Texte intégral
- Bruno LE MAIRE
Chers amis,
Je suis très heureux de vous souhaiter la bienvenue en mon nom et au nom de Gabriel Attal, ici au ministère de l’Économie et des Finances.
C’est la première fois en six ans que nous présentons avec Gabriel Attal un projet de loi uniquement consacré à la douane, aux services des douanes que nous avons l’honneur de diriger et qui est au coeur des activités régaliennes de ce ministère. Je sais que ce jour, Madame la Directrice générale était très attendue par l’ensemble des douaniers qui s’inquiètent sur l’évolution de leurs missions, qui souhaitent des clarifications, ils ont raison, qui souhaitent également une ambition et ils ont doublement raison.
L’objectif de ce projet de loi répond à cette volonté de donner une nouvelle ambition à la douane française et lui donner surtout le cadre et les moyens d’assurer son action avec le plus d'efficacité possible, avec un régime juridique clarifié — je sais que c'est très attendu — et avec également les moyens sécurisés modernes d'intervenir et d'interpeller là où c'est nécessaire.
Je rappelle que la douane est la garante de notre souveraineté économique et qu'elle est un instrument de protection de la nation française absolument décisif, notamment contre l'une des menaces les plus dures à affronter, les plus préoccupantes pour l'ensemble des nations développées qui est le trafic de stupéfiants. Rien ne délite plus une nation moderne aujourd'hui et une nation développée que le trafic, la consommation, l'usage de stupéfiants. Et la meilleure façon d'éviter que le trafic, l'usage de stupéfiants ne se développe, c'est évidemment d'intercepter, de bloquer, d'appréhender tous ceux qui font ce trafic.
C'est la responsabilité de la douane, et nous voulons vous donner les moyens, pas simplement de poursuivre cette action — qui a déjà donné de très bons résultats, j'y reviendrai — mais de démanteler les réseaux, de stopper les activités criminelles nationales et internationales et de mener avec encore plus d'efficacité ce combat contre les stupéfiants.
Je veux dire à quel point ce combat est vital pour la nation française, vital pour toutes les nations développées. Toutes celles qui ont baissé les bras sur les trafics de stupéfiants sont en proie ensuite à un délitement qui n'est évidemment pas souhaitable. La douane est donc l'incarnation régalienne par excellence du ministère de l'Économie et des Finances, et il ne peut pas y avoir d'unité de la nation française et de la nation française tout court sans la présence visible et efficace de cet État régalien que vous incarnez.
Nous avons vu par ailleurs votre efficacité en 2022. Je vous parlais de chiffres, je les donne : 104 tonnes de drogue saisies, 650 tonnes de cigarettes de contrebande saisies et 12 millions d'articles de contrefaçon saisis. Je veux vous remercier et vous féliciter pour ces résultats exceptionnels.
Nous voulons maintenant confier à la douane de nouveaux objectifs stratégiques et nous lui avons demandé, en plus de ses missions traditionnelles avec le contrôle sanitaire, la régulation du e-commerce, d'élargir son spectre d'action dans la lutte contre le blanchiment. Nous avons donné, Madame la Directrice générale à la douane, de nouveaux moyens avec 148 millions d'euros supplémentaires sur la période 2022-2025. C'est un effort important à un moment où je n'ai jamais caché, et je le redis avec beaucoup de fermeté, nous voulons et nous devons rétablir les finances publiques de la nation française. Je remercie le rapporteur général du budget d'être présent ce matin. Je sais qu'il nous soutient dans ce combat que nous menons avec Gabriel Attal.
Nous sortons de deux périodes de crise, le Covid, l'inflation qui est encore difficile à supporter pour nos compatriotes. Le moment est venu, comme je le dis depuis plusieurs mois, de rétablir nos finances publiques. Nous le ferons fermement, sans brutalité, mais avec le simple objectif de revenir sous les 3 % de déficit public en 2027, de réduire la dette publique le plus rapidement possible au plus tard en 2026, de façon tout simplement à garder des réserves financières pour les prochaines crises à venir. C'est simplement un principe de responsabilité. Quand les choses commencent à aller mieux, il faut mettre de l'argent de côté, rétablir les finances publiques, rétablir nos réserves financières pour pouvoir, si une nouvelle crise devait frapper la France, disposer des mêmes moyens qui nous ont permis d'affronter les crises précédentes.
Dans ce contexte de rétablissement des finances publiques sur lequel nous travaillons tous les jours avec Gabriel Attal et avec les parlementaires, notamment avec la revue des dépenses publiques que nous présenterons dans les prochaines semaines, l'effort qui a été fait pour les douanes est un effort significatif. Il permettra de doter la douane de nouveaux moyens d'action très concrets et indispensables pour vos travaux : de nouveaux scanners pour détecter les marchandises illicites dans les containers et les colis, des drones pour décupler les capacités de surveillance — et chacun connaît l'efficacité de ces drones — de nouveaux outils pour traiter la donnée et l'intelligence artificielle et évidemment, de nouveaux véhicules et équipements pour les douaniers. Et j'insiste là-dessus, parce que je crois à la réalité de la vie quotidienne. Et quand on est douanier, on monte dans sa voiture, on monte dans son véhicule, on a des équipements. Et la moindre des choses que nous vous devons, c'est d'avoir des véhicules en bon état de marche, c’est d’avoir des équipements qui vous protègent et ce n’est pas la même chose de monter dans un véhicule neuf, efficace, rapide, sûr et monter dans un véhicule qui a déjà 20 ou 25 ans et 1000 000 km au compteur. Ça vous change votre vie quotidienne et je crois à la nécessité d’avoir une vie quotidienne de qualité pour l'ensemble des agents publics, en particulier pour les douaniers.
Notre état d'esprit avec ce projet de loi est donc de continuer cette amélioration des conditions de vie et de l'efficacité du travail des douaniers.
Un des sujets qui a fait le plus polémique, c'est la remise en cause du droit de visite des douanes. Je vais vous donner ma position sur ce sujet. Nous voulons et je veux personnellement un droit de visite efficace, clair, opérationnel pour les douaniers puisque moi, je veux bien qu'on vous demande de faire votre métier tout en vous interdisant le droit de visite. Mais très franchement, on ne va pas aller très loin si on ne permet pas aux douaniers de fouiller les coffres des véhicules. D'ailleurs, pour l'avoir fait à plusieurs reprises avec Gabriel, ce n'est pas uniquement les coffres, ce sont des planchers, ce sont des plafonds, ce sont des parois, ce sont des pneus. C'est tout ce que vous voulez mais vous devez garder un droit de visite pour interpeller les criminels, interpeller les délinquants et repérer là où se trouvent les stupéfiants.
Le Conseil constitutionnel a rendu un arrêt en septembre dernier qui a suscité, je le sais bien, beaucoup d'inquiétudes. Le Conseil constitutionnel ayant estimé que cet article 60 du Code des douanes n'assurait pas suffisamment de garanties pour les libertés publiques. Je respecte évidemment les décisions du Conseil constitutionnel, mais l'équilibre qui doit être trouvé, c'est entre cette décision et la nécessité, je le redis, de vous garantir un droit de visite efficace, clair, opérationnel du droit de visite. Je pense très sincèrement que le projet de loi que nous présenterons à Gabriel Attal préserve l'efficacité, l'opérationnalité et la simplicité du droit de visite dont vous avez impérativement besoin.
Pour être un tout petit peu plus précis, pour les douaniers qui exercent à la frontière du territoire, le nouveau texte ne modifiera quasiment pas le droit de visite par rapport à ce que nous connaissons. Pour les douaniers qui exercent à l'intérieur du territoire, et même si c'est contre- intuitif, vous le savez tous, mais je le dis pour tous ceux qui ne sont pas spécialistes du sujet, en réalité, les saisies sont plus importantes à l'intérieur du territoire qu’aux frontières. Donc, avoir un droit de visite efficace à l'intérieur du territoire, c'est tout aussi important que l'avoir aux frontières. Il n'est pas question de baisser la garde là-dessus. Le droit de visite sera donc préservé avec simplement la nécessité d'informer le pouvoir judiciaire. Je dis bien informer, ce qui ne veut pas dire une autorisation préalable. Il y a un devoir d'information, il n'y a pas de devoir d'autorisation préalable. Tout simplement expliquer en quoi est-ce que ce droit de visite peut être nécessaire à tel moment, sur tel axe routier. Ça peut être un axe nord/sud, axe de trafic de drogue particulièrement important. Vous informez le point judiciaire sans autorisation préalable.
Par ailleurs, nous voulons préserver la possibilité, lorsqu'il y a des raisons plausibles d'agir, d'agir même sans information préalable, parce que l'urgence le justifie. Si vous avez un convoi qui force un passage douanier, il me paraît légitime que vous puissiez exercer votre droit sans information préalable puisque l'urgence le justifie. Voilà l'équilibre qui a été trouvé. Il préserve, je le redis, toute l'efficacité opérationnelle du droit de visite tout en répondant aux interrogations du Conseil constitutionnel sur le droit.
Enfin, ce projet de loi va compléter l'arsenal juridique de la douane. Gabriel Attal vous précisera tout cela avec deux points qui sont très importants : la création d'une réserve opérationnelle. C'est efficace du point de vue matériel. C'est aussi, je pense, un geste politique très fort. C'est ancrer encore un peu plus les douanes dans le système régalien national. Donc, je crois que c'est un geste extrêmement fort que de créer cette réserve opérationnelle des douanes. La douane était la seule force de sécurité qui n'en disposait pas encore.
Enfin, deuxième élément qui me tient à cœur, c'est les nouveaux outils de lutte contre la cyber délinquance ou la fraude liée aux plateformes. Je me suis beaucoup exprimé sur ce sujet depuis des semaines. Il n'y a pas d'espace de non-droit dans le commerce ou dans l'économie française. Quand il y a de nouveaux espaces économiques et de nouveaux espaces commerciaux, ils doivent respecter les mêmes règles de droit, respecter l'ordre public économique et je souhaite que la douane participe à cette lutte contre la fraude liée aux plateformes.
Voilà les quelques éléments généraux que je voulais vous présenter.
Un petit mot de conclusion plus personnel. Je rencontre beaucoup d'agents des douanes lors de mes déplacements en France. Je vous rends compte tous les matins en arrivant ici au bureau depuis maintenant plus de 6 ans. Je vais vous dire la fierté qui est la mienne. Je peux parler aussi au nom de Gabriel la fierté qui est la nôtre, de voir l'efficacité, le professionnalisme, le dévouement des 17 000 agents des douanes. Je pense que vous êtes de plus en plus au cœur des activités régaliennes de l'État. Je pense très profondément que nos compatriotes veulent de plus en plus que le droit soit simplement respecté partout sur le territoire. Il ne supporte ni les incivilités ni les crimes liés au trafic de stupéfiants. Ils veulent très simplement que les règles soient respectées partout sur le territoire français. Vous êtes les garants de l'application de ces règles. Je sais que vous le faites avec dévouement, avec professionnalisme, avec engagement. Et je tiens à vous en remercier du fond du coeur. Merci à toutes et à tous et je cède la parole à Gabriel Attal.
Merci à toutes et à tous et je cède la parole à Gabriel Attal. [Applaudissements]
- Gabriel ATTAL
Monsieur le ministre, cher Bruno,
Monsieur le rapporteur général du budget,
Mesdames, Messieurs les parlementaires,
Madame la directrice général des douanes,
chères douanières, chers douaniers,
Mesdames, Messieurs,
Je commencerai par là où Bruno a terminé en vous disant que je suis arrivé ici à Bercy auprès de Bruno Le Maire il y a une dizaine de mois maintenant et que l'un des points dont je suis le plus fier depuis 10 mois passés ici à Bercy, c'est d'être le ministre des douanières et des douaniers.
Je me suis rendu très régulièrement à leur rencontre à Clermont-Ferrand, à Perpignan, en Martinique, en Guyane, à Marseille, à Lyon, il y a encore quelques jours, et ce n'est pas exhaustif. Et je crois que j'ai rarement vu un tel engagement, un tel dévouement, une telle conscience des enjeux que traversent notre pays et de l'indispensable souveraineté française et européenne dans un monde fait de risques et de menaces. Et je suis arrivé ici à Bercy au moment où, effectivement, le Conseil constitutionnel a rendu une décision qui a beaucoup inquiété, j'ai pu le mesurer, beaucoup inquiété les douanières et les douaniers en remettant en cause la rédaction actuelle du droit de visite des douanes.
Nous avons tenté ensemble d'avancer rapidement à l'automne dernier, avec une habilitation à légiférer par ordonnance, c'était le moyen le plus rapide d'agir. Cette habilitation a été censurée à nouveau par le Conseil constitutionnel, et donc nous avons décidé de proposer un projet de loi, raison pour laquelle nous nous retrouvons aujourd'hui. Ces derniers mois, je le dis et je le sais, n'ont pas été simples. Ils n'ont pas été simples car malgré l'intervention du garde des Sceaux et de leur équipe, et j'insiste sur le fait que le texte que nous présentons aujourd'hui leur doit beaucoup, ils nous ont beaucoup aidés, et je veux remercier mon collègue Éric Dupond-Moretti pour cela.
La décision du Conseil constitutionnel est devenue le prétexte fallacieux de certains malfrats pour contester les procédures douanières. C'est une situation qui a créé beaucoup d'angoisses, beaucoup d'incertitudes. Il faut la lever et c'est la raison pour laquelle, avec Bruno Le Maire, nous vous présentons le premier projet de loi spécifiquement dédié à la douane depuis 1965, 58 ans.
Ce texte sera présenté au Conseil des ministres dès demain, avant de commencer son parcours au Sénat, puis à l'Assemblée nationale. 58 ans, je le disais, 58 ans pendant lesquels d’abord l'Union douanière a été créée, puis le marché unique. Le droit douanier a été harmonisé dans toute l'Union européenne, l'espace Schengen a été créé, les aubettes aux frontières ont disparu, les contrôles migratoires aux frontières intérieures ont été supprimés, puis rétablis à partir de 2015. Le Royaume-Uni est entré dans l'Union européenne, puis il en est sorti. Ce faisant, la douane a abaissé, puis rétabli la frontière de la Manche dans. Le cadre de l'action douanière depuis 58 ans, a donc été profondément, révolutionné et révolutionné plusieurs fois.
Mais s'il existe un invariant, une constante pendant ces 58 années, c'est la constance invariable des douaniers dans l'accomplissement de cette noble mission qui est la vôtre, celle du contrôle et de la facilitation du commerce international, de la protection du territoire et donc des Français. 58 ans, c'est néanmoins une longue période pendant laquelle les gouvernements successifs n'avaient pas remis sur le métier une vision d'ensemble de l'action de la douane française.
Fin 2021, nous avons impulsé un premier mouvement avec la conclusion du contrat de la douane que Bruno Le Maire a évoqué et qui est actuellement décliné dans tout le réseau de la Direction générale des douanes et droits indirects. Pendant ces 58 années, une partie du droit douanier s'est parfois éloignée des défis actuels ou n'a pas été revue à l'aune des missions nouvelles utiles à l'ensemble des Français. Et finalement, la décision du Conseil constitutionnel du 22 septembre dernier a mis en lumière ce constat.
C'est pourquoi nous avons conçu ce projet de loi autour de l'idée que la mise en conformité de l'article 60 ne pouvait pas faire l'économie d'une réforme plus ambitieuse des moyens juridiques d'action de la douane, et nous avons identifié trois grandes priorités.
D'abord, réaffirmer le rôle de la douane à l'intérieur du territoire. Tous les douaniers le savent, c'est à l'intérieur du territoire, désormais dans les brigades de surveillance intérieure, que les plus importantes affaires sont réalisées. La douane est partout sur le territoire et elle y restera.
Ensuite, restaurer la douane dans ses prérogatives d'investigation. L'enquête douanière, c'est le reflet de la spécificité de votre expertise sur les marchandises et sur la frontière. C'est la douane qui est la mieux placée pour enquêter sur les fraudes douanières, les réseaux de stupéfiants, le contournement de droits à l'importation, la contrefaçon, les trafics de tabac et, bien sûr, capter l'argent sali par ces infractions.
Enfin, s'adapter aux transformations induites par les technologies numériques. Je mentionne souvent le e-commerce, mais il y a aussi un autre phénomène en pleine expansion, celui de l'utilisation des actifs numériques à des fins de blanchiment d'argent. Mais évidemment, le cœur de ce projet de loi, c'est la mise en conformité du droit de visite. L'équilibre auquel nous sommes parvenus était très difficile à trouver. Il fallait à la fois donner des garanties suffisantes pour le Conseil constitutionnel, tout en garantissant que nous étions capables de maintenir le même niveau d'efficacité et d'agilité pour les agents des douanes, très compliqué. Nous avons beaucoup travaillé avec le garde des Sceaux sur ce sujet-là et nous sommes parvenus à trouver un équilibre entre la protection absolue des prérogatives de la douane et les libertés publiques de nos concitoyens.
Je veux remercier votre directrice générale, les services de l'administration centrale et tout particulièrement Madame Corinne Cléostrate, Monsieur Alain Lefebvre, ainsi que Sébastien Tiran et Alice Cherif pour la DNRED et le réseau des référents douaniers qui ont été mobilisés sur la question. Grâce à votre engagement résolu, nous avons eu une validation du Conseil d’Etat du texte que nous proposons. Nous avons eu un seul objectif ces derniers mois : assurer que cet équilibre ne compromette en aucun cas l’efficacité remarquable de la douane.
Le droit de visite, nous le savons, c’est la capacité pour les douaniers de pouvoir contrôler les marchandises, les moyens de transport et les personnes afin de rechercher des fraudes. Au fil du temps, à mesure que l’équilibre entre pouvoir régalien et liberté individuelle a évolué, ce droit de visite a été encadré par la jurisprudence, mais le texte de l'article 60 du Code des douanes n'avait jamais été modifié depuis 1948. Au fond, la décision du Conseil constitutionnel, elle dit cela. Elle dit que le législateur n'avait pas suffisamment précisé le cadre applicable à l'exercice du droit de visite. Mais elle a aussi reconnu l'importance de la lutte contre la fraude douanière, qui se rattache en effet à l'objectif à valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions. Concrètement, ce projet de loi met en conformité le droit de visite par 3 grands moyens.
D'abord, il inscrit dans la loi les principes dégagés par la jurisprudence de la Cour de cassation au fil des années. Sont ainsi codifiés le caractère contradictoire des contrôles, l'interdiction de la fouille à corps et le maintien à disposition des personnes sur le temps strictement nécessaire aux opérations de visite. Quand je dis cela, je dis entre guillemets des banalités pour les douanières et les douaniers qui exercent le droit de visite puisque la jurisprudence est venue encadrer ce droit. Et au fond, il s'agit d'inscrire dans la loi ce que la jurisprudence a précisé depuis des années. Ça va mieux en le disant ou ça va mieux en l'écrivant, on choisira. Mais en tout cas, ça répond aux demandes du Conseil constitutionnel.
Ce texte maintient dans la zone frontière une prérogative de contrôle étendue, justifiée par la nature même des infractions douanières. Très concrètement, dans le rayon des douanes, fixé à 40 kilomètres de nos frontières, ainsi que dans les ports, les aéroports, les gares ferroviaires et les routes internationales, le droit de visite pourra continuer à s'exercer sans aucune modification. C'est important de le dire. À l'intérieur du territoire, le droit de visite est également maintenu. Là aussi, c'est très important. Il y avait des inquiétudes sur le fait que le droit de visite ne puisse plus s'exercer à l'intérieur du territoire. Il est maintenu. Cette action est essentielle car les trafics de drogue, de tabac, de contrefaçon ou d'argent liquide ne s'arrêtent pas aux frontières. Ils sillonnent notre territoire et doivent pouvoir y être interceptés. Ce projet de loi confirme donc l'action de la douane à l'intérieur du territoire avec deux encadrements, soit sur le fondement de raisons plausibles de soupçonner que la personne contrôlée a commis une infraction douanière, soit après information préalable du procureur de la République pour la recherche des infractions douanières. Information préalable. J'insiste sur ce point, information et non pas autorisation du procureur. Cela permet de maintenir la spécificité du contrôle douanier. La douane doit pouvoir intercepter des flux de fraude mouvants, évolutifs, qui s'adaptent en permanence. Elle doit donc rester agile pour pouvoir agir. La sécurité juridique des pouvoirs douaniers est un enjeu qui va au-delà de l'article 60.
Pour parler très directement, le code des douanes nous permet d'être redoutablement efficace et chaque semaine, avec Bruno Le Maire, nous signons des communiqués de presse pour saluer de très importantes saisies. Mais il comporte des singularités, des obsolescences, des dispositions qui ne sont plus forcément en phase avec les normes juridiques actuelles. Et si nous ne voulons pas nous retrouver à nouveau au pied du mur avec une prochaine décision du Conseil constitutionnel ou à subir des décisions de justice qui annuleraient des procédures douanières menées sur la base du code des douanes, il faut être proactif. Et c'est pour ça que le projet de loi propose d’habiliter.
Le Gouvernement a recodifié par ordonnances la partie législative du code des douanes. C'est un immense chantier qui prendra probablement plusieurs années, mais il nous faut nous y engager.
Dans ce même objectif et sans attendre la recodification, ce projet de loi propose de mieux encadrer le recours aux techniques spéciales d'enquête les plus intrusives. Je pense à la captation d'images ou à la mise sur écoute pour qu'il n'y ait plus aucune ambiguïté entre ce qui relève du renseignement et ce qui relève de l'enquête judiciaire. Là aussi, je parle de techniques qui sont d'ores et déjà utilisées par les douanes. Ça permet de clarifier les choses.
Autre point majeur, Bruno Le Maire l'a évoqué : toujours dans l'optique que l'organisation douanière s'adapte mieux aux situations de crise. Ce projet de loi crée une réserve opérationnelle comme il en existe dans tous les corps en uniforme. La pénitentiaire, l'armée, la police nationale, la gendarmerie ont toutes une réserve opérationnelle. Seules les douanes n'en disposent pas aujourd'hui. Elle sera essentielle pour mobiliser des citoyens volontaires pour venir en appui des douaniers, Évidemment pas pour faire leur travail à leur place. En faisant face à des pics de charge liés à des situations de crise ou à l'organisation d'événements internationaux. Je pense évidemment aux Jeux olympiques et paralympiques que la France accueillera l'année prochaine. La douane est une administration qui gère des crises. C'est elle, en novembre dernier, qui était là pour réceptionner l'océan Viking. C'est elle qui est mobilisée dans le Nord pendant le Brexit. C'est elle qui est mobilisée partout en France pour appliquer les sanctions liées à la guerre en Ukraine. C'est elle qui était mobilisée en Corse pendant la tempête Larisa. Il faut qu'il puisse avoir une réserve opérationnelle capable de venir en appui, dans les moments de crise.
À cette ambition de sécurisation, ce projet de loi ajoute celle de moderniser les pouvoirs douaniers. Là aussi, la criminalité évolue, et donc les moyens de la combattre doivent évoluer également. Le premier phénomène, nous le savons, c'est la cyber délinquance douanière. Le numérique provoque des mutations exceptionnelles dans le commerce international, dans les trafics et dans le blanchiment du produit de la fraude. Face à cela, c'est tout l'Etat qui est confronté au risque de voir ses moyens d'action devenir obsolètes. Et donc, nous donnons des moyens supplémentaires juridiques aux douaniers d'agir face à cette criminalité qui évolue.
D'abord, nous dotons les douaniers de pouvoirs renforcés pour réguler les plateformes de l'économie numérique et les associer à la lutte contre la fraude douanière. Très concrètement, nous donnerons aux douaniers une palette d'outils de l'incitation à la coercition pour que les opérateurs du numérique entravent mieux demain les trafics illicites qu’ils hébergent, qu’ils diffusent.
Ensuite, nous allons donner à la douane la possibilité de geler les données hébergées sur un serveur distant au cours des visites domiciliaires et de mieux saisir et exploiter les matériels et données numériques comme les crypto actifs.
Troisième mesure décisive, l’expérimentation pour trois ans d’un nouveau mode d’utilisation des données de lecteur automatisé de plaques d’immatriculation, les fameux LAPI, afin que la douane soit mieux armée pour intercepter les convois douaniers qui, sans ce changement, risquaient de devenir une véritable faiblesse dans notre arsenal de la lutte contre la fraude. J’ajoute que nous allons doter la douane de très nombreux LAPI supplémentaires dans les années à venir, mais il faut mieux pouvoir exploiter les données liées aux LAPI et, par exemple, pouvoir croiser les plaques d’immatriculation pour identifier un convoi entre le véhicule qui ouvre et les véhicules qui suivent. C’est une disposition très importante que nous avons travaillé longuement avec le ministère de l’Intérieur.
Quatrième réforme, la réforme du délit de blanchiment douanier et des outils de lutte dont dispose la douane. La criminalité organisée ne pourra être entravée que si les fonds issus de ces activités sont saisis. L’incrimination de blanchiment douanier sera étendue à l’ensemble des délits douaniers et au blanchiment au moyen de cryptoactifs.
Parallèlement, avancée pour la douane qui agit en profondeur du territoire, les douaniers pourront désormais retenir temporairement les fonds criminels lorsqu’ils les découvrent à l’intérieur du territoire. C’est aujourd’hui possible à la frontière, cela ne l’est pas à l’intérieur du territoire. C’est là aussi une avancée supplémentaire pour les douaniers qui agissent en profondeur.
Dernière réforme, mettre l’arsenal répressif à hauteur des enjeux d’un fléau en pleine expansion, et j’étais à Lyon, vendredi dernier avec la directrice générale, je parle du trafic de tabac. Je l’ai annoncé en décembre dernier, la peine en cas de fabrication, d’importation ou de vente de tabac sera portée à 3 ans d’emprisonnement, contre 1 an aujourd’hui. En cas de bande organisée, elle sera portée à 10 ans, contre 5 ans aujourd’hui. Nous voulons sanctionner le trafic de tabac au même titre que le trafic de stupéfiants dans notre pays. Nous constatons que les réseaux mafieux, les réseaux criminels internationaux se tournent de plus en plus vers le trafic de tabac. Nos saisies de tabac doublent chaque année. C’est lié à l’extraordinaire efficacité des douaniers, c’est aussi lié au trafic qui augmente. Nous avons identifié sur le sol national français l’année dernière 5 usines clandestines de fabrication de cigarettes, des phénomènes qu’on ne voyait que dans les pays de l’Est jusqu’à maintenant, 5 usines clandestines qui produisaient 1 à 2 millions de cigarettes par jour sur le sol national. Nous allons donc renforcer les sanctions, renforcer les sanctions en haut de la chaîne, je le disais à l'instant, mais aussi renforcer les sanctions en bas de la chaîne sur la vente à la sauvette, qui entraîne un véritable harcèlement dans certains quartiers de la capitale, mais aussi dans d'autres métropoles françaises, pour nos concitoyens qui ne peuvent plus sortir du métro ou rentrer chez eux sans être harcelés par des vendeurs à la sauvette.
Très concrètement, nous avons décidé que l'interdiction du territoire sera prononcée à l'encontre de tout étranger coupable de délits douaniers portant sur les trafics de tabac ou sur les stupéfiants.
Enfin, avant de terminer, je voudrais dire un mot d'un enjeu très important au moment où le Gouvernement s'apprête à déposer ce projet de loi sur le bureau des présidents des deux assemblées. Avec ces changements qui sont devenus indispensables, viennent de grandes responsabilités pour les douaniers mais aussi pour nous, vos ministres. Pour bien appliquer l'article 60 et les nouveaux pouvoirs prévus par le code des douanes, il ne suffit pas de changer les textes, encore faut-il que les douaniers puissent se les approprier, que les doctrines, que les procédures, que les procès-verbaux soient adaptés au plus vite.
En effet, on ne peut se permettre ni latence ni flottement dans la lutte contre les trafics. La lutte contre les organisations criminelles ne peut souffrir d'aucune pause. Pour cela, nous avons souhaité qu'un plan de formation ambitieux à destination de tous les douaniers qui exercent des fonctions de contrôle sera engagé dès à présent, avant même la promulgation de la loi. L'objectif, je le dis, c'est que les douaniers soient prêts au moment où la loi est promulguée et où ce nouveau cadre juridique apparaîtra au Journal officiel. Très concrètement, nous allons identifier des référents dans chaque service déconcentré. Ils relaieront les formations auprès de leurs collègues et ils les aideront à sécuriser les contentieux.
Pour conclure, je veux vous redire l'immense fierté et le bonheur que j'aurai à défendre devant le Parlement ce texte qui incarne tout ce que votre action a d'indispensable pour la France et pour les Français. Vous le savez, nous préparons par ailleurs une feuille de route sur la lutte contre toutes les fraudes, y compris les fraudes douanières. J'ai pu échanger avec de très nombreux parlementaires de tous bords pour préparer cette feuille de route. Tous ont unanimement salué l'action de la douane sur l'ensemble du territoire français. Dans une France qui a besoin d'être protégée, qui a besoin d'équité et de justice face à la mondialisation et aux trafics, il est nécessaire que la loi reconnaisse et arme les premiers artisans de notre sécurité, c'est-à-dire les douaniers.
Je suis convaincu, je veux le dire, qu'à l'issue des débats parlementaires, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, nous parviendrons à réunir une très large majorité. Parce qu'on parle ici de la sécurité des Français, on parle de la souveraineté de notre pays et à un moment où certaines réformes, certains enjeux font l'objet de débats, parfois de débats difficiles, de divisions politiques, je suis absolument certain que s'il est un enjeu autour duquel nous pouvons nous retrouver par-delà les clivages politiques, c'est bien la protection de nos concitoyens. Et cette protection, c'est vous qui la faites vivre au quotidien.
Merci à tous et à bientôt.
Source https://www.economie.gouv.fr, le 4 avril 2023