Interview de M. Roland Lescure, ministre chargé de l'industrie, à France Inter le 15 juin 2023, sur la politique industrielle.

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Média : France Inter

Texte intégral

YAËL GOOSZ
Bonjour Roland LESCURE.

ROLAND LESCURE
Bonjour.

YAËL GOOSZ
Je ne sais pas combien de fois le mot souveraineté a été prononcé depuis le début de la semaine, et ça va continuer comme ça. Batteries électriques, médicaments, aéronautique bientôt, quasiment un jour sur trois le président est à l'usine, hier c'était VivaTech, le salon des nouvelles technologies. L'État va verser 500 millions d'euros pour essayer de créer des champions français de l'intelligence artificielle, et demain guest star, invité vedette, tapis rouge pour Elon MUSK, le triple patron de TESLA, SpaceX et TWITTER. Comment allez-vous le convaincre, Elon MUSK, d'implanter chez nous, sa future usine de batteries TESLA ?

ROLAND LESCURE
Eh bien déjà, il vient. Je pense qu'il y a 10 ans, Elon MUSK, il ne serait pas passé par Paris, il aurait peut-être fait Londres, Francfort, et quelques autres ; d'ailleurs, il a fait Francfort puisqu'il a installé une usine en Allemagne. Aujourd'hui, la France est plus attractive que jamais, mais elle est dans une compétition extrêmement forte, avec d'autres pays, donc on sort tous nos atouts, pour attirer les meilleurs, évidemment Elon MUSK, d'autres…

YAËL GOOSZ
Qu'est-ce qu'ils vous demandent, pour venir en France ?

ROLAND LESCURE
Alors, on n'est pas dans une logique de demande ou d'exigences, on est dans une logique de négociations, avec trois nerfs de la guerre, si je puis dire. Un, des subventions, c'est vrai, on en donne, comme d'autres, pour décarboner l'industrie, mais surtout du foncier et de l'électricité décarbonée et pas chère. Et sur ces deux points de vue-là, on a un avantage compétitif, l'Espagne en a aussi, le monde et je dirais la place dans laquelle il regarde aujourd'hui. Il est bienvenu en France, et je vais vous dire une chose, l'ensemble des constructeurs automobiles mondiaux qui souhaitent produire des véhicules, sont bienvenus en France, y compris les Français.

YAËL GOOSZ
Y compris le groupe STELLANTIS, qui produit la 208 électrique, vous voulez qu'elle soit produite en France ?

ROLAND LESCURE
Oui, on a des constructeurs français qui se sont engagés juste avant le Mondial de l'auto, pour produire 15 nouveaux modèles en France, la RENAULT 5, la 4 L, la 308 vont être produites en France, j'aimerais évidemment que la 208 le soit aussi. C'est important, à la fois pour les Françaises et les Français, et les employés de STELLANTIS.

YAËL GOOSZ
Mais sous quelles conditions ? Que vous demande STELLANTIS pour venir en France ?

ROLAND LESCURE
On est dans des discussions, qui sont aussi assez, je dirais sportives, mais sur lesquelles on avance. J'ai bon espoir…

YAËL GOOSZ
C'est le secret des affaires ? Vous ne nous dites pas quelles sont les conditions.

ROLAND LESCURE
Non, mais ce genre de choses, vous savez, on a annoncé 5 milliards d'investissements de ProLogium, pour des batteries électriques à Dunkerque. 2 jours avant l'annonce, ça n'était pas fait. Donc tant que ce n'est pas fait, ce n'est pas fait, ce n'est pas juste pour éviter de provoquer le destin, c'est aussi parce que ces négociations sont extrêmement complexes, et qu'on souhaite les mener à terme.

YAËL GOOSZ
Je reviens à Elon MUSK, il n'y a pas si longtemps c'était le méchant milliardaire américain qui s'affranchit des règles de l'Europe, laisse les fake news, la haine en ligne revenir sur les réseaux sociaux, sur Twitter, que votre collègue du numérique Jean-Noël BARROT, ministre, menaçait même de bannir. On est prêt à tout pour réindustrialiser aujourd'hui, même à s'asseoir sur ces valeurs-là ?

ROLAND LESCURE
Non, on est prêt à parler de tout. D'abord Elon MUSK, il a créé un nouveau constructeur automobile mondial, qui est aujourd'hui un des plus grands, de rien, et par ailleurs des véhicules électriques, quand même, il faut reconnaître ça. Il a inventé, ça paraît bête, mais une fusée qui décolle et qui atterrit et qu'on peut recycler. Ça aussi c'est absolument exceptionnel. Donc il y a je dirais l'Elon MUSK qu'on admire, dont on va pouvoir s'inspirer, on doit pouvoir avoir des Elon MUSK à la française, et puis il y a une phase parfois un peu plus ambiguë, c'est le moins qu'on puisse dire.

YAËL GOOSZ
Il y a un bon et un mauvais Elon MUSK ?

ROLAND LESCURE
Non mais comme nous tous, je veux dire, on a tous du bon…

YAËL GOOSZ
Ah, vous aussi Roland LESCURE ?

ROLAND LESCURE
Ah oui oui, il y a un bon et un mauvais Roland LESCURE, je vous le confirme. Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise situation, mais il y a un bon ou un mauvais Roland LESCURE. Bien sûr, mais c'est pour ça d'ailleurs que la régulation est importante, c'est pour ça que la politique a un rôle à jouer. Jean-Noël BARROT l'a dit, sur Twitter évidemment, l'Europe est plutôt en avance d'un point de vue de la régulation, il faut laisser la liberté d'expression, mais s'assurer qu'elle ne conduise pas à raconter n'importe quoi, voire des horreurs, et ça, l'Europe est capable de le faire, et le fera même avec Elon MUSK.

YAËL GOOSZ
Il y a eu un petit tacle du président hier au salon VivaTech vis-à-vis de l'Europe justement, hier, on a eu, une première au Parlement européen, le premier règlement encadrant l'intelligence artificielle en Europe, et le président a dit : attention, là, il ne faudrait pas qu'on soit à la traîne, l'innovation d'abord ?

ROLAND LESCURE
Eh bien, oui, je préfère innover avant de réguler, que de réguler avant d'innover. Alors, évidemment, ça ne veut pas dire que c'est le far West, mais ça veut dire qu'on laisse les innovations évoluer, c'est le cas de le dire, on regarde, on met en place des régulations, c'est compliqué en Europe parce qu'on a tendance à prendre beaucoup de temps avant d'arrêter les régulations, donc ce qui a été voté cette semaine a commencé à être négocié alors que ChatGPT n'existait même pas. Donc c'est un défi de flexibilité, d'adaptabilité de la régulation. Mais évidemment, on peut se retrouver dans une Europe trop régulée sans intelligence artificielle, et y compris sans intelligence artificielle, je dirais, made in Europe, et surtout, c'est le cas de le dire, francophone.

YAËL GOOSZ
Mais soyons concrets, ça veut dire que la France demain va s'opposer, contrer ce que le Parlement européen a voté ?

ROLAND LESCURE
Non, ça veut dire qu'il faut mettre en place des conditions d'évolution de cette régulation, de manière à ce qu'elle soit plus adaptée à l'évolution de l'intelligence artificielle qui est aujourd'hui beaucoup plus moderne, beaucoup plus puissante aussi, mais intéressante d'un point de vue économique, y compris pour l'industrie d'ailleurs, qu'elle ne l'était au moment où on a commencé à discuter de ce texte.

YAËL GOOSZ
L'industrie, c'est aussi l'aéronautique, il y a le Salon du Bourget qui ouvre la semaine prochaine. Ce soir, dîner à l'Élysée au sommet, le président reçoit les responsables de la filière, SAFRAN, AIRBUS, ADP, il va leur dire qu'il faut faire plus pour décarboner l'aviation. Ça existe un avion propre ?

ROLAND LESCURE
Alors, ça existe, et c'est d'autant plus fascinant, vous savez que la France, l'Europe, aujourd'hui, exporte à peu près 50% des avions mondiaux, donc on a la capacité de décarboner 50% de l'aviation mondiale. C'est-à-dire, ce n'est pas juste les avions qui font Paris-Toulouse qu'on va décarboner, c'est si on arrive à construire un avion européen décarboné, et on va le faire, ils sont prêts à investir aujourd'hui beaucoup d'argent, on va les aider un peu, là encore, on a des discussions, je dirais, intéressantes, de manière à ce qu'on puisse développer un avion décarboné. Qu'est-ce que c'est qu'un avion décarboné ? C'est essentiellement un avion très frugal qui consomme très peu de carburant, et en plus, ces carburants-là ce sont des carburants recyclés, ce qu'on appelle des SAF, des carburants durables et qui permettent de recycler des matières, y compris industrielles d'ailleurs, du plastique et autres, des bio-carburants, de manière à créer un avion propre, oui, c'est possible.

YAËL GOOSZ
Est-ce que la clef, ce n'est pas de tarir la demande, et donc d'augmenter le prix des billets, tout simplement ?

ROLAND LESCURE
Alors peut-être qu'on n'échappera pas à ça non plus, d'ailleurs, la transition écologique, ça a un coût, mais, moi, je pense qu'aujourd'hui, on a une industrie extrêmement performante, elle est leader mondial, elle fait partie des deux, trois secteurs qui nous permettent d'avoir une balance commerciale positive, il y en a quelques autres pour lesquels, c'est l'inverse, soyons fiers, investissons, il y a des milliers d'emplois à la clef, évidemment, faisons-le de manière responsable, en innovant et en décarbonant.

YAËL GOOSZ
Le RN, le Rassemblement national, considère qu'ils engrangent une victoire idéologique avec ce mot souveraineté et réindustrialisation que vous utilisez tous les jours désormais, Laure LAVALETTE, la députée RN, qui était invitée à ce micro hier, le disait. Est-ce que c'est un point enregistré, gagné par le RN ?

ROLAND LESCURE
Non, mais c'est exactement l'inverse…

YAËL GOOSZ
Pourquoi ?

ROLAND LESCURE
Ça fait 25 ans que le FN, puis, le RN, se nourrissent de la désindustrialisation, la réindustrialisation, c'est une arme anti-colère, quand vous créez une usine, vous créez de l'espoir, quand vous créez de l'espoir, les extrêmes reculent, moi, je suis convaincu d'être une des armes anti-FN de ce gouvernement, et je suis très fier de l'être d'ailleurs.

YAËL GOOSZ
Votre collègue Marlène SCHIAPPA, chargée au gouvernement de l'Économie sociale et solidaire, a passé un moment un peu compliqué hier au Sénat, auditionnée dans l'affaire du fonds Marianne, ce fonds lancé 6 mois après l'assassinat de Samuel PATY, et qui devait financer des associations en défense de la République contre l'islam radical. Est-ce qu'elle peut dire que c'est la faute de son administration et pas la sienne ?

ROLAND LESCURE
Je ne suis pas sûr que ce soit tout à fait ce qu'elle a dit, d'abord, 1°) : elle est allée en Commission d'enquête du Sénat, moi, j'en ai assisté, j'y ai participé à une, il y a quelques semaines sur les médicaments, c'est un exercice qui est assez difficile, et j'allais dire tant mieux, le Sénat fait son boulot de contrôle, elle a répondu à toutes les questions, il faut que les sénateurs maintenant fassent leur part du travail, nous rendent le rapport et qu'on voit ce qu'ils en ont à dire. Mais, je ne pense pas qu'on puisse juger d'un sujet aussi sérieux sur la base d'impressions liées à une audition, mais bien sur les faits, et c'est ce que j'attends des sénateurs qui, je n'en doute pas, le feront. Le rapporteur général du Budget, le président de la Commission des finances du Sénat sont des gens extrêmement sérieux, dont je ne doute pas qu'ils feront très bien leur boulot.

YAËL GOOSZ
Dans votre ministère, vous suivez l'attribution de l'argent public, est-ce qu'elle a suivi suffisamment le jury…

ROLAND LESCURE
Alors, dans mon ministère, comme dans tous les ministères, je pense, on suit l'attribution de l'argent public, ça ne veut pas dire que je signe toutes les subventions, il y en a des grosses qui remontent jusqu'aux ministres, il y en a des moins grosses qui suivent un processus, l'essentiel, c'est que ce processus, lui, il soit rigoureux, et c'est l'objet, je pense, de cette Commission d'enquête.

YAËL GOOSZ
Marlène SCHIAPPA peut continuer à son poste ?

ROLAND LESCURE
Oui, bien sûr.

YAËL GOOSZ
Roland LESCURE, est-ce que vous êtes "borniste" ? Ce n'est pas une maladie, c'est comme ça qu'on surnomme les ministres du gouvernement qui souhaitent qu'Élisabeth BORNE continue à Matignon. Il y a besoin d'un nouveau souffle ou pas, ou vous êtes pour qu'elle reste ?

ROLAND LESCURE
Alors moi, je peux vous dire, je ne manque pas de souffle actuellement. Elle m'a confié, avec le président de la République, une mission fantastique : réindustrialiser la France…

YAËL GOOSZ
Je ne parle pas de vous, je parle d'elle.

ROLAND LESCURE
Oui, mais je la fais avec bonheur, et c'est grâce à elle et grâce à lui que je la fais, donc je souhaite continuer à la faire, en tout cas moi ça c'est ma réponse, je réponds déjà à ce qui dépend de moi, c'est déjà pas mal.

YAËL GOOSZ
Au-delà des 100 jours et du 14 juillet ?

ROLAND LESCURE
J'espère, oui.

YAËL GOOSZ
François BAYROU, dans Le Figaro, dit qu'il ne veut pas d'un gouvernement de restauration RPR, il ferme la porte à une coalition avec la droite. Vous êtes pour la coalition avec la droite ?

ROLAND LESCURE
Je ne suis pas très RPR, moi en tout cas, dans mon parcours professionnel et personnel. Non, moi je souhaite qu'on continue avec ce qui nous a plutôt porté depuis 6 ans, ce qui fait que la France aujourd'hui est attractive, efficace, et n'en déplaise à certains avec un chômage historiquement bas, c'est qu'on continue à faire le meilleur, que ce soit issu plutôt d'inspiration de gauche ou de droite, on est capable de rassembler la France autour de ce que François BAYROU appelle un grand centre, autour de ce que moi j'appelle une France qui se développe, qui gagne et qui se projette vers l'avant.

YAËL GOOSZ
Est-ce que le président a le pouvoir de garder Kylian MBAPPÉ au PSG ? Il a dit qu'il allait tout faire pour, hier.

ROLAND LESCURE
Écoutez…

YAËL GOOSZ
Est-ce qu'il a des super-pouvoirs ?

ROLAND LESCURE
Je pense qu'Emmanuel MACRON a beaucoup beaucoup beaucoup d'influence, malheureusement, en tant que supporter régulièrement déçu du PSG, j'ai peur que là, son pouvoir ait des limites, mais on verra, on verra.

YAËL GOOSZ
Les limites du pouvoir d'Emmanuel MACRON. Merci Roland LESCURE.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 juin 2023