique mise en œuvre par votre gouvernement entraînera une perte de 500 milliards d’euros de recettes fiscales entre 2017 et 2027.

Ce qu’il leur faut, c’est une juste répartition des richesses dans les entreprises prospères. Nous vous avons proposé de taxer les superprofits. Nous avons été soutenus par des millions de Français, y compris même par des parlementaires issus du centre. Vous ne nous avez pas entendus.

Il y a quelques jours était confirmé le niveau record des dividendes versés l’an dernier, à hauteur de 140 milliards d’euros. Cette situation n’est pas juste, et elle devient insupportable. Il est demandé à tous les Français de fournir un effort. Ce sera l’objet, dans quelques heures, de nos débats sur les retraites.

La décence voudrait que nous demandions le même effort à tous nos concitoyens, y compris ceux qui ont le plus bénéficié de l’hyperbouclier fiscal depuis maintenant bientôt six ans. Les concitoyens que nous souhaitons aider ne sont pas les plus riches ; ce sont ceux qui font exploser les chiffres des Restos du cœur.

Ce qu’il faut aux Français, madame la ministre, ce ne sont pas des mesures ponctuelles ; c’est une réelle redistribution. Sinon, attention danger ! Le désespoir est source de toutes les colères. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Kanner, " décembre noir ", " juillet vert ", " mars rouge "… Dieu sait si j’aime la peinture, mais je ne crois pas qu’il relève d’un membre d’une équipe de gouvernement de choisir le Pantone des difficultés qui sont devant nous.

En cela, je partage tout à fait la position de mon ministre de tutelle Bruno Le Maire sur le fait que l’inflation est et va demeurer soutenue, sur le fait que nous faisons effectivement face à un choc inflationniste et sur le fait qu’il est indispensable qu’en plus de ce que nous faisons depuis six ans, nous continuions à essayer de faire plus. C’est pour cette raison que nous demandons aux acteurs économiques, en responsabilité, de faire un effort.

En ce qui concerne le choc inflationniste, je suis plutôt d’accord avec vous. N’étant pas devin, je ne saurais indiquer ni son début ni sa fin. En revanche, je suis en mesure de mentionner ce que j’essaye modestement de faire au nom du Gouvernement pour accompagner les Français.

Vous dites être les " porte-voix " des plus modestes. À défaut de porte-voix, le Gouvernement est constitué de " porte-action ". Nous n’avons pas tremblé lorsqu’il a fallu augmenter les minima sociaux ; nous n’avons pas tremblé pour revaloriser, dès le mois de juillet, le point d’indice de 5,7 millions de fonctionnaires, qui a connu sa plus forte hausse depuis trente-sept ans. Cela représente un gain de plus de 1 093 euros nets annuels pour un infirmier anesthésiste avec huit ans d’ancienneté.

Par ailleurs, nous avons revalorisé la prime d’activité de plus de 4%. Vous appelez de vos vœux une conférence sur les salaires ; je l’entends bien. Je sais que vous le savez, car je vous respecte, monsieur le sénateur Kanner, mais je rappelle que, jusqu’à preuve du contraire, l’État ne fixe pas les salaires, et c’est très bien comme cela !


- Conclusion du débat -

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de cet échange qui, malgré nos divergences, pointe un sujet de préoccupation majeure de nos compatriotes. En ce sens, il me semblait indispensable de tenir un tel débat.

De mon côté, j’ai essayé de vous faire part du fait que, indépendamment du choc inflationniste, nous menons depuis maintenant six ans une action résolue pour soutenir le pouvoir d’achat des Français et pour revaloriser le travail.

J’entends aussi, avec beaucoup d’humilité, que les solutions que nous avons apportées semblent largement insuffisantes à certains d’entre vous. Cela a été dit, mais il me semble important de le rappeler : même si c’est compliqué et si le ressenti est très important, il ne faudrait pas oublier que nous demeurons très en deçà de l’inflation que subissent nos voisins européens. Et même si le concept de hasard existe, de tels résultats sont aussi le fruit des politiques économiques que nous avons résolument menées depuis six ans.

Par souci de clarté, et dans le cadre du respect que je porte à la Chambre haute, je ne dirai pas pour autant que nous en faisons assez. En réalité, nous n’en ferons jamais assez pour revaloriser le pouvoir d’achat de nos concitoyens et lutter contre l’inflation, notamment l’inflation alimentaire pour les plus fragiles.

On doit, en humilité, continuer de proposer des solutions. À cet égard, j’ai bien écouté Patrick Kanner, dont je connais l’expérience, et j’ai entendu ses propositions sur les salaires. Attention toutefois à ne pas alimenter la spirale inflationniste, à laquelle certains pays européens ont cédé. Cela pourrait nous conduire, par exemple, comme l’ont fait les Belges, à indexer tous les salaires sur l’inflation. Certes, les Belges ont indexé les salaires sur l’inflation, mais ils n’ont pas de bouclier tarifaire !

Je sais que vous êtes nombreux à raisonner dans le contexte contraint que connaissent nos finances publiques, alors que les taux d’intérêt dépassent désormais 3,14%. L’inflation a aussi – la Bourse de Paris l’a démontré hier – des conséquences directes sur la crédibilité financière de la signature française.

Outre les mesures financières, nous prenons des dispositions qui peuvent sembler secondaires à certains – pas ici –, mais qui ne le sont pas.

Ainsi, grâce à la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat et aux apports du Sénat, nous avons augmenté le pouvoir de choix de nos compatriotes. Désormais, ils pourront plus facilement mettre fin à leur abonnement à un fournisseur de gaz et d’électricité, mais aussi résilier leur abonnement à des magazines et à internet, leur contrat avec une compagnie d’assurances ou une mutuelle. D’ici trois mois, au plus tard le 1er juin 2023, l’ensemble des vendeurs et assureurs devront prévoir un bouton Résiliation en ligne qui soit facile d’accès. Ces mesures permettront aux consommateurs de respirer un peu financièrement.

J’ai pris très à cœur la mission qui a été la mienne pendant près de deux ans lorsque j’étais chargée de l’économie sociale et solidaire. Vous avez été nombreux, notamment sur les travées de la gauche de l’hémicycle, à rappeler la situation d’un certain nombre de nos compatriotes, très fragilisés par la crise. De même que nous avons été présents, avec des montants d’un niveau historique, auprès des banques alimentaires lorsque la situation a été très compliquée, notamment dans le cadre du plan de relance, nous nous mobilisons aujourd’hui. Le ministre Jean-Christophe Combe a annoncé hier la mobilisation d’un fonds de 60 millions d’euros à l’endroit des banques alimentaires. Sachez enfin que la Première ministre n’hésitera pas, s’il le faut, à faire plus pour accompagner nos associations qui soutiennent les plus fragiles.

Je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, de ce débat. J’espère avoir prochainement le plaisir d’échanger de nouveau avec vous sur ces sujets. Nous nous battrons ensemble pour contenir et faire baisser la forte inflation que subissent nos compatriotes, bien moins forte toutefois – il convient de le rappeler –, que celle que connaissent nos voisins européens.

J’ignore si, quand on se compare, on se désole ou on se console, mais je sais, comme l’a dit Michelet, que c’est lorsqu’on se résigne que tout est perdu. Comptez sur moi, je ne suis pas prête à me résigner ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat d’actualité sur le thème : " Les conséquences de l’inflation sur le pouvoir d’achat des Français ".


source http://www.senat.fr, le 8 mars 2023