Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Avec Léa SALAMÉ, nous vous proposons ce matin un "Grand entretien" en forme de débat sur la crise du logement. Des annonces de l'exécutif sont attendues lundi, alors que les professionnels du secteur alertent sur une crise profonde. Trois invités pour en parler.
LÉA SALAMÉ
D'abord, Emmanuelle COSSE, présidente de l'Union Sociale pour l'Habitat, ancienne ministre du Logement. Bonjour. Merci d'être là.
EMMANUELLE COSSE
Bonjour.
LÉA SALAMÉ
Jacques EHRMANN, directeur général d'ALTAREA, le deuxième promoteur immobilier français. Bonjour.
JACQUES EHRMANN
Bonjour.
LÉA SALAMÉ
Et puis, Olivier KLEIN, ministre délégué chargé à la Ville et au Logement. Merci d'avoir accepté d'être là et de répondre aux critiques, parce qu'il y en aura tout à l'heure.
OLIVIER KLEIN
Bonjour.
NICOLAS DEMORAND
Oui, bonjour, et c'est peu dire que vos mesures sur le logement sont attendues, Monsieur le Ministre, parce que pour le moment, on n'entend plus que des mots terribles de la part de tous les acteurs du secteur. La crise du logement est un poison lent, mais extrêmement sûr, le logement subit un choc d'une violence folle, pour Véronique BEDAGUE, PDG de NEXITY, premier groupe immobilier français, c'était à ce micro, il y a un mois. Le patron du MEDEF, Geoffroy ROUX de BEZIEUX, redoute, lui, une catastrophe. Alors, d'abord, sur le constat, Olivier KLEIN, est-ce que vous pourriez reprendre ces mots, est-ce qu'on est face à une catastrophe, à un choc d'une violence folle ?
OLIVIER KLEIN
Vous savez, la crise du logement, je ne l'ai pas découverte en devant ministre, je suis maire d'une ville très populaire, et la question du logement, je la connais depuis de nombreuses années, 99 % de mes rendez-vous de maire étaient pour avoir un logement. Et cette crise, elle est ancienne, elle est profonde. La bombe sociale, c'est moi qui ai employé ce terme, dès le mois de novembre, dans une interview dans Le Parisien, donc, oui, le logement est un Eldorado, oui, il y a plusieurs crises, une crise multifactorielle, comme on peut le dire, à la fois, une crise de l'offre, une crise de la demande, une crise de manque de logement social, et c'est toutes ces crises qu'il faut prendre en main en même temps, pour trouver différentes solutions, parce qu'il n'y a pas une solution, si la crise, elle a plusieurs raisons, il y a plusieurs solutions ; c'est le sens du travail qu'on a mené avec le Conseil national de la refondation. Vous savez, vous avez parlé de Véronique BEDAGUE, c'est moi qui ai demandé à Véronique BEDAGUE et à Christophe ROBERT, de coanimer avec moi le Conseil national de la refondation. Je n'ai pas choisi des gens qui allaient me caresser dans le sens du poil, j'ai choisi des gens qui connaissaient la question du logement, comme moi, comme Emma COSSE, qui est là, ou comme Jacques EHRMANN qui est là, qui ont participé aux travaux du CNR, pour qu'on trouve ensemble, qu'on fasse, ce que je souhaite, une union sacrée parce que je sais trop à quel point si on ne travaille pas tous ensemble, la crise du logement, on ne saura pas la résoudre.
LÉA SALAMÉ
Et je précise que vous êtes maire, vous étiez maire de Clichy-sous-Bois…
OLIVIER KLEIN
J'étais maire, absolument.
LÉA SALAMÉ
Pour ceux qui ne le savent pas. On va parler des raisons de cette crise, on va parler aussi des solutions que vous allez proposer.
/// Jacques EHRMANN – Emmanuelle COSSE ///
LÉA SALAMÉ
Alors, pour que les auditeurs comprennent bien, il y a la crise structurelle du logement, qui ne date pas d'aujourd'hui, vous avez raison de le dire, Olivier KLEIN…
OLIVIER KLEIN
Qui date de plus de 5 ans…
LÉA SALAMÉ
Qui date de plus de 5 ans, d'accord, mais il y a une accélération, vous en convenez tous, il y a un problème structurel, qui est qu'on ne construit pas assez, ça, on va y venir, mais il y a une accélération cette dernière année à cause des taux d'intérêt, expliquez-nous, parce que vous dites : personne ne trouve à acheter ou personne ne trouve à louer, il n'y a pas de logement sur le marché, il n'y a rien à acheter, et aussi, il y a des taux d'intérêt qui ont explosé, pourquoi ils ont explosé, à cause de la guerre en Ukraine où les taux étaient très, très bas, donc quand vous voulez aller chercher un crédit, je vous vois tiquer, mais j'essaie juste d'expliquer, quand on cherchait un crédit immobilier, on avait des crédits à 1 %, aujourd'hui, ils sont à plus de 3 %, les banques vous disent : très bien, on vous prête, mais à plus de 3 %, parce que, effectivement, les taux directeurs de la Banque centrale européenne ont augmenté pour freiner l'inflation, c'est un peu ça qu'il se passe ?
OLIVIER KLEIN
Oui, il y a plusieurs taux qui augmentent, d'abord, il y a évidemment les taux d'intérêt, c'est pour ça qu'on travaille avec les banquiers pour qu'ils respectent les règles, toutes les règles, il ne faut pas renvoyer les Français sur le surendettement, ça serait évidemment catastrophique, quand on est propriétaire, il faut rembourser son crédit à la banque, payer les charges de copropriété, et je suis bien placé pour savoir qu'une copropriété, c'est un élément très fragile, il y a les taux du Livret A qui sont aussi en augmentation à cause de l'inflation, là aussi, on a agi, puisqu'on a limité, et l'USH avait souligné l'effort qui avait été fait de l'augmentation du taux du Livret A, parce qu'à chaque fois que le taux du livret A augmente, ça a des conséquences extrêmement négatives sur le logement social et ses capacités d'investissement…
LÉA SALAMÉ
Pourquoi, pourquoi ?
OLIVIER KLEIN
Parce que les emprunts faits par les bailleurs sociaux sont indexés sur le Livret A, et donc, il y a un effet mécanique, on a décidé de maintenir à 3 % au mois de février le taux du Livret A, alors qu'on aurait pu aller plus loin, c'est pour protéger le bailleur social et le monde de l'habitat social qui est un bien français fondamental, le logement français, le logement social à la française est un bien auquel on tient tous, moi, je suis un pur produit du logement social et évidemment, j'y tiens.
EMMANUELLE COSSE
Oui, mais, non, je suis évidemment d'accord avec ce que vient de dire le ministre, mais le problème aujourd'hui, c'est que, moi, j'en ai un peu assez des slogans, en fait, la question, c'est d'avoir des actes et des mesures très précises, le soutien du ministre, je l'ai, je le connais, on sait qu'il soutient le logement social, la question, c'est est-ce qu'il arrive à peser auprès de Matignon, auprès de l'Élysée pour qu'on ait des mesures d'urgence pour enrayer cette crise, parce que, oui, il y a les taux d'intérêt mais ça n'aurait pas été les taux d'intérêt, ça aurait été autre chose. La diminution des permis de construire, elle est là depuis un moment, les difficultés économiques, elles sont là, et la question, c'est qu'aujourd'hui, ce qui est difficile, c'est que tous les pans du logement sont coincés, le social, le privé, l'accession, l'allocation. (…)
/// Jacques EHRMANN ///
OLIVIER KLEIN
Moi, je ne peux pas laisser dire que le président de la République ou le gouvernement découvre la question du logement, dans le précédent quinquennat, le plan logement d'abord, qui a été mis en place et souligné par l'ensemble des acteurs de la solidarité, c'est 440.000 personnes qui ont quitté la rue pour aller à un logement. L'Agence nationale pour la refondation et la rénovation urbaine, que j'ai eu l'honneur de présider, quand je suis devenu président de l'ANRU, il y avait 5 milliards, quand j'ai terminé mon mandat de président, c'était de 12 milliards. L'ANRU, c'est un des promoteurs les plus importants de la construction et de la rénovation du logement social. MaPrimeRénov', qui a mis dans l'esprit des Français l'écogeste, je suis venu faire "Le téléphone sonne", ici, il y a quelques mois, pour parler de ça, on a…
LÉA SALAMÉ
Oui, Olivier KLEIN…
OLIVIER KLEIN
On a fait 1,5 million de chantiers dans le cadre de la rénovation et de l'aide…
LÉA SALAMÉ
On entend, mais pardon de vous dire…
OLIVIER KLEIN
Et juste…
LÉA SALAMÉ
Il ne s'agit pas de faire de la polémique politique ici…
OLIVIER KLEIN
Non, je ne fais pas de la polémique…
LÉA SALAMÉ
Non, non, mais ce que je veux dire, c'est que ce n‘est pas le but…
OLIVIER KLEIN
Sur France Culture, je me suis écouté sur France Culture, il y a quelques jours dans une autre émission…
LÉA SALAMÉ
Vous vous êtes réécouté…
OLIVIER KLEIN
Je me suis réécouté, en 2017, je racontais ma vie de maire, et je disais : il y a une crise du logement social, et je disais exactement la même chose que je dis aujourd'hui, donc cette crise, elle est profonde…
LÉA SALAMÉ
D'accord, mais Véronique BEDAGUE…
OLIVIER KLEIN
Et on y travaille tous ensemble…
LÉA SALAMÉ
Véronique BEDAGUE, qui était à ce micro, qui est…
OLIVIER KLEIN
La co-animatrice…
LÉA SALAMÉ
Qui est la co-animatrice du CNR avec Christophe ROBERT qui est aujourd'hui à la tête du premier promoteur immobilier, disait : on n'a pas de réponse. Elle disait clairement, Emmanuel MACRON, on a l'impression que le sujet du logement l'ennuie profondément, et puis, il y a les chiffres de Christophe ROBERT qui, lui, aussi coanime le CNR, qui dit que l'effort public pour le logement n'a jamais été aussi bas, il est passé de 2,2 % du PIB en 2010 à 1,5 % du PIB en 2021. Donc reconnaissez quand même que…
EMMANUELLE COSSE
Mais surtout, ce n'est pas nouveau, moi, qui étais dans un gouvernement avec Emmanuel MACRON, le président de la République d'aujourd'hui n'a jamais pensé que c'était une politique nationale, et c'est ça, je pense, que renvoyer le problème du logement à un problème individuel et municipal, c'est être à côté, il y a besoin de régulation, il y a besoin surtout d'incarnation, et le ministre du Logement, il se bat tous les jours, ce n'est pas lui qui est en cause, c'est la question d'avoir une incarnation par le président de la République et par la Première ministre du fait qu'on va bouger sur le logement pour tout le monde. (…) Si demain, le président de la République dit : on y va tous, on a besoin de construire tant de logements, en social, en privé, en accession, je lance avec le CNR, et là, je rêve, j'annonce ce que j'aimerais entendre lundi soir…
NICOLAS DEMORAND
Oui, enfin, peut-être qu'il va…
EMMANUELLE COSSE
Mais peut-être c'est ce qu'il dira. On y va tous ensemble, on mobilise, on veut faire le plein emploi, donc on refait du logement accessible aux salariés, eh bien, là, je peux vous dire il y aura de l'entraînement, et les maires iront.
NICOLAS DEMORAND
C'est ce que vous direz Olivier KLEIN, lundi ?
OLIVIER KLEIN
Moi, je n'ai aucun doute, s'il y a une question qui est bien une responsabilité partagée, c'est celle du logement, c'est pour ça qu'il faut cette union sacrée et cette volonté d'aller ensemble, oui, on ne peut pas faire contre les maires, on ne peut pas faire contre sa population, oui, il faut faire avec les maires, oui, il faut faire avec le monde du logement social, oui, il faut faire avec les promoteurs, et c'est tous ensemble qu'il faut trouver des solutions, des solutions sur le foncier, des solutions écologiques, des solutions de différents types de logements qui correspondent au parcours résidentiel. Aujourd'hui, le problème, c'est cette sclérose, aujourd'hui, on est dans un logement où on ne le quitte pas, parce qu'on n'a pas de choix, le logement, c'est de la mobilité en permanence, et c'est ça qu'il faut reconstruire, parce que, oui, il faut reconstruire, et y travailler ensemble, et le CNR a été cette occasion. Christophe ROBERT disait, il y a quelques jours devant la Première ministre, c'est la première fois que je vois une telle émulation du monde du logement qui travaille ensemble depuis de nombreux mois, entre novembre et aujourd'hui, c'est plus de 6 mois.
NICOLAS DEMORAND
Vous êtes attendu lundi…
OLIVIER KLEIN
Tant mieux !
NICOLAS DEMORAND
Ils le disent, vous êtes attendu, concrètement…
OLIVIER KLEIN
Mais tant mieux parce qu'on a beaucoup travaillé avec les gens qui sont autour de la table ici…
NICOLAS DEMORAND
Sur le fond…
OLIVIER KLEIN
Et qui ont été autour de la table du CNR.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 2 juin 2023