Texte intégral
CHRISTOPHE BARBIER
Jean-Noël BARROT, bonjour.
JEAN-NOËL BARROT
Bonjour Christophe BARBIER.
CHRISTOPHE BARBIER
Et bienvenue. Beaucoup de dossiers dans votre domaine numérique, on va commencer par deux dossiers d’actualité, le " plan eau " annoncé hier par le président, il est déjà considéré comme manquant d’ambition, la sécheresse est là, elle est puissante, elle fait peur, et puis la sobriété proposée elle est un peu limitée peut-être, non, il fallait faire plus ?
JEAN-NOËL BARROT
La sécheresse est une des manifestations les plus préoccupantes du changement climatique, des centaines de communes en ont fait l’expérience douloureuse l’été dernier avec des ruptures au robinet, il fallait donc agir. Et je suis très heureux, pour ma part, des initiatives qui ont été annoncées par le président de la République, dans bien des domaines, pour que l’Etat se montre exemplaire, pour bâtir un EcoWatt de l’eau, que chacun puisse être informé, et puis pour travailler aussi sur la réutilisation de l’eau, l’amélioration de notre système d’eau, il y a 1 litre sur 5 dans notre pays, d’eau, qui se perd.
CHRISTOPHE BARBIER
Ça sera une application d’Etat, publique, l’application pour savoir si on est en stress hydrique dans la localité ?
JEAN-NOËL BARROT
EcoWatt est une application qui a été développée par RTE, l’entreprise qui est le réseau de distribution de l’électricité, pour EcoWatt, je ne sais pas ce que ce sera, mais en tout ce sera une référence qui permettra, comme EcoWatt l’a permis aux Français pendant la période où on s’inquiétait sur l’approvisionnement en énergie, eh bien d’avoir les gestes du quotidien qui vont permettre de faire la différence sur les économies d’eau.
CHRISTOPHE BARBIER
Les syndicats pourront-ils parler de la réforme des retraites, et même des 64 ans, à Matignon mercredi ?
JEAN-NOËL BARROT
J’imagine qu’ils en parleront. Je crois qu’à ce stade il faut à la fois respecter nos institutions, la démocratie parlementaire s’est exprimée, le texte est désormais entre les mains du Conseil constitutionnel, ce qui n’empêche pas de poursuivre le dialogue social, c’est la raison pour laquelle la Première ministre a convié les syndicats, qui évoqueront sans doute la question des retraites, mais la question très liée, et qui n’a évidemment pas été intégralement traitée dans le projet de réforme des retraites, qui est celle du travail, sur lequel nous avons bien l’intention d’avancer.
CHRISTOPHE BARBIER
Rendre le travail supportable pour que 64 ans finalement ça soit acceptable.
JEAN-NOËL BARROT
Rendre le travail supportable tout court, parce que nous avons, de toute évidence, et ça s’est exprimé dans les cortèges que nous avons vus, qui ont été paisibles, en tout cas pour ceux qui étaient… pour l’essentiel de ceux qui étaient menés par les responsables syndicaux, et je veux saluer d’ailleurs l’attitude de Laurent BERGER qui à aucun moment n’a dénigré le processus de démocratie parlementaire qui a conduit à l’adoption de la réforme, cette question du travail était au coeur des attentes, et elle est au coeur des attentes et des inquiétudes des Français, il faut lui apporter des réponses et c’est bien notre intention.
CHRISTOPHE BARBIER
Alors beaucoup de sujets dans votre domaine, notamment l’intelligence artificielle. Une pétition à l’initiative d’Elon MUSK rassemble de très nombreuses signatures d’experts internationaux, ils disent « attention, les garde-fous éthiques vont moins vite que les progrès de l’intelligence artificielle, il faut une pause », soutenez-vous cette initiative ?
JEAN-NOËL BARROT
Les pétitionnaires posent une bonne question, mais ils apportent une mauvaise réponse. La question est bonne parce que l’intelligence artificielle, si elle est porteuse d’immenses promesses, à commencer par l’accélération du progrès scientifique, la détection précoce de maladies comme le cancer, la découverte de traitements ou des vaccins comme celui contre la Covid, elle porte aussi sa part d’ombre, donc les questions méritent d’être posées. La réponse est mauvaise, parce qu’il ne s’agit pas de faire un moratoire ou d’arrêter le progrès de la science, c’est d’une part impossible, ce n’est pas réalisable, mais en plus ce n’est pas souhaitable.
CHRISTOPHE BARBIER
Et on ne peut pas interdire la version 5, 6, 7, de ChatGPT ou d’autres ?
JEAN-NOËL BARROT
Il est préférable d’agir, comme nous l’avons fait en européens, en créant un cadre pour l’intelligence artificielle, avec un règlement, qui est actuellement discuté au niveau européen, qui s’appelle le " Règlement sur l’intelligence artificielle ", dans lequel nous disons voici les activités pour lesquelles l’intelligence artificielle est interdite, exemple la surveillance généralisée des populations, voici les activités pour lesquelles l’intelligence artificielle est permis, mais soumise à des obligations de transparence et à des audits, pour le transport, pour la santé, pour les applications qui vont permettre aux entreprises de recruter. Ce sont des applications qui sont critiques, qui peuvent créer des risques sur la sécurité des personnes pour le transport et la santé, des risques de discrimination, dans ces cas-là eh bien l’activité est encadrée. Et puis il y a des activités pour lesquelles l’usage de l’intelligence artificielle est libre. Voilà l’architecture de la manière dont l’Europe compte se doter, plutôt que de mettre un coup d’arrêt aux progrès de la science.
CHRISTOPHE BARBIER
Premier fait divers tragique, rapportent les médias, un homme dépressif se serait suicidé en Belgique après avoir demandé de l'aide, après avoir conversé avec un logiciel interactif de ce type-là, est-ce que ça, ça vous inquiète ?
JEAN-NOËL BARROT
Ça nous inquiète évidemment, et c'est la raison pour laquelle il y a quelques semaines j'ai saisi le Comité national pour l'éthique du numérique, c'est un comité qui a été créé en 2019, qui a été placé auprès du Comité national d'éthique du professeur Jean-François DELFRAISSY, précisément pour réfléchir à ces questions, à ces questions qui relèvent de l'éthique et de choix démocratiques, en l'occurrence la question qui est posée est celle du risque de déshumanisation, qui accompagne le développement de ces modèles, avec une insuffisante perception, par les utilisateurs, de la nature d'automates de ces solutions, comme ça a été le cas en Belgique.
CHRISTOPHE BARBIER
On croit parler à quelqu’un et en fait c’est une machine.
JEAN-NOËL BARROT
Evidemment, et ça ça pose une question majeure, qui mérite une discussion, qui va susciter des discussions et un débat public, à mon avis, approfondi.
CHRISTOPHE BARBIER
Les versions de ces logiciels vont très très vite, on est loin du perroquet approximatif que vous aviez décrié dans un premier temps.
JEAN-NOËL BARROT
Ce n'était en aucun cas une critique, c'était une description de ce que sont ces modèles, de ce qu'ils savent faire et de ce qu'ils ne savent pas faire. Les modèles tels que ChatGPT, les modèles d’OpenAI, vont, à partir de masse de données très considérables, en réalité les données de l'Internet, en réponse à une question, faire la moyenne des contenus qu'ils ont trouvés et la restituer en l'état, c'est donc une forme de restitution " stockastique " de contenus trouvés sur Internet que réalisent ces algorithmes. Alors, comme je l’ai dit tout à l'heure, ce n’est ni plus ni moins, et c’est les chercheurs qui les ont intitulés comme ça, qu’un " perroquet stockastique ", ce qui n’est pas très loin du perroquet approximatif que j’ai dit, avec ces grandes promesses pour l'Humanité, et sa part d'ombre, qu'il nous faut traiter.
CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce qu’il ne faudrait pas convention citoyenne sur l'intelligence artificielle, que les citoyens réfléchissent sur leur liberté par rapport à tout ça ?
JEAN-NOËL BARROT
Peut-être aurons-nous… peut-être, c'est une idée à laquelle je veux bien réfléchir. Il fallait, au préalable, avoir une réflexion éthique. De la même manière que le Comité national d'éthique a remis un avis qui a servi de fondement aux discussions, aux réflexions sur la Convention citoyenne sur la fin de vie, eh bien j'ai saisi, il y a quelques semaines, le Comité national d'éthique, pour l'éthique du numérique, qui va nous rendre un avis au mois de juin et qui sera le point de départ, je dirais de la réflexion démocratique sur le numérique.
CHRISTOPHE BARBIER
Et d’éventuellement une loi.
JEAN-NOËL BARROT
Nous verrons si la loi s'impose. Comme je l'ai dit, nous avons un cadre européen qui est en cours de constitution, s'il faut le prolonger par des lois inspirées par cet avis, inspirées par le débat démocratique, alors rien n'est à exclure.
CHRISTOPHE BARBIER
Comme vous avez légiféré sur les influenceurs, dans un climat d'unanimité d'ailleurs à l'Assemblée.
JEAN-NOËL BARROT
Absolument, je crois que nos concitoyens attendent de nous que nous puissions sécuriser, réguler l'espace numérique dans lequel ils trouvent beaucoup d'opportunités nouvelles, de communication, d'échange, de découverte, mais dont ils ont bien conscience qu'ils présentent un certain nombre de risques qui sont insuffisamment maîtrisés. Bruno LE MAIRE a souhaité se saisir du sujet des influenceurs, il y en a 150.000 en France, avec des activités qui vont de la découverte scientifique, aux conseils en cuisine, etc., en passant par tout un tas d'autres…
CHRISTOPHE BARBIER
La beauté, mais aussi de la vente…
JEAN-NOËL BARROT
De la beauté et de la vente, exactement, et donc il fallait à la fois créer un statut pour ces influenceurs, qui est un métier nouveau, et puis protéger les consommateurs et interdire certaines activités dont chacun avait bien l'intuition qu’elles conduisaient peut-être à tromperie sur la marchandise.
CHRISTOPHE BARBIER
Ces derniers jours j'ai noté une cyberattaque contre la mairie de Lille, une contre le Conseil départemental du Gard, une contre l'Assemblée nationale, qui sont derrière ces attaques, est-ce que vous le savez, des truands ou des trolls russes ?
JEAN-NOËL BARROT
Il faut le dire, il y a un business de la cyberattaque qui se développe et c'est ainsi que ces derniers mois on a vu de grandes collectivités, des hôpitaux, dans ma ville de Versailles en particulier, des départements, des régions, des grandes villes, se faire attaquer, et face à ça il faut adopter les gestes barrières, une hygiène numérique, et ça nous appartient, puisque ces attaques, comme vous le savez, elles commencent par des maladresses humaines, c'est en captant nos données personnelles que les pirates parviennent à entrer dans les systèmes de ces grandes organisations.
CHRISTOPHE BARBIER
Combien de millions, de milliards chaque année, en rançons payées ?
JEAN-NOËL BARROT
Ce n’est pas un chiffre dont je dispose, ce n’est pas d'ailleurs un chiffre que je communiquerais si je l'avais de manière consolidée, ce qui est sûr c'est que nous faisons, d'une part tout pour ne pas avoir à payer ces rançons, et la meilleure manière de ne pas les payer c'est de faire de la prévention, d’éviter…
CHRISTOPHE BARBIER
C’est avant que ça se gagne.
JEAN-NOËL BARROT
C’est avant. L’hôpital de Versailles vient de retrouver, quatre mois après le début de l'attaque, son activité normale. Il faut tout faire pour éviter que ces attaques se déclenchent, sinon elles peuvent avoir des conséquences sur le long terme.
CHRISTOPHE BARBIER
Tout faire, ça peut être, par exemple dans les hôpitaux, revenir aux dossiers papier.
JEAN-NOËL BARROT
Revenir aux dossiers papier c'est une solution d'urgence à laquelle l'hôpital de Corbeil-Essonnes, l'hôpital de Versailles, ont été contraints.
CHRISTOPHE BARBIER
Il ne faut pas " dénumériser " les activités administratives ou ?
JEAN-NOËL BARROT
Je ne crois pas parce que la numérisation, du dossier du patient par exemple, est un gage de meilleur accompagnement du patient, il faut en revanche le sécuriser, et ce que nous voulons faire pour prévenir ces attaques, entre autres choses, c'est notamment, conformément à l'engagement du président de la République pendant la campagne, créer un filtre anti-arnaque, de manière à ce que tous ces SMS, que chacun d'entre nous reçoit, pour aller voir son compte personnel de formation, son compte Ameli, pour aller payer les impôts, qui sont des faux SMS et convocations, à nous envoyer sur des sites qui collectent nos données personnelles, nos données bancaires, nous allons créer un filtre qui viendra s'interposer et vous avertir que vous êtes en train de vous diriger vers un site malveillant, pour éviter la constitution, par les pirates, de bases de données personnelles qui permettent ensuite à d'autres pirates, auxquels ils auront vendu ces listes, eh bien de s'infiltrer dans des organisations.
CHRISTOPHE BARBIER
La France, après d'autres, a interdit TikTok à ses fonctionnaires, est-ce que le président MACRON en parlera en Chine la semaine prochaine ?
JEAN-NOËL BARROT
Le président de la République a beaucoup de sujets à évoquer avec la Chine, qui est un partenaire commercial important pour la France et pour l'Europe, mais s'agissant de l'espace numérique et des données personnelles nous avons une approche qui est différente de celle de la Chine, et nous comptons, comme nous l'avons fait en européens l'année dernière avec des règlements très importants qui ont été adoptés, faire respecter nos principes, et en particulier le respect de la vie privée, c'est la raison pour laquelle la semaine dernière, avec Stanislas GUERINI, nous avons annoncé un régime d'interdiction générale sur les téléphones, les smartphones, fournis par l'Etat à ses agents, de téléchargement d'applications récréatives telles que TikTok, mais telles aussi que Facebook ou d'autres.
CHRISTOPHE BARBIER
Il y a une commission d'enquête au Sénat sur TikTok, ça pourrait aboutir à une interdiction pour tous les citoyens français, on bannit TikTok de la France ?
JEAN-NOËL BARROT
A nouveau je ne suis pas sûr que le bannissement, de la même manière le moratoire évoqué tout à l'heure, soit la bonne solution, je crois que ce qu'il convient de faire c'est de faire respecter les principes auxquels nous sommes attachés. La commission d'enquête est une très bonne nouvelle, les sénateurs sont à pied d'oeuvre pour traiter à la fois des questions de respect de la vie privée et de protection des données personnelles, mais aussi de l'impact que TikTok peut avoir sur notre jeunesse qui, et ce sont les jeunes qui le disent, est bien souvent beaucoup trop entraînée dans des phénomènes d'addiction du fait de l’algorithme de TikTok.
CHRISTOPHE BARBIER
Jean-Noël BARROT merci, bonne journée.
JEAN-NOËL BARROT
Merci à vous.
Source : Service d’information du Gouvernement, le 3 avril 2023