Texte intégral
APOLLINE DE MALHERBE
Bonjour Gabriel ATTAL.
GABRIEL ATTAL
Bonjour Apolline de MALHERBE.
APOLLINE DE MALHERBE
Merci de venir répondre à mes questions et dévoiler ce matin ce plan de lutte contre la fraude sociale. Vous êtes le ministre en charge des Comptes publics, autrement appelé ministre du Budget. On va essayer de comprendre avec vous les mesures que vous allez mettre en place, l’ampleur de la lutte de la fraude elle-même. D’abord cette question, la fraude sociale, c’est quoi ?
GABRIEL ATTAL
La fraude sociale c’est soit des cotisations sociales qui ne sont pas versées par les employeurs, donc du travail dissimulé, soit des prestations maladies qui ne devraient pas être reçues ou prises en charge par la Sécurité sociale parce qu’on n'a pas le droit à l'assurance maladie. Des personnes par exemple qui viennent sur notre sol, qui n’ont pas accès à l’Assurance maladie universelle, soit des allocations qui sont reçues alors même qu’on n’a pas droit à les recevoir pour des questions de ressources par exemple.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais qui sont les fraudeurs et combien sont-ils ?
GABRIEL ATTAL
Il y a des évaluations qui sont faites caisses de Sécurité sociale par Caisse de sécurité sociale. Si on prend la Caisse nationale d'allocations familiales, la CNAF qui verse les allocations familiales, le minimum vieillesse, les APL, le RSA, la prime d'activité, ils ont récemment produit une évaluation qui estime autour de 2 milliards 800 millions d'euros par an la fraude aux allocations sociales, c'est l'équivalent du budget du ministère des Affaires étrangères. Et dans leurs études ils estiment qu'il y a entre 7- 8% d'allocataires qui aurait eu un cas de fraude, ça fait autour de 900 000 personnes si on rapporte au nombre d'allocataires.
APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire quoi en 2 milliards 800 000 euros d'allocs qui sont données à des gens qui ne pourraient pas y prétendre.
GABRIEL ATTAL
C’est l'évaluation qui a été faite par la Caisse nationale d'allocations familiales, donc on voit bien…
APOLLINE DE MALHERBE
C'est des gens qui disent on est parent isolé alors qu'en fait on n'est pas parents isolés.
GABRIEL ATTAL
Par exemple ou sur le RSA, des personnes qui disent. j'ai pas de ressources donc je demande le RSA alors même qu'ils ont des ressources par ailleurs, que ce soit un travail qui n'est pas déclaré, ça peut être aussi sûr du minimum vieillesse, des personnes qui le touchent alors qu'elles n'y ont pas droit, ça peut être des personnes qui touchent une allocation qui est soumise à conditions de résidence en France alors qu'elles passent une partie importante de leur temps, si ce n'est la majorité de leur temps dans un autre pays que la France, c’est ce type de fraude qui peuvent exister et encore une fois il n’y a pas que ça dans la fraude sociale, il y a aussi la fraude aux cotisations sociales des entreprises et puis les questions de prise en charge maladie.
APOLLINE DE MALHERBE
Plus globalement il y a la question des fraudes aux allocations sociales, à la santé, la Cour des comptes estime que c’est 6 à 8 milliards d'euros qui sont ainsi fraudés, qui sont donc pris dans les comptes de l'Etat. Est-ce que vous êtes d'accord sur le constat global, l’enveloppe globale ?
GABRIEL ATTAL
Oui même si encore une fois j’ai toujours dur d'avoir une estimation extrêmement précise puisque si on savait exactement combien il y a de fraude, on saurait où elle est, on irait la chercher.
APOLLINE DE MALHERBE
Par nature c’est de la fraude.
GABRIEL ATTAL
Mais effectivement c'est des ordres de grandeur sont avancés par la Cour des comptes et moi j'ai beaucoup de respect pour le travail de la Cour des comptes. Ça montre qu'on a des marges de progression et qu'il faut franchir une nouvelle étape, c'est ce que je propose avec le plan. On a beaucoup progressé ces 5 dernières années sous le 1er quinquennat d'Emmanuel MACRON le montant des redressements, c'est-à-dire de la fraude qu'on identifie, a augmenté de 35% c'est beaucoup, moi je souhaite qu'on aille encore plus loin et donc dans ce quinquennat qui s'ouvre on augmente de 100%, c'est-à-dire très concrètement que nos résultats en 2027…
APOLLINE DE MALHERBE
Vous ne dites pas on va supprimer toutes les fraudes.
GABRIEL ATTAL
C’est évidemment l'objectif qu'on poursuit toujours, moi ensuite j’essaie d'avancer des objectifs qui sont crédibles, sinon on me dirait vous donnez, vous parler mais comment vous allez faire etc.
APOLLINE DE MALHERBE
Oui mais en même temps c'est-à-dire que vous partez déjà perdant.
GABRIEL ATTAL
Non.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous partez en disant il y a un certain nombre de trous dans la raquette, on n’arrivera pas à mettre fin à toutes les fraudes.
GABRIEL ATTAL
Ce n’est pas ce que je dis, je dis qu’on part de loin et qu’on est parti de loin en 2017 quand on s’est attaqué à ce sujet, qu’on a progressé de 35%. Là je veux qu’on aille encore plus loin en doublant nos résultats en 2027 par rapport à 2022. Ensuite dans ce plan on lance des chantiers extrêmement structurants qui vont continuer et monter en puissance dans les années qui viennent, l'objectif évidemment c’est de mettre un terme à la fraude.
APOLLINE DE MALHERBE
Alors on le disait il y a plusieurs chapitres de fraude en quelque sorte que vous avez distingué, il y a la fraude aux prestations de santé, il y a la fraude aux cotisations, en gros le travail au noir, il y a la fraude aux allocations et puis il y a la fraude aux prestations perçues pour des gens qui ne vivraient pas en France mais qui vivraient à l'étranger, on va les prendre une par une et voir comment vous vous y attaquez. La fraude aux prestations de santé d'abord, le problème des cartes Vitale. Vous dites que l'une des pistes c'est de fusionner carte Vitale et carte d'identité, c'est une piste ou c'est une annonce véritable, est-ce que ça va être fait ?
GABRIEL ATTAL
Alors plusieurs choses, d'abord il y a encore quelques années le sujet en France c'est qu'on avait des cartes Vitale en trop, c'est-à-dire des cartes Vitale qui circulaient et qui en réalité ne correspondaient pas des assurés qui avait le droit d'avoir une prise en charge de leur maladie en France. Ces dernières années on a désactivé 2 millions 300 000 cartes Vitale en trop.
APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire qu’il y avait, pardon mais c’est quand même colossal, qu’il y avait 2 300 000 cartes Vitale, ce n'était pas juste un fantasme, c’est une réalité.
GABRIEL ATTAL
Quand Emmanuel MACRON a été élu en 2017 oui. Alors en partie pour être très précis il y avait des doublons notamment des personnes qui auparavant avaient été au RSI, le régime des indépendants puis avaient basculé sur le régime général, donc il y avait une grosse partie de doublons. Mais on a désactivé 2 300 000 cartes Vitale dans le 1er quinquennat d’Emmanuel MACRON.
APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce qu'aujourd’hui vous considérez qu'il n'y a plus de fausses cartes Vitale ou de carte Vitale qui ne correspondraient pas à un assuré.
GABRIEL ATTAL
Il en reste quelques centaines et on s’attache évidement à aller jusqu’au bout et à les désactiver mais aujourd’hui le sujet n’est plus celui-là.
APOLLINE DE MALHERBE
Quelques centaines uniquement, pour vous c’est une évidence.
GABRIEL ATTAL
Quelques centaines, 942 très exactement selon le rapport de la mission d’inspection générale des affaires sociales. Aujourd’hui le sujet c’est quoi ? C’est les carte Vitale qui sont utilisées par des personnes qui n’ont pas le droit à se faire rembourser leurs soins…
APOLLINE DE MALHERBE
Parce que les chiffres quand vous dites 942, c’est ultra précis.
GABRIEL ATTAL
Oui.
APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire que vous arrivez à ce degré de précision…
GABRIEL ATTAL
Oui parce qu’il y a une mission de l’inspection générale des affaires sociales et de l’inspection générale des finances qui a travaillé sur ce sujet qui a pris les données aujourd’hui des carte Vitale et qui les a croisées avec les données de l’INSEE et des recensements.
APOLLINE DE MALHERBE
Il y a un chiffre aussi qui circule qui dit qu’il y a 58 millions de cartes Vitale actives, ça c’est ce que dit la Cour des Comptes en mai 2023 et qu’il n’y airait de porteurs réels que 55,4 millions, donc moi je n’arrive pas au 900…
GABRIEL ATTAL
Non parce qu’en fait là la Cour des Comptes s’appuie sur un fichier qui s’appelle, on va rentrer dans de la technique.
APOLLINE DE MALHERBE
Oui mais moi je voudrais quand même comprendre.
GABRIEL ATTAL
Mais c’est important, vous avez raison, le SNIIRAM qui est un fichier où il y a un certain nombre de personnes, notamment les enfants, les ayants-droits qui sont comptés deux fois puisqu’ils sont comptés pour chacun de leur parent, donc moi je pense que ceux qui peuvent faire la lumière sur ce sujet-là, c’est l’inspection générale des affaires sociales, l’inspection générales des finances qui a un rapport qui va être publié, qui a déjà commencé à l’être puisque je crois que votre antenne l’a sorti, qui montre classe d’âge par classe d’âge combien de personnes ont le droit à une carte Vitale et combien il y a de carte Vitale qui circule. Ça permet de faire la transparence sur ce sujet-là.
APOLLINE DE MALHERBE
Une fois qu’on a fait cette transparence, une fois qu’on a fait ce travail en gros de vérifier qu’une carte Vitale égale véritablement un assuré, vous voulez fusionner donc carte Vitale, c’est-à-dire rajouter une puce de CARTE Vitale sur la carte d’identité.
GABRIEL ATTAL
Aujourd’hui le sujet c'est quoi, c'est que vous avez des personnes, ça peut arriver qui viennent en France pour se faire soigner et qui utilisent une carte vitale qu’on leur prête ou qu'on leur loue, bref une carte Vitale qui n'est pas la leur. Aujourd'hui il y a plus de 30% des cartes Vitale sur laquelle il n’y a pas de photos par exemple puisque c'est des cartes Vitale anciennes qui ont été gardées, il n’y a pas de date de péremption. A partir de là vous avez plusieurs possibilités, certains avaient mis en avant la carte Vitale biométrique, la mission de l'IGAS et l'IGF qui a été réalisée écarte cette piste-là, la CNIL y est opposée, ça coûte très, très cher et par ailleurs il y a des enjeux pratiques réelles, les médecins vous disent on n'a pas le temps nous de prendre les empreintes digitales de nos patients et par ailleurs c'est pas totalement notre rôle et puis quand vous êtes malades, que vous êtes cloué au lit, que vous avez besoin de médicaments en général vous envoyez quelqu'un, un de vos proches chercher les médicaments. Si vous devez donner vos empreintes digitales à la pharmacie, on voit que c'est compliqué. L'autre piste qui est mise en avant par cette mission d'inspection qui a été réalisée, c'est effectivement de faire migrer la carte Vitale sur la carte d'identité, c’est-à-dire que sur la puce de votre carte d'identité…
APOLLINE DE MALHERBE
Je n’ai toujours pas compris Gabriel ATTAL si ce serait, si c'est une option ou si c'est une décision que vous avez prise, ça va être fait ?
GABRIEL ATTAL
C'est ce vers quoi on souhaite aller bien sûr.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais non, on souhaite, on va ?
GABRIEL ATTAL
Bien sûr oui, c’est ce vers quoi on va aller si vous préférez que je le dise comme ça.
APOLLINE DE MALHERBE
Oui, oui, je voudrais savoir.
GABRIEL ATTAL
Maintenant la question c'est comment et quand et vous avez raison parce que l'enjeu évidemment c'est que ce chantier-là ne se traduise pas par des difficultés concrètes pour des Français. Il y a aujourd'hui des difficultés pour avoir une carte d’identité.
APOLLINE DE MALHERBE
Hier soir j’ai regardé en effet ne serait-ce que moi dans ma commune si je voulais refaire juste une carte d'identité simple sans la carte Vitale fusionnée avec, le 1er rendez-vous qu'on me donne c'est le 27 juillet, donc ça c'est déjà le cas aujourd'hui pour refaire son passeport ou sa carte d’identité.
GABRIEL ATTAL
C’est pour ça qu’on ne va pas…
APOLLINE DE MALHERBE
Je ne vois pas comment vous allez réussir…
GABRIEL ATTAL
Appuyer sur le bouton entre guillemets et faire cette bascule du jour au lendemain alors même qu'aujourd'hui il y a encore des difficultés pour avoir une carte d'identité. Donc ça ne peut s'envisager…
APOLLINE DE MALHERBE
Donc c’est largement théorique en fait.
GABRIEL ATTAL
Non pas du tout, ça ne peut s'envisager que quand on sera revenu à la normale. Mais on va revenir à la normale la Première ministre a annoncé des moyens très importants pour réduire les délais et ils ont déjà commencé à être réduit.
APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire que vous imaginez à quand ? Vous imaginez quoi dans six mois, on peut imaginer un début non ?
GABRIEL ATTAL
Je lance là cet été une mission de préfiguration qui doit nous dire quel calendrier est possible, quelles modalités sont possibles. Je lui demande qu’elle nous remette son rapport avant la fin de l’année pour qu’on regarde quelles sont les modalités et quel est le calendrier pour y arriver.
APOLLINE DE MALHERBE
Si on reprend les choses, ça veut dire que vous vous commencez à dire ce serait une bonne idée, d’ici la fin de l’année on va vous dire si c’est réaliste et ça veut dire que ça ne sera véritablement fait que dans deux ans ?
GABRIEL ATTAL
Je ne crois pas du tout puisque le rapport que j’évoquais tout à l’heure dont vous avez eu une copie entre guillemets que vous avez diffusé ce martin, précisément montre que c’est possible. L’inspection générale des affaires sociales, l’inspection générale des finances…
APOLLINE DE MALHERBE
Alors pourquoi vous demandez un rapport ?
GABRIEL ATTAL
Sur le calendrier et sur les modalités. Aujourd’hui c’est ce qui existe en Belgique, c’est ce qui existe au Portugal, c’est ce qui existe en Suède. Je veux bien qu’on ait pleins de problèmes en France, qu’on dise en permanence qu’il y a des choses qui sont impossibles, c’est possible en Belgique, au Portugal, en Suède, une carte, une puce qui marche pour la carte d’identité et pour la carte Vitale.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais vous comprendrez qu’effectivement pour les Français ce qui est compliqué c’est qu’ils n’arrivent déjà pas à avoir un renouvellement de passeport donc ils ont un peu du mal à y croire.
GABRIEL ATTAL
Evidement c’est pour ça que ça ne pourra s’envisager que quand les délais seront revenus à la normale et ils vont revenir assez rapidement à la normal.
APOLLINE DE MALHERBE
Le ministère de l’Intérieur a l’air d’avoir des doutes, ils disent ce matin c’est l’agence France Presse qui l’explique, on découvre la mesure de la fusion carte Vitale, carte d’identité qui est manifestement techniquement impossible à mettre en oeuvre et pour laquelle la CNIL est de toute façon profondément opposée.
GABRIEL ATTAL
Ça c’est des propos anonymes, donc je ne sais pas trop d’où ça sort, dans le rapport de l’inspection…
APOLLINE DE MALHERBE
Un cadre de la place Beauvau qui s’est exprimé à l’Agence France Presse.
GABRIEL ATTAL
Et j’ai entendu Mathieu CROISSANDEAU de votre antenne qui s’est exprimé juste avant cette interview qui citait le rapport de l’inspection générale des affaires sociales, qui dit que le ministère de l’Intérieur, que les services du ministère de l’Intérieur y sont favorables et que la CNIL y est favorable aussi, qu’elle est opposée à la carte Vitale…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais vous avez tous les feux verts…
GABRIEL ATTAL
Bien sûr. Maintenant, le feu vert le plus important, c’est comment est-ce qu’on le fait, dans quel calendrier, et avec quelles modalités…
APOLLINE DE MALHERBE
Il y a une chose qui est frappante dans votre pré-rapport et votre plan, c'est que vous précisez que les fraudeurs, enfin, vous commencez par dire que les fraudeurs, ce n'est pas forcément les étrangers ou les plus modestes, comme une partie de la droite ou de l'extrême droite aurait voulu le faire croire, même si vous leur faites quand même un peu plaisir en leur disant, voilà, nous aussi, on s'attaque à ça, vous parlez d'abord des professionnels, c'est-à-dire des patrons qui ne déclareraient pas leurs employés, des médecins ou des pharmaciens qui frauderaient la Sécu.
GABRIEL ATTAL
Mais, moi, je m'intéresse et je cherche les fraudes, pas les gens qui sont derrière les fraudes, donc je regarde où est-ce qu’il y a des fraudes et j'essaie d'apporter des réponses, effectivement, sans stigmatisation, sans instrumentalisation, comme ça peut être le cas dans certains partis politiques et de certains responsables politiques, et je vais vous dire, même quand on parle d'allocations sociales, vous avez des bénéficiaires qui peuvent eux-mêmes être victimes, je vous donne un exemple, l'an dernier, on a démantelé un réseau de faux RIB lituaniens, ça veut dire quoi, ça veut dire que vous aviez des bénéficiaires du minimum vieillesse, des personnes âgées qui avaient droit au minimum vieillesse qui ont vu leur compte piraté sur le site de la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse et dont le RIB a été remplacé par un RIB d'un réseau mafieux qui captait leur allocation sociale. Donc là aussi, on prend des mesures pour lutter contre ce phénomène, donc la fraude, y compris sur des allocations, ça peut aussi être des réseaux mafieux organisés, parfois venant de l'étranger, qui s'en prennent à des bénéficiaires français, qui ont tout à fait le droit de recevoir des allocations.
APOLLINE DE MALHERBE
Avant de passer aux fraudes aux cotisations et aux fraudes aux allocations, un mot encore sur les questions de prestations de santé, vous invitez à une forme de délation, c'est-à-dire que les bénéficiaires d'actes de santé, on va leur demander si oui ou non leur médecin les a vraiment, vraiment soignés ?
GABRIEL ATTAL
Non, alors, l'an dernier, on a déconventionné, ça veut dire qu'on a retiré du remboursement de l'Assurance Maladie 5 centres de santé, dentaires ophtalmologiques, notamment pourquoi, parce que ce sont des centres de santé qui facturaient à l'Assurance Maladie des actes qu’ils n'avaient jamais été réalisés sur des patients, qui surfacturaient, pour plusieurs millions d’euros…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais là, vous allez demander aux patients eux-mêmes de dire si oui ou non ils ont été soignés ?
GABRIEL ATTAL
On va mettre en place un système pour que quand des patients sortent d'un centre de santé, un centre dentaire, un centre ophtalmologique, ils reçoivent un SMS avec la liste des actes qui ont été facturés à l'Assurance Maladie par ce centre de santé, qu'effectivement, s'ils voient qu'il y a des actes qui ont été facturés pour leur compte à l'Assurance Maladie, alors qu'ils n'ont jamais été pratiqués sur eux, ils puissent le signaler, ce qui permettra à l'Assurance Maladie d'orienter ses contrôles sur ceux qui fraudent vraiment. Moi, je veux aussi qu'on allège la pression des contrôles sur des professionnels de santé libéraux, des médecins, des kinés, des infirmières par exemple qui se retrouvent contrôlés par l'Assurance Maladie, alors qu'il n’y a pas vraiment de raison, il n’y a pas eu de signaux qui indiquent qu’ils frauderaient. Donc, il faut cibler sur ceux qui fraudent de manière importante, on a aussi l'an dernier, je le dis, identifier une soixantaine de pharmacies pour lesquelles, il y avait eu des facturations de tests antigéniques à l'Assurance Maladie, qui ne correspondaient pas à des tests antigéniques qui avaient été faits sur des patients, pour un montant de 58 millions d'euros, c'est près d'un million d'euros en moyenne par pharmacie concernée. Donc encore une fois, moi, je ne stigmatise pas, je ne dis pas que tous les professionnels de santé ou tous les pharmaciens ou tous les centres de santé fraudent, je dis qu’il y a des fraudes, et qu'il faut les identifier, qu'il faut y répondre, parce que c'est le meilleur moyen de redonner confiance aux Français dans notre modèle social, moi, c'est ça qui m'importe, indépendamment des questions budgétaires, des moyens, je veux que les Français gardent la confiance dans leur modèle social, et le meilleur moyen d'avoir confiance dans le modèle social, c'est de garder le contrôle sur notre modèle social, en reprenant le contrôle sur ce qu’on donne et à qui on le donne.
APOLLINE DE MALHERBE
Gabriel ATTAL, il y a donc la fraude aux prestations de santé, on vient d'en parler, la fraude aux cotisations, en gros, c'est le travail au noir, c'est-à-dire, ce sont des patrons qui ne déclarent pas leurs employés, 800 millions d'euros de chiffre d'affaires non déclarés, voilà ce que vous dites notamment. Hier, je recevais Alain FONTAINE, qui est le représentant des restaurateurs, il disait : on a un vrai problème, c'est que comme les travailleurs dans nos cuisines, dans nos salles, ne vont pas être déclarés, ils devaient être régularisés, ça faisait partie de la loi immigration, vous dites que ce ne sera plus le cas. Il dit : eh bien, on va se retrouver à prendre des risques colossaux à devoir avoir des employés qu’on ne déclarera pas, est-ce que vous n’avez pas l'impression de faire, d'un côté ce que vous détricotez de l’autre ?
GABRIEL ATTAL
Non, je ne dis pas que ça ne sera plus le cas, la réalité, c’est que, on le sait, et les restaurateurs, les artisans, et beaucoup des Français qui…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais il dit : nous, on ne demande qu’une chose, c’est évidemment que tout ça soit régulé…
GABRIEL ATTAL
Bien sûr, mais beaucoup des Français qui nous écoutent le savent, on a besoin évidemment d'une part d'immigration pour notre économie, il y a aujourd'hui des métiers dont on le sait, ce sont des personnes immigrées en France qui travaillent, qui s'intègrent dans notre pays et qui permettent à cette économie à ces métiers-là de tourner, et donc ça fait partie des débats qui auront lieu sur le projet de loi immigration, moi, je n'ai pas du tout connaissance qu’on renoncerait à ce volet-là de notre politique en matière d'immigration, qui est évidemment très important.
APOLLINE DE MALHERBE
Fraudes aux allocations, la CAF, le RSA, la prime d'activité, alors, il y a trois mesures principales, le 1er juillet, il n’y aura plus aucune allocation versée sur un compte qui serait domicilié à l'étranger. Il y aura une condition de résidence en France, là, pour le coup, ce n'est pas de la fraude, mais c’est un durcissement des règles qui, jusqu'à présent était de 6 mois et qui désormais sera de 9 mois…
GABRIEL ATTAL
Dans l’année, oui…
APOLLINE DE MALHERBE
Et puis, il y a l'idée de pouvoir utiliser et croiser les fichiers PNR, ce sont les fichiers des voyageurs, pour les vols des avions, mais aussi du ferroviaire et du transport maritime, pour vérifier que les bénéficiaires sont bien en France minimum 3 mois (sic) par an, sauf que dans le même temps…
GABRIEL ATTAL
9 mois…
APOLLINE DE MALHERBE
9 mois par an, et donc maximum 3 mois à l'étranger, mais dans le même temps, la Cour de justice de l'Union européenne a annoncé qu'elle allait restreindre drastiquement l'utilisation des fichiers PNR. Est-ce que là, vous ne nous faites pas une sorte d'effet d'annonce, mais qui ne sera suivi d'aucun fait, puisque vous le savez, la Cour de justice va retoquer cette décision ?
GABRIEL ATTAL
Non, parce que notre analyse juridique, qui a été réalisée par nos services, c'est que les textes européens le permettent, et d'ailleurs, j'en ai parlé aussi avec des homologues ministres étrangers, mon homologue belge, notamment, qui souhaite évidemment pouvoir utiliser un certain nombre de fichiers pour lutter contre la fraude, donc on va saisir la CNIL qui va nous dire si c'est possible ou pas, moi, c'est ce que j'ai annoncé, je souhaite que ça soit possible, notre analyse, c'est que les textes le permettent, il faut un décret, on saisit la CNIL de ce décret pour qu'elle nous le dise… Je rajouterai, pardon, une mesure sur la question du RSA et de la prime d'activité, c'est ce qu'on va mettre en place progressivement et pleinement en 2025, c'est le pré-remplissage des formulaires de demande du RSA et de la prime d'activité, aujourd'hui, l'administration est capable de connaître vos ressources, c'est comme ça qu'on fait le prélèvement à la source, par exemple…
APOLLINE DE MALHERBE
Des impôts…
GABRIEL ATTAL
Voilà, on souhaite, donc on utilise ces informations pour préremplir les fichiers de demandes et les dossiers de demande…
APOLLINE DE MALHERBE
Qu’il n’y ait plus de demande, qu’il n’y ait plus de dossier compliqué à remplir pour pouvoir demander… vous estimez à combien le nombre de prestations non perçues pour le coup ?
GABRIEL ATTAL
Là aussi, il y a des évaluations qui sont faites, je crois que sur le RSA, une dernière évaluation qui avait été faite, c'était entre 2 et 3 milliards d'euros de RSA…
APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire qu’en réalité, quand on dit d'un côté qu'il y a entre 6 et 8 milliards d'euros de fraudes, que sur ces 6 à 8 milliards d'euros, il y a déjà quand même une partie que vous arrivez à déceler, qu’on estime à 1,5 à 2 milliards, si j’ai bien compris…
GABRIEL ATTAL
1,5 milliard aujourd’hui…
APOLLINE DE MALHERBE
De fraudes qui sont décelées, donc que vous récupérez malgré tout, si vous rajoutez à ça les 2 milliards de non-perçus, finalement, ça ne fait pas tant que ça, quoi…
GABRIEL ATTAL
Il y a quand même, enfin, encore une fois, quand on parle de…
APOLLINE DE MALHERBE
Non mais bien sûr, mais ce que je veux dire, c’est qu’il y a quand même partie des gens qui sont l’inverse des fraudeurs, qui sont des gens qui ne viennent pas chercher leur dû…
GABRIEL ATTAL
Bien sûr, mais vous avez totalement raison. Deux choses, 1°) : 2,8 milliards d’euros de fraudes, c'est l'équivalent du budget du ministère de l'Intérieur, ce n'est pas rien, et encore une fois, c'est aussi une question de confiance dans notre modèle social, si les Français se disent : notre modèle social fait l'objet de fraudes qui ne sont pas détectées et pas recouvrées, ils perdront confiance dans le modèle social. Donc je pense que c'est aussi très important, indépendamment des enjeux financiers. La deuxième chose, et vous avez totalement raison, c'est qu'il y a aussi un non-recours, et c'est pour ça que le président de la République s'est engagé pendant sa campagne à ce qu'on aille vers la solidarité à la source, c'est-à-dire, le versement automatique des aides auxquelles vous avez droit…
APOLLINE DE MALHERBE
Et ce sera quand ça ?
GABRIEL ATTAL
D'ici à la fin du quinquennat, c'est un chantier très structurant, mais la première étape, c'est ce qu'on va faire à partir du 1er janvier 2025, pleinement, c'est-à-dire pré-remplissage de vos demandes pour le RSA et la prime d'activité, ça permettra à la fois à des gens qui ont droit à une allocation sociale, par exemple, des agriculteurs qui ont droit au RSA, qui ne le savent pas forcément, d'en bénéficier plus facilement, et ça permettra de lutter contre la fraude s’il y a des personnes aujourd'hui qui déclarent montant de revenus et de ressources pour être dans le barème de certaines aides sociales, mais qui, en réalité, n'y ont pas droit, comme ça sera prérempli, elles pourront toujours modifier, mais en tout cas, elles verront qu'on a connaissance de leurs ressources.
APOLLINE DE MALHERBE
Gabriel ATTAL, les fraudes aux retraites payées à l'étranger, à des bénéficiaires qui seraient sortis des écrans radars, voire décédés, alors, vous dites que vous ne stigmatisez personne, mais pour autant, le test, vous avez décidé de le faire, un test grandeur nature, vous avez choisi Alger pour le faire, et là-bas, sur 1.000 personnes testées de plus de 85 ans, il y en a 300 qui continuaient à percevoir la retraite alors qu'en fait elles étaient décédées.
GABRIEL ATTAL
Oui, absolument, c'est quelque chose qu'on entend beaucoup dans des médias, il y a eu beaucoup d'articles sur le sujet depuis plusieurs années. Donc moi, quand je suis arrivé au ministère du Budget, j'ai dit : faisons la lumière sur ce sujet-là, sans en faire de la communication, dans un premier temps, allons voir de quoi il s'agit, donc en septembre dernier, on a envoyé 2 agents de la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse au consulat à Alger, et on leur a demandé de convoquer des retraités, on va dire, quasi centenaires, autour de 100 ans, ou de se déplacer, si jamais les personnes ne pouvaient pas se déplacer, pour vérifier si elles avaient effectivement toujours droit à leur pension de retraite…
APOLLINE DE MALHERBE
Ils allaient vérifier en réalité s’ils étaient toujours en vie…
GABRIEL ATTAL
Absolument…
APOLLINE DE MALHERBE
Disons les choses.
GABRIEL ATTAL
Dans 30 % des cas, donc 300 dossiers sur 1.000 dossiers, il y avait une non-conformité.
APOLLINE DE MALHERBE
30 %, et est-ce que vous estimez que c’est représentatif, est-ce que ça veut dire que vous considérez qu'il y a environ 30 % de retraités qui sont officiellement à l'étranger qui, en réalité, continuent à percevoir… en fait, c’est la famille qui continue à percevoir…
GABRIEL ATTAL
Non, je ne dirais pas ça, pour deux raisons, d'abord, aujourd'hui, vous allez un peu plus d'un million de retraités français à l'étranger, 1.200.000, la moitié d'entre eux, plus de la moitié d'entre eux sont dans des pays de l'Union européenne avec lesquels on a un échange automatique d'état civil, c’est-à-dire quand une personne décède, on est immédiatement informé automatiquement, et on peut suspendre les droits à la retraite…
APOLLINE DE MALHERBE
Donc il y a peu de chances qu’ils soient décédés sans que vous l’ayez su…
GABRIEL ATTAL
A priori, il n’y a quasiment pas de risque sur ces pays-là. Ensuite, il y a les pays en dehors de l'Union européenne, et dans ces pays hors de l'Union européenne, il y en a certains avec lesquels on n'a pas d'échange automatisé…
APOLLINE DE MALHERBE
Vous allez systématiser ces tests, comme vous l'avez fait à Alger, sur 1.000 personnes ?
GABRIEL ATTAL
Oui, on va lancer un programme de contrôle sur, encore une fois, les retraités qui résident dans des pays étrangers avec lesquels on n'a pas d'échange automatique d'état civil, et qui ont plus de 85 ans, sur le quinquennat…
APOLLINE DE MALHERBE
Et pourquoi plus de 85 ans, parce qu’on se dit qu’à cet âge-là, il y a plus de chances qu’ils ne soient plus là…
GABRIEL ATTAL
Eh bien, parce qu’il y a une question d’espérance de vie et que statistiquement, c’est l'âge à partir duquel on estime qu'il peut y avoir des cas où c’est non conforme, après, encore une fois, je ne stigmatise pas non plus, il y a beaucoup de retraités français qui vivent à l'étranger, qui ont parfaitement le droit de vivre à l'étranger, de toucher leur retraite, de profiter de leurs vieux jours…
APOLLINE DE MALHERBE
Vous faites hyper gaffe, mais vous êtes un peu sur une ligne de front, c’est-à-dire que, honnêtement…
GABRIEL ATTAL
Je crois qu’on l’est toujours quand on aborde…
APOLLINE DE MALHERBE
On le voit bien, vous avez commencé par faire le plan de lutte contre la fraude fiscale…
GABRIEL ATTAL
Fiscale, il y a quelques semaines…
APOLLINE DE MALHERBE
L’air de dire : on n’est pas les présidents des riches, là, maintenant, vous faites le plan de lutte contre la fraude sociale, et on voit bien que vous faites très attention, vous continuez à dire que vous êtes de gauche pour surtout pas qu’on puisse imaginer que vous fassiez un plan qui plairait surtout à la droite.
GABRIEL ATTAL
Non, mais, enfin, moi, encore une fois, ce qui m'intéresse, c'est de regarder où sont les fraudes et d'y répondre, que ce soit 1 euro non payé aux impôts alors qu'on devrait le payer ou 1 euro de prestation reçu alors qu’on n’y a pas droit, c’est 1 euro en moins pour la solidarité nationale, alors même que les Français, la classe moyenne qui travaille, qui paie ses impôts, elle attend quand même qu'on ait des services publics qui soient financés et qui fonctionnent encore une fois. Donc moi, je ne cherche pas à instrumentaliser ou à stigmatiser qui que ce soit, c'est vrai que c'est toujours des sujets sensibles, je le dis, y compris quand on est un responsable politique, s'exprimer sur un certain nombre de faits, sans donner l'impression de stigmatiser ou d'instrumentaliser, ce n’est pas toujours évident, mais en tout cas, j'essaie de le faire de manière pragmatique.
APOLLINE DE MALHERBE
Gabriel ATTAL, merci d'être venu sur RMC et BFM TV répondre à mes questions, vous êtes le ministre en charge des Comptes publics.
Source : Service d’information du gouvernement, le 31 mai 2023