Texte intégral
Monsieur le Vice-président d'Eurojust,
Mesdames et messieurs les membres d'Eurojust,
Monsieur le Directeur de la division des affaires des Traités de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime,
Madame la présidente du Comité européen pour les problèmes criminels,
Madame la cheffe de bureau de la direction générale migration et affaires intérieures de l'Union européenne,
Madame la directrice générale des affaires internationales suédoise,
Mesdames et messieurs les représentants de la MILDECA,
Monsieur le directeur des affaires criminelles et des grâces,
Monsieur le Premier président de la cour d'appel de Paris,
Monsieur le Procureur général de la cour d'appel de Paris,
Mesdames et messieurs les premiers présidents,
Mesdames et messieurs les procureurs généraux,
Mesdames et messieurs les présidents,
Mesdames et messieurs les procureurs,
Mesdames et messieurs les magistrats de liaison,
Mesdames et messieurs les magistrats,
Monsieur le directeur de l'AGRASC,
Monsieur le délégué aux affaires européennes et internationales,
Monsieur le directeur central de la police judiciaire,
Mesdames et messieurs les colonels de gendarmerie,
Mesdames et messieurs les commissaires de police,
Mesdames et messieurs les représentants des services d'enquête,
Mesdames et messieurs les représentants des services des douanes,
Mesdames, Messieurs,
Quel honneur d'introduire ce séminaire devant une telle assemblée.
Vous tous, procureurs, juges, hauts représentants des institutions européennes et internationales et enquêteurs de près d'une trentaine de pays, venant de 3 continents : vous incarnez les visages de la lutte quotidienne, transfrontalière et internationale contre le crime organisé.
Votre présence ici nous honore profondément et témoigne de votre mobilisation dans ce combat de chaque instant. Mais derrière elle, transparaît l'intensité et la gravité de cette menace majeure qui nous rassemble tous ici, à Paris, dans cette impressionnante salle des grands procès, qui a une symbolique toute particulière pour notre pays.
Ces bancs, ces chaises sur lesquelles vous êtes assis, ce sont ceux qu'ont occupés pendant près d'une année les plus de 1800 parties civiles et les 300 avocats du procès des attentats de Paris du 13 novembre 2015 puis du procès de l'attentat de Nice du 14 juillet 2016.
Cette salle d'audience a été spécifiquement construite au cœur du palais de justice historique de Paris, au milieu de cette emblématique salle des pas perdus. Sa vocation est de répondre au profond besoin de justice qui s'imposait comme une réponse collective à l'horreur et à la barbarie : juger les auteurs encore vivants des attaques terroristes qui ont profondément marqué cette décennie.
En l'observant depuis mon pupitre aujourd'hui,je pense à une autre salle d'audience: la salle gigantesque du maxi-procès de Palerme qui s'est tenu à la fin des années 1980.
Au-delà des images, du nombre de prévenus et de la longueur du procès, si le maxi-procès de Palerme a marqué l'histoire judiciaire contemporaine c'est parce qu'au travers du témoignage d'un repenti, la mafia n'était plus considérée à travers une série des crimes particuliers mais comme une entité à part entière.
Nous ne traitions plus une succession d'actes matériels mais des groupes criminels structurés agissant parfois de concert dans un but unique : l'appât du gain. Leurs moyens : la violence, l'emprise et la soumission.
Vous le savez parfaitement, ce combat est loin d'être réservé à l'Italie, il est le nôtre à tous, partout. Le crime organisé est une menace pour tous nos Etats.
Cette menace, longtemps sous-estimée, n'a ni visage, ni frontière, ni limite. Invisible, dissimulée, elle se développe au travers d'une économie souterraine, de réseaux ingénieux de communication cryptée et de complicités dans toutes les strates de la société.
Nous ne pouvons plus fermer les yeux.
Qu'ils se nomment cartels, gangs, factions ou maffia, les réseaux qui l'animent s'insèrent dans chacune des strates de nos sociétés, étendent leurs ramifications sur tous les territoires et profitent des mécanismes offerts par la mondialisation pour maximiser leurs gains.
En témoigne l'interpénétration des cartels d'Amérique latine qui utilisent nos mers, nos ports, nos routes pour acheminer massivement la cocaïne dans nos régions.
En attestent également l'action des groupes issus de la région des Balkans qui n'hésitent pas à recourir à des modes opératoires violents parmi les plus extrêmes.
Le prouvent aussi les faits d'armes des confraternités nigérianes aux multiples facettes, de la traite des êtres humains en Italie, au trafic de cocaïne aéroportuaire entre la Guyane et la métropole et jusqu'aux règlements de comptes marseillais.
Ces groupes mafieux, de plus en plus transnationaux dans leur implantation et la mise en commun de leurs moyens logistiques de communication et d'action, ne reculent devant rien : économie souterraine, assassinats, extorsions, trafic d'armes à feu .…
Ces groupes criminels interconnectés disposent de ressources infinies, souvent indécelables, et recourent à des moyens de moins en moins dissimulés, par le biais de stratégies destinées directement à intimider et à déstabiliser nos fonctionnements démocratiques.
Le nombre de règlements de comptes explose partout : en Suède, en France, en Amérique centrale et je pense notamment à la Guyane.
Le 10 mai 2022, était assassiné le procureur antidrogue du Paraguay sur une plage de Colombie, M. Marcelo PECCI.
A Malte, l'assassinat à l'aide d'explosif de la journaliste Daphne Caruana Galizia en 2017 est encore dans l'esprit de chacun.
Aux Pays-Bas, c'est l'assassinat du frère d'un repenti, de son avocat et du célèbre journaliste Peter Rudolf de Vries qui ont été déplorés entre 2019 et 2021, dans le contexte du procès de l'un des plus grands importateurs de cocaïne via les ports d'Anvers et Rotterdam.
Preuve que l'Etat de droit est directement attaqué, aux Pays Bas, le premier ministre et la princesse héritière Amalia ont été obligés de vivre sous protection policière pour éviter d'être enlevés. Alors que le procès de Ridouan Taghi, chef du principal groupe mafieux se préparait, ils auraient servi de monnaie d'échange…
En Belgique, c'est une tentative d'enlèvement du ministre de la justice Vincent Van Quickenborne qui été déjouée au mois de septembre dernier, conduisant à l'interpellation aux Pays-Bas de quatre individus liés au narcotrafic quelques semaines plus tard.
Cette volonté des groupes criminels de déstabiliser les institutions étatiques, notamment celle de la Justice, vous y êtes également confrontés, pour certains, dans l'exercice quotidien de vos fonctions et je ne peux ici qu'exprimer mon profond soutien et tout mon respect à ceux d'entre vous qui trouvent la force et l'endurance quotidiennes de poursuivre ce combat contre le crime organisé.
Si ces signaux d'alerte ont progressivement été intégrés en matière de lutte contre le terrorisme, nous avons tardé à prendre conscience que la menace était tout aussi sérieuse en matière de lutte contre le crime organisé parce que celui-ci est par définition insidieux, et souvent dissimulé.
La dangerosité des groupes et leur influence n'a cessé de croître, leur laissant la place pour s'implanter durablement sur nos territoires.
Dans une interview au journal français Le Monde en juillet 2022, Nicola Gratteri, magistrat italien, spécialiste de la mafia calabraise, estimait, en parlant des mafias, que " de trop nombreux Etats ne comprennent pas ce danger, ou font semblant de ne pas comprendre ", et ajoute : " Le crime organisé sera toujours plus puissant et enraciné en Europe si personne ne le combat vraiment. Bientôt, il sera trop tard. "
Heureusement, le réveil et la prise de conscience sont en cours. Les évènements que je viens d'énumérer ont permis une prise de conscience collective, notamment en Europe. Après l'initiative prise, il y a 18 mois par les Pays-Bas sur ce sujet, afin de renforcer la coopération policière et judiciaire, la Présidence suédoise a fait de ce sujet sa première priorité en créant un groupe de travail européen " going dark ". Il me semble que la lutte contre la criminalité organisée devra en tout état de cause figurer tout en haut des priorités de la prochaine Commission européenne.
Votre présence à tous ici nous fait garder confiance : nous ne nous laisserons pas déstabiliser et nous garderons l'ascendant.
Il est, aujourd'hui plus que jamais, indispensable de mettre nos compétences et nos capacités d'action en commun autour d'un état de la menace et de constats partagés.
j'ai la conviction profonde que nous devons renforcer notre coopération, notre coordination opérationnelle, en développant les échanges transversaux et en élaborant des stratégies d'entraves et d'enquête internationales autour de trois piliers.
Le premier pilier consiste en la spécialisation des acteurs - sujet qui sera au cœur des échanges de la première table ronde, consacrée à l'adaptation des systèmes judiciaires nationaux à la menace criminelle du haut du spectre.
La criminalité organisée est un phénomène d'une complexité telle qu'elle exige une spécialisation poussée de ceux qui la combattent.
C'est pourquoi, la France a suivi l'exemple de ses voisins italiens, espagnols et roumains, que je remercie d'avoir accepté d'intervenir au cours de cette table ronde aux côtés de madame la procureure de Paris, en structurant son organisation judiciaire autour d'équipes dédiées à la lutte contre la criminalité organisée.
En France, les juridictions inter régionales spécialisées (JIRS) ont vu le jour en 2004 pour assurer le traitement des dossiers de grande complexité.
Ce dispositif a récemment été renforcé par la création de la juridiction nationale de lutte contre le crime organisé (JUNALCO) qui regroupe des procureurs et des juges spécialisés au sein du tribunal judiciaire de Paris afin de traiter des affaires relevant du haut du spectre de la criminalité organisée et revêtant une dimension nationale ou transnationale.
L'efficacité de ces juridictions spécialisées n'est plus à démontrer: leur capacité à mener une action de détection s'est particulièrement révélée au travers de la conduite d'enquêtes d'une ampleur sans précédent en lien avec les applications de communication cryptées et dédiées Encrochat et Sky ECC.
Second pilier : l'anticipation. Pour démanteler utilement les réseaux criminels, il nous faut anticiper les évolutions de leurs méthodes et de leurs domaines d'action.
A ce titre, les dossiers Encrochat et Sky ECC, dont la genèse et l'analyse vous seront présentées cet après midi, démontrent comment les réseaux criminels ont su tirer pleinement profit des innovations numériques. Mais ils démontrent aussi et inversement comment les enquêtes peuvent à leur tour profiter d'une manière exemplaire de ces innovations…
Surtout, on ne peut s'attaquer au fonctionnement et à la stratégie de ces organisations criminelles sans se concentrer sur les moyens financiers de leur action et les profits qu'elle génère.
Parce que cette criminalité poursuit, par essence, un objectif lucratif, il est majeur de rappeler ici que la lutte contre la criminalité organisée passe par la traque des flux financiers qu'elle engendre et la captation des biens mobiliers et immobiliers qu'ils génèrent.
A cet égard, il faut très vite aboutir sur les travaux en cours sur la directive sur le gel et la confiscation des produits du crime etje remercie la Présidence suédoise pour ces efforts en ce sens. Ce que prévoit cette directive, en particulier en matière de confiscation sans condamnation, offrira aux juridictions des outils très efficaces que tous les pays qui ont été confrontés à des phénomènes criminels de type mafieux ont déjà expérimenté.
Mais l'anticipation, c'est également la mise à disposition d'outils procéduraux spécifiques pour lutter efficacement contre les réseaux clandestins.
A ce titre, les échanges croisés sur les dispositifs d'infiltration et de recours aux repentis canadiens, américains, britanniques et français auront vocation à nourrir, nos échanges. La France réfléchit elle-même au renforcement de son dispositif d'aide aux repentis, et je me déplace d'ailleurs dès ce soir à Milan pour rencontrer nos amis italiens et examiner dans quelle mesure nous pourrons nous inspirer d'un système qui a fait ses preuves chez eux.
Enfin, troisième pilier, qui est d'ailleurs lié aux deux autres: la coopération internationale.
Votre présence ici en est le gage. Ces groupes criminels agissent dans un cadre international. La coopération judiciaire et policière internationale doit elle aussi impérativement être fluide et intense.
Vous le savez tous ici, le partage d'informations est primordial, notamment lorsqu'il s'agit de déstabiliser les structures et les circuits d'arrivées massives de cocaïne dans les ports. Il est au cœur des stratégies mises en place à l'encontre des trafics maritimes, qui feront l'objet d'une table ronde en fin d'après-midi.
C'est donc pour favoriser cette coopération transnationale que j'ai souhaité ce séminaire. Echanger sur nos dispositifs, partager nos analyses stratégiques, renforcer nos capacités d'action et pousser au plus loin notre collaboration est la condition sine qua non de l'efficacité contre ces groupes criminels qui nous affectent tous.
Les représentants nationaux d'EUROJUST qui sont présents en nombre à ce séminaire et que je salue le savent : une coordination étroite, associée à la détection de la menace le plus en amont possible, permet de donner à notre action un impact à la mesure des dangers auxquels nous faisons face.
Avant de conclure,je tiens à remercier tous ceux qui ont accepté d'animer et d'intervenir à ce séminaire. Je vous remercie vivement de votre présence et de votre mobilisation autour de cet évènement qui rejoint le haut niveau d'engagement et d'action qui est le vôtre dans ce combat qui nous unit à l'échelle mondiale.
Je veux aussi souligner la contribution essentielle de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA). Le fonds de concours qu'elle gère, est alimenté par les confiscations opérées dans les dossiers de criminalité organisée. Elle a permis de financer cet évènement et nous réunir aujourd'hui. Je veux l'en remercier sincèrement.
Mesdames et messieurs,
Ne nous y trompons pas! Les enjeux de la lutte contre le crime organisé dépassent largement la sphère pénale. Ces phénomènes criminels ont la capacité de déstabiliser profondément nos sociétés.
Les sommes colossales en jeu et la puissance de certains réseaux peuvent, notamment par la corruption et la violence extrême, fragiliser l'Etat de droit et ébranler les systèmes démocratiques.
Ce combat, est aussi un combat pour protéger les démocraties et les valeurs de transparence et d'égalité qu'elles portent.
Souvenons-nous des foules immenses rassemblées dans la cathédrale de Palerme le jour des obsèques de Giovanni Falcone et de Paolo Borsellino pour exhorter au sursaut contre la mafia. Elles ne disaient pas autre chose.
Je vous souhaite d'excellent travaux.
Je cède désormais la parole à monsieur le vice-président d'Eurojust.
Source https://www.justice.gouv.fr, le 3 mai 2023