Interview de M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées à RMC le 12 avril 2023, sur les résultats du rapport de l'IGAS sur l'accueil et la prévention de la maltraitance dans les établissements d'accueil du jeune enfant.

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Média : RMC

Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
Jean-Christophe COMBE, bonjour.

JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Bonjour.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes ministre, le ministre des Solidarités, en charge notamment des personnes âgées, mais aussi de la prise en charge de nos tout-petits. Et on a un peu l’impression que c’est la même problématique des deux côtés de la vie : la question de la dépendance et dont la manière dont les plus dépendants sont traités. Il est 7h40, beaucoup de ceux qui nous écoutent sont en train de se préparer ou de préparer leurs enfants soit pour aller à l’école, soit pour aller à la crèche. Est-ce qu’après le rapport de l’IGAS, de l’inspection générale de la santé qui montre des maltraitances vis-à-vis de nos enfants, vous pouvez dire, à 7h40, à ceux qui nous écoutent « c’est bon, ayez confiance, vous pouvez emmener vos enfants tranquille » ?

JEAN-CHRISTOPHE COMBE
D’abord, je voudrais rappeler le premier constat qui est pointé par l’Inspection générale des affaires sociales, c’est que les situations dans les établissements, elles sont très disparates, c’est-à-dire que la très grande majorité des établissements traite bien leurs enfants que les situations extrêmes qui sont décrites, c’est la minorité des cas, et donc que les parents peuvent faire confiance aux crèches lorsque, ce matin, elles vont aller déposer leurs enfants. Par ailleurs, rendre hommage aussi et rendre justice à la très grande majorité des professionnels, parce que la très grande majorité professionnelle sont des personnes qui font un travail remarquable, qui sont des personnes engagées, qui sont là pour protéger, pour accompagner avec qualité ces enfants.

APOLLINE DE MALHERBE
Sauf que le problème, c’est qu’ils sont parfois : un, pas suffisamment nombreux, deux, sous une pression terrible. On a eu le témoignage tout à l'heure de Christine qui est directrice de crèche depuis vingt ans et qui dit que la pression, elle s'est accentuée ; qu'on leur demande de plus en plus d'enfants à accueillir avec pas des subventions qui continuent ; que la CAF notamment leur met beaucoup la pression, et puis, qu’elle a difficulté aussi à recruter. Donc le personnel, il peut être parfois de bonne volonté, mais se retrouve dans des situations qui le dépassent.

JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Vous savez, ce rapport, c'est moi qui l’ai demandé. Une semaine après ma nomination en tant que ministre, j'ai souhaité qu'on fasse la lumière sur la situation dans les crèches, justement pour remettre la question de la qualité au coeur des projets d'établissement. Ce secteur de la petite enfance, comme beaucoup de secteurs en matière sociale et médico-sociale et en crise. Une crise, en fait, qui est liée au manque d'attractivité de ces métiers. Et c'est vrai qu'il y a des tensions qui sont extrêmement importantes dans les établissements. Pour autant, ça ne doit pas faire que la qualité ou la sécurité de nos enfants soit remise en question dans ces établissements. Et je le redis, c'est notre priorité. Et d'ailleurs, il y a un certain nombre de places aujourd'hui qu'on estime à 10 000 environ qui sont fermées, justement parce qu’on manque de personnel. Et que ce manque de personnel ne doit pas jouer, encore une fois, sur la qualité et la sécurité de la crèche.

APOLLINE DE MALHERBE
Donc, on va revenir sur la question cette embauche parce qu'en fait, il y a vraiment un problème, visiblement, aussi d'attractivité du métier. Mais ce rapport, il fait 111 pages. Est-ce que vous voyez une distinction entre les structures publiques et les structures privées (c’est-à-dire les crèches publiques et les crèches privées) ? Est-ce que vous voyez une différence entre les micro-crèches et les crèches collectives ? Est-ce qu'il y a, quand même, un profil de crèche qui maltraite davantage que les autres ?

JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Le rapport ne pointe pas un profil ou un type de crèches en particulier. Il est clair qu’il y a des situations dans lesquelles des modèles économiques qui sont moins adaptés que d'autres, pour lesquels on est moins regardant sur la qualité. Moi, je tiens à ce modèle de financement et qui fera, demain, qu'on financera mieux les crèches qui sont plus qualitatives.

APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire que ça pourrait être une sorte d'incitation ?

JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Voilà, c'est une incitation à la qualité. Moi, ce que je veux, c'est vraiment remettre la qualité au coeur de ces établissements.

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, mais j’ai envie de dire servir dans un sens, celles qui auront besoin de plus de sous, justement, c’est celles où ça ne se passe pas bien. Donc, vous allez vous retrouver avec exactement l'inverse de ce que vous voudriez.

JEAN-CHRISTOPHE COMBE
L'idée c'est de leur dire, on va vous accompagner pour améliorer la qualité. Et donc, vous inviter à le faire…

APOLLINE DE MALHERBE
Non mais vous comprenez bien le problème monsieur le ministre ? J’avoue que je trouve, alors là, pour le coup ma question, elle parait peut-être extrêmement naïve ; mais il y a une sorte de carotte, si je comprends bien, mais vous m'arrêtez. Il y a une sorte de carotte : « si ça se passe bien, si votre crèche, vous aurez plus de subventions. » J’ai envie de vous dire que c'est exactement l'inverse de ce qu'il faut faire. C'est que celles où ça ne se passe pas bien, c'est celles qui auront besoin de plus de sous ; et ça va être encore pire parce qu’elles en auront encore moins.

JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Il y a une carotte et puis, il y a un bâton. C'est-à-dire que derrière ça aussi, l'idée c'est de renforcer les contrôles. Aujourd'hui, les contrôles sont effectués par les PMI des départements. L'idée c'est de faire en sorte que ceux qui ne traitent pas bien les enfants, ceux qui ne respectent pas les normes de qualité…

APOLLINE DE MALHERBE
Auront encore moins de sous et donc traiteront encore moins bien nos enfants.

JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Non, pas auront moins de sous, c'est juste simplement qu'on les fermera. C'est-à-dire qu’on les sanctionnera et qu'elles ne pourront plus exercer. Enfin, je vais être très ferme par rapport à ces situations-là. Franchement ce que je veux, c’est apporter…

APOLLINE DE MALHERBE
Et pourquoi vous ne donnez pas plus de sous à tout le monde ?

JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Mais on va donner plus de sous à tout le monde mais sous condition d'amélioration de la qualité, sous condition de faire en sorte que cette qualité, elle soit au coeur encore une fois du projet d'établissement.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce qu'il faut revaloriser les salaires ?

JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Il faut revaloriser les salaires. Ça, je l'ai dit aussi dès que je suis arrivé.

APOLLINE DE MALHERBE
Comment ? Dépendront de qui ? Des parents ? De l'Etat ?

JEAN-CHRISTOPHE COMBE
De l'Etat. On va mieux subventionner et mieux soutenir les salaires dans le secteur. Je l'ai dit, on a ouvert des négociations cet automne ; elles patinent un peu. C'est pour ça d’ailleurs que j’ai demandé à ce qu'il a un médiateur pour aider les partenaires sociaux à négocier en fait de meilleurs salaires dans le secteur pour revaloriser tous les professionnels de la petite enfance. C'est important, c'est l'un des seuls secteurs qui, ces dernières années, n'a pas été revalorisé à la suite notamment du secteur de la santé. Vous savez que dans les hôpitaux, dans les EHPAD, dans les établissements personnes handicapées, on a augmenté les salaires ; ça n’a pas été le cas dans le secteur de la petite enfance. Et moi, j'ai engagé…

APOLLINE DE MALHERBE
Et pourquoi vous ne le faites pas tout de suite ?

JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Parce qu'il faut une négociation sociale, c'est important que les partenaires sociaux…

APOLLINE DE MALHERBE
Et vous leur donnez jusqu’à quand, là, pour augmenter ?

JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Je leur avais donné jusqu'à la fin de l'année, ça n’a pas été fait. Et donc, c'est vrai que j'ai mis en place une médiation.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais qui bloque ? C’est ceux qui ont les concessions ? C’est les directeurs de crèches privées ?

JEAN-CHRISTOPHE COMBE
C’est les représentants des employeurs, c'est les syndicats. Il faut qu'ils se parlent, il faut qu'ils arrivent à travailler. Moi, ce que je veux aussi c'est qu’on mette en place des grilles salariales qui soient cohérentes d'un secteur à l'autre ; qu'on soit dans le public, dans l'associatif, ou dans le privé commercial, que à même niveau, on gagne …

APOLLINE DE MALHERBE
Où est-ce qu’on est le moins bien payé ? Dans les crèches privées ou dans les crèches publiques ?

JEAN-CHRISTOPHE COMBE
En réalité, dans les crèches associatives. C'est-à-dire qu’aujourd’hui, on a une différence de salaire qui est assez importante du côté des crèches associatives. C’est un secteur dont je viens et que je souhaite qu'il soit soutenu parce que c'est un secteur qui met justement la question de la qualité avant tout autre considération comme dans le secteur public mais qui a moins de moyens.

APOLLINE DE MALHERBE
Jean-Christophe COMBE, on a de nombreux témoignages depuis ce matin. Et il y a Yann qui vient de nous appeler au 32 16, il nous appelle de Maisons-Alfort dans le Val-de-Marne. Bonjour Yann.

YANN, AUDITEUR
Bonjour.

APOLLINE DE MALHERBE
Yann, vous vouliez témoigner de ce qui s'est passé avec votre fils, en crèche.

YANN
Oui, tout à fait, oui. Donc, mon fils est âgé de moins de 2 ans. Et en fait, et en début septembre, il y a la directrice qui m'appelle en me disant que mon fils s’était cogné, qu’il saignait mais c'était bon, il ne pleurait plus, il ne saignait plus, que tout allait bien. Et je ne l’ai pas cru et j'ai demandé qu’elle m’envoie une photo. Et quand j'ai reçu les photos, j'ai demandé d’appeler une équipe médicale. Elle n'a pas fait, et c'est ma femme qui est allée le chercher une heure pour l’emmener aux urgences.

APOLLINE DE MALHERBE
Ils n’avaient pas appelé les secours d’eux-mêmes ?

YANN
Non.

APOLLINE DE MALHERBE
D’accord. Et aux urgences, on vous a dit quoi ? C'était sérieux ?

YANN
Donc, normalement, il devait avoir entre trois et quatre points de suture, donc il ne s’était pas laisser faire, donc, ils lui ont mis de la colle. Et en fait, il a eu un trauma crânien, sans vomissements et pertes de connaissance.

APOLLINE DE MALHERBE
Je suis un peu sidérée, parce que ça veut dire que si vous n'aviez pas été chercher votre enfant, si vous ne vous étiez pas vous-mêmes inquiété, c'est vrai que l'enfant n'aurait pas été vu par un médecin. La crèche n'avait rien fait.

YANN
Non.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous l'avez remis à la crèche derrière ?

YANN
C'est arrivé un mercredi ; le jeudi, je ne l'ai pas remis, il est resté avec ma femme. Le vendredi, on l’a remis parce qu’au niveau travail, on ne pouvait pas faire autrement.

APOLLINE DE MALHERBE
C’est ça.

YANN
Après le dimanche, on est retourné aux urgences parce que son hématome était tombé, a recoulé dans l'oeil. Et le médecin a dit qu’il fallait faire attention, qu'ils le surveillent à la crèche pendant deux mois. Et donc, ma femme les prévient le Matin à 8h, à la crèche qu'il faut le surveiller pour ne pas qu’il se cogne. Et le soir, quand je vais le chercher, ils préviennent qu'il a fait une bêtise, qu’il s'est cogné à la tête.

APOLLINE DE MALHERBE
Et là, vous avez renoncé ?

YANN
C’est arrivé à 9h et ils m’ont prévenu le soir à 17h quand je suis allé le chercher.

APOLLINE DE MALHERBE
Alors qu'il devait être sous surveillance. C'était une crèche, Yann ?

YANN
C’est ça, une micro-crèche privée, oui.

APOLLINE DE MALHERBE
Je voudrais que le ministre puisse réagir. Jean-Christophe COMBE, vous qui êtes donc le ministre des Solidarités ; ce genre de témoignage, on l'entend. C'est exactement ce qui est aussi dit dans le rapport de l'IGAS. Parfois, il s'agit de négligence, parfois de maltraitance à proprement parler. Est-ce qu'il faut des sanctions ? Il est très rare que les parents portent plainte. Il est extrêmement rare que les parents puissent garder leurs enfants puisqu'ils se retrouvent souvent dans une situation… c’est ce que dit Yann. Parce qu'à un moment, il faut quand même aller bosser. Que faire si on est témoin de ce genre de choses ?

JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Si on était moins ce genre de choses, si on a le moindre doute - là on, est sur un cas extrême qui est profondément choquant - je le dis, il faut saisir la PMI de son département, parce que c'est la PMI (et ça les parents ne le savent pas), c'est la PMI qui contrôle les crèches. Et donc, vous pouvez les saisir. Leurs numéros de téléphone sont faciles à trouver sur Internet. C'est le service de Protection maternelle et infantile des départements qu'il faut saisir pour dénoncer, c’est le cas. En cas de doute, il faut vraiment les appeler. Donc moi, je veux rassurer les parents ; il existe aujourd'hui des moyens pour pouvoir contrôler, pour pouvoir sanctionner, pouvoir vérifier que votre enfant est en sécurité dans la crèche qui l'accueille.

APOLLINE DE MALHERBE
Merci Jean-Christophe COMBE d'être venu dans ce studio pour répondre donc à ce rapport de l'IGAS que vous aviez vous-même commandé. Vous êtes le ministre des Solidarités et vous avez notamment en charge, non seulement les plus jeunes, mais aussi les personnes âgées. On en reparlera parce que, là aussi, évidemment, il y a du boulot.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 17 avril 2023