Texte intégral
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion, en application de l’article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution visant à lutter contre les surtranspositions en matière agricole
(…)
Mme la présidente
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire
Cette proposition de résolution nous fournit l’occasion de débattre une nouvelle fois de l’adaptation des moyens de production à nos ambitions partagées : préserver, valoriser et pérenniser notre production agricole nationale, qui est l’une des plus exigeantes sur le plan sanitaire, environnemental et social, et reconnue comme telle dans le monde entier. L’enjeu du texte – dont je tiens à saluer les auteurs, en particulier Stéphane Travert – consiste à déterminer la meilleure façon d’accompagner les transitions pour conserver une agriculture française souveraine, de qualité, respectueuse de l’environnement, capable de répondre aux besoins alimentaires de nos concitoyens tout en contribuant à garantir la sécurité alimentaire mondiale, qui n’est pas assurée. Je me permets de souligner ce dernier point important, récemment mis en lumière par le conflit en Ukraine.
Il s’agit donc de dépasser les polémiques dont je constate souvent l’existence pour avancer au service de notre souveraineté, des enjeux de santé publique et de la préservation de l’environnement. Ces trois enjeux ne s’opposent pas et ne sauraient être traités séparément : ils vont de pair.
Ce gouvernement et cette majorité sont engagés de longue date dans la recherche de solutions pour accompagner les transitions agricoles à l’œuvre, dont la nécessité et l’urgence sont mises en relief par les effets délétères du dérèglement climatique sur la production agricole. Je sais que cette préoccupation est partagée sur de nombreux bancs. D’ailleurs, nous serions tous d’accord pour refuser toute dépendance envers d’autres pays qui produiraient davantage que la France, mais sans respecter nos normes sanitaires et environnementales et en s’appuyant sur un modèle bien différent de nos élevages familiaux. Pour ce faire, nous entendons accélérer les transformations à l’œuvre et les changements indispensables grâce à une logique de planification écologique.
La proposition de résolution se concentre sur la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires, qui constitue pour nous une priorité. Cette ambition nous a guidés pendant plusieurs quinquennats : ainsi, l’usage des produits les plus préoccupants – les CMR, substances cancérogènes, mutagènes et toxiques, de catégorie 1 – a diminué de 93% depuis 2016. Il faut reconnaître à la fois le chemin parcouru en la matière et le travail qui nous reste à accomplir. Nous devons définir les moyens et un calendrier adéquat de déploiement pour accompagner les agriculteurs vers le changement nécessaire de certaines pratiques. Il convient de leur donner davantage de visibilité à long terme, comme pour toute profession dont les conditions d’exercice se trouvent bouleversées. Nous pourrons ainsi préserver les productions françaises de qualité et nous assurer que, demain, de nouveaux agriculteurs croiront encore en l’avenir.
Il importe par ailleurs d’équilibrer le débat : éviter la surtransposition conduisant à des impasses techniques et économiques ne doit pas nous empêcher d’anticiper la modification de pratiques et de règles pour répondre aux attentes des consommateurs et des acteurs agricoles eux-mêmes.
Je souhaite d’ailleurs faire quelques précisions au sujet de la surtransposition. J’entends souvent dire que la France interdit l’usage d’une centaine de molécules autorisées partout ailleurs en Europe, mais il faut être exact : l’impact de ces interdictions est assez mineur.
M. Dominique Potier
Exactement !
M. Marc Fesneau, ministre
Si un grand nombre des molécules en question ne sont pas utilisées en France, c’est parce que la production agricole française ne comprend pas les mêmes filières et n’est pas soumise aux mêmes contraintes ou au même climat que la production d’autres pays, comme la Grèce. La surtransposition constitue un sujet de débat légitime – quelques cas méritent qu’on les examine –, mais non central.
M. Dominique Potier
Ah ! C’est donc une proposition de résolution pour rien !
M. Marc Fesneau, ministre
La suradministration, en revanche, c’est-à-dire les lourdeurs administratives qui freinent le développement de nouveaux projets, pose un problème majeur. Nous ne saurions faire évoluer la réglementation relative aux produits phytosanitaires tout en refusant les nouvelles techniques génomiques et en n’accélérant pas le développement du biocontrôle. Il serait tout aussi incohérent d’affirmer la nécessité d’une agriculture plus résiliente tout en refusant de débattre de la question de l’eau. Cela reviendrait à entraver notre capacité à produire. Il convient donc de lutter non seulement contre les surtranspositions de directives européennes, mais aussi contre notre propre propension à nous mettre des boulets aux pieds – je reprends la très bonne image d’Éric Martineau – dans le cadre national, alors même que personne ne nous le demande.
Je pense donc qu’au-delà du sujet des produits phytosanitaires nous sommes capables d’assumer pleinement les prétendues surtranspositions, dès lors qu’elles sont partagées, construites avec les acteurs et anticipées. Ce fut par exemple le cas en matière de bien-être animal, sujet cher à la présidente Aurore Bergé, sur lequel la position française trouvera sans doute bientôt des échos au niveau européen. La question délicate des nitrites constitue un second exemple : le plan d’action que ma collègue Agnès Firmin Le Bodo et moi-même avons présenté fin mars place la France en tête des pays les plus exigeants en la matière, et nous défendrons cette position lors de la prochaine révision des textes européens. La méthode que nous avons employée lors de ces diverses occasions est la bonne : s’appuyer sur la confiance et la coopération entre les agriculteurs, les acteurs de la recherche, les citoyens et les pouvoirs publics, et agir selon la science et selon la raison.
Nous devons faire preuve d’ambition en matière environnementale ; pour une efficacité maximale, nous devons agir au niveau européen, comme nous l’avons fait lors de la réforme de la PAC en rendant obligatoire l’application d’un écorégime dans tous les États membres – je signale que cette mesure ne figurait pas dans la proposition initiale de la commission. Nos agriculteurs ne sauraient être mis plus longtemps dans une position de concurrence défavorable sur notre marché. Il faut donc toujours garder à l’esprit qu’une décision nationale en matière agricole peut entraîner un report des consommateurs de produits nationaux vers des produits importés, sans gain environnemental ni gain de qualité.
Mme Aurélie Trouvé
Et la clause de sauvegarde, monsieur le ministre ?
M. Marc Fesneau, ministre
La présidence française du Conseil de l’Union européenne en 2022 a été l’occasion d’affirmer, au-delà du marché européen et dans le même esprit de concurrence loyale avec les produits importés de pays tiers, la nécessité d’éviter ce qu’on appelle parfois des fuites environnementales. Pour ce faire, il est indispensable d’instaurer des mesures miroirs, comme celles que nous défendons dans le cadre du règlement européen relatif à l’utilisation durable des pesticides, dit règlement SUR, mais aussi d’introduire des conditionnalités tarifaires dans les accords de libre-échange.
Mme Aurélie Trouvé
Cela n’a rien à voir !
M. Marc Fesneau, ministre
Enfin, soyons force de proposition pour trouver des solutions adaptées à chaque pays du marché unique. Compte tenu des enjeux liés à l’utilisation des produits phytosanitaires, nous devons absolument obtenir des résultats en matière de nouvelles techniques génomiques si nous souhaitons préserver tant l’abondance que la qualité de notre production agricole. Il faut également défendre des alternatives crédibles comme le biocontrôle.
Le projet de résolution propose, en son paragraphe 7, l’instauration d’une planification relative aux produits phytosanitaires, dont je dirai quelques mots. Cette disposition fait écho à l’action lancée par la Première ministre lors du Salon de l’agriculture, consistant à travailler selon une méthode de planification en ce qui concerne les produits phytosanitaires, à prévoir l’arrêt ou l’évolution de l’usage de certaines molécules et à y préparer les filières. Comme l’a dit la Première ministre à cette occasion, cela signifie qu’il ne saurait y avoir de surtransposition – ou simplement d’évolution juridique – en la matière, sauf motif de santé publique. Cette exigence essentielle constitue un point d’équilibre auquel, je le sais, l’Assemblée nationale se montrera attentive.
Un défi majeur nous attend : sur les 450 substances actives autorisées dans l’Union européenne, près de la moitié feront l’objet d’un nouvel examen dans les cinq ans à venir. Il nous faut affronter résolument la situation telle qu’elle se présente à nous, examiner les risques d’impasse et développer des solutions alternatives fiables.
De façon générale, la tendance européenne au retrait des substances phytosanitaires est incontestable ; ce serait faire erreur que de la nier. Les retraits sont relativement harmonisés, hormis en ce qui concerne quelques éléments évoqués lors de la discussion générale. En revanche, la réglementation relative aux conditions d’utilisation des produits phytosanitaires – je pense aux diverses chartes et aux ZNT, zones de non-traitement – est plus contraignante en France que dans la plupart des autres pays européens. C’est pourquoi l’harmonisation européenne de la transition agroécologique grâce au règlement SUR répond à des enjeux majeurs. J’estime préférable que nous tenions ce débat et défendions ces exigences au niveau européen ; c’est pourquoi le règlement SUR me semble un véhicule intéressant.
En effet, il nous faut absolument avancer en Européens sur ces sujets, car nous évoluons – je crois utile de le rappeler – dans un marché unique. Aligner les règles et les calendriers français et européens revient à nous assurer que nous n’importons pas et ne consommons pas, au détriment de nos agriculteurs et plus généralement des Français, des produits non conformes à nos normes sanitaires et environnementales.
Nous souhaitons donc impulser un changement de méthode. Pour ce faire, le premier chantier consiste à planifier, à permettre aux agriculteurs de se projeter dans l’avenir et à accepter la temporalité du changement. On accepte de donner quinze ou vingt ans à des secteurs économiques tels que l’aéronautique, l’automobile ou le logement pour faire évoluer leur modèle ; comment exigerait-on de l’agriculture qu’elle accomplisse cette transition en un ou deux ans ? Nous avons besoin d’une planification crédible, d’objectifs ambitieux et d’une temporalité tenable, sous peine de faire s’effondrer le système.
Il est également nécessaire de travailler plus intensément à la mise au point et au déploiement d’un ensemble de solutions qui, si elles peuvent parfois avoir recours à des méthodes chimiques – car c’est parfois la seule solution : pour ma part, je l’assume –, ne reposent pas uniquement sur elles.
Nous devons aussi faire front commun pour défendre la souveraineté alimentaire de la France, la santé publique et l’environnement, qui relèvent de l’intérêt collectif. À cette fin, il convient d’éviter les silos et de faire collaborer l’ensemble des acteurs du secteur, qu’il s’agisse de l’Anses, de l’Inrae, des instituts techniques ou encore des représentants des filières agricoles, afin qu’ils trouvent ensemble des solutions alternatives.
Par ailleurs, la planification doit concilier notre capacité à produire et l’impératif climatique. Je suis convaincu que si notre modèle n’évolue pas, notre souveraineté alimentaire en sera menacée et que, par conséquent, le statu quo serait la pire des politiques, y compris pour les agriculteurs. Je le sais, personne n’a réellement envie de changer ses méthodes ; tout système économique tend à conserver son fonctionnement. Il s’agit simplement de trouver les bons mots pour expliquer cette nécessité – en se gardant de dénigrer ou de montrer du doigt les uns et les autres – et de prévoir des mesures crédibles auxquelles nous dédierons les moyens nécessaires.
On m’a d’ailleurs interpellé sur les moyens consacrés à la recherche. Je rappelle que France 2030 a permis d’augmenter de près de 2 milliards d’euros les crédits spécifiquement dédiés à la recherche de solutions alternatives en matière agricole. Grâce à cette somme significative, l’Inrae, les instituts techniques et les structures similaires pourront accélérer leurs travaux.
La planification comporte trois défis, dont le premier réside dans la sauvegarde de la souveraineté alimentaire. Il faut éviter de remplacer une production européenne ou française par des produits importés, car il s’agirait à la fois d’une défaite économique et d’une défaite environnementale ; le travail au niveau européen prend donc toute son importance.
Le second défi réside dans la formulation des objectifs. En effet, ceux-ci doivent être à la fois ambitieux et réalistes, ce qui implique des moyens adéquats. Il me paraît donc nécessaire de concevoir la politique agricole de manière globale, car nous ne saurions multiplier les évolutions juridiques et changer chaque année les règles du secteur, traitant tour à tour et indépendamment la question des produits phytosanitaires, celle du bien-être animal et celle de la biodiversité. Cela ôterait aux agriculteurs toute visibilité sur l’avenir.
Aucun système économique ne peut tenir avec des règles qui changent tous les ans. Nous avons donc besoin d’une planification pour nous donner des règles et avancer. Il faut évoluer, mais il ne faut pas que les règles changent tout le temps. Je ne connais pas un acteur économique qui puisse supporter de changer de règles tous les ans, voire tous les six mois, quand on est bien fâché, si vous me permettez cette expression.
Il faut sortir des représentations simplistes.
Troisièmement, il faut assumer que la transition prend du temps. Dire que cela prend du temps ne veut pas dire qu’on ne veut pas le faire. Il faut être réaliste et reconnaître que certaines transitions sont nécessaires, y compris dans l’intérêt du monde agricole.
Mme Ségolène Amiot
Oui, plus tard !
M. Marc Fesneau, ministre
Il faut assumer que ces transitions prennent du temps.
M. Pascal Lavergne
Exactement !
M. Marc Fesneau, ministre
Je sais que beaucoup se contentent de dire " y a qu’à, faut qu’on " (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE) , mais on aurait intérêt à se mettre autour de la table pour prendre en considération la réalité plutôt que de déclarer à une tribune ce qu’il faudrait faire à des gens qui gagnent, pour nombre d’entre eux, assez peu d’argent.
Mme Ségolène Amiot
Le climat ne change pas ! On a le temps…
M. Marc Fesneau, ministre
Enfin, il faut aborder cette transition à hauteur d’homme. Nous devons incarner cette transition dans les exploitations. Il n’est pas suffisant que la recherche fondamentale ou appliquée ait trouvé des solutions ; il faut également qu’on puisse convaincre les agriculteurs.
La question de la massification des innovations est centrale, car si les agriculteurs ne sont pas eux-mêmes convaincus, on aura du mal à avancer et à massifier les avancées. Il faut donc se saisir de cette question, en particulier dans la phase de renouvellement des générations que nous devons accompagner. Ce qui est en jeu, c’est donc l’avenir de l’ensemble de la société,…
Mme Ségolène Amiot
Ou son suicide !
M. Marc Fesneau, ministre
…notre capacité à continuer de garantir aux Français l’accès à une alimentation saine, sûre et durable, et notre souveraineté alimentaire.
Je reviens donc pour finir à ce par quoi j’avais commencé : la souveraineté alimentaire n’est jamais gagnée. Avec la politique agricole commune, nous avons construit en Européens une politique pour assurer l’alimentation de l’ensemble du continent européen. Mais cela n’est pas gagné, car le dérèglement climatique posera des problèmes.
Assumons donc notre capacité à produire, tout en menant les grandes transitions nécessaires. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR. – M. Nicolas Forissier applaudit également.)
source https://www.assemblee-nationale.fr, le 22 mai 2023