Déclaration de M. Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, sur la politique d'immigration au niveau européen, à Bruxelles le 9 mars 2023.

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Circonstance : Arrivée au Conseil Affaires intérieures

Texte intégral

"Mesdames Messieurs, je suis très heureux de pouvoir être aujourd’hui à ce Conseil sous présidence suédoise.

D’abord je voudrais au nom du gouvernement français remercier, sur les questions de sécurité et d’immigration, le travail fait par la Présidence suédoise qui continue, je crois, le deal que nous avions eu sur le pacte migratoire par étape. Et je veux redire l’importance pour l’Europe d’avancer sur ce pacte migratoire, sur le travail que fait la Commission et que fait la Présidence suédoise, et nous l’espérons, l’accord qu’il y aura avec le Parlement européen. C’est très important à la veille des élections européennes.

Je veux aussi dire à quel point la discussion d’aujourd’hui autour de Schengen et du Conseil politique de Schengen est une bonne chose. On continue ce qui avait été imaginé sous Présidence française pour une gouvernance plus politique de Schengen et un travail autour des visas,- visa/ réadmission-, avec les pays de départ. Je pense aussi que ce sera une discussion extrêmement intéressante.


Q - Quels points ont la priorité dans les négociations du pacte de migration ?

M. Gérald Darmanin : Je pense qu’il est très important que les mesures de responsabilité soient adoptées, je pense au règlement screening bien évidemment. Et en parallèle, vous savez que la France comme d’autres pays, je pense à l’Allemagne, s’est engagée à des relocalisations. Aujourd’hui ces relocalisations sont suspendues, pour des raisons à la fois d’actualité mais aussi par manque d’entrain de certains d’avancer sur la responsabilité, sur l’enregistrement. Il ne peut pas y avoir de responsabilité s’il n’y a pas de solidarité. Je pense qu’on l’a dit, que c’était d’ailleurs l’objet du compromis que nous avons eu sur le pacte migratoire par étape. Et donc il est très important d’adopter ce règlement screening et de reprendre ainsi les relocalisations.

Je veux dire à ceux qui sont jusqu’au-boutistes, que la stratégie du tout ou rien du pacte migratoire ne donne rien, puisque ça fait des années que ce pacte migratoire qui est pourtant une bonne chose, avec de très nombreux textes, était bloqué et que depuis la Présidence française, nous l’avons débloqué en faisant un compromis qui est le pacte migratoire par étape : une étape de responsabilité face à une étape de solidarité. Et que nous devons absolument rendre concret cette première étape parce que les peuples européens le demandent et que la question migratoire est devant nous. Vous avez eu plus de 60% de demandes d’asile de l’Union européenne l’année dernière. Il n’y a pas de raison que cela s’arrange dans les mois et les années qui viennent pour plein de raisons : le réchauffement climatique, les questions politiques, les questions de protection sexuelle ou religieuse... Et malheureusement, nous constatons que tout le monde n’a pas forcément pris la mesure de ce qui allait se passer devant nous. Donc c’est dans ce moment plutôt calme si j’ose dire sur les questions migratoires que l’Europe doit avancer. On a désormais au Conseil un deal, et je suis certain que la Présidence suédoise pour qui nous apportons tout notre soutien saura convaincre le Parlement européen.

Q - La France a signé avec un certain nombre d’autres pays une déclaration sur l’application des règles de Dublin. Le problème est notamment le fait que l’Italie ne reprend plus les transferts Dublin. Qu’est-ce que vous attendez alors ?

M. Gérald Darmanin : D’abord, il ne faut pas rendre absolument nominatif nos discussions, mais ce qui est certain c’est que le règlement Dublin, la façon dont fonctionne Dublin jusqu’à présent, est désormais très détériorée. Il faut absolument revoir le fonctionnement Dublin. Et on voit bien qu’aujourd’hui, lorsqu’on a des accords bilatéraux, je pense à la France et l’Allemagne par exemple, nous arrivons à faire fonctionner Dublin et lorsque nous laissons le règlement général s’appliquer, on a beaucoup plus de difficultés, d’abord parce que le règlement Dublin est désormais affreusement complexe. Aujourd’hui, par exemple, un étranger qui arrive sur le sol national et auquel on va appliquer Dublin, quand on l’enregistre dans EURODAC, on a deux mois. C’est très court deux mois pour se mettre d’accord avec le pays d’origine. Il y a aussi beaucoup de questions qui sont laissées à disposition, à l’interprétation des Etats. Je pense par exemple au lieu de rendez-vous pour se donner échange des personnes ou pour les aéroports qui sont des aéroports de destination et de départ. Donc on voit bien que le règlement Dublin est désormais très complexe et ne fonctionne quasiment plus avec certains pays, notamment l’Italie. J’ai eu l’occasion de le dire au Ministre italien que j’ai reçu la semaine dernière. Parce qu’avant même la crise de l’Ocean Viking que nous avons eu avec l’Italie, l’Italie prenait une personne sur dix, voilà. Et donc il faut qu’on améliore ce sujet. Et je remercie le Gouvernement italien de le regarder puisqu’il y a eu un échange très positif et je me rendrai d’ailleurs à la frontière franco-italienne avec mon homologue dans les prochaines semaines pour continuer cette discussion.

Mais on peut aussi dire que Dublin fonctionne lorsque les États ont des accords bilatéraux. Je pense, je vous l’ai dit à l’Allemagne. Il faut donc à la fois multiplier les accords bilatéraux,- je pense que c’est une très bonne chose-, et en même temps beaucoup simplifier Dublin. Je constate que la Présidence suédoise a aussi mis cela sur la table du Conseil et c’est une très bonne chose.

Q - Les États tiers ne reprennent pas les gens qui n’ont pas le droit d’avoir l’asile. Qu’est-ce qu’on pourrait faire pour traiter ce problème ?

M. Gérald Darmanin : Nous avons évidemment un problème de laisser-passer consulaire, c’est-à-dire de pays qui ne reprennent pas leurs ressortissants lorsque les pays européens considèrent qu’ils n’ont rien à faire sur leur sol, et c’est notre droit le plus strict de voir qui a droit à l’asile, qui doit rester sur notre sol européen. Et donc il faut absolument qu’on ait une position commune. Cette position commune, c’est la politique de visas/réadmission.

Il faut que nous disions au pays, mais tous les Européens ensemble, que s’ils ne jouent pas le jeu du retour de leurs ressortissants dans leur pays d’origine, il ne peut pas y avoir de visas accordés à ce pays. Évidemment lorsque les États membres le font séparément, c’est ce que parfois fait la France vous l’avez vu ces derniers mois, et que d’autres pays européens ne sont pas solidaires avec cette décision, le jeu des règles européennes fait que ce pays d’origine se met d’accord avec un pays frontalier de la France et fait ainsi rentrer malgré tout des personnes sur le sol européen. Donc il faut absolument qu’au niveau européen, nous ayons une politique de visas/réadmission. Si les pays d’origine n’acceptent pas le retour de leurs ressortissants, alors il faut diminuer les visas. C’est je crois l’objet d’une des discussions d’aujourd’hui. C’est très important et moi je ne peux que souscrire au constat de ma collègue Faeser.

Q - Qu’est-ce que vous pensez des mesures annoncées par le Royaume-Uni qui restreignent drastiquement le droit d’asile pour les personnes qui arrivent de manière irrégulière ?

M. Gérald Darmanin : Alors moi je n’ai pas à commenter la politique nationale britannique. La Grande-Bretagne est un pays souverain et prend ses décisions en ce qui la concerne. En revanche cela a des conséquences sur le pays voisin le plus proche, qui est la France, par le tunnel et par la mer. Nous avons un sommet franco-britannique vendredi. J’échange beaucoup avec la Ministre anglaise avec qui nous avons de très bonnes relations. Il faut dire que nous avons une frontière pour toute l’Europe avec la Grande-Bretagne et ce sera l’occasion de pouvoir en discuter vendredi, parce qu’évidemment il ne faut pas qu’il y ait de conséquences négatives sur notre relation bilatérale. Mais je suis sûr qu’avec une discussion constructive, nous saurons trouver les voies et les moyens de traiter la conséquence de leur législation.

Moi je veux redire que la France, comme elle l’a toujours expliqué, est favorable par ailleurs à un règlement européen entre l’Union européenne et la Grande-Bretagne sur les questions du droit des étrangers, sur la question des voies légales d’immigration pour aller en Angleterre. Il ne s’agit pas d’un traité bilatéral, il ne s’agit pas d’un traité entre France et Grande-Bretagne, puisque la France dans ce cas précis est le lieu de toute l’Union européenne pour aller en Angleterre. Et donc il faut que nous travaillions tous collectivement, la Commission européenne en premier, la Grande-Bretagne bien évidemment, les États, à un accord entre l’Union européenne et la Grande-Bretagne sur les questions de voies d’accès légales en Grande-Bretagne et donc sur les questions des retours aussi.

Q - Est-ce que vous pensez que cette législation est en ligne avec le droit international ?

M. Gérald Darmanin : Je ne suis pas là pour commenter la politique nationale anglaise. Il y a un certain nombre de personnes qui se sont exprimées et nous avons encore une fois une rencontre vendredi. Et avec nos amis britanniques nous saurons trouver, je crois pour notre relation bilatérale, les voies et les moyens de traiter les conséquences de ce projet de loi qui a été présenté par le Gouvernement mais qui n’a pas encore à ma connaissance été adopté définitivement. Merci beaucoup".


Source https://ue.delegfrance.org, le 14 mars 2023