Interview de M. Clément Beaune, ministre chargé des transports, à LCI le 8 mars 2023, sur la contestation contre la réforme des retraites, les perturbations dans les transports et la fin de la vente des voitures thermiques prévue pour 2035 au sein de l'Union européenne.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : LCI

Texte intégral

ADRIEN GINDRE
Bonjour Clément BEAUNE.

CLEMENT BEAUNE
Bonjour Adrien GINDRE.

ADRIEN GINDRE
Merci beaucoup d’être là ce matin. On va parler longuement de cette colère contre la réforme des retraites, mais d’abord une question sur votre collègue Eric DUPOND-MORETTI. Le ministre de la Justice, hier, a fait deux bras d’honneur dans l’Hémicycle, à l’Assemblée nationale, en direction du président du groupe Les Républicains, Olivier MARLEIX. Un, ministre de la République devrait-il faire ça ?

CLEMENT BEAUNE
C’est un geste qui n’a évidemment pas sa place dans l’Hémicycle, en particulier, et le garde des Sceaux a d’ailleurs présenté ses excuses, je pense que c’était nécessaire, il l’a fait et donc…

ADRIEN GINDRE
Et c'est suffisant ?

CLEMENT BEAUNE
Ecoutez, c’est des excuses qui étaient indispensables, et le garde des Sceaux l’a fait lui-même, et je pense que ça montre, le garde des Sceaux l’a dit, qu’il regrettait ce geste, qu’il avait convenu qu’il n’aurait pas dû faire ce geste, et que ce geste n’a pas sa place dans l’Hémicycle démocratique dans notre pays.

ADRIEN GINDRE
Ce n’est pas un geste que vous auriez fait vous-même.

CLEMENT BEAUNE
J’espère que non, bien sûr, mais encore une fois, l’important c'est de dire, parce que la parole publique est importante, et le garde des Sceaux l’a dit de sa propre bouche, que ça n’aurait pas dû être fait, et qu’il présentait ses excuses pour ce geste, je crois que c’était important que ce message soit dit et entendu.

ADRIEN GINDRE
D’autant que c’était en direction du président du groupe Les Républicains, on en reparlera, un groupe dont vous avez besoin pour faire passer votre réforme des retraites…

CLEMENT BEAUNE
Oui, mais c’est indépendant de ça, c'est la question de nos comportements collectifs, il faut toujours y être très vigilant, dans les mots, dans les gestes, dans des périodes en plus qui sont évidemment tendues.

ADRIEN GINDRE
Surtout quand vous faites vous-même des reproches, souvent, à la France Insoumise dans l’Hémicycle. On va en revenir, donc, à cette grogne contre la réforme des retraites. On l’entendait à l’instant, l’Intersyndicale appelle à une nouvelle journée de mobilisation samedi, une autre la semaine prochaine, surtout elle va envoyer un courrier au président de la République pour demander à être reçue en urgence. L’Intersyndicale va-t-elle être reçue par le président de la République ?

CLEMENT BEAUNE
Ecoutez, ça c’est le président de la République qui le déterminera, mais l’important au-delà de tel ou tel nouveau courrier, c’est qu’il y ait une discussion entre l’exécutif, le gouvernement en particulier, qui doit assumer cette réforme, nous le faisons, et les responsables syndicaux.

ADRIEN GINDRE
L’ampleur de la mobilisation, ne justifie pas que le président se sente concerné ?

CLEMENT BEAUNE
Mais le président est concerné. D’abord, parce que je crois que personne n’a de doute, sinon d’ailleurs cette lettre n’existerait pas sous cette forme. Cette réforme, elle a été défendue par le président de la République comme candidat aux élections présidentielles, elle a été défendue par ceux qui l’on soutenu, comme moi, comme beaucoup de députés élus aux élections législatives. Il n’y a pas de doute là-dessus. Il n’y a pas eu un réveil ou un sursaut, où le président de la République, tout à coup aurait dit, après l’avoir caché, qu’il y avait besoin d’une réforme. Au contraire, il l’a toujours assumé et défendu. Le président de la République a eu l’occasion de s’exprimer lors de déplacements, je pense à Rungis, je pense au Salon de l’Agriculture, il a été interpelé sur ce sujet…

ADRIEN GINDRE
Alors, pas suffisamment, du point de vue des syndicats, qui considèrent – je les cite – que le silence, ils disent : " Le silence du président de la République, est un grave problème démocratique ".

CLEMENT BEAUNE
Mais, on est…

ADRIEN GINDRE
Il y a eu des expressions, Clément BEAUNE, vous avez raison, sur ce que vous venez de rappeler, en marge des déplacements, rapidement, est-ce que le temps et l'ampleur de la mobilisation d'hier, on rappelle que c'était la plus grosse mobilisation depuis le début du conflit…

CLEMENT BEAUNE
Exact…

ADRIEN GINDRE
… avec, de l'aveu même du gouvernement, 1 280 000 manifestants à travers la France. Est-ce que ça ne justifie pas une prise de parole ou une prise en compte par le président, à travers un rendez-vous, de cette colère ?

CLEMENT BEAUNE
Mais, ça justifie un dialogue je vais y revenir, je le mène moi-même dans mon secteur, et on est un peu paradoxal si vous me permettez, Adrien GINDRE, on demande que le président laisse faire le gouvernement, le temps parlementaire, qui est en cours aujourd'hui au Sénat, et on lui a reproché parfois de trop s'immiscer, de s'exprimer sur tout, de ne pas laisser la place aux autres institutions. Et puis maintenant, tout à coup, on dirait " le président doit s'exprimer ", alors qu’honnêtement sa position est connue sur cette réforme, puisqu'elle procède de lui, et de son élection à la présidentielle.

ADRIEN GINDRE
Donc vous souhaitez que le président laisse le gouvernement se dépatouiller avec…

CLEMENT BEAUNE
Mais c’est le président, je ne prends pas la place du président, c'est le président qui décidera des modalités. Ce que je veux dire, c'est qu'il ne faut pas se focaliser sur un courrier ou une modalité, le dialogue il existe, il doit exister. Moi je peux vous dire, hier encore à 05h30 du matin, j'étais en discussion avec des responsables syndicaux des routiers, je ne suis évident pas président de la République, pour que le dialogue existe toujours, on le fait secteur par secteur, la Première ministre le fait…

ADRIEN GINDRE
A chacun de le faire dans sa branche.

CLEMENT BEAUNE
La Première ministre le fait, l’a fait pendant de longs mois avant la présentation de la réforme, le ministre du Travail l'a fait pendant de longs mois avant la présentation de la réforme, et cette porte elle reste évidemment ouverte, au niveau du gouvernement, le président décidera ensuite des modalités, mais je crois que personne ne peut douter une seconde du fait que cette réforme n'est pas assumée par le président, on le lui a reproché, donc on ne peut pas lui demander, la porte est ouverte…

ADRIEN GINDRE
Mais j’entends ce que vous dites … au niveau du gouvernement, et vous insistez sur ce que vous faites dans votre secteur.

CLEMENT BEAUNE
Absolument, parce que c'est ça ma responsabilité, et je le maintiens chaque seconde.

ADRIEN GINDRE
Vous reconnaissez que la mobilisation hier était un succès. Quels mots vous emploieriez ?

CLEMENT BEAUNE
Ecoutez, cette mobilisation elle est importante, incontestablement, elle a été un peu plus importante que la première journée de mobilisation la deuxième journée de mobilisation, qui étaient déjà très fortes. Donc c'est un message qu’il faut entendre, je vais revenir sur le fond, je note aussi que la grève, parce qu’il y a les manifestations et les grèves, ont été, ces grèves, un peu moins suivies que lors des journées de mobilisation importantes, précédentes, dans mon secteur, celui les transports, quand je regarde à la SNCF, à la RATP, c'est un fait, la mobilisation de grève est moins forte que ce qu'elle a été par exemple le 19 janvier.

ADRIEN GINDRE
Donc ça ne justifie toujours pas de retirer le texte, ça ne remet pas en question ce point.

CLEMENT BEAUNE
Mais ce n’est pas ça, le baromètre pour retirer le texte. Pour retirer ou voter un texte, il y a un débat parlementaire, et il n'est pas question de retirer cette réforme ou d'interrompre le débat parlementaire, il est en train de se poursuivre au Sénat ,et ce qu'a été souhaité par les syndicats eux-mêmes d'ailleurs, c'est qu'il y ait un débat politique, parlementaire, qui n'a pas eu lieu à l'Assemblée, sur l'article 7, et il va commencer aujourd'hui même au Sénat. Je crois que c'est très important. Et à côté de ça, la mobilisation, elle doit oui nous conduire à entendre et à écouter moi j'y suis sensible, toujours garder le dialogue, d'abord pour éviter les dérapages, les malentendus, moi je ne veux jamais jeter d'huile sur le feu et toujours discuter, et puis un dialogue aussi parce qu'il y a d'autres choses que la réforme des retraites, j'en suis convaincu, y compris dans ces mobilisations, il y a des inquiétudes sur le pouvoir d'achat, sur les salaires, et donc avoir les discussions…

ADRIEN GINDRE
Mais dans votre secteur, par exemple dans les transports, est-ce que vous pouvez dire aux salariés concernés, qui nous regardent ce matin, il y a encore du grain à moudre, on peut encore, je ne sais pas, j'imagine quand il y a une réforme, il doit y avoir des décrets d'application derrière, des choses qu'on peut encore préciser, est-ce qu'il y a encore du côté de la RATP, du côté de l'aérien, du côté des routiers, des choses qu'on peut encore corriger ou améliorer dans ce texte ?

CLEMENT BEAUNE
D’abord, l'équilibre de la réforme, je l'ai toujours défendu, y compris contre ceux parfois qui voulaient durcir les choses. Prenons un exemple très concret des régimes spéciaux, moi j'ai défendu, fermer les régimes spéciaux pour ceux qui sont recrutés, les nouveaux à la SNCF, à la RATP désormais, mais j'ai défendu aussi que pour ceux qui avaient signé un contrat, on n'allait pas casser les choses qui existaient, donc on garde cet équilibre, moi j'y suis très attaché, j'ai toujours défendu cela auprès des Directions d’entreprises, des syndicats, le maintien de cette ligne.

ADRIEN GINDRE
Bruno RETAILLEAU, vous parliez du débat parlementaire, le président des Républicains au Sénat maintient son idée de vouloir accélérer la fin des régimes spéciaux dès 2040, ce sera non pour le gouvernent ?

CLEMENT BEAUNE
Oui, le gouvernement n'y est pas favorable. D'abord, je note que ceux qui nous demandent d'aller plus loin, n’ont souvent pas fait la réforme de fermeture des régimes spéciaux, nous gardons cet équilibre et dire, ceux qui avaient un contrat précédemment, on va leur changer les règles en cours de route, honnêtement, ça je pense que ce n’est pas de l'équité, c'est de l'excès, et donc je suis en effet défavorable, le gouvernement est défavorable à aller plus loin sur ce sujet, ce serait aller trop loin. Et ensuite vous me demandez sur quoi on dialogue, moi j'ai une discussion, j'ai demandé d'ailleurs aux présidents des entreprises publiques, Jean-Pierre FARANDOU la SNCF, Jean CASTEX à la RATP notamment, de discuter sur tout ce qu'il y a autour de la question des retraites, les déroulements de carrières, les rémunérations, la pénibilité, on a des grandes entreprises publiques dont moi je suis fier, parce qu'elles sont souvent des entreprises sociales. Utilisons la discussion syndicale, la discussion sociale, maintenant ou après cette réforme des retraites, dont je souhaite évidemment qu'elle soit très prochainement votée, pour que l’on pose la question du rapport au travail, des conditions de travail. Moi je pense qu'il y a beaucoup de ça qui s'exprime dans les mobilisations, et entendre la mobilisation c'est aussi entendre cela et y répondre.

ADRIEN GINDRE
Alors, revenons justement à la partie perturbations de cette mobilisation. Il y avait dès hier, et vous l'avez vous-même relayé, des appels au télétravail, bon, pour une journée, ça concerne certains salariés qui le peuvent, beaucoup ne le peuvent pas. Qu'en est-il pour les heures et les jours à venir ? On voit dans les prévisions de trafic là qui ont été annoncées pour aujourd'hui, qu’il y a un petit mieux, surtout sur le TGV par exemple, et ça reste compliqué dans les transports du quotidien. A quoi ça va ressembler dans le ferroviaire, dans l'aérien, demain, après-demain dans les jours à venir ?

CLEMENT BEAUNE
Le télétravail c'est effectivement important, vous avez raison, pour celles et ceux qui le peuvent. Je sais par ma famille etc., que tout le monde ne le peut pas, évidemment, quand on est personnel soignant par exemple, quand on est dans des métiers physiques, de contact, on ne peut pas le faire, mais il y a quand même un tiers des Français aujourd'hui, avant la grève, qui déclarent utiliser au moins une fois par semaine le télétravail, donc c'est un outil qui permet d'améliorer un peu les choses. Sur les perturbations, je vais être très clair, les choses vont s'améliorer un peu aujourd'hui, beaucoup plus nettement demain et vendredi. Il y aura des perturbations importantes dans les grands transports publics, SNCF notamment, RATP en Ile-de-France, jusqu'à la fin de semaine, jusqu'à vendredi au moins, les perturbations importantes vont durer jusque-là. Il y aura néanmoins les améliorations réelles, perceptibles par les usagers, par les Français, dès demain notamment sur le réseau SNCF, et plus sur le réseau RATP. Je prends des exemples très concrets, hier on avait un TER sur 5, vous parlez de transport du quotidien, c'est typiquement le cas, on est aujourd'hui à un sur 3, il y avait un TGV sur 5, on est aujourd'hui à un sur 3. Sur le métro parisien, et c’est pareil dans beaucoup d'autres métropoles, là aussi il y a une tendance à l'amélioration. Pour prendre un exemple très concret, demain à Paris le réseau de bus fonctionnera normalement.

ADRIEN GINDRE
Et quand vous dites des perturbations malgré tout, encore importantes vendredi, on en sera à quel étiage ?

CLEMENT BEAUNE
Je ne sais pas le dire aujourd'hui, on précisera sans doute dans la journée, comme on essaie de le faire à 48 heures d'anticipation, mais il y aura une décrue des perturbations, heureusement. Ça ne sera pas la situation normale, je préfère être honnête avec toutes celles et tous ceux qui s'interrogent, pour leur vie de famille, pour leur vie professionnelle, on ne sera pas vendredi dans une situation normale, mais on aura quand même une amélioration dans le service public des transports.

ADRIEN GINDRE
Ça c'est pour le ferroviaire, pour l'aérien est-ce que vous avez de la visibilité ?

CLEMENT BEAUNE
Oui, alors il y a un système un peu de différent, sans rentrer dans la technique, donc je peux vous dire que les perturbations vont continuer à peu près avec la même intensité, pas davantage, dans l'aérien on a réduit les vols par précaution de 20% à l'aéroport Charles-de-Gaulle, le plus important aéroport français, ce sera encore le cas jeudi et vendredi, et de 30% dans des aéroport comme celui d'Orly en région parisienne, comme les grands aéroports en régions, Nice, Toulouse, Marseille, ce sera aussi 30% d'annulations le vols. Je le dis aussi pour expliquer en un mot, on le fait de manière préventive, pour éviter qu'il y ait des perturbations, des annulations de dernière minute dans le transport aérien. Je note et je m'en félicite, parce qu'il y a eu un vrai dialogue social, par exemple dans les compagnies aériennes, pilotes, personnel navigant, il n'y a pas de mouvement de grève aujourd'hui, ce qui montre aussi que le dialogue social, je l'ai conduit, permet des avancées.

ADRIEN GINDRE
Les chiffres que vous nous donnez là, c'est pas quelle journée ? Jeudi ?

CLEMENT BEAUNE
Jeudi et vendredi.

ADRIEN GINDRE
Jeudi et vendredi. Il y a, indépendamment de ces perturbations, des opérations de blocages, qui sont menées par endroits on le voyait ce matin dans " Les Matins LCI ", des expéditions de carburant qui sont bloquées dans les raffineries de France, des terminaux méthaniers qui sont mis à l'arrêt pour toute la semaine, pour 7 jours, à Paris, la ville dans laquelle vous avez été élu député, des éboueurs qui font grève, un incinérateur qui ne fonctionne pas juste à côté. Est-ce que le gouvernement va intervenir sur tout ça e ? Est-ce qu'il va y avoir ces prochaines heures, des réquisitions de personnels, voire des interventions de forces de l'ordre si nécessaire pour débloquer et permettre la circulation de tout cela ?

CLEMENT BEAUNE
Soyons clairs sur le cadre. La grève est un droit, le blocage n'en est pas un, et la violence est un délit. Donc il faut respecter cette gradation. On a le droit de faire grève, de se mobiliser, c'est un droit garanti par notre Constitution, on n'a pas le droit de bloquer, au sens empêcher d'autres d'accéder à un site, d'accéder à leur propre travail si eux veulent aller travailler, ça ce n'est pas un droit social, et donc quand il y a des blocages, ils sont levés dans le calme par des interventions notamment des forces de l'ordre, ça avait été le cas aujourd'hui. Je veux noter que quand je regarde la journée d'hier, il y a eu quelques actions irresponsables, je les condamne, notamment des coupures électricité dans des juridictions, en mettant en danger nos services publics.

ADRIEN GINDRE
En particulier dans la ville d’Olivier DUSSOPT…

CLEMENT BEAUNE
Dans la ville d’Olivier DUSSOPT ou d’autres. Ça, ça s’appelle des menaces, ça s'appelle une action politique, ce n’est pas une action syndicale et ce n’est pas le droit de grève. Il y a eu aussi beaucoup d'actions responsables. Je vous disais, pour être très concret, moi hier je discutais au milieu de la nuit avec un leader de syndicat routier, qui disait « je veux faire simplement un tractage, je vous assure qu'on ne va pas bloquer », j'ai demandé au préfet de laisser faire cette action, elle s'est finie dans le calme, ça c'est une mobilisation sociale respectueuse et respectable. S'il y avait, s’il y avait les actions de blocage réels, typiques, typiquement pardon dans les raffineries, on ne laisserait pas cela faire, il ne faut pas brandir des choses avant que la situation existe, mais tout le monde sait, nous l'avons montré au mois d'octobre notamment dans les raffineries, qu’on ne laissera pas, on ne laissera pas la vie économique la plus essentielle du pays, être à l'arrêt, ça c'est clair, c'est notre responsabilité.

ADRIEN GINDRE
Donc « on ne laissera pas », ça veut dire comme à l'automne, des réquisitions si nécessaire, voire forces de l'ordre s'il y a…

CLEMENT BEAUNE
On n’est pas dans cette situation, mais on ne peut pas évidemment imaginer que nos raffineries durablement ne fonctionnent pas, donc on a tous les outils juridiques pour intervenir, si besoin.

ADRIEN GINDRE
Vous faisiez allusion tout à l’heure au fait que le débat parlementaire est en cours, le Sénat est sur l'article 7, qui est l'article qui permet le report de l'âge légal de départ à la retraite, les débats ont été un peu accélérés cette nuit en utilisant un article du règlement du Sénat qui permet de faire sauter des amendements, au grand dam de la gauche. En revanche il y a une question sur l'issue de ce débat parlementaire, Clément BEAUNE, avant qu'on vienne sur le fond, savoir si à la fin il y aura bien un vote des parlementaires. Hier à votre place, Laurent BERGER de la CFDT faisait clairement comprendre que s'il y avait un vote, oui la CFDT reconnaîtrait la légitimité du Parlement, parce qu’elle respecte les institutions, qu'en revanche s'il y avait un passage par le 49.3, c'est-à-dire une adoption sans vote, la donne serait différente, c'est ce qu'il nous a expliqué. Est-ce que vous pouvez exclure totalement le recours au 49.3 pour faire passer ce texte ?

CLEMENT BEAUNE
Je vais être clair, on l’a dit dès le début, on souhaite et on fait tout pour qu'il y ait un vote.

ADRIEN GINDRE
Mais souhaiter et exclure, ce n’est pas la même chose.

CLEMENT BEAUNE
J’y viens. Un vote explicite. Ça n'a pas été possible à l'Assemblée nationale, était-ce la faute de la majorité ? Je crois que chacun peut constater que c'est exactement le contraire, c'est une stratégie de blocage parlementaire et d'obstruction parlementaire, de la France insoumise, qui ne voulait pas de vote parce qu'ils ne veulent pas de légitimité politique, c'est un choix assumé de leur part. Au Sénat, je crois que le contexte est différent, il y a eu cette accélération, c'est le Sénat qui l’a choisie, cette nuit, pour qu'aujourd'hui on puisse discuter de l'article 7, je pense que démocratiquement c'est important, et je pense qu’au Sénat il y aura un vote explicite d'ici la fin de la semaine. Déjà ce sera une bonne chose, ensuite, sans être trop dans la technique, il y a ce qu'on appelle une Commission mixte paritaire qui réunit les deux assemblées, et il y aura, je le crois, un vote dans chaque assemblée, et je crois qu'il y aura une majorité qui sera réunie sur ce texte, notamment à l'Assemblée nationale. Pour être très clair, je pense que c'est mieux, je pense que c'est possible, j’en suis convaincu et que c'est souhaitable, en effet. Ensuite, de manière générale, au-delà de la réforme des retraites, je respecte beaucoup Laurent BERGER, mais attention quand même à ce qu'on dit, les outils de la Constitution, le 49.3 par exemple, ne sont pas des outils illégitimes. On préfère politiquement tous qu’il y ait un débat, une majorité qui s'exprime, qu’on n'ait pas besoin d'utiliser ce type d'outil, mais pour des textes à venir, je ne parle pas seulement de la réforme des retraites, ne délégitimons pas notre propre cadre constitutionnel, je pense que c'est important pour la sérénité d'un débat politique.

ADRIEN GINDRE
Mais il le fait aussi, je ne vais pas me faire son porte-voix ce matin, mais il le fait aussi dans l'idée que sinon demain ça viendra nourrir l'extrême-droite, nourrir un ressentiment collectif contre la classe politique, les institutions, le pouvoir en place, et que vous prenez un risque pour 2027. Est-ce que vous reconnaissez que le pays risque de sortir plus fracturé de cette séquence, et l'extrême droite plus forte ?

CLEMENT BEAUNE
Mais, je vais vous dire Adrien GINDRE, je suis obsédé par le risque que l'extrême droite depuis le début de mon engagement politique, il y a seulement quelques années. Je la combattrai jusqu'au bout sous une forme ou sous une autre, et vous avez raison, c'est un vrai danger dans notre pays, mais ce n’est pas une fatalité. Et, oui, je vois bien que notre pays est fracturé, et je pense que les mobilisations qui s'expriment, c’est pour ça que je le disais, ce n’est pas une astuce, ce n’est pas seulement sur la réforme des retraites, c'est beaucoup sur des questions de service public, de pouvoir d'achat. J'ai fait beaucoup de rencontres avec des agents de la SNCF ou de la RATP, qui disent eux-mêmes cela, la mobilisation va au-delà de la question des retraites. Donc pour répondre à ces fractures ,je pense qu'il ne faut pas abandonner l'ambition de réforme, les retraites en responsabilité en font partie, mais il y a bien d'autres choses, il y a une loi sociale sur le travail qui va arriver, sur le rapport au travail, sur les conditions de travail tout au long de la vie, le travail des seniors, le travail des femmes en particulier, il y aura un grand plan d'investissement dans la transition écologique et dans le secteur des transports, parce que c'est le transport et la vie quotidienne…

ADRIEN GINDRE
… permettra de recoudre les fractures des retraites.

CLEMENT BEAUNE
Mais ça contribuera bien sûr, il y a 4 ans de législature et 4 ans de mandat, je vous assure que ni le président, ni le gouvernement, ni le Parlement n’ont l'intention de se croiser les bras et de s'arrêter, et c'est notre boulot de continuer à faire des réformes pour la responsabilité d'avenir, les retraites en font partie, et pour la vie quotidienne et recoudre effectivement ces fractures qui existent dans notre pays.

ADRIEN GINDRE
Le fait est Clément BEAUNE, que même dans votre majorité, vous l'avez vu, il y a des députés qui pourraient ne pas voter cette réforme. Alors hier on a entendu que le groupe Renaissance à l'assemblée envisageait dans ce cas-là de les exclure, est-ce que vous confirmez, est-ce que ça vous paraît être la bonne manière de procéder ?

CLEMENT BEAUNE
Ecoutez, j'ai lu cela, pour être tout à fait honnête, mais je n'ai pas entendu d'expression publique du parti Renaissance ou de la présidente du groupe Renaissance à l’Assemblée parler d'exclusion. Et je crois qu'entre nous, alors que tout le monde était très responsable, que c'est une réforme difficile, y compris pour nos parlementaires, qui ont en plus subi les hurlements irrespectueux de la NUPES et de LFI en particulier, je pense à tous nos parlementaires, et donc je pense qu'il faut qu'on reste soudés, unis, rassemblés, pour voter ce texte sans menace, ça n'est pas je crois le bon registre.

ADRIEN GINDRE
Et donc vous dites, l'exclusion n'est pas forcément nécessaire.

CLEMENT BEAUNE
Mais moi, je ne suis pas parlementaire…

ADRIEN GINDRE
Non non, mais vous avez été élu député, vous avez une suppléante…

CLEMENT BEAUNE
Bien sûr, et ça m’intéresse. Mais absolument, qui a son autonomie, mais je pense que, je le dis très clairement, les messages doivent être au rassemblement, pas à la stigmatisation.

ADRIEN GINDRE
Vous êtes interpellé quand même de voir qu’aujourd'hui, ceux qui parlent avec les syndicats, eh bien c’est plus Aurélien PRADIE chez Les Républicains que la majorité, c'est Aurélien PRADIE aujourd'hui qui reçoit Laurent BERGER.

CLEMENT BEAUNE
Oui, il ne faut pas être dupe, d’une communication politique qu’organise Aurélien PRADIE. C'est pas, je crois historiquement le champion du dialogue social et du dialogue syndical. Moi tous les jours je parle à des responsables syndicaux, tous les jours, encore hier soir, je le fais à chaque fois pour le secteur des routiers, pour le secteur des cheminots, pour le transport public, pour le transport aérien, je crois que c'est nécessaire, c'est notre boulot, on ne le dit pas toujours A une conférence de Presse, à chaque fois qu'on a un coup de fil ou une discussion, parce qu'il y a aussi du respect des coulisses, c'est normal dans ces moments-là, très bien, Laurent BERGE a raison d'accepter toutes les invitations républicaines, c'est son droit de responsable syndical, mais je crois qu’Aurélien PRADIE est loin d'avoir le monopole d'une discussion sociale.

ADRIEN GINDRE
Il y a un débat qui s'est ouvert ce week-end sur les propos du ministre du Travail Olivier DUSSOPT qui disait " c'est une réforme de gauche ", Bruno RETAILLEAU a rétorqué " c’est une réforme de droite ", bon on ne va pas rentrer dans le débat d'exégèse de la réforme, vous, vous êtes un homme de gauche et vous l'avez revendiqué, est-ce que vous êtes attaché à ce que le gouvernement fasse des réformes de gauche, est-ce que vous considérez que cette réforme est une réforme de gauche ?

CLEMENT BEAUNE
Je considère que cette réforme est nécessaire, et je l'ai dit, comme homme de gauche, je la soutiens, je la défends, et je l’ai même défendue aux législatives, donc j'essaie d'être cohérent. Maintenant, ce que je dis aussi, c'est que notre agenda politique c'est aussi mon engagement devant les électeurs, comme tous les membres de la majorité, ne se résume pas à cela. Moi je tiens beaucoup à cette loi sur notre système ferroviaire, parce que c'est de la vie quotidienne. Je tiens beaucoup à ce qu'on fera sur la fin de vie, je tiens beaucoup à l'investissement et une loi sur le progrès social et les conditions de travail dans notre pays, que portera aussi Olivier DUSSOPT qui lui aussi vient de la gauche. Donc je pense que oui les retraites, mais pas seulement les retraites, on va continuer et on va avoir des lois très importantes.

ADRIEN GINDRE
Je quitte le champ des retraites pour conclure cette interview Clément BEAUNE, parce qu'hier il s'est passé quelque chose d'assez important au niveau européen, normalement la fin de la vente des voitures thermiques est prévue pour 2035. Il faut qu'il y ait un accord entre les Etats membres, et l'Allemagne annoncé qu'elle comptait s'abstenir si tout cela était soumis au vote, ce qui fait que le vote a été reporté sine die. Qu'est ce que vous dites aux Allemands ?

ADRIEN GINDRE
J'ai eu hier mon homologue allemand, ministre des Transports, puisque c'est notamment lui qui a mené cette forme de fronde contre l'objectif 2035. Il faut garder cet objectif, il est très important, y compris pour nos industriels. En France, en Allemagne, beaucoup d'autres constructeurs sont engagés dans la transition vers l'électrique. Ce serait…

ADRIEN GINDRE
Mais alors ; comment vous expliquez cette attitude, précisément ?

CLEMENT BEAUNE
Mais parce qu’il y a des inquiétudes, je crois qu'il y a des discussions internes à la coalition allemande, pour être très clair aussi, peut-être un peu de positionnement politique. Il faut qu'on garde cette ambition. Si on ne garde pas cette ambition, nous serons balayés sur le plan industriel et écologique. En revanche, il faut réussir 2035, accompagner le passage à l’électrique, c'est dans plus de 10 ans. Nos constructeurs produiront d'ici là des véhicules électriques plus abordables, pour les classes moyennes pour les Français qui en ont besoin. Aujourd'hui c'est un produit de luxe, la voiture électrique, il faut justement que ça devienne un produit qui ne soit pas seulement chinois, qui soit français et européen, et ce n’est pas en donnant des contre-signaux, que l'on va réussir à créer cette voiture électrique accessible à tous.

ADRIEN GINDRE
Mais les Allemands vous disent : on pourrait aussi utiliser des carburants de synthèse, par exemple, pas que l’électrique.

CLEMENT BEAUNE
Oui, mais je crois que l’on a besoin, ce signal il était clair, il avait été soutenu y compris par l'Allemagne, il avait été acté sous la présidence française de l'Union européenne comme une grande ambition portée par le président…

ADRIEN GINDRE
Donc vous attendez des Allemands qu'ils reviennent à leur position initiale.

CLEMENT BEAUNE
Il faut, je crois, revenir sur cet objectif qui est très important.

ADRIEN GINDRE
Merci beaucoup Clément BEAUNE d'avoir été là ce matin.

CLEMENT BEAUNE
Merci.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 9 mars 2023