Déclaration de Mme Laurence Boone, secrétaire d’État chargée de l’Europe, sur le conflit en Ukraine, la situation économique de l'Union européenne et la question migratoire, au Sénat le 15 mars 2023.

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Circonstance : Débat préalable au Sénat à la réunion du Conseil européen des 23 et 24 mars 2023

Texte intégral

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 23 et 24 mars 2023.

Dans le débat, la parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, fidèles à nos traditions, c’est pour moi un plaisir de vous retrouver afin de vous présenter, comme de coutume avant chaque Conseil européen, les principaux sujets qui y seront traités.

Comme vous le savez, les chefs d’État et de gouvernement se sont déjà réunis une fois, au début du mois de février. Dans deux semaines, ils se retrouveront pour assurer le suivi de notre réponse aux sujets qui continuent d’être en haut de l’agenda.

La guerre en Ukraine reste le sujet le plus brûlant, mais je pense aussi, naturellement, à la réponse que l’Union européenne doit apporter à l’Inflation Reduction Act (IRA) ainsi qu’aux réflexions sur la réforme de la gouvernance économique européenne.

Le Conseil européen sera par ailleurs marqué par des discussions sur la situation énergétique, d’une part, et sur les questions migratoires, d’autre part. Il assurera en cela le suivi du Conseil européen des 8 et 9 février dernier.

Le Conseil européen échangera enfin sur la conférence de soutien aux populations syrienne et turque, frappées par les tremblements de terre du 6 février dernier.

Comme vous le savez, sur l’ensemble de ces sujets, la situation évolue tous les jours et les positions que je vais vous exposer sont encore susceptibles d’évoluer à l’aune des événements que vous connaissez, et des concertations conduites entre Européens.

L’Ukraine, je le disais, restera bien sûr une des principales priorités de ce Conseil européen.

Le Conseil européen condamnera de nouveau la guerre d’agression de la Russie en faisant référence au soutien apporté à la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies pour une paix juste et durable, votée le 23 février, et au plan de paix en dix points du président Zelensky. Il insistera sur la poursuite de la mise en œuvre des sanctions à l’égard de la Russie en renforçant la lutte contre les contournements de ces mesures restrictives.

Le Conseil européen appellera à poursuivre les travaux sur la lutte contre l’impunité en saluant la création du centre international pour juger du crime d’agression. Cette lutte contre l’impunité doit également concerner les transferts forcés massifs d’enfants ukrainiens par la Fédération de Russie, comme vous l’avez rappelé dans votre proposition de résolution européenne, adoptée à l’unanimité par la commission des affaires européennes. Ce point figure également dans le dixième paquet de sanctions, mais nous aurons certainement l’occasion d’y revenir.

Sur ce sujet, il est important que nous restions très unis et fermes sur les messages envoyés par la France. En accueillant dans cet hémicycle, le 1er février dernier, le président de la Rada ukrainienne, vous avez témoigné du soutien indéfectible de la France à l’Ukraine.

Le Conseil européen reviendra sur les travaux concernant l’achat, la livraison et la production de munitions au niveau européen. Sur ce point très précis, les travaux sont encore en cours, et la question sera abordée en détail au Conseil conjoint des ministres des affaires étrangères et de la défense le 20 mars prochain.

Les chefs d’État et de gouvernement des Vingt-Sept réitéreront enfin leur engagement en faveur de la reconstruction de l’Ukraine et leur souhait de poursuivre le travail sur le recours aux actifs russes gelés et immobilisés.

Enfin, le Conseil reviendra sur la poursuite de l’initiative céréalière de la mer Noire, dont nous espérons vivement qu’elle sera prolongée.

Une partie substantielle du Conseil européen sera consacrée aux questions économiques, dans toutes leurs dimensions. Ce sera l’occasion de confirmer et d’amplifier la dynamique vers une souveraineté stratégique européenne. N’ayons pas peur des mots : oui, l’Europe peut être un véritable « espace puissance ». Le passage d’un espace économique à un espace-puissance implique fondamentalement d’ajouter à l’économie la capacité d’influence.

L’influence de l’Union européenne découle en grande partie de son marché intérieur de près de 500 millions de consommateurs qui, par son pouvoir normatif, lui donne le moyen de peser de façon décisive sur l’organisation des échanges internationaux.

Nous avons fait valoir auprès de la Commission européenne notre vision, qui est celle d’une politique industrielle ambitieuse. C’est d’ailleurs aussi ce même objectif que votre commission des affaires européennes a appelé de ses vœux dans sa proposition de résolution du 8 février sur le programme de travail de la Commission européenne pour 2023. Comme le Gouvernement, vous y appelez à une réponse européenne forte à l’adoption de l’Inflation Reduction Act américain, à la fois, par des outils de défense commerciale et par une nouvelle politique industrielle européenne.

Je veux être très claire sur ce point : l’affirmation de cette souveraineté européenne est notre priorité absolue. Elle est la traduction directe du discours de la Sorbonne de 2017. Elle est l’inspiration du sommet de Versailles de mars 2022 et de la présidence française du Conseil européen.

À cette fin, nous devons être en mesure de fixer des objectifs à horizon de 2030 et d’accompagner l’implantation des capacités de production européennes pour répondre à nos besoins stratégiques. Ces besoins stratégiques, ce sont, à la fois, par exemple, les matières premières ou les semi-conducteurs. Ces capacités permettront la réduction des dépendances de l’Union européenne et la réalisation de sa transition écologique.

Plusieurs leviers ont été évoqués et nous avions eu l’occasion d’en débattre ensemble lors d’un débat en séance le 8 février dernier.

Tout d’abord, il faudrait simplifier le cadre réglementaire pour l’octroi de permis, adapter la commande publique et accélérer les procédures d’évaluation de projets par la Commission européenne – je pense aux projets importants d’intérêt européen commun (Piiec), mais aussi aux aides d’État.

Il faudrait, par ailleurs, flexibiliser les possibilités de financement via les programmes européens afin d’optimiser ces ressources, et mobiliser les capacités d’investissements tant publiques que privées.

Il faudrait également soutenir une action renforcée pour conforter notre vivier de talents dans ces secteurs clés, car nous manquons aujourd’hui de main-d’œuvre dans bon nombre de ces secteurs.

Il faudrait enfin, en matière commerciale, poursuivre un dialogue soutenu avec nos partenaires tout en mobilisant, lorsque cela s’avère nécessaire, nos instruments de défense commerciale.

Le Conseil européen aura également l’occasion d’avoir un échange sur la gouvernance économique de l’Union européenne. Dans la continuité des échanges en Conseil des affaires économiques et financières (Écofin), hier, le Conseil européen devrait endosser les conclusions relatives à la révision de la gouvernance économique qui y ont été adoptées.

Cette question est fondamentale : les débats devront refléter la nécessité de concilier soutenabilité des finances publiques et réponse aux différents défis auxquels nous sommes confrontés. Le statu quo n’est pas envisageable, car le cadre actuel est inadapté aux défis qui se posent désormais à l’Union européenne, qu’il s’agisse de la transition ou de la dépendance énergétique, et de la souveraineté industrielle. Il est essentiel pour assurer à la fois ces investissements et la croissance que le Conseil s’accorde sur de grandes orientations communes, autour des principes de différenciation par pays pour assurer la crédibilité des trajectoires budgétaires. Nous souhaitons à ce titre que la Commission puisse rapidement présenter une proposition législative.

Concernant la situation énergétique, le Conseil européen se réunira quelques jours avant le Conseil des ministres de l’énergie, qui aura lieu à Bruxelles à la fin du mois de mars. Il sera surtout l’occasion d’aborder le sujet de la réforme du marché de l’électricité pour laquelle la Commission européenne a présenté sa proposition hier. L’objectif est clair, et vous l’avez rappelé dans votre proposition de résolution du 8 février dernier : il s’agit d’avancer le plus rapidement possible sur ce sujet afin d’aboutir à l’adoption d’une proposition d’ici à la fin de l’année 2023, pour être en position d’agir rapidement sur les prix de l’énergie.

Cette réforme, à nos yeux essentielle, doit répondre à deux objectifs : créer un cadre de marché apportant une plus grande prévisibilité et une visibilité accrue pour les producteurs d’électricité et les consommateurs ; garantir des prix plus stables et moins dépendants des cours des énergies fossiles.

Ce cadre sera également plus incitatif pour investir dans les énergies décarbonées, ce qui est essentiel pour réduire à la fois nos émissions et notre dépendance aux hydrocarbures.

Les chefs d’État et de gouvernement auront également l’occasion d’aborder d’autres enjeux en cours de discussions, notamment concernant l’hydrogène ou encore notre état de préparation pour l’hiver 2023-2024. La France, sur ce sujet, a une position constante : l’Union doit se préparer le plus en amont possible à l’hiver à venir, en particulier pour son approvisionnement en gaz naturel.

Le Conseil européen fournira également l’occasion d’un nouveau point sur les questions migratoires. Le Conseil européen des 8 et 9 février dernier a souligné toute l’importance du renforcement de notre action à l’égard des pays tiers, d’origine et de transit, au moyen de partenariats mutuellement bénéfiques et respectueux des droits de l’homme et des valeurs de l’Union européenne.

L’objectif est de prévenir les départs irréguliers, d’éviter les pertes de vies humaines, de lutter contre les trafics de migrants et de traite des êtres humains et de favoriser le retour, la réadmission et la réintégration durable des personnes qui ne remplissent pas les conditions de séjour sur notre territoire, notamment les personnes non éligibles à la protection internationale.

Dans cette optique, il est essentiel de mobiliser de façon coordonnée les instruments à notre disposition pour soutenir et responsabiliser nos partenaires en matière de gestion des migrations.

Il est crucial d’adopter une approche européenne coordonnée pour faire face à la situation actuelle en Méditerranée centrale, marquée par l’augmentation constante du nombre de personnes tentant de rejoindre l’Union européenne depuis la Libye, la Tunisie et la Turquie, conduisant à de trop nombreux drames humains, comme nous l’avons encore tristement constaté le 26 février au large des côtes italiennes.

En matière de dimension interne des migrations, le Conseil européen a souligné la détermination des chefs d’État et de gouvernement à maintenir le cap des négociations au sujet du pacte sur la migration et l’asile (PMA), qui constitue véritablement une boussole entre responsabilité et solidarité. La dynamique engagée au Conseil et au Parlement dans les négociations doit absolument être préservée afin de maintenir notre objectif d’une adoption d’ici à un an exactement.

Enfin, monsieur le président Rapin, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez raison d’insister dans une proposition de résolution sur le rôle de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, appelée communément Frontex. Il est clé. Nous aurons, je n’en doute pas, l’occasion d’en rediscuter.

Enfin, le Conseil européen reviendra sur les tremblements de terre tragiques survenus le 6 février en Turquie et en Syrie, qui ont fait plus de 52 000 morts.

Lors de leur dernière réunion, les 8 et 9 février, les chefs d’État et de gouvernement avaient exprimé leurs plus sincères condoléances pour les victimes et affirmé leur solidarité sans faille avec les populations des deux pays. Depuis, l’Union européenne et ses États membres se sont très rapidement mobilisés, de façon coordonnée, pour apporter leur aide financière et matérielle et atténuer les souffrances dans toutes les régions touchées. Nous sommes conscients de la gravité de la situation sur place et de l’immensité des besoins restant à couvrir : notre solidarité et notre soutien ne doivent donc pas s’arrêter là. C’est dans cet esprit que la présidence suédoise du Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne organisent une conférence des donateurs le 20 mars à Bruxelles, afin de permettre de mobiliser des fonds de la communauté internationale en faveur des populations sinistrées. Cela permettra également d’assurer la bonne coordination de l’aide versée par les différents contributeurs, malgré des difficultés logistiques, afin de couvrir de manière efficace les besoins des victimes sur le terrain.

Voilà, en quelques mots, les enjeux de ce Conseil européen. Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne doute pas que vos questions me permettront d’éclaircir certains points. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Pascale Gruny applaudit également.)

(…)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. Madame la présidente, messieurs, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos interventions. Je tâcherai de répondre à toutes les questions que vous m’avez posées. Mais le temps qui m’est imparti étant restreint, je me tiendrai à votre disposition avec mon cabinet si vous avez besoin d’éléments supplémentaires.

Monsieur le président Rapin, monsieur le rapporteur général Husson, madame la sénatrice Guillotin, monsieur le sénateur Gattolin, madame la sénatrice Mélot, vous avez été très nombreux à évoquer la guerre en Ukraine, où les combats sont toujours très intenses.

La Russie tirant environ 10 000 obus par jour, les Ukrainiens ont cruellement besoin de notre aide, notamment en matière de munitions. Les discussions qui se tiennent à Bruxelles ont abouti à la proposition de prélever 2 milliards d’euros sur les fonds de la Facilité européenne de paix pour accélérer la fourniture de munitions, essentiellement de 155 millimètres, à l’Ukraine.

L’objectif de cette initiative est triple.

Premièrement, encourager la cession des stocks en remboursant à hauteur de 1 milliard d’euros des cessions consenties par les États membres à l’Ukraine.

Deuxièmement, faciliter les achats conjoints via l’Agence européenne de défense.

Troisièmement, renforcer les capacités de production de l’industrie européenne, notamment par la mobilisation du budget européen pour aider nos industriels à augmenter l’offre européenne de munitions.

Cette initiative devrait être validée lors du Conseil affaires étrangères et défense du 20 mars, puis endossée par le Conseil européen.

Monsieur le sénateur Chevrollier, vous m’avez demandé s’il y avait une ligne rouge dans l’aide à fournir à l’Ukraine. Le Président de la République a été très clair à ce sujet. Rien n’est exclu, mais nos choix doivent répondre à trois exigences : ils doivent être efficaces et utiles immédiatement pour les Ukrainiens – ce n’est pas le cas de toutes les armes que nous leur fournissons –, ils ne doivent pas contribuer à l’escalade et ils ne doivent pas obérer nos propres capacités de défense nationale.

Vous avez été nombreux – MM. les sénateurs Cadic et Leconte, ainsi que Mme Mélot, qui a évoqué le projet de résolution de votre collègue André Gattolin – à mentionner les transferts forcés et massifs d’enfants ukrainiens par la Fédération de Russie. Ces transferts forcés sont ignobles.

Le Conseil européen s’est emparé du sujet, puisque le dixième paquet de sanctions contre la Russie, adopté le 25 février, a déjà permis de sanctionner quatre personnes responsables de la déportation et de l’adoption forcée d’enfants ukrainiens.

Il s’agit de deux responsables politiques dans des régions russes – le vice-premier ministre de la République de Bachkirie et le chef adjoint de l’oblast de Moscou –, ainsi que de la commissaire russe aux droits de l’homme et d’une responsable de fondation russe. Tous ont contribué à l’adoption illégale d’enfants ukrainiens par des citoyens russes. Nous n’hésiterons évidemment pas à renforcer ses sanctions.

Monsieur le président Rapin, madame la sénatrice Guillotin, vous m’avez également interrogée sur la Moldavie, où je me suis rendue la semaine dernière. Je ne peux que vous encourager à vous y rendre également pour apporter votre soutien à sa présidente Maïa Sandu.

Lors de mon entretien avec Mme Sandu la semaine dernière, nous avons abordé trois thématiques principales.

La première est la coopération apportée par la France pour renforcer la démocratie, l’État de droit et la justice en Moldavie. Vous savez à quel point la présidente s’est attaquée à la corruption et à la rénovation de la justice dans son pays.

La deuxième thématique est celle du soutien que nous apportons à la société civile moldave, notamment dans la continuité de l’aide d’urgence qui est apportée depuis l’an dernier.

Nous avons enfin évoqué les préparatifs du deuxième sommet de la Communauté politique européenne (CPE) qui se tiendra à Chisinau le 1er juin et qui est un événement très important pour la Moldavie.

La diplomatie parlementaire a un rôle majeur à jouer, d’autant que comme cela a été indiqué, dans de nombreux pays des Balkans, la demande de soutien parlementaire est très forte.

Vous avez également évoqué la Géorgie, monsieur Cadic. J’ai reçu ce matin la présidente de la commission des affaires européennes du Parlement géorgien – si mes informations sont bonnes, vous l’avez également rencontrée, monsieur le sénateur –, qui m’a fait part des progrès réalisés par son pays sur onze des douze recommandations qu’il doit mettre en œuvre, la polarisation de la vie politique demeurant un sujet difficile.

De notre côté, nous avons salué le retrait du projet de loi sur la transparence de l’influence étrangère, qui n’était pas compatible avec le processus de rapprochement de la Géorgie avec l’Union européenne.

Ce pays a besoin de tous les soutiens possibles, notamment techniques, pour parvenir à mettre en œuvre les recommandations de façon satisfaisante

Plus largement, dans le cadre de l’élargissement de l’Union européenne aux Balkans occidentaux, nous devons parvenir à fournir une assistance technique plus importante à ces pays de manière à ne pas les laisser dans une chambre d’attente trop longtemps.

M. le rapporteur général Husson, ainsi que Mmes et MM. les sénatrices et sénateurs Berthet, Joly, Chevrollier et Fernique, Guillotin et Arnaud m’ont également interrogée sur la compétitivité de l’Union européenne en matière d’énergie et sur l’IRA.

Tous l’ont souligné, la première des raisons pour lesquelles nous avons un fossé de compétitivité avec les États-Unis et d’autres régions est bien le prix de l’énergie. Dans ce cadre, la réforme du marché de l’électricité est extrêmement importante, et la France s’est mobilisée en ce sens, notamment grâce à l’action du ministre Bruno Le Maire, de la ministre Agnès Pannier-Runacher et de tout le Gouvernement, depuis plus d’un an, pour protéger les consommateurs, pour lutter contre la volatilité des prix et pour donner de la visibilité à nos entreprises afin qu’elles puissent prendre leurs décisions d’investissement en Europe.

Je crois qu’il faut le reconnaître, la proposition de la Commission européenne est une base solide et large, puisqu’elle inclut le nucléaire existant. Elle aura pour effet non seulement de préserver les avantages de l’intégration des échanges d’énergie en Europe, mais aussi de nous apporter des bénéfices concrets en matière de stabilité. Elle nous permettra de bénéficier de la compétitivité du parc nucléaire.

Elle prévoit à la fois des contrats de long terme – certains d’entre vous le demandaient – et ce que l’on appelle des contrats « pour différence ». Ainsi, le Power Purchase Agreement (PPA) permet de sécuriser les consommateurs comme les entreprises en incluant le nucléaire existant, de faire baisser les prix au plus près des coûts de production de notre parc nucléaire existant et de fournir une certaine stabilité et une prévisibilité, qui sont très importantes pour nos entreprises.

Notre objectif est que cette réforme soit adoptée avant la fin de l’année. Nous disposerons probablement d’un certain nombre d’orientations au mois de juin prochain. Nous espérons – et je crois que le Parlement européen en fait aussi un sujet d’importance – parvenir à conclure rapidement, de façon à pouvoir présenter la mise en œuvre de cette réforme et son bilan dans le cadre des prochaines élections européennes.

Outre la question des prix de l’énergie, il faut aussi prendre en compte la nécessité de répondre au plan américain Inflation Réduction Act par le plan " zéro émission nette ". Cette réponse s’inscrit dans une stratégie très large, qui vise à faire en sorte que l’Europe se montre plus offensive en matière commerciale et industrielle. Je regrette que vous trouviez que ce plan ne produise pas d’« effet waouh », mais j’espère que dans sa mise en œuvre, ce sera le cas.

Il prévoit plusieurs dispositifs, au premier rang desquels un volet de propositions sur les marchés publics pour que tous les bons critères soient pris en compte dans l’attribution des contrats, que ce soit la performance environnementale ou la sécurité d’approvisionnement de l’Union européenne. L’objectif est d’éviter toute dépendance en faisant en sorte que nos services publics ne soient pas assurés par des entreprises de pays tiers.

Le deuxième dispositif consiste en la mise en place d’une plateforme d’investissement pour mieux coordonner les financements disponibles et pour mobiliser toutes les ressources dans les secteurs stratégiques de façon rapide.

Monsieur le rapporteur général, j’entends ce que vous dites sur la bureaucratie européenne, mais je peux vous assurer que le troisième pilier de ce plan est la réduction des délais d’octroi de permis pour faciliter la réindustrialisation de la France. Il sera complété par le futur projet de loi sur l’industrie verte en France qui est défendu par Bruno Le Maire. Nous voulons réduire la bureaucratie européenne et faire de la rapidité de nos procédures un réel avantage compétitif.

Je ne dirai pas qu’il n’y a pas encore de progrès à faire dans cette proposition de plan. La liste des technologies couvertes doit être étendue pour intégrer le nucléaire, puisque comme vous l’avez constaté, cela n’y figure pas encore. Il en va de même pour la chaleur renouvelable et la biomasse. Il faut que le règlement prenne en compte tous les projets de décarbonation du secteur industriel.

J’en viens à présent à la question du Royaume-Uni, sur laquelle m’ont interrogée Mme la sénatrice Mélot et M. le sénateur Gattolin, entre autres.

L’accord de Windsor a en effet été signé le 27 février dernier, ce qui est une bonne chose, puisqu’il nous permet d’avancer sur la mise en œuvre du protocole nord-irlandais.

Son dispositif est assez simple : il y aura des produits destinés à rester sur le marché britannique et des produits qui iront sur le marché unique. Sur le marché britannique, l’accord prévoit des tests aléatoires et sur le marché unique les tests seront systématiques. Nous aurons aussi un système de contrôle des données d’échanges commerciaux, de façon à détecter toute éventuelle fraude.

Plus largement, sur le Royaume-Uni, la ligne française n’a pas varié. Notre pays défend une exigence maximale sur le respect des accords conclus dans le cadre du Brexit et une ouverture maximale pour travailler avec le Royaume-Uni, car nous n’échapperons pas à notre géographie.

Messieurs les sénateurs Fernique, Gattolin, Arnaud et Chevrollier, en ce qui concerne l’interdiction des véhicules thermiques en 2035, la France est très claire : elle réaffirme qu’il faut garder cet objectif de 2035. Tout d’abord, c’est là un signal clair de notre mobilisation pour lutter contre l’urgence climatique. Cet objectif est nécessaire sur le plan écologique. Ensuite, il est aussi nécessaire sur le plan industriel. Nous l’avons dit aux producteurs de voitures : changer de direction serait nuisible à la prévisibilité que nous voulons donner à toutes nos entreprises industrielles. La décision est donc à la fois écologique et industrielle. Elle nous permettra en outre de renforcer notre indépendance énergétique.

Je note aussi que la ministre de l’environnement allemande ne dit pas autre chose, ce qui me donne beaucoup d’espoir pour sortir de cette situation malheureuse.

M. Franck Menonville. Oui, de l’espoir !

Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. Pas que de l’espoir, monsieur le sénateur ; je vous l’assure. Il y a du travail aussi.

Monsieur le sénateur Gattolin, vous avez mentionné la visite du Premier ministre hongrois Viktor Orban à Paris. L’objectif était clair : il était de rappeler que le Parlement hongrois doit ratifier l’entrée de la Finlande et de la Suède dans l’Otan. Il s’agissait aussi de rappeler l’unité nécessaire des pays européens dans leur soutien à l’Ukraine face à l’agression russe, l’exigence de coopérations concrètes dans le cadre de la coopération politique européenne (CPE) et la volonté d’un renforcement de l’Europe de la défense.

Enfin, en ce qui concerne les travailleurs des plateformes, il est vrai qu’il n’y a pas eu de progrès sous la présidence suédoise. Vous savez que le dernier conseil " Emploi, politique sociale, santé et consommateurs " (Epsco) n’a pas été conclusif ; cette semaine, il n’y a pas eu d’avancées. Les discussions se poursuivront et vous pourrez compter sur la France pour défendre une position constructive et équilibrée.

Cela me donne l’occasion de répéter que la Commission européenne n’exige en rien une réforme des retraites dans notre pays. C’est une recommandation, mais ce n’est pas un jalon du plan de relance. La différence est grande ; je suis sûre que vous en conviendrez.

La mise en œuvre du DMA-DSA est en train de se faire et les travaux du Gouvernement se poursuivent pour adapter les textes dans la législation française : un projet de loi devrait vous être soumis à la fin du premier semestre de cette année. (Applaudissements.)


source http://www.senat.fr, le 31 mars 2023