Interview de M. Gabriel Attal, ministre chargé des comptes publics, à LCI le 17 mars 2023, sur l'utilisation du 49-3 par le gouvernement pour faire adopter la réforme des retraites.

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Intervenant(s) : 
  • Gabriel Attal - Ministre délégué, chargé des comptes publics

Média : LCI

Texte intégral

MARIE CHANTRAIT
Bonjour Gabriel ATTAL. Merci d'avoir accepté notre invitation. Je le rappelle, vous êtes le ministre délégué chargé des Comptes publics. On va revenir évidemment sur ce qui s'est déroulé hier mais d'abord " MACRON affaibli ", " BORNE menacée ", " Stop ou encore ", " Passage en force ", " Le feu aux poudres ", " L'exécutif vacille " : un pot-pourri des titres à la une ce matin dans la presse nationale, dans la presse quotidienne régionale également. Comment, vous, qualifieriez-vous ce qui s'est déroulée hier et ce qui se passe encore aujourd'hui ?

GABRIEL ATTAL
Je dirais que la Première ministre… le gouvernement a pris ses responsabilités pour faire adopter un texte qu’on considère majeur pour l'avenir du pays et que dans 5 ans, dans 10 ans, s'il n'y a pas de réforme, il y aura 20 millions de retraités, 20 millions de retraites à payer chaque mois - il y en avait 12 millions au début des années 2000, c'est-à-dire un doublement quasiment en une génération. Si on ne fait pas de réforme, on aurait un gros problème pour payer les pensions de retraite dans les années à venir ; et si cela devait arriver, on veut être du côté de ceux qui auront cherché des solutions tant qu'il était encore temps et si on ne le fait pas aujourd'hui, c'est des solutions beaucoup plus brutales qu'il faudrait prendre dans les années à venir.

MARIE CHANTRAIT
On va revenir sur l'Assemblée hier, la séance sur la décision du 49-3, comment cela s'est déclenché mais d'abord, ces images de la nuit - c'est l'actualité de la soirée hier : des violences place de la Concorde à Paris mais aussi dans plusieurs villes de province. Le ministre de l'Intérieur ce matin a parlé de 310 interpellations dans toute la France. Des blocages ont aussi lieu ce matin sur le périphérique parisien : est-ce que vous craignez à ce stade une radicalisation du mouvement ?

GABRIEL ATTAL
Je suis respectueux de la Constitution et donc du droit à se mobiliser, à manifester, à faire grève. Mon souhait évidemment, c'est que ça se fasse dans le cadre de nos lois, de l'ordre républicain et je constate d'ailleurs que depuis plusieurs mois, les organisations syndicales qui sont opposées à cette réforme, ont engagé des manifestations qui se sont faites dans le cadre de nos lois et de l'ordre républicain et évidemment, mon souhait, c'est que ça continue.

MARIE CHANTRAIT
Mais là on sent quand même que le 49-3 pour certains, certains leaders syndicaux d'ailleurs l'ont dit, c'était une forme de ligne rouge, ont parlé de vice-démocratique - je pense à Laurent BERGER - que des manifestations dérapent, que ça échappe aussi aux leaders syndicaux. C'est un risque ?

GABRIEL ATTAL
Je crois que chacun a une responsabilité et d'ailleurs je n'ai pas entendu les leaders syndicaux appeler à des violences ou à sortir du cadre républicain. Encore une fois, ils ont été d'une grande responsabilité ces derniers mois et évidemment mon souhait, c'est que ça continue.

MARIE CHANTRAIT
Jean-Luc MELENCHON, leader des insoumis, encourage ces mouvements spontanés. C'est responsable selon vous ?

GABRIEL ATTAL
Ecoutez, on a l'habitude avec Jean-Luc MELENCHON ; évidemment Jean-Luc MELENCHON souhaite la crise permanente ; encore une fois, je fais surtout attention à ce que disent les organisations syndicales qui, encore une fois, je crois, appellent à poursuivre une mobilisation. C'est leur droit le plus total et je ne le remettrai jamais en question mais je crois, appellent à le faire dans un cadre respect des règles.

MARIE CHANTRAIT
Cadre respectueux mais des images aussi qui marquent : durant l'examen du texte à l'Assemblée, on l'a vu ce député avec un ballon de foot à l'effigie de la tête de la Première ministre hier ; ce sont des poupées à l'effigie des membres du gouvernement, du Président qui ont été brûlées. Là encore pour choquer, pour marquer l'opinion. Mais c'est signe d'une dégradation aussi de l'ambiance actuelle.

GABRIEL ATTAL
Je ne veux pas résumer des d'oppositions à ce texte ou des mobilisations à ce type d'actions. Evidemment, je les condamne parce que s’en prendre symboliquement à des personnes, c'est prendre le risque que certains s’en prennent physiquement aux mêmes personnes ou à d'autres personnes. Et moi je pense qu’on a besoin évidemment de respect de nos règles, de respect des lois de la République et de respect de l'intégrité des personnes.

MARIE CHANTRAIT
J’entends parfaitement votre modération mais on le voit, il y a eu une note envoyée aux préfets sur une vigilance sur la protection des élus, il y a des permanences des députés de la majorité qui ont été attaquées ; consigne vraisemblablement a été donnée à ce que vous ne vous déplaciez pas dans ces prochains jours : Gérald DARMANIN, Marc FESNEAU ont annulé des déplacements. Est-ce que la classe politique, est-ce que vous vous sentez visé ?

GABRIEL ATTAL
Il y a une tension évidemment autour de cette réforme, je ne vais pas le nier ; il y a eu des manifestations, il y a eu des grèves, il y a eu des mobilisations…

MARIE CHANTRAIT
Nouvelle mobilisation appelée donc jeudi prochain, sans doute des nouvelles manifestations samedi aussi….

GABRIEL ATTAL
Je pense que certains - une minorité - cherchent à s'appuyer sur ces tensions, ces mobilisations pour un projet qui est de semer le chaos ou s'en prendre à des institutions ou à des personnes. Je ne crois pas qu'elles soient majoritaires, y compris dans les mouvements de ceux qui font une opposition démocratique républicaine à cette réforme. C'est pour ça que je pense qu'il faut être extrêmement ferme avec cette minorité ; ça vaut évidemment pour les forces de l'ordre, ça vaut aussi, je pense, pour les leaders syndicaux et d'ailleurs je ne les entends pas particulièrement légitimer ou encourager ce type d'actions violentes.

MARIE CHANTRAIT
Mais ils savent aussi que selon un dernier sondage, 65% des Français - c'est quand même conséquent – souhaitent que le mouvement se poursuive.

GABRIEL ATTAL
Qu’il y ait un malaise ou une opposition autour de cette réforme, ce n’est pas nouveau, je ne le découvre pas. Encore une fois, j'essaie toujours de regarder quelles seraient les alternatives. On a vu à l'occasion du débat de ce texte que les oppositions reconnaissaient qu'il y a un problème de financement de notre système de retraite, que dans les années à venir, si on ne fait rien, on ne pourrait plus payer 20 millions de pensions de retraite chaque mois. Elles ont pour certaines, fait émerger des propositions alternatives : augmenter les impôts et les cotisations des Français et notamment des Français de la classe moyenne ; on a vu des propositions d'augmenter la CSG à partir de 1.600 euros de retraite ; on a vu des propositions de taxer, surtaxer les heures supplémentaires - il y a un salarié sur deux qui fait des heures supplémentaires - on a vu des propositions d'augmenter les cotisations patronales pour les artisans, les commerçants, les PME dans notre pays, de 700 euros par mois et par salarié…

MARIE CHANTRAIT
Elles n’ont pas été retenues…

GABRIEL ATTAL
Elles n'ont pas été retenues parce qu’on ne souhaite pas augmenter les impôts ; pour autant on souhaite donner à notre système de retraite la capacité de continuer à payer les pensions dans les années à venir. On a pour ça élaboré un texte qui a évolué à l'occasion de la discussion ; on a intégré des propositions qui venaient y compris des oppositions : dans le texte qui a été présenté hier, qui est le texte issu de la CMP, qui avait été adopté au Sénat, il y a des mesures auxquelles j’ai eu l'occasion de m'opposer en tant que membre du gouvernement.

MARIE CHANTRAIT
On reviendra d’ailleurs sur ces concessions accordées notamment à vos partenaires de circonstance, Les Républicains ; on se dit un peu " tout ça pour ça "

GABRIEL ATTAL
…Ce qui montre bien qu'il y a eu une évolution dans le texte mais c'est un texte qui garantit que dans les années à venir, on pourra continuer à payer les pensions de retraite chaque mois - je rappelle qu’entre le début des années 2000 et les années à venir, doublement du nombre des pensions à payer chaque mois - aucun pays ne peut affronter une situation sans réforme. Il y a une opposition à ce texte-là ; il y a des organisations politiques et des syndicats qui auraient souhaité qu'on augmente les cotisations ou les impôts ; ça n'est pas notre choix et la Première ministre a décidé d'aller au bout de la démarche en engageant la responsabilité du gouvernement sur ce texte.

MARIE CHANTRAIT
Gabriel ATTAL, revenons sur la journée d’hier précisément : la décision a été prise de déclencher ce 49-3. Vous avez participé à toutes ces réunions qu'on a pu suivre tout au long de la journée. C'est un peu « tout ça pour ça ! ». Durant des jours et des jours, vous avez mis en scène, martelé que vous vouliez aller au vote. Est-ce que vous le regrettez ?

GABRIEL ATTAL
Non je ne le regrette pas parce qu’on aurait souhaité aller au vote, moi j'ai eu l'occasion de le dire y compris dans les médias, on ne voulait pas de 49-3 ; on voulait aller au vote. Est-ce qu'on a eu raison de considérer qu'un vote sur ce texte était possible ? Je pense que oui dès lors que vous avez les trois groupes de la majorité annoncent qu'ils voteront le texte, qu'il faut pour qu'il soit adopté que le groupe des LR vote également le texte et il se trouve que le président du parti des LR, le président du groupe des LR à l'Assemblée nationale ont annoncé que leurs groupes voteraient le texte. Ensuite, au sein de ce groupe, vous avez des députés qui ont fait le choix alors même que pour un certain nombre d'entre eux il y a encore quelques mois, ils s'étaient personnellement engagés et ils avaient personnellement appelé publiquement à cette réforme, ont fait le choix de dire qu'ils voteraient contre ou qu’ils ne la voteraient pas.

MARIE CHANTRAIT
Vous avez été trompés par Les Républicains ? Ce sont des partenaires qui ne peuvent pas être considérés comme fiables ?

GABRIEL ATTAL
Je ne suis pas là pour faire des leçons de morale, pointer du doigt etc. Je pense que, que ce soit Éric CIOTTI ou Olivier MARLEIX, il y avait une réelle sincérité de leur part quand ils ont dit qu'ils souhaitaient que leur groupe vote ce texte ; j’ai vu par ailleurs au Sénat que la majorité sénatoriale, le groupe LR du Sénat a voté ce texte. Et donc moi je n'ai pas de raison de douter de la sincérité d’Éric CIOTTI ou d'Olivier MARLEIX quand ils ont dit : notre groupe votera ce texte et permettra de donner une majorité à cette réforme.

MARIE CHANTRAIT
Mais vous parliez des améliorations qui ont été faites, qui ont été prises notamment sur proposition des Républicains ; des concessions. Est-ce que finalement ça a été inutile ? Vous vous dites : " tout ça pour ça " ?!

GABRIEL ATTAL
Non je ne crois pas parce que ces concessions, comme vous dites, ou ces évolutions du texte ont été proposées pour un certain nombre d'entre elles par les LR, mais je pense que c'est surtout des évolutions pour les Français : quand on permet qu’il y ait une majoration de la pension de retraite pour les mères de famille qui ont validé l'ensemble de leurs trimestres et qui ont des trimestres pour éducation maternité, qu'elles puissent avoir une revalorisation de 5% de leur retraite ; quand on prend une mesure supplémentaire qu'on teste, une mesure pour favoriser l'emploi des seniors, ça a été proposé par les LR mais on le fait avant tout pour les Français et pour améliorer cette réforme. Donc moi je suis à l'aise avec le texte tel qu'il a été adopté par la CMP, tel qu'il a été adopté par le Sénat par deux fois…

MARIE CHANTRAIT
Et à l’aise avec le 49-3 également…

GABRIEL ATTAL
Je pense que cette réforme est nécessaire ; je pense qu'elle est nécessaire parce qu'encore une fois, aujourd'hui, on ne sait pas, sans réforme, garantir qu'on pourra payer les pensions de retraite dans les années à venir.

MARIE CHANTRAIT
Alors justement, dans le conclave hier du conseil des ministres, le Président…son entourage a fait savoir qu'il l’avait mis en garde invoquant des risques financiers trop grands et d'ailleurs vous, en tant que ministre des Comptes publics, vous êtes garant de cela, vous avez relevé des risques d'envolée de taux d'intérêt si le gouvernement était mis en échec. D'abord est-ce que vous le confirmez et puis est-ce que le risque est aujourd'hui réel ?

GABRIEL ATTAL
Ce que je dis, c'est qu’on a aujourd'hui un système de retraite qui n'est pas financé à moyen et long terme, qu’il y avait 12 millions de pensions à payer au début des années 2000, qu’il y en aura 20 millions à payer dans les années à venir, c'est un doublement sur une génération du fait de l'allongement de l'espérance de vie et aucun pays ne peut affronter un tel choc démographique sans faire de réforme…

MARIE CHANTRAIT
Mais est-ce que c'est entendable aujourd'hui ? On vous entend, on a entendu la Première ministre ici, vous faites oeuvre de pédagogie, vous expliquez ce qui est dans ce texte ; on sent que ça ne marche pas, ce n'est pas entendu !

GABRIEL ATTAL
Je vais vous dire Marie CHANTRAIT, ce que je sais pour le coup que si on ne fait pas de réforme, dans les années à venir, quand on aura un problème pour payer les pensions de retraite, à ce moment-là, les Français qui pour certains pourraient voir leur pension de retraite baisser, se retourneront vers ceux qui étaient aux responsabilités au moment où il était encore possible de faire une réforme progressive comme on le fait aujourd'hui, ils nous diront : qu'avez-vous fait ou que n'avez-vous fait à l'époque ?! Donc je considère aujourd'hui que la responsabilité, c'est de faire en sorte que ce texte puisse être adopté et la Première ministre a considéré que l'enjeu et l'importance de ce texte justifiaient qu'elle engage la responsabilité de son gouvernement ; on verra si les oppositions considèrent que l'enjeu du rejet de ce texte justifie qu'il renverse le gouvernement.

MARIE CHANTRAIT
Est-ce que ça ne rend pas, le 49-3, ce texte illégitime ? Parce que c'est un argument brandi aussi par vos opposants ; Jean-Luc MELENCHON encore ce matin, dit : nous avons atteint notre objectif : ce texte n'a aucune légitimité.

GABRIEL ATTAL
Ce qui est vrai, c'est que Jean-Luc MELENCHON a tout fait pour empêcher que ce texte puisse ne serait-ce qu'être examiné. On se souvient du débat à l'Assemblée nationale. Ce texte a en revanche été examiné au Sénat ; il a été adopté au Sénat par deux fois ; après il y a eu les lectures de CMP. Ensuite je le dis, le 49-3 fait partie de la Constitution, mais toute la Constitution et toute la Constitution, c'est la possibilité si une majorité de parlementaires le souhaitent, de renverser le gouvernement pour empêcher l’adoption du texte.

MARIE CHANTRAIT
Mais est-ce que ce n’est pas un argument - pardonnez-moi – mais certains disent de Byzantins - comprendre « un peu compliqué et un peu tordu » parce que la motion de censure, c'est voter pour ou contre le gouvernement ; pas sur la réforme.

GABRIEL ATTAL
Alors la motion de censure fait suite à un 49-3 qui est engagé sur la réforme des retraites ; donc je lis la Constitution factuellement ; si la motion de censure est adoptée, le texte de réforme des retraites est rejeté. Voilà. Et donc je le dis : le 49-3, c'est la Constitution mais ans la Constitution, il y a aussi du coup la possibilité pour les parlementaires de déposer, de voter s'ils le souhaitent une motion de censure. Je rappelle par ailleurs que c'est la 100e fois, je crois, dans la 5e République, que le 49-3 est utilisé ; le gouvernement qui l’a le plus utilisé, c’est celui de Michel ROCARD qui l’a utilisé 28 fois sur des textes absolument majeurs pour certains, notamment la création de la CSG, la création d'un impôt ; il n'avait pas de majorité à l'époque je crois pour adopter cette réforme, il a engagé le 49-3…

MARIE CHANTRAIT
Mais vous avez vanté ce changement de méthode…

GABRIEL ATTAL
Je ne dis pas que c’est un anodin ; simplement je rappelle que c'est un outil de la Constitution et surtout qu'il y a des garde-fous puisqu’en face de cet outil, il y a un outil donné aux parlementaires.

MARIE CHANTRAIT
Cette motion de censure justement : vraisemblablement, tous vont se ranger derrière celle de la LIOT, un groupe centriste, une motion transpartisane. Est-ce que ce vendredi 17 mars, il est 8h43, vous avez une crainte quant à l'issue du vote de cette motion et que le gouvernement tombe ? Est-ce que vous ressortez les calculettes en gros ?

GABRIEL ATTAL
Par définition vous êtes en démocratie, il y a un vote, tout peut arriver et d’ailleurs heureusement : si j’étais là à vous dire " je sais déjà quel sera le résultat du vote ", ça serait un peu inquiétant. On est en démocratie. Il y a une ou des motions qui seront soumises. Il y a une liberté de vote des parlementaires ; évidemment je ne peux pas vous dire à l'avance quelle sera l'issue du vote. Ce que je sais, c'est que soi cette motion est adoptée, ça veut dire que le gouvernement est renversé mais renversé pour quoi ? Quelle est la majorité ou le gouvernement alternatif ? Pour que cette motion soit adoptée, il faudrait qu'il y ait la NUPES, La France insoumise, le Rassemblement national et les LR, une partie importante des LR, qui la votent ! Ça voudrait dire qu’il y a des députés qui proposent le retour à la retraite à 60 ans en augmentant massivement les impôts des classes moyennes qui travaillent ; d'autres qui proposent le retour de la retraite à 60 ans sans dire comment ils financent et enfin d'autres, les LR, qui proposent la retraite à 65 ans, qui votent ensemble une motion ; quel est ensuite le projet ou le gouvernement alternatif ? Je pense que c'est ça aussi la question…

MARIE CHANTRAIT
Et maintenant justement : Elisabeth BORNE a dit qu’elle pourrait jouer les fusibles ; peut-elle rester Première ministre après avoir déclenché un 49-3 ? Est-elle la bonne personne à Matignon ?

GABRIEL ATTAL
Je pense qu'elle a fait un choix courageux puisqu'elle a engagé sa responsabilité en tant que Première ministre, celle de son gouvernement sur une réforme encore une fois, parce qu'elle considère que cette réforme est importante. Si on raisonne en politique pure entre guillemets, le plus simple pour nous, pour elle, aurait été de ne pas porter cette réforme ; on voit très bien qu’une réforme des retraites, c'est toujours difficile y compris dans l'opinion ; elle l'a fait et on l'a fait parce qu'on considère que c'est une réforme essentielle pour notre pays.

MARIE CHANTRAIT
Mais vous la sentez affaiblie ? Vous étiez au banc hier, au premier rang ; ça a été une épreuve ? Vous l’avez senti comme ça ?

GABRIEL ATTAL
Quand vous avez des groupes parlementaires qui hurlent, qui crient, qui cherchent à vous empêcher de parler - c'était le cas hier - évidemment que c’est impressionnant.

MARIE CHANTRAIT
Elle s’est dit choquée…

GABRIEL ATTAL
Pour autant ce que j'ai vu, c'est qu'elle tenait bon, c'est qu'elle tenait son discours, qu’elle a engagé la responsabilité du gouvernement alors même que vous aviez des députés - moi j'ai été élu député en 2017, il y a quelques années que je vois le Parlement - qui cherchaient clairement à l'empêcher de s'exprimer ; elle s'est exprimée ; elle a tenu son discours ; c’est une forme de courage.

MARIE CHANTRAIT
Mais un quinquennat est formé aussi d'actes symboliques. Un changement de gouvernement, un changement de casting pourrait-il faire partie finalement de ce nouveau souffle ? Est-ce que vous l'espérez ? Est-ce que vous le souhaitez ? Est-ce que vous auriez envie aussi de Matignon ? Est-ce qu'il ne faut finalement de nouveaux visages ?

GABRIEL ATTAL
Je ne fais pas de politique fiction. Je suis aussi respectueux des institutions ; je sais que c'est le président de la République, évidemment, qui nomme son gouvernement, son Premier ministre ; ce que je sais, c'est que la Première ministre a engagé la responsabilité du gouvernement, qu’il y a un vote des parlementaires ; elle a fait un choix courageux ; elle l'a dit d'ailleurs hier, on avait une réunion inter-groupes avec les groupes de la majorité…

MARIE CHANTRAIT
Elle était particulièrement émue, certains ont vu des larmes d'ailleurs…

GABRIEL ATTAL
Je l'ai trouvée surtout très engagée ; elle a dit qu'elle ne ferait jamais passer son intérêt personnel avant l'intérêt du pays ; je pense que c'est aussi courageux.

MARIE CHANTRAIT
Vous parliez du président de la République ; il fait savoir via son entourage, des petites phrases, du off etc mais ne parle pas ; doit-il prochainement s'exprimer ? Doit-il clarifier les choses sur son intention, sur finalement une nouvelle page qui s'ouvre ? C'est en tout cas ce que vous appelez de vos voeux ?

GABRIEL ATTAL
Le Président s'est toujours exprimé au moment où il était, je crois, attendu, légitime qu'il s'exprime, quand on est dans un processus parlementaire, que le texte est en train d'être examiné par le Parlement, je suis persuadé que si le Président s'exprimait, les oppositions ou ceux qui parfois appellent à ce qu'il s'exprime, seraient les premiers à dire : mais attendez, on est dans le temps du Parlement, pourquoi est-ce qu'il vient faire ingérence dans l'examen du texte ou ici en l'occurrence dans l'approche d'une motion de censure ?! En revanche, quand vous regardez, avant que ce texte soit examiné au Parlement, il s'est exprimé. Il a fait notamment une émission chez vos confrères de France 2, une émission importante ; entre l'examen de ce texte à l'Assemblée et au Sénat, il s'est exprimé. Il a été en déplacement à Rungis, il a fait un autre déplacement ; il a eu l'occasion de s'exprimer sur ce texte. Evidemment qu'il aura l'occasion de revenir sur cette réforme, sur ce que traverse le pays, prochainement.

MARIE CHANTRAIT
Cette séquence, ce 49-3 va-t-il laisser des traces au sein même de la majorité ? On a vu certains députés s'exprimer en disant que ce n'était pas la chose à faire. Est-ce que vous sentez aujourd'hui une majorité un peu fracturée qu’il sera compliqué de redémarrer ?

GABRIEL ATTAL
Non mais ce que je sais, c'est qu’évidemment, personne ne souhaitait aller au 49-3 et on souhaitait tous aller au vote. Ça a été dit, on a eu l'occasion de le dire à de nombreuses reprises.

MARIE CHANTRAIT
Mais se pose la question de la suite, Gabriel ATTAL ; c'est qu’on voit que la réforme des retraites passe par 49-3 ans ; on se pose la question sur d'autres textes à venir, majeurs, celui sur l'immigration, celui sur le travail. Comment faire passer aujourd'hui avec une majorité relative et des partenaires de jeu qui vraisemblablement ne jouent tous pas le jeu justement ?

GABRIEL ATTAL
Je pense qu’il faut toujours en revenir à ce dont ont besoin les Français et à ce qu'ils attendent de nous ; vous l'avez dit, dans les textes qui arrivent, il y en a notamment un qui me semble majeur, qui est le projet de loi sur le travail avec beaucoup de questions qui sont posées aujourd'hui, on le voit, sur le sens du travail, sur l'organisation du travail, sur les flexibilités supplémentaires qu'on peut avoir au travail. Je donne un exemple : dans mes administrations à Bercy, j'ai fait le choix d'expérimenter la semaine de 4 jours - 35 heures en 4 jours - c'est-à-dire que vous faites votre durée hebdomadaire de travail sur quatre jours.

MARIE CHANTRAIT
Mais pourquoi ne pas avoir démarré par ça par exemple ? Peut-être pour apaiser ? Est-ce que la méthode est la bonne ?

GABRIEL ATTAL
C’est une expérimentation ; il y a eu une discussion avec les syndicats qui a été lancée dès l'été dernier ; la discussion avec les syndicats, ça prend un peu de temps pour s'accorder avec eux mais en tout cas je pense que dans ce que traverse aussi notre pays aujourd'hui, le malaise qu'on sent autour de la réforme des retraites, je sens aussi qu'il y a cette attente de tenir compte du fait que beaucoup de Français aspirent à travailler différemment. Et je pense que le texte sur le travail est important pour ça. Ensuite, il y a d'autres enjeux, d'autres chantiers majeurs sur lesquels on avance ; vous avez la question de l'éducation : on est en train de travailler avec mon collègue Pap NDIAYE à des mesures importantes et notamment des mesures de revalorisation pour nos enseignants, pour renforcer l'attractivité du métier en début de carrière notamment, les questions de santé aussi qui sont portées par mon collègue François BRAUN et plus largement, je vais vous dire, je veux continuer en tant que ministre du Budget à travailler sur la situation aujourd'hui des classes moyennes. Ces Français qui se lèvent le matin pour aller travailler, qui ont parfois le sentiment qu'ils travaillent pour financer un modèle qui ne leur bénéficie pas toujours… des services publics qui parfois se dégradent…

MARIE CHANTRAIT
Mais Gabriel ATTAL, est-ce que vraiment ce jour, se pose cette question-là en fait ? Des réformes, des textes à venir, remettre autour de la table vos partenaires, notamment les leaders syndicaux ; la rupture est consommée avec Laurent BERGER. Est-ce que vous allez pouvoir aujourd'hui les faire revenir autour d'une table des négociations ? Le compromis, la consultation que vous avez prônés, vantés, martelés, semblent se heurter aujourd'hui à un mur.

GABRIEL ATTAL
Je ne crois pas avoir entendu Laurent BERGER par exemple que vous citiez, dire qu'il refuserait de participer aux discussions autour de la loi travail par exemple. Il y a des syndicats qui ne veulent pas travailler avec nous ; je donne un exemple : quand le président de la République après les élections législatives a invité l'ensemble des organisations syndicales à le rencontrer en juin dernier…

MARIE CHANTRAIT
Au fameux CNR… et même avant d’ailleurs c’est vrai…

GABRIEL ATTAL
La CGT a fait le choix, je crois, de ne pas venir ; on était au tout début de ce deuxième quinquennat ; donc il y a des organisations syndicales qui, manifestement, ne souhaitent pas travailler avec la majorité avec le gouvernement. Il y en a d'autres, je pense, qui peuvent être en opposition sur la réforme des retraites, avec lesquels sur d'autres textes, on pourra travailler, construire des choses, en tout cas moi je le souhaite.

MARIE CHANTRAIT
Je reviens sur ce que je vous ai demandé initialement, sur ce que ça laissera dans la majorité, des traces ; on sent vos partenaires du Modem, à Horizons, faire entendre leur petite musique et leur petite voix… là aussi c'est tenable ?

GABRIEL ATTAL
Bien sûr. Encore une fois je vous le redis, on ne souhaitait pas aller au 49-3 ; on voulait que cette réforme puisse être adoptée, c'est-à-dire que celles et ceux qui se sont engagés pour cette réforme, soient cohérents avec leurs engagements.

MARIE CHANTRAIT
Pour paraphraser finalement le chef de l'Etat quand il parlait de l'application « Tous Anti-Covid » : ce n'est pas un échec mais ça n'a pas marché ! C'est un peu ça ?!

GABRIEL ATTAL
Ce que je dis, c'est que vous aviez des groupes qui s'étaient engagés pour cette réforme des retraites et qui si l'intégralité de ces groupes avaient voté, auraient permis l'adoption de ce texte ; pour ce qui est 3 groupes de la majorité du Président : Renaissance, le MoDem et Horizons, aucune voix ou quasiment aucune voix ne manquait…

MARIE CHANTRAIT
Il en a manqué 2 à Horizons. Est-ce que certains jouent aussi un petit jeu politique ? Est-ce que 2027 est un peu trop dans les esprits de certains ?

GABRIEL ATTAL
Je ne crois pas. Edouard PHILIPPE s'est engagé très fortement autour de cette réforme, il souhaitait même une réforme qui aille plus loin initialement, il s'est exprimé sur le sujet. Donc je ne crois pas du tout mais pour ce qui est de la majorité présidentielle, tout le monde était au rendez-vous. Ensuite, vous avez un groupe LR qui s'était engagé aussi à voter cette réforme au sein de ce groupe, contre l'avis, je crois, du président du parti et du président du groupe, vous avez probablement plusieurs dizaines de députés qui ont dit : malgré ce qu'on a pu dire il y a encore quelques semaines ou quelques mois quand on appelait à cette réforme, finalement on n'a pas envie de la voter. Voilà, on a pris acte de cette situation. La Première ministre a engagé la responsabilité de son gouvernement parce qu'elle considère et moi je le considère aussi, que cette réforme est majeure.

MARIE CHANTRAIT
Le message est entendu Gabriel ATTAL.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 20 mars 2023