Texte intégral
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Monsieur le ministre, cher Roland Lescure,
Nous sortons d’une ère de désindustrialisation. Une ère de 40 ans, où la France s’est trahie elle-même. Elle a trahi sa culture ouvrière. Elle a trahi son génie industriel. Elle a trahi son attachement au progrès, à l'innovation technologique et à la production manufacturière.
Les chiffres sont sans appel, sur 40 ans, 600 entreprises fermées ; 2,5 millions d'emplois industriels détruits ; des territoires laissés à l'abandon ; une part de l'industrie dans la richesse nationale qui est tombée de plus de 20 % à un peu plus de 10 %, là où elle restait stable chez nos principaux partenaires européens : Allemagne et Italie.
Avec le président de la République, nous voulons maintenant ouvrir une nouvelle ère de réindustrialisation nationale et européenne. C'est l'objet des décisions que nous avons prises depuis plus de six ans. C'est l'objet de ce projet de loi sur l'industrie verte. Nous avons maintenant le socle national pour engager cette réindustrialisation.
Nous avons eu avec cette majorité le courage de réformer la fiscalité du capital, ce que personne n'avait fait avant nous, car il n'y a pas d'industrie sans capital et que taxer toujours plus le capital, c'est taxer l'industrie et renoncer à toute ambition industrielle.
Nous avons engagé des dispositifs de formation, de qualification. Nous avons fait de l'apprentissage, la voie royale d'accès à l'emploi avec près d’1 million d'apprentis désormais chaque année. Et nous avons, avec la loi PACTE de 2018, simplifié l'ouverture des sites industriels.
Résultat : les chiffres sont là aussi sans appel, la France est devenue la nation la plus attractive pour les investissements étrangers en Europe, ce dont témoignent tous les investissements qui ont été annoncés encore récemment à Choose France, nous avons rouvert 300 usines et nous avons créé pour la première fois depuis 40 ans, 90 000 emplois industriels.
Nous avons aussi la base européenne, résultat d'une longue confrontation avec une idéologie européenne dépassée qui refusait systématiquement, contrairement à ce qui se fait en Chine ou aux unis, qu'un État soutienne, par des subventions, par des crédits d'impôts, le développement de son industrie à ses débuts.
Avec le président de la République, nous avons obtenu cette révolution idéologique consistant à laisser les États membres apporter des soutiens financiers au développement de leur industrie sous forme de subventions ou sous forme de crédits d'impôts.
Nous avons obtenu cette autre révolution consistant, et Dieu sait que cela devrait être le bon sens, à protéger nos technologies, protéger nos nations contre des investissements de prédation, protéger nos savoir-faire, protéger nos qualifications.
Nous avons enfin les circonstances. Après la crise du Covid, chacun a compris qu'il fallait réorganiser des chaînes de valeur, arrêter d'être trop dépendants des autres nations pour les approvisionnements essentiels et faire revenir sur notre sol les approvisionnements critiques et les chaînes de valeur stratégique.
Et enfin, dans les circonstances, les circonstances les plus difficiles, c'est l'accélération du changement climatique qui montre qu'il n'y a désormais pas d'autre issue que de prendre le problème à bras le corps et d'y apporter des réponses massives, rapides et efficaces.
À partir de là, maintenant que nous avons cette base nationale, cette base européenne et les circonstances que je viens de décrire, nous avons devant nous des choix politiques qui sont simples et qui doivent être tranchés. Il y a 3 choix possibles.
Le premier, c'est le statu quo. On continue comme avant : la croissance pour la croissance, l'ouverture de sites pour l'ouverture de sites et peu importe le climat. Ce statu quo serait criminel pour la planète, criminel pour les générations futures et de toute façon inacceptable pour nos compatriotes. La croissance pour la croissance au détriment du climat est une impasse.
Deuxième option : la décroissance. Je sais qu'elle a la faveur de certains en France. Je tiens à dire à quel point elle conduira à la relégation de la nation française, à quel point conduira notre affaiblissement collectif, à quel point elle conduira à l'appauvrissement de chacune et de chacun de nos compatriotes, à quel point, surtout, elle donnera les résultats inverses de ceux recherchés. Parce que nos compatriotes ne vont pas arrêter d’acheter des voitures, d’acheter des vélos, d'acheter des batteries, d’acheter des pompes à chaleur.
Mais au lieu d'acheter des produits réalisés sur notre territoire, avec nos technologies, avec nos emplois, ils importeront les mêmes produits réalisés dans des conditions environnementales moins satisfaisantes. Avec la décroissance, nous sommes perdant sur tous les tableaux : celui de l'emploi, celui de la richesse et celui du climat.
La troisième option, celle que nous vous proposons avec Roland Lescure, avec la Première ministre, avec le président de la République, c’est la croissance verte, une croissance qui permet de réduire les émissions de CO2 et de lutter contre le réchauffement climatique, c’est le cœur de ce projet de loi sur l’industrie verte.
Qu’est-ce qu’on entend par industrie verte ? Deux choses distinctes mais complémentaires.
L’industrie verte, c’est d’abord la décarbonation de l’industrie existante, parce qu’on ne construira pas l’industrie de l’avenir sur les ruines de l’industrie du passé. Tous ceux qui nous ont vendu ces sornettes pendant des années ou des décennies, comme quoi, il fallait faire table rase des vieilles industries pour construire dessus des industries nouvelles, se trompent totalement sur le long processus qui permet d'améliorer les technologies, de profiter des savoir-faire passés pour construire les savoir-faire de l'avenir. L'Industrie existante, c'est 18 % des émissions actuelles de CO2 en France. Nous voulons, avec ce projet de loi, accélérer la décarbonation des grands sites industriels français.
Le deuxième élément de cette industrie verte, complémentaire, c'est la production des nouvelles technologies vertes qui vont nous permettre d'accélérer la décarbonation de l'industrie française et la décarbonation de notre économie tout court.
C'est ce que j'appelle les "big five" : les pompes à chaleur, les éoliennes, les panneaux photovoltaïques, les batteries électriques et l'hydrogène vert. Ce sont les 5 technologies clés qui feront la différence entre les nations qui réussissent au XXI? siècle et celles qui importent et qui sont dominées.
Nous voulons que la France exporte. Nous voulons que la France soit indépendante. Nous voulons que la France soit puissante industriellement. Nous voulons investir sur la production de ces 5 technologies vertes.
De ce point de vue-là, contrairement à ce que j'ai entendu dire parfois, l'industrie verte n'est pas une contradiction dans les termes, c'est une évidence et c'est même une tautologie. Si nous voulons une industrie, elle doit être verte. Et pour que nous soyons verts, nous avons besoin de notre industrie. Alors comment faire pour avancer dans cette direction de la croissance verte que nous vous proposons et qui nous paraît être la seule option raisonnable pour la nation française ?
Soyons très pragmatiques, très simples. Je crois que c'est l'objet de ce projet de loi et je me réjouis que l'examen de ce texte commence au milieu de la sagesse des sénatrices et des sénateurs, car je suis sûr que le texte en sortira encore meilleur.
D'abord, ce qui compte le plus pour un industriel qui veut investir en France, ce qui est le plus difficile à trouver. Ce qui pose le plus de problèmes, c'est le foncier. Il est extraordinairement difficile en France pour un industriel qui veut investir d'avoir accès à du foncier avec ces caractéristiques nécessaires.
Nous allons donc prendre deux mesures radicales avec ce projet de loi. La première, c'est de mettre à la disposition de l'industrie 50 sites intégralement dépollués, représentant 2000 hectares, avec le soutien de la Banque des territoires, qui y consacrera 1 milliard d'euros d'ici 2027. Ce qui permet de dire à un industriel qui vient en France : "Votre site est disponible, il est prêt à l'emploi".
La deuxième mesure consistera à rehausser la créance environnementale au rang des créances privilégiées pour récupérer 25 % des sommes nécessaires pour dépolluer les sites. C'est un geste politique fort que de faire remonter ces créances environnementales au rang des créances privilégiées.
Concernant le ZAN, actuellement en cours de discussion à l’Assemblée nationale, je me réjouis de l’adoption de l’amendement permettant de compter à part les projets industriels majeurs ainsi que tous ceux qui contribuent aux chaînes de valeur du développement durable.
Une fois que vous avez votre site et que vous voulez construire votre usine, le deuxième obstacle auquel vous vous heurterez en France, c'est la lenteur des procédures. Nous mettons trop de temps à accorder les autorisations.
Nous voulons, avec ce projet de loi, réduire par deux les délais d'ouverture ou d'agrandissement d'une usine en France de 17 mois réel à 9 mois réels. Et pour ça, nous allons opérer une révolution administrative au lieu d'avoir des autorisations successives et une procédure successive.
Nous proposons d'avoir une procédure parallèle. On examine en même temps les différentes autorisations administratives.
Cela se fera sans affecter les exigences environnementales ni la consultation publique qui passera de un mois à trois mois. Pour accélérer les procédures, nous proposons également, au-delà de cette révolution administrative, des procédures parallèles.
Nous proposons de mettre en place des projets d'intérêt nationaux majeurs. Ces projets reposeront sur une procédure d'exception. Ces projets représenteront quelques investissements identifiés par décret du Premier ministre ou de la Première ministre.
L'État prendra la main de manière à accélérer les procédures sur le raccordement électrique, le permis de construire ou encore la modification du PLU.
Cette procédure est indispensable pour attirer en France de plus grands investissements. Mais nous avons eu l'occasion d'en discuter longuement lors de notre audition avec Roland Lescure à la commission des affaires économiques.
Il nous est apparu qu'il était indispensable qu'il y ait un avis qui soit rendu par les élus, en particulier par les maires et par les responsables d’EPCI, on ne construit pas une usine contre un territoire, ni contre ses représentants, nous vous proposons donc d’avoir un avis des élus pour ces projets d'intérêts nationales majeures.
Troisième étape de la construction de l’usine, l’accès à des financements, qui pour des usines de batteries électriques, d’hydrogène vert, décarbonation, d’électrolyse se chiffrent non pas en millions, non pas en centaines de millions d'euros. Mais, comme vous l'avez vu avec l'agrandissement des cités microélectronique à Grenoble, comme vous l'avez vu avec ACC à Douvrin, comme vous l'avez vu avec prolongement à Dunkerque, se chiffrent en milliards d'euros.
Nous avons besoin de financements dans un moment, je crois l'avoir dit clairement hier où il faut redresser les comptes publics et où donc par conséquent, les financements publics sont rares.
Nous allons donc mobiliser l'épargne des Français. Nous vous proposons de mettre en place un plan épargne avenir climat disponible pour tous les mineurs, bloqués jusqu'à la majorité, avec un taux de rémunération supérieur au Livret A et un régime fiscal très incitatif et tout à fait exceptionnel, zéro charge, zéro impôt.
Nous attendons 1 milliard d'euros de collecte de ce plan épargne-avenir-climat. Nous souhaitons aussi toujours pour mobiliser l'épargne des Français que dans le plan d'épargne retraite et l'assurance vie, au moins une unité de compte soit obligatoirement consacrée aux investissements verts. Au total, nous voulons mobiliser 5 milliards d'euros de l'épargne privée pour le financement de l'industrie verte.
Enfin, toujours sur le financement, je le disais en introduction, nous voulons être le premier pays en Europe à mettre en place un crédit d'impôt pour la production industrielle verte. Aujourd'hui, quand nous ouvrons des usines comme ACC, ProLogium et d'autres, nous apportons des subventions. C'est ce qu'a fait l'Allemagne aussi récemment avec Intel. En revanche, si nous voulons attirer d'autres investisseurs qui ont besoin de rentabiliser leur investissement sur le long terme et d'avoir de la visibilité, il faut aussi accorder des crédits d'impôt.
Nous vous proposons, avec ce projet de loi, d'être la première nation en Europe à mettre en place ces crédits d'impôt pour la production industrielle verte. L'intégralité de ce crédit d'impôt, je le précise, sera financée par la réduction de niches fiscales sur les énergies fossiles, conformément à la stratégie que j'ai définie hier de basculer de la fiscalité brune vers la fiscalité verte. Ce crédit d'impôt sera présenté au PLF 2024.
Quatrième volet de ce texte de loi, vous avez votre terrain, vous avez réussi à le réserver, vous avez réussi à construire votre usine dans des délais rapides, vous avez réussi à financer votre projet, mais ensuite, encore faut-il protéger votre investissement, et vous assurer que vous n'êtes pas menacé par d'autres nations qui bénéficieraient d'avantages exemptes.
Nous allons donc mettre en place un label Excellence environnementale européenne, "triple E", qui doit valoriser les entreprises les plus vertueuses et leur donner un accès privilégié à la commande publique. Cela représente 150 milliards d'euros par an. Personne ne peut comprendre que dans les appels d'offres pour la commande publique, ce soit systématiquement le produit le moins cher ou le projet le moins cher qui soit valorisé et pas le projet le plus vertueux.
Nous vous proposons que ce critère de vertu environnementale fasse partie des critères aussi décisifs que les critères économiques et financiers. Je pense que de tous les points de vue, nous en sortirons gagnants.
Je précise également que nous serons la première nation en Europe également à réserver le bonus sur les véhicules électriques à des véhicules qui sont produits dans les conditions environnementales les plus satisfaisantes, c'est-à-dire les véhicules produits en Europe.
Je dois dire qu'il est compliqué, dans un temps de responsabilité budgétaire où l'argent public, là aussi est rare, que sur les 1,2 milliard d'euros de subventions qui sont accordées aux véhicules électriques pour l'achat d'un véhicule électrique, plus de 40 % partent dans des usines situées en dehors d'Europe parce qu'ils sont attribués uniquement sur critères véhicules électriques, alors qu’ils devraient être attribuées sur critère environnemental en tenant compte des conditions de production. C'est une vraie rupture que nous vous proposons en réservant les bonus des véhicules électriques selon des critères environnementaux.
Enfin, nous voulons renforcer la formation et les qualifications, nous défendrons plusieurs mesures sur ce sujet, comme l'augmentation de 22 % des places dans les écoles de mines et télécoms à horizon 2027. Et la création de son école de production, toujours à horizon 2027.
Je ne serai pas plus long. Je veux redire à toutes les sénatrices, tous les sénateurs, madame la présidente de la Commission, à Messieurs les rapporteurs, qu'avec Roland Lescure, il nous tarde d'entrer dans le débat sur ce projet de loi car il me semble qu'il marque un vrai tournant dans l'histoire économique de notre nation.
Nous avons engagé la réindustrialisation, nous vous proposons de l'accélérer et de la verdir. Je suis certain que nous parviendrons à trouver un accord sur ce texte.
Je vous remercie.
Source https://www.economie.gouv.fr, le 21 juin 2023