Déclaration de M. Gabriel Attal, ministre chargé des comptes publics, sur le projet de loi visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces, au Sénat le 24 mai 2023.

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  • Gabriel Attal - Ministre délégué chargé des comptes publics

Circonstance : Discussion au Sénat en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces (projet n° 531, texte de la commission n° 615, rapport n° 614, avis n° 613).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, au moment de vous présenter le premier projet de loi consacré aux douanes depuis plus de soixante ans, permettez-moi de vous dire la très grande fierté qui est la mienne d'être le ministre en charge des douanes.

C'est une administration dont l'histoire se confond avec celle de la construction, puis de l'affermissement de l'État, comme avec celle de la construction, puis de l'affermissement de l'Union européenne.

C'est une administration qui assure depuis des siècles – bien avant l'avènement de la République – des missions régaliennes par excellence : assurer l'intégrité de notre territoire, consolider la puissance économique et commerciale de la France et maîtriser les frontières.

Nos douaniers ont vécu et accompagné les grandes transformations de notre histoire récente. Ils ont accompagné l'accélération de la mondialisation, l'internationalisation des échanges et la diversification du commerce extérieur.

Ils ont constitué la figure de proue de la construction européenne avec la création de l'Union douanière en 1968 et, en 1993, la disparition des frontières intérieures de l'Union européenne. Ils en ont accompagné tous les soubresauts, très récemment encore avec le Brexit et le rétablissement de la frontière dans la Manche. Et ils étaient encore au premier rang il y a quelques mois pour mettre en œuvre les sanctions à l'encontre de la Russie à la suite de l'invasion de l'Ukraine en février 2022.

Oui, nous sommes fiers de cette administration ancrée au ministère des finances qui, dans la paix comme dans la guerre, n'a jamais manqué à ses devoirs envers la Nation, tout en démontrant une exceptionnelle capacité d'adaptation et une formidable capacité à affronter des enjeux nouveaux, avec pour seule boussole l'intérêt du pays.

Oui, nos douaniers ont su constamment s'adapter aux bouleversements du monde. Mais le cadre juridique dans lequel ils agissent n'a pas fait preuve de la même plasticité. Aucune loi n'a été consacrée à la douane depuis soixante ans. Voilà bien un sujet sur lequel les gouvernements successifs n'ont pas été pris de frénésie normative ! Cela n'a pas empêché nos douaniers d'agir efficacement, mais, vous en conviendrez, il est grand temps de moderniser le cadre de leur action.

C'est pourquoi le Gouvernement propose dans ce texte à la fois des évolutions immédiatement utiles et le lancement d'une recodification à droit constant du code des douanes.

La mission qui est la nôtre aujourd'hui est tout simplement de permettre à nos douaniers d'agir le plus efficacement possible. C'est l'objet de ce projet de loi.

Nous devons en effet continuer à agir pour assurer notre protection, et pas seulement celle de nos frontières, mais aussi celle de nos compatriotes et de nos entreprises. Car c'est bien de cela qu'il est question aujourd'hui : protéger les Français, protéger notre économie et protéger notre souveraineté.

Oui, c'est bien cette mission essentielle qu'hier comme aujourd'hui les agents de la douane assurent jour après jour. Ces femmes et ces hommes agissent dans un environnement où les menaces se multiplient et se métamorphosent, notamment sous l'effet de la révolution numérique. Ces femmes et ces hommes livrent jour après jour, avec sang-froid, courage et détermination, des combats que nous n'avons tout simplement pas le droit de perdre.

Non, nous n'avons pas le droit de perdre la guerre qu'il faut mener contre la drogue, un fléau qui détruit tant de vies. J'étais il y a quelques mois en déplacement aux États-Unis, où j'ai rencontré les hauts responsables de la douane américaine. Ceux-ci m'ont parlé des ravages faits par les nouvelles drogues. En 2021, 70 000 Américains sont morts d'une overdose de Fentanyl, cet opioïde de synthèse qui se diffuse à grande vitesse. Nous ne voulons pas de cela en France, et c'est ici et maintenant que ce combat se joue.

Nous n'avons pas le droit d'échouer contre la fraude et les trafics ou contre la contrebande – celle-ci n'est pas seulement une fraude, c'est aussi un danger insidieux pour la santé publique et le consommateur français. Nous n'avons pas le droit de perdre la bataille que nous livrons contre la criminalité organisée, contre ces organisations tentaculaires, qui mobilisent des moyens parfois considérables pour déstabiliser notre société et qui sont prêtes à tout par seul appât du gain.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les agents que j'ai l'honneur de diriger appartiennent à l'administration de la marchandise et de la frontière, celle qui facilite les échanges économiques et garde nos frontières. Ils appartiennent à une administration qui lutte sans relâche pour protéger nos compatriotes de dangers dont ceux-ci ne mesurent pas toujours l'ampleur. Ils consacrent leur vie, et la risquent parfois, pour tenir nos frontières terrestres, maritimes, aériennes et numériques. De fait, l'espace virtuel est encore trop souvent une zone de non-droit qui charrie des menaces aux effets bien réels.

Ils obtiennent des résultats exceptionnels, à nos frontières comme à l'intérieur du territoire national. Près de 105 tonnes de stupéfiants ont été saisies l'année dernière : nos douaniers font 70 % des saisies de drogues opérées en France. Ils ont retiré du marché 11,5 millions d'articles contrefaits et saisi près de 650 tonnes de tabac de contrebande ou de contrefaçon.

Pour eux, pour nous tous, nous devons être à la hauteur.

Être à la hauteur, c'est d'abord donner à la douane les moyens d'exercer ses missions.

C'est l'objet du contrat d'objectifs et de moyens dont nous avons doté la douane. Sur la période 2022-2025, ce contrat prévoit que la douane bénéficiera de plus de 148 millions d'euros supplémentaires et d'une garantie de stabilité de ses effectifs. Nos priorités d'investissement sont claires : le e-commerce, la professionnalisation du métier de garde-frontière et la lutte contre la criminalité organisée.

Six mois après mon arrivée, j'ai souhaité affirmer une autre priorité face à la croissance fulgurante des trafics : la contrebande et la contrefaçon de tabac. Il s'agit en effet d'un fléau pour la santé publique…

Mme Sylvie Vermeillet. Tout à fait !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. … comme pour la sécurité, car ces trafics alimentent des réseaux criminels et mafieux responsables de traite d'êtres humains et faisant commerce de produits stupéfiants – ils sont même parfois impliqués dans des activités terroristes.

C'est un fléau pour nos territoires : ces trafics déstabilisent le réseau des buralistes, dont nous avons besoin, car ces commerces d'utilité locale assument quasiment des missions de service public, en permettant le paiement d'amendes et de factures du quotidien, en assumant des fonctions de relais pour les colis, en constituant des interlocuteurs du quotidien et des promoteurs du lien social sur nos territoires.

M. André Reichardt. Absolument ! Pensons aux zones frontalières.

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Nous devons aussi à notre réseau des buralistes une lutte intraitable contre les trafics de tabac dans notre pays, et nos douaniers sont au premier rang de ce combat.

Pour ce combat, nous devons changer d'échelle, de méthodes et de moyens. J'ai annoncé dans ce cadre la densification du réseau de lecteurs automatisés de plaques d'immatriculation (Lapi) ou la généralisation du déploiement de scanners, qui seront des adjuvants essentiels dans la lutte contre la drogue et les trafics de tabac. Quatorze nouveaux scanners seront déployés d'ici 2025 et j'ai fixé pour objectif que nous soyons alors en mesure de scanner 100 % des colis dans les centres de tri postal. On sait en effet qu'une part importante du trafic passe par des colis. D'ici 2027, je souhaite que nous investissions 45 millions d'euros supplémentaires dans ces équipements.

Être à la hauteur du courage et de l'engagement de nos douaniers, c'est aussi sécuriser leur action sur le plan juridique – je pense bien sûr au droit de visite. C'est également leur donner de nouveaux moyens, de nouveaux outils, de nouvelles capacités pour toujours mieux protéger les Français.

Oui, nous devons donner à nos douaniers les moyens d'exercer leurs missions. C'est la condition pour qu'ils continuent à obtenir des résultats. Et nous devons le faire en veillant à respecter scrupuleusement les droits humains et les libertés individuelles.

Je veux saluer les travaux qui ont préparé l'examen de ce projet de loi, notamment ceux des deux rapporteurs Albéric de Montgolfier et Alain Richard, qui ont réalisé, avec leurs commissions respectives, un travail absolument remarquable, avec une seule boussole : encadrer sans entraver.

Nous devons avoir cette boussole à l'esprit. Le partage des seize articles du projet de loi entre ces deux commissions a permis qu'un travail approfondi soit engagé par chacune d'elle, et je tiens à remercier l'ensemble des sénatrices et sénateurs qui ont voulu enrichir ce texte, en commission comme en séance publique.

Je souhaite d'emblée souligner deux points.

D'abord, nous partageons l'essentiel, c'est-à-dire les objectifs finaux visés par ce texte. Par conséquent, je crois qu'il peut rassembler très largement, par-delà les clivages partisans.

Puis, nous devons toujours avoir à l'esprit que les spécificités du droit douanier s'expliquent par la réalité opérationnelle du travail effectué et par le cadre juridique européen dans lequel il s'exerce. Ces spécificités constituent sans doute l'un des ingrédients de l'efficacité incontestée de la douane française.

Cette ligne de crête invite à la prudence. Le Gouvernement, comme chacun d'entre vous, tient à garantir les droits de la manière la plus complète possible ; tel est l'objectif du dispositif du droit de visite douanière proposé par ce texte. Mais, pour ma part, je veux que notre première priorité soit d'éviter que les bouleversements introduits dans le code des douanes compliquent la tâche de nos douaniers et, de fait, facilitent la vie des trafiquants.

Je l'ai dit, le premier enjeu de ce texte – son fait générateur, pour ainsi dire –, c'est d'offrir à nos douaniers la sécurité juridique indispensable à l'exercice du droit de visite – je rappelle qu'il a été, dans ses termes actuels, déclaré non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

Il faut mesurer le choc qu'a été la décision du Conseil constitutionnel pour l'ensemble des douaniers et l'insécurité qu'elle a fait régner. On a vu certaines procédures annulées, alors même qu'elles n'étaient pas concernées par cette décision. Une forme de flou s'est installée, qu'il nous faut écarter aussi rapidement que possible. C'est l'objet de ce projet de loi.

Pour répondre aux critiques formulées par le Conseil constitutionnel, ce texte réécrit intégralement l'article 60 du code des douanes pour sécuriser le droit de visite. Celui-ci, vous le savez, constitue une prérogative essentielle des douaniers, puisqu'il s'agit tout simplement du pouvoir de contrôler les marchandises, les moyens de transport et les personnes afin de rechercher des fraudes.

Les articles 1er à 5 du projet de loi assurent la mise en conformité du droit de visite par trois grands moyens.

D'abord, le texte inscrit dans la loi les principes dégagés au fil des années par la jurisprudence de la Cour de cassation. Sont ainsi codifiés le caractère contradictoire des contrôles, l'interdiction de la fouille à corps et le maintien à disposition des personnes pendant le temps strictement nécessaire aux opérations de visite.

Ensuite, il maintient, dans la zone frontière, une prérogative de contrôle étendue, justifiée par la nature même des infractions douanières. Dans le rayon des douanes, fixé à 40 kilomètres de nos frontières, ainsi que dans les ports, aéroports, gares ferroviaires et routières internationales, le droit de visite pourra continuer à s'exercer sans modification par rapport à l'état actuel du droit.

Enfin, le texte encadre l'exercice du droit de visite à l'intérieur du territoire. L'exercice de cette prérogative devra désormais s'inscrire dans deux cas bien précis. Le premier est lorsqu'elle s'exerce sur le fondement de raisons plausibles de soupçonner que la personne contrôlée a commis une infraction douanière. Le second est lorsqu'elle a lieu après information préalable du procureur de la République pour la recherche d'infractions douanières – il s'agit d'une information, et non d'une autorisation du procureur, j'y insiste, afin de ne pas entraver ou ralentir l'action de nos services.

Cette distinction entre le rayon des douanes et l'intérieur du territoire est le cœur de la mise en conformité mettant en œuvre la décision du Conseil constitutionnel.

Nous avons beaucoup travaillé pour aboutir à cette rédaction. Nous avons évidemment associé à notre réflexion des juristes et les organisations syndicales de douaniers. Nous avons testé chacune des rédactions auprès de douaniers du terrain afin de vérifier qu'elles étaient compatibles avec leur activité du quotidien. Et ce texte a été validé par le Conseil d'État.

Nous sommes profondément convaincus que l'équilibre trouvé est le meilleur pour la douane comme pour la protection des libertés. Comme vous, je veux que le droit protège et non qu'il entrave de manière excessive. Et je pense que nous pouvons nous retrouver sur ce point.

Mais, vous l'avez compris, ce projet de loi ne consiste pas seulement à assurer la mise en conformité d'une prérogative essentielle. Il s'agit aussi d'adapter nos moyens d'action, de mettre nos douaniers en situation de lutter le plus efficacement possible contre les grandes menaces d'aujourd'hui et de demain.

D'abord, nous voulons donner à nos douaniers les moyens de lutter contre la cyberdélinquance et la cybercriminalité. L'article 9 leur permet de prendre connaissance et de saisir, au cours d'une retenue douanière, des objets et des documents qui se rapportent à un flagrant délit douanier, y compris lorsque le support est numérique. De quoi parle-t-on ? De données contenues dans un ordinateur, un disque dur, un smartphone, que nos agents pourront saisir et dont ils pourront faire une copie, sur autorisation du procureur de la République. Ce dispositif accélérera considérablement les enquêtes douanières et leur efficacité.

De plus, nous proposons de permettre à nos agents de procéder au gel des données stockées sur des serveurs informatiques, lorsque ceux-ci se trouvent à l'extérieur du lieu perquisitionné. L'objectif est que les données qui sont conservées dans des clouds, comme c'est souvent le cas, ne soient pas effacées par les suspects et puissent être effectivement saisies.

Vous le savez, un nombre croissant d'infractions douanières sont commises à partir de contenus en ligne. Je pense par exemple à la vente en ligne de produits de contrefaçon ou de tabac de contrebande. C'est pourquoi l'article 12 de ce texte donne la possibilité à nos agents d'exiger des plateformes qu'elles procèdent au retrait de ces contenus. Et si ces plateformes ne répondent pas, nos agents pourront demander aux moteurs de recherche de procéder au déréférencement du contenu ou à la suspension du nom de domaine.

La conception de ce dispositif a été rendue complexe par l'impossibilité, au regard du droit européen, de présumer une responsabilité générale des plateformes au titre des marchandises dont elles facilitent la vente. Pour autant, nous avons trouvé une voie de passage qui permettra à la douane d'établir un dialogue permanent avec les grandes plateformes, allant jusqu'à la sanction pour celles qui entretiennent l'opacité du e-commerce.

Ensuite, ce texte propose de mieux utiliser les nouvelles technologies en matière d'enquête et de renseignement douaniers. À ce titre, l'article 11 prévoit l'expérimentation d'une extension à quatre mois de la durée de conservation étendue des données issues des Lapi. Ce que nous voulons, pour lutter efficacement contre le trafic de stupéfiants, c'est être en mesure de détecter les convois routiers organisés par les trafiquants.

Pour cela, nous proposons d'expérimenter une utilisation des données des Lapi profondément différente du dispositif actuellement en vigueur.

Alors que le fonctionnement actuel des Lapi sert essentiellement à rapprocher les plaques d'immatriculation détectées de fichiers déjà constitués, pour détecter par exemple les mouvements de personnes déjà connues ou des véhicules volés, le dispositif proposé permettra de procéder à des recherches pour identifier des véhicules circulant ensemble en convoi et de détecter ainsi les mouvements des trafiquants. Bien souvent, ces convois commencent par une voiture ouvreuse. Grâce à l'expérimentation de ce dispositif, nous serons en mesure d'identifier automatiquement des véhicules qui circulent très régulièrement ensemble, parfois à des dates régulières, ce qui peut laisser penser qu'il s'agit de convois qui procèdent à du trafic de stupéfiants ou de tabac.

Je tiens à insister sur la nécessité, dans le cadre protecteur qui est celui de l'expérimentation et du contrôle du Parlement et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), de disposer de cet outil pour arrêter les trafics à nos frontières.

En son article 6, le projet de loi propose de sécuriser le recours par la douane aux techniques de sonorisation et de captation d'image, en reproduisant le dispositif prévu par le code de procédure pénale pour les enquêtes douanières. C'est une disposition essentielle et protectrice, qui permettra de mieux séparer les utilisations préventives et les utilisations répressives de ces techniques spéciales d'enquête.

Je veux également souligner que le Gouvernement a déposé un amendement actualisant le régime d'utilisation des drones par la douane. Ce régime est aujourd'hui incomplet : il ne comprend pas la lutte contre les trafics de tabac manufacturé et il ne couvre pas la surveillance des frontières, alors même qu'une telle surveillance est possible pour les services de police et de gendarmerie.

Je le dis très clairement : les réseaux criminels n'hésitent pas à utiliser des technologies dernier cri pour commettre leurs méfaits. Si nous ne combattons pas à armes égales, je ne vois pas comment nous pourrions remporter la bataille. Agir dans l'espace numérique, faire coopérer les plateformes et les moteurs de recherche, voilà ce que nous voulons. Exploiter pleinement les nouvelles technologies pour être aussi efficaces que ceux que nous affrontons, voilà ce que nous devons faire.

Oui, les organisations que nous affrontons ne manquent pas de moyens. C'est la raison pour laquelle nous devons les frapper au portefeuille. C'est sans doute une manière efficace de les affaiblir.

L'article 6 crée un dispositif de retenue temporaire d'argent liquide circulant à l'intérieur du territoire, lorsqu'il existe des indices que cet argent est lié aux activités criminelles les plus graves. Ce délit existait uniquement pour les flux d'argent liquide en provenance ou à destination de l'étranger. Il fallait impérativement corriger cela. C'est d'ailleurs une évolution qui va dans le sens des préconisations du rapporteur Albéric de Montgolfier, formulées dans le rapport d'information qu'il a rédigé avec le sénateur Claude Nougein. Elle permettra notamment à la douane de mieux lutter contre le phénomène des mules entre le territoire métropolitain et la Guyane.

Nous voulons aussi réformer le délit de blanchiment douanier. Il s'agit d'inclure en particulier les cryptoactifs dans les types de fonds pouvant relever du délit de blanchiment douanier.

Enfin, vous le savez, je veux mener un combat sans merci contre le trafic de tabac. J'avais à la fin de l'année dernière fait un certain nombre d'annonces en ce sens dans le cadre du plan tabac 2023-2025. Le texte prévoit un renforcement des sanctions applicables. Nous voulons par exemple créer une peine complémentaire d'interdiction du territoire pour les étrangers qui ont fait l'objet d'une condamnation pour contrebande de tabac, comme c'est le cas pour le trafic de stupéfiants. Par ailleurs, nous durcissons les sanctions pénales applicables à la fabrication et à la détention de tabac de contrebande. Celles-ci sont portées de un à trois ans d'emprisonnement et, si ces délits sont commis en bande organisée, la peine d'emprisonnement passera de cinq à dix ans.

Nous voyons que des réseaux mafieux et criminels, jusqu'alors occupés au trafic de stupéfiants, se sont reportés massivement sur le trafic de tabac, prenant probablement en compte le fait que les sanctions sont moins importantes. Nous devons donc sanctionner le trafic de tabac de la même manière que nous sanctionnons le trafic de stupéfiants. C'est l'objet de cet alourdissement des sanctions.

La menace a changé d'échelle. Nous ne sommes plus dans le transport de quelques cartouches de cigarettes cachées dans un sac en traversant la frontière. Nous avons démantelé sur le sol national l'an dernier cinq usines de fabrication clandestine de tabac. Il s'agit de hangars situés sur le sol national, au sein desquels étaient produites chaque jour entre un et deux millions de cigarettes de contrefaçon pour alimenter le circuit parallèle en France. Le trafic a changé d'échelle. Notre réponse doit elle aussi changer d'échelle. C'est l'un des objets de ce texte.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte est bien plus qu'un projet de mise en conformité. C'est un texte de mobilisation générale contre tous les trafics et de soutien total à nos douaniers, qui agissent chaque jour pour nous protéger, protéger nos frontières et les Français. Permettez-moi de saluer ceux qui sont dans les tribunes à cet instant, qui appartiennent à la direction interrégionale des douanes d'Île-de-France, à la direction générale des douanes ou à la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières – et, à travers eux, de remercier et de saluer l'ensemble des agents douaniers sur le territoire national.

Je sais que nous aurons d'ici quelques minutes des débats importants sur les garanties apportées en matière de droits fondamentaux. J'espère que nous saurons ensemble trouver les bons points d'équilibre sur les différents dispositifs, afin de permettre à nos douaniers d'agir efficacement, sans renoncer aux exigences qui doivent être les nôtres.

Les douanières et les douaniers comptent sur nous. Ils attendent de la clarté, de la précision et des moyens d'action. Je sais qu'ensemble nous serons capables de leur apporter cela, leur permettant ainsi d'assurer la protection de nos frontières et, surtout, de nos compatriotes. Nous le leur devons. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

(…)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Je souhaite remercier l'ensemble des sénatrices et des sénateurs qui se sont exprimés.

Nous aurons l'occasion de débattre des sujets qui viennent d'être abordés lors de la discussion des articles. Je voudrais toutefois revenir sur une question importante soulevée par plusieurs d'entre vous : celle des effectifs.

Tout d'abord, les comparaisons avec des pays européens voisins sont à prendre avec des pincettes, notamment parce que les missions de l'administration des douanes et celles de ses homologues sont parfois très différentes. Comparer les effectifs des douanes françaises avec ceux de pays où les missions ne sont pas les mêmes comporte donc une certaine limite.

En Allemagne, par exemple, 8 000 à 10 000 douaniers sont engagés dans la lutte contre le travail illégal, ce qui ne relève pas de la compétence des douanes en France. En outre, les douaniers allemands ont le statut d'officier de police judiciaire et réalisent de facto un certain nombre de missions dévolues à la police nationale en France.

De même, en Italie, autre exemple cité, les douanes réalisent des missions de police fiscale et de renseignement fiscal, ce qui n'est pas le cas de la douane française. Celle-ci dispose certes d'un service de renseignement, mais doté de missions différentes.

Monsieur Cozic, vous avez insisté sur la réduction du schéma d'emplois opérée dans le cadre d'un récent projet de loi de finances. Sachez que cette réduction est liée au transfert à la DGFiP de la gestion et du recouvrement de certaines taxes des douanes.

Ce transfert a par ailleurs permis de réaliser un gain de productivité, puisque la DGFiP gère et assure le recouvrement de nombreuses taxes. Ce gain étant partagé à parts égales entre ces deux administrations, cette disposition a plutôt permis de renforcer les effectifs dédiés à la lutte contre les fraudes.

Enfin, nous tenons beaucoup à la création d'une réserve opérationnelle de l'administration des douanes, prévue à l'article 7 de ce projet de loi.

Les autres corps en uniforme qui ont vu la création d'une réserve opérationnelle, que ce soit les policiers ou les gendarmes, n'ont pas pour autant connu de réduction de leurs effectifs. Au contraire, on a constaté ces dernières années une augmentation sensible dans certains corps tels que la police ou les armées. Ce phénomène est appelé à perdurer puisque la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur prévoit un renforcement très important des effectifs.

Concrètement, la réserve opérationnelle de l'administration des douanes répondra à deux principaux enjeux.

Il s'agit, d'abord, de répondre aux pics d'activité liés à un événement très important organisé sur un temps court – je pense évidemment aux jeux Olympiques et Paralympiques qui engendreront un surcroît d'activité pour nos douanes, comme pour beaucoup d'autres fonctions publiques, et qui nécessiteront de mobiliser des forces supplémentaires – ou à un événement imprévu. Ainsi, lorsque le navire Ocean Viking accoste en France, ce sont les douaniers qui sont mobilisés pour le débarquement. Dans un tel cas, il est possible d'imaginer un soutien de la réserve opérationnelle.

Il s'agit, ensuite, de faire bénéficier la douane de compétences de pointe apportées par des personnes qui souhaitent non pas changer de métier ou travailler pour les douanes, mais partager leurs compétences sur certains sujets, même si de nombreuses compétences sont déjà présentes au sein des douanes et que nous allons continuer de les développer.

Mme la présidente. La discussion générale est close.


Source https://www.senat.fr, le 2 juin 2023