Interview de M. Roland Lescure, ministre délégué, chargé de l'industrie, à Public Sénat le 20 juin 2023, sur la réforme des retraites, l'industrie aéronautique et le projet de loi industrie verte.

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Média : Public Sénat

Texte intégral

ORIANE MANCINI
Notre invité politique ce matin, c'est Roland LESCURE. Bonjour.

ROLAND LESCURE
Bonjour.

ORIANE MANCINI
Merci beaucoup d'être avec nous.

ROLAND LESCURE
Merci à vous.

ORIANE MANCINI
Vous êtes ministre délégué chargé de l'Industrie. On est ensemble pendant 20 minutes, pour une interview en partenariat avec la Presse régionale, représentée par Stéphane VERNAY de Ouest France. Bonjour Stéphane.

STÉPHANE VERNAY
Bonjour bonjour.

ROLAND LESCURE
Bonjour.

ORIANE MANCINI
On a beaucoup de sujets d'industrie à voir avec vous, évidemment, le projet de loi industrie verte qui arrive au Sénat aujourd'hui, le Salon du Bourget, mais d'abord, un mot sur une actualité qui concerne le gouvernement, c'est encore et toujours la réforme des retraites, j'allais vous dire. D'après le rapport du Conseil d'orientation des retraites, la réforme des retraites ne suffira pas à résorber le déficit du régime en 2030. Tout ça pour ça ?

ROLAND LESCURE
"Tout ça pour ça", c'est déjà ça, moi je dirais. Heureusement que l'on a fait la réforme des retraites. Alors, les estimations du COR, ça va, ça vient, quand même, puisqu'il y a 7 ans il nous disait "il n'y a pas de problème", il y a 2 ans finalement il nous disait "il y a un problème". Pendant la réforme des retraites, on a entendu le président du COR, dire "finalement, il n'y a pas tant de problèmes que ça"…

STÉPHANE VERNAY
Il y a un tout petit problème.

ROLAND LESCURE
Voilà, et puis maintenant ça devient un trop gros problème. Bon. Donc… et je ne jette pas la pierre, les estimations qu'on appelle actuarielles, c'est compliqué à faire. Ce qui est clair c'est qu'on avait besoin de faire cette réforme, puisque 3 mois après on se retrouve potentiellement avec encore un petit problème. Donc non…

ORIANE MANCINI
Mais, est-ce que vous avez fait trop de concessions, notamment aux Républicains, qui vous ont coûté ?

ROLAND LESCURE
Non, je pense qu'il a fallu trouver un équilibre, d'abord il fallait une majorité au Sénat, il fallait quand même, un 49.3 ce n'est jamais facile, une motion de censure…

ORIANE MANCINI
Vous avez fait des concessions aux Républicains, pour aboutir à un 49.3.

ROLAND LESCURE
On a trouvé… mais oui, mais le 49.3 ça fait partie, je ne vais pas vous refaire l'article, c'est le cas de le dire, du processus démocratique. On a défait une motion de censure à 9 mois près, à 9 voix près pardon, ce n'était pas gagné. On a une majorité au Sénat. Le projet de loi a été validé par le Conseil constitutionnel, et malgré tout ça il y a encore un défi, moi je ne suis pas sûr qu'il y ait un déficit, on verra, quand le temps sera passé, moi je suis persuadé que notamment avec ce qu'on fait sur l'industrie, sur la croissance, on va être aussi capable de générer des recettes supplémentaires, mais en tout cas j'ai l'impression que c'est un peu le monde à l'envers, c'est-à-dire que pendant des mois on a un certain nombre de gens qui nous ont dit "il n'y a pas de problème, il n'y a pas de problème", et maintenant on va se retrouver dans une situation où on nous dit "eh bien finalement vous n'en avez pas fait assez". Ça prouve peut-être qu'on a trouvé le bon équilibre.

STÉPHANE VERNAY
Peut-être qu'il faut juste expliquer que le vrai équilibre ou déséquilibre de ce régime, il est lié à l'état de l'économie à l'instant T. Est-ce que ces prévisions ne sont pas le reflet finalement d'une prévision d'une dégradation et de la croissance et de l'activité économique en France ? Est-ce qu'on ne peut pas le dire aussi comme ça ?

ROLAND LESCURE
Non, je ne pense pas. Alors, là où vous avez raison, c'est que derrière une prévision de déficit, ou d'équilibre voire même de surplus un jour, qui sait, de régime des retraites à horizon de 20, 30, 50 ans, il y a des hypothèses démographiques. Ça, ça ne ment pas, on maîtrise.

STÉPHANE VERNAY
Oui, c'est très stable, on…

ROLAND LESCURE
Et ensuite il y a des hypothèses économiques, des hypothèses sur les taux d'intérêt…

STÉPHANE VERNAY
Ça, c'est beaucoup moins simple.

ROLAND LESCURE
Voilà. Et donc, il faut se méfier de ces estimations qui sont, au fond, que des estimations, il faut les intégrer comme une évolution des tendances. Moi le message que j'entends derrière cette estimation du COR, c'est que la réforme des retraites elle va dans le bon sens, puisqu'elle réduit largement le déséquilibre, ensuite…

ORIANE MANCINI
Mais il en faudra une autre.

ROLAND LESCURE
Non, ce n'est pas sûr. Moi je le répète, je me méfie, allez, du balancier qui va d'un côté et puis de l'autre. On a une réforme qui va largement dans le bon sens, qui va contribuer à équilibrer le système, mettons-la en œuvre, et puis on verra ensuite dans quelques années si un gouvernement décide de faire…

STÉPHANE VERNAY
Excusez-moi, Monsieur le Ministre, mais vous savez que dans ce pays, il faut faire une réforme des retraites tous les 10 ans.

ROLAND LESCURE
Mais, il y a un moment où la démographie va s'inverser quand même. Pour l'instant on est au pic, je dirais, de l'inversion de la démographie, c'est-à-dire qu'on va avoir de plus en plus de retraités et de moins en moins d'actifs. Bon, il y a un moment où ça va se calmer. Il faut faire des bébés, notamment.

ORIANE MANCINI
J'ai saisi le message. On parle Industrie. Le Salon du Bourget, tout d'abord, qui a ouvert ses portes hier, inauguré par Emmanuel MACRON, avec déjà une très bonne nouvelle pour AIRBUS : une commande record, la plus grande commande de l'aviation civile, en volume, 500 AIRBUS destinés à une compagnie indienne. Est-ce qu'on va battre des records de commandes durant ce Salon du Bourget ?

ROLAND LESCURE
Eh bien on en bat déjà un, vous l'avez dit, avec AIRBUS. On annonce des innovations technologiques absolument extraordinaires. Pour moi l'aviation, depuis d'ailleurs qui de 100 ans, c'est rendre possible l'impossible. C'est-à-dire qu'il y a 100 ans on rêvait de voler, il y a 50 ans on rêvait de passer le mur du son, c'était le Concorde, aujourd'hui on rêve de faire des avions décarbonés, et on est en train de le rendre possible, et donc il y a des investissements notamment dans des nouveaux moteurs, SAFRAN présente à nouveau moteur, c'est un qui moteur à hélices, qui va réduire la consommation de 20 %. AIRBUS travaille à des avions propres, un avion qu'on appelle ultrasobre, qui va permettre d'utiliser à 100 % des carburants durables. On travaille sur les carburants durables. On travaille sur des avions à hydrogène, des avions électriques.

ORIANE MANCINI
Est-ce que, juste, c'est un des principaux défis les carburants durables ?

ROLAND LESCURE
Oui, bien sûr.

ORIANE MANCINI
Parce qu'à l'heure actuelle la France importe la totalité de son kérosène, est-ce que du coup c'est le défi à venir de l'aviation propre ?

ROLAND LESCURE
Oui, mais je pense qu'à court terme c'est-à-dire d'ici les 15, 20 ans qui viennent, ça peut faire sourire de dire que c'est le court terme, on vient de parler des retraites, mais Patrick POUYANNE de TOTAL nous a dit clairement qu'il était capable de livrer les un peu plus de 500 000 tonnes, qu'il va falloir produire, pour je dirais nourrir le pourcentage de carburant durable qu'on a prévu d'intégrer d'ici 2030. Au-delà, si on veut passer à 100 % de carburant durable, il va falloir changer d'échelle, et c'est pour ça que le président de la République vendredi, à l'usine SAFRAN, a annoncé une première autour de Lacq, vous savez où il y avait des gisements de gaz, donc on remplace du carbone par du durable, un premier investissement dans une grande usine qui va produire des carburants durables. On peut…

ORIANE MANCINI
Il y en aura d'autres, ça veut dire qu'il y aura d'autres investissements ?

ROLAND LESCURE
Oui, il y en aura d'autres, et surtout moi ce que je voudrais dire c'est que…

ORIANE MANCINI
Qui seront annoncés quand ?

ROLAND LESCURE
Eh bien on va voir dans les années qui viennent, c'est du boulot, il faut investir dans la technologie…

ORIANE MANCINI
Donc pas à court terme.

ROLAND LESCURE
Non, en fait le défi majeur ça peut peut-être intéresser vos téléspectateurs, c'est que pour faire des carburants durables, il faut recycler, recycler, recycler, notamment du plastique et des déchets. On a besoin de recycler davantage. En France on ne recycle pas assez, on note trie pas assez. Donc quand vous triez votre bouteille dans le bac jaune ou dans le bac vert, vous pouvez contribuer à la production de carburants durables en France et à la décarbonation de l'industrie aéronautique. Vous savez que l'industrie aéronautique, c'est à peu près de 3 % des émissions mondiales, mais les avions français c'est la moitié de ces 3 %, puisqu'on les exporte partout dans le monde. Donc on a une industrie leader dans le monde, qui est capable à elle seule de décarboner la moitié de l'aviation mondiale, on devrait en être fier, et je pense qu'on est extrêmement fier d'avoir ce salon. Ça fait 4 ans qu'il n'avait pas eu lieu, c'est un très bel événement, qui va se poursuivre toute la semaine.

STÉPHANE VERNAY
Juste une précision, vous venez d'évoquer les exportations d'avions français, on a des commandes record au Bourget, est-ce que ça va améliorer la balance commerciale du pays, qui est ultra déficitaire cette année, enfin l'année dernière 164 milliards d'euros, on n'a jamais vu ça, c'est un record. Est-ce qu'on a un espoir d'améliorer, de rectifier un peu le tir ?

ROLAND LESCURE
Alors, les avions font déjà je dirais leur part, c'est un des seuls secteurs largement excédentaire…

ORIANE MANCINI
Mais est-ce que ce n'est pas l'arbre qui cache la forêt, l'aéronautique ?

ROLAND LESCURE
Alors, il y a quelques arbres, qui sont plutôt des beaux arbres, il y a le luxe…

ORIANE MANCINI
Il y a le secteur viticole.

ROLAND LESCURE
Il y a le secteur viticole, il y a les médicaments, on reste excédentaire, même si… Non, la seule en fait manière de rééquilibrer la balance commerciale, c'est de réindustrialiser, c'est de reproduire en France. Si vous continuez à faire ce qu'on a fait pendant 25 ans, c'est-à-dire renvoyer la production ailleurs, évidemment vous allez importer vos téléphones, vos micros, vos chaises etc. Si vous dites : je vais réindustrialiser la France, d'abord parce que c'est bon pour l'environnement, c'est bon pour l'emploi, c'est bon pour la prospérité, en plus vous allez produire des industries en France qui sont, elles, capables de s'exporter…

STÉPHANE VERNAY
Et là on y est vraiment à la réindustrialisation, on en parle beaucoup, est-ce que c'est du discours ou est-ce que c'est vraiment du concret ?

ROLAND LESCURE
Non non non non, vraiment là-dessus c'est du concret, mais on a entamé un virage, c'est-à-dire que…

STÉPHANE VERNAY
On part de tellement loin !

ROLAND LESCURE
Exactement. On a stabilisé le bateau, on crée de l'emploi industriel en France, 100 000 emplois en 5 ans, on crée des usines en France, on en ouvre plus qu'on en ferme, 200 de plus en 2 ans, mais il faut changer de braquet, il faut accélérer. Vous savez, quand on entre dans un virage, la meilleure manière d'en sortir, c'est d'accélérer…

STÉPHANE VERNAY
Et là, c'est maintenant ?

ROLAND LESCURE
C'est maintenant, c'est le projet de loi Industrie verte, qui arrive aujourd'hui au Sénat…

ORIANE MANCINI
On va en parler, mais 164 milliards c'est énorme à résorber.

ROLAND LESCURE
Oui, alors il y a un sujet autour de l'énergie, moins on consomme d'énergie fossile et plus l'énergie je dirais est autonome, donc de l'hydrogène, de l'électricité, de la capture de carbone, tout ce qui va nous permettre d'être davantage autonome, des panneaux photovoltaïques, de l'éolien en mer, tout ça il faut qu'on le produise en France et qu'on produise de l'électricité décarbonée…

ORIANE MANCINI
Et ça, ça va permettre de résorber la balance commerciale ?

ROLAND LESCURE
C'est le 1er juillet…

ORIANE MANCINI
Est-ce qu'il n'y a pas aussi un problème de modèle français, contrairement à nos voisins, notamment allemands, est-ce que les TPE, les PME, ne sont pas insuffisamment exportatrices ?

ROLAND LESCURE
Bien sûr. Il est en train de changer ce modèle, c'est le virage qu'on a pris. Il faut plus de TPE, PME, ETI et grandes entreprises exportatrices. Et pour ça il faut qu'elles soient installées chez nous. Il y a un sujet commandes publiques, ça on le réassocie dans le projet de loi industrie verte. Il faut qu'on ne commande à la fois l'État, les Armées, les services publics, les mairies, des produits qui sont environnementalement plus sains, c'est-à-dire qu'ils soient produits plus près de chez nous. Et évidemment si vous achetez plus près de chez vous, il y a pas mal de chances que vous achetiez des commandes qui viennent des TPE, des PME, des ETI de notre territoire.

STÉPHANE VERNAY
Ce qu'on appelle les ETI, les Entreprises de Taille Intermédiaire, qui sont d'énormes, de très très grosses PME, on va dire, enfin voilà, basées en régions, c'est toujours le maillon faible de la France, notamment comparé à l'Allemagne ?

ROLAND LESCURE
Alors, ça s'améliore.

STÉPHANE VERNAY
L'Allemagne a beaucoup d'ETI dans ses Lander, et pas nous.

ROLAND LESCURE
Effectivement, on a de très grandes entreprises, notamment dans l'aéronautique d'ailleurs, des très grandes on en a beaucoup. Des PME, des start-up, on en a plus que jamais. On crée des centaines de milliers d'entreprises tous les ans et c'est très bien, et maintenant il faut qu'on les passe à l'échelle, et notamment pour le ministre de l'Industrie, c'est un défi énorme c'est que l'on parle…. Aujourd'hui des start-up c'est plus 3 personnes dans un garage avec une app sur un téléphone, c'est des gens qui créent des processus industriels. Mais il faut les aider à créer ce qu'on appelle la première usine, et ça il y a des subventions qu'on a mises en place…

STÉPHANE VERNAY
Avec de l'emploi à la clé, 1 000, 2 000, 3 000 personnes…

ROLAND LESCURE
De l'emploi, et de l'emploi dans les territoires. On est sur Public Sénat…

STÉPHANE VERNAY
Pas qu'à Paris.

ROLAND LESCURE
Partout en France, et on est vraiment en train… Vous savez, on a annoncé la semaine dernière, donc VivaTech, un Salon du numérique qui est le plus grand au monde. On a dépassé Las Vegas, soyons-en fiers, l'espace d'une seconde. On a annoncé avec Jean-Noël BARROT, une liste de 125 futurs champions de la technologie. Il y a 2/3 de ces futurs champions qui sont dans l'industrie, qui font de l'avion propre, qui font de la 5G industrielle, qui font des produits du quotidien, des vélos, etc.

STÉPHANE VERNAY
Qui vont créer beaucoup d'emplois ?

ROLAND LESCURE
Bien sûr. Alors, ce qu'il faut retenir, c'est qu'un emploi industriel, c'est 3, 4 ou 5 emplois aidés supplémentaires. Donc on crée de l'emploi dans l'industrie, surtout on en crée autour, on en crée dans les services, parce que pour servir il faut avoir quelque chose à servir, de l'industrie, dans les services publics, dans les écoles, dans les hôpitaux. On parle des déserts médicaux. Moi j'aime beaucoup parler de ce qu'on appelle les cathédrales industrielles, ces très belles usines qu'on est en train de décarboner, qui sont présentes partout en France, qui vont j'espère continuer à émerger et qui permettent, autour d'elles, de créer un écosystème, de créer des villes qui se développent, des hommes et des femmes qui viennent travailler dans la région, qui créent aussi du tourisme. Bref, on est en train de recréer une dynamique dans les territoires, qui est aussi une dynamique anti-colère. L'industrie c'est de l'espoir, moi je me suis une arme anti-colère et je souhaite continuer à l'être.

ORIANE MANCINI
Anti-colère, c'est aussi une manière de dire anti-Rassemblement national…

ROLAND LESCURE
Oui, bien sûr.

ORIANE MANCINI
Ce projet de loi industrie verte, il a aussi une visée politique, c'est-à-dire que ça sert, vous allez nous le dire peut-être, à lutter contre le Rassemblement national, qui prospère là où des usines ferment. C'est aussi ça le but de votre texte ?

ROLAND LESCURE
Vous avez aujourd'hui le Front national, puis le Rassemblement national, qui s'est nourri de la désindustrialisation. Donc si on inverse cette tendance, si on redonne de l'espoir aux gens, eh bien évidemment la colère va diminuer. Moi je pense qu'on battra le Front national, désormais appelé le Rassemblement national, avec des faits, avec des preuves, avec des actes, et cette réindustrialisation des territoires elle est en train de se faire. Je vais vous donner un exemple. A Dunkerque on a détruit 6 000 emplois industriels dans une ville qui fait quelques dizaines de milliers d'habitants. On va en créer 16 000 à l'avenir, mais évidemment on va recréer de l'espoir, évidemment qu'on va redonner aux gens envie de croire dans la politique. Parce que la politique c'est ça, c'est des résultats, c'est une capacité à montrer qu'en agissant on est capable de transformer, et je pense qu'on va vraiment montrer qu'on est capable de le faire, parce que on a déjà commencé, on ne part pas de rie. Donc accélérer, je le répète, quand on est entré dans un virage, c'est plus facile que partir de zéro.

ORIANE MANCINI
Oui, et c'est l'alerte aussi que vous lancent les sénateurs, on le redit, le texte arrive aujourd'hui au Sénat, il vise à combiner transition écologique et Souveraineté industrielle. Le rapporteur du texte au Sénat rappelle que depuis 2000, un million d'emplois industriels ont été perdus en France. Comment on redresse ça ?

ROLAND LESCURE
Eh bien, un million de perdus, 100 000 gagnés, donc c'est le début, c'est vraiment ce que je disais. Non seulement on a arrêté le déclin, mais on en a créé en net, un peu plus de 100 000 blessés depuis 5 ans.

STÉPHANE VERNAY
D'habitude c'est 1 de perdu, 10 de retrouvés, là c'est l'inverse.

ROLAND LESCURE
Exactement, et donc il faut dire : 1 de gagné, 10 de gagnés. Il faut qu'on crée un million d'emplois dans l'industrie, dans les 10 ans qui viennent, pas 100 000, un million. Ça veut dire qu'il faut faire 10 fois plus en 10 ans, que ce qu'on a fait en 5 ans. Donc c'est vraiment un changement de braquet. Ce projet de loi il fait quoi ? Il cherche à simplifier les installations industrielles, il cherche à modifier en profondeur la commande publique, de manière à ce qu'on achète davantage du fabriqué en France, pour simplifier. Il cherche à développer les industries de demain. On a une révolution industrielle, celle de l'hydrogène, celle de la capture de carbone, celle des batteries électriques, celle de l'énergie bas carbone, là encore dont il faut doubler, tripler les capacités. Et ce projet de loi, il permet de simplifier tout ça. Il ne suffit pas à lui tout seul. En fait sur ce projet de loi il accompagne un véritable changement de mentalité. Aujourd'hui la mentalité vis-à-vis de l'industrie, par rapport à il y a 20 ans où on disait "l'industrie c'est pour ailleurs, ça pollue, renvoyons-les au bout du monde", c'est ici que ça se passe, et les gens sont en train de non seulement de le reconnaître, mais d'y adhérer.

STÉPHANE VERNAY
C'est très positif tout ça, mais alors moi je n'ai pas bien compris. Vous aviez Elon MUSK hier sur le JT de France 2, qui parlait de ses projets, je n'ai pas compris ou est-ce qu'il allait installer son usine TESLA en France.

ROLAND LESCURE
Moi non plus. Ce genre de discussions…

ORIANE MANCINI
Non mais ça veut dire que vous n'avez pas eu les garanties encore que cette usine sera installée en France.

STÉPHANE VERNAY
Oui, vous ne l'avez pas convaincu devenir.

ROLAND LESCURE
Vous savez, on a annoncé pour 5 milliards d'investissements à Dunkerque, pour une gigafactory de batteries, il y a 4 semaines, c'est le président qui y était pour l'annoncer. 2 jours avant, on n'avait pas d'accord. Ce genre de négociations, ça prend énormément de temps, beaucoup d'énergie, et pour simplifier, tant que ce n'est pas fait, ce n'est pas fait.

ORIANE MANCINI
Donc là, ce n'est pas fait.

ROLAND LESCURE
Non…

STÉPHANE VERNAY
Donc ce n'est pas mort, ça veut dire que ça n'est pas mort non plus.

ORIANE MANCINI
Mais ce n'est pas fait.

ROLAND LESCURE
Tant que ça n'est pas fait, ce n'est pas fait, et donc on va être patient, on va voir. Elon MUSK, quand il envisage d'installer des usines, il regarde le monde entier, on est en compétition contre le monde entier. Ce qu'il y a de nouveau, c'est qu'il y a 10 ans, Elon MUSK, il ne se serait jamais arrêté à Paris, il aurait fait directement Berlin, Beijing, Mumbaï. Il s'arrête à Paris…

STÉPHANE VERNAY
Donc c'est plutôt bon signe.

ROLAND LESCURE
Mais bien sûr. Il est prêt à regarder… aujourd'hui il n'est pas le seul, la France est le pays le plus attractif d'Europe, là encore soyons-en fiers. Nous faisons le travail avec Bruno LE MAIRE, avec le président de la République, avec la Première ministre, pour attirer…

ORIANE MANCINI
Mais qu'est-ce que vous pouvez faire de plus pour le convaincre ? Parce que là visiblement il n'est pas complètement convaincu.

ROLAND LESCURE
Aujourd'hui, et d'ailleurs, c'est un des sujets du projet de loi industrie verte. Les industriels quand ils veulent venir en France, ils nous demandent trois choses : oui des subventions, mais au fond tout le monde en donne, on est là-dessus, ni meilleur, ni moins bon que les autres. Du foncier, des mètres carrés, et de la simplicité, de la rapidité d'exécution. C'est pour ça que ce projet de loi il est très important.

ORIANE MANCINI
On va y venir, on a fait une petite parenthèse, mais alors il fait plutôt consensus…

ROLAND LESCURE
J'espère, j'espère.

ORIANE MANCINI
Il y a quand même des interrogations, des inquiétudes au Sénat notamment, sur qui va avoir le dernier mot sur ces questions d'urbanisme, justement, qui va avoir le dernier mot ? Est-ce que les élus locaux auront toujours leur mot à dire ?

ROLAND LESCURE
Bien sûr. D'abord dans 80/90 % des cas, on ne change rien, c'est le maire qui délivre le permis de construire. Ce qu'on a proposé, c'est que pour les grands projets dits d'intérêt national, des dizaines de milliers d'hectares, qui concerne un territoire énergie, qui concerne plusieurs projets, on puisse, et ça va être une des discussions avec les sénateurs, après avis du maire, pouvoir simplifier la procédure et faire en sorte que ce soit l'État qui délivre le permis de construire. Évidemment, même dans ce cas exceptionnel, le maire, le président de l'agglomération, aura son mot à dire. On ne va pas faire de l'industrie contre les élus locaux. Moi j'aime à dire que peut-être mis à part le Front national, qui se nourrit des industries…

ORIANE MANCINI
Juste, il aura son mot à dire, ou il aura un droit de veto où il aura… ça sera quoi ? Il aura le dernier mot ?

ROLAND LESCURE
Ça va être l'objet des discussions qu'on va avoir avec nos amis sénateurs. Il y a déjà des amendements tout à fait constructifs qui ont été adoptés en commission. On commence l'examen aujourd'hui, donc je ne vais pas préempter, mais moi j'ai aucun doute là-dessus, qu'on va trouver un accord. L'industrie française elle n'a pas de couleur de maillot. Les insoumis ne connaissent pas l'industrie, donc en général ils ne l'aiment pas. Et je répète, le Front national, le Rassemblement national s'est construit sur la désindustrialisation. Quand je vais à Dunkerque, quand je vais à Mouvaux, quand je vais dans le Loiret, voir l'usine DURALEX, je peux vous dire que les élus, Républicain s, socialistes même écologistes et évidemment les élus de la majorité présidentielle sont tous derrière l'industrie française, parce qu'ils savent ce qui s'y joue, c'est l'avenir de notre prospérité, mais aussi l'avenir de la transition écologique, frein en France.

ORIANE MANCINI
Il y a un autre sujet d'inquiétude, c'est le zéro artificialisation, ce n'est pas facile à dire, bon courage pendant ces trois jours de séances. Est-ce que les grands projets industriels entreront ou pas dans le calcul des surfaces ?

ROLAND LESCURE
Alors, ce qu'on va faire, donc il y a deux projets de loi aujourd'hui qui sont étudiés, il y a le projet de loi industrie verte, et la proposition de loi de Valérie LETARD, qui est aujourd'hui à l'Assemblée. Donc il est très probable que le compromis se face à l'Assemblée et qu'on intègre ce résultat du coup dans notre projet de loi industrie verte. Ce qu'on va faire, c'est que les projets…

ORIANE MANCINI
S'il y a compromis, parce que les députés et sénateurs n'ont pas l'air trop d'accord.

ROLAND LESCURE
Voilà, donc j'espère qu'on va y arriver. Moi je fais confiance à l'intelligence collective. Vous savez, j'ai été président de la Commission des affaires économiques dans le précédent mandat, avec Sophie PRIMAS on a fait 11 CMP conclusives.

ORIANE MANCINI
Mais vous, vous souhaitez qu'ils soient intégrés ou pas dans le calcul ?

ROLAND LESCURE
Moi, ce que je souhaite, c'est qu'on puisse intégrer leurs spécificités donc les sortir du calcul régional, et je dirais, se les partager au niveau national, pour les grands projets d'industrie, il est normal que, je dirais, tout le monde soit concerné, parce qu'au fond, c'est des projets bien plus larges que les régions, donc c'est vers ça que l'on va aller, en tout cas je l'espère.

ORIANE MANCINI
Il y a aussi des interrogations sur le financement de ces mesures d'industrie verte. Est-ce que vous allez piocher dans l'épargne des ménages pour financer l'industrie verte ?

ROLAND LESCURE
Non, on va convaincre les ménages d'utiliser leur épargne pour financer l'industrie verte. L'industrie verte, ça paie. Nous, on va réconcilier fin du mois - fin du monde ; on va réconcilier économie - écologie ; on va réconcilier l'investissement dans l'industrie verte et rendement financier. Donc oui, on va produire, on va créer un nouveau produit d'épargne qui va concerner les jeunes, qui va s'appeler le "plan avenir climat", qui fait que quand vous avez un enfant qui naît ; les parents ou les grands-parents vont pouvoir mettre de l'argent de côté sur un plan d'épargne qui va fructifier pendant 18 ans, qui sera ensuite disponible à partir de 18 ans, net d'impôts, net de cotisations sociales, qui va permettre aux jeunes de faire fructifier un capital avant même qu'il en soit conscient et à l'économie française d'investir dans l'industrie de demain ; donc c'est du gagnant-gagnant.

ORIANE MANCINI
Donc, ça fait la conviction ?

ROLAND LESCURE
Oui, bien sûr, un peu l'incitation quand même, l'aide d'impôt ou aides cotisations sociales, ça aide.

ORIANE MANCINI
Il y aura aussi des réductions d'avantages fiscaux ?

ROLAND LESCURE
Oui, pour ce plan-là, il sera net d'impôts, net de cotisations. Donc je dirais que ce n'est pas un cadeau, c'est un investissement que fait la nation, à la fois dans l'épargne des jeunes et dans l'investissement vert. Donc là, encore c'est du gagnant-gagnant.

ORIANE MANCINI
Mais est-ce que vous n'avez pas un peu renvoyé les mesures de financement au budget pour trouver un texte le plus consensuel possible sur l'industrie verte ?

ROLAND LESCURE
Non, ce n'est pas pour trouver un texte le plus consensuel possible ; moi, je souhaite qu'on ait ces débats au Sénat. Mais c'est vrai que tout ça va s'inscrire dans le projet de loi de finances qui ne va pas être facile à boucler, ça ne vous a pas échappé. Mais vraiment, on a eu la discussion en audition devant les quatre commissions concernées du Sénat ; on va l'avoir en discussion générale. On a besoin de montrer... Alors, le plan d'épargne, lui, il va être créé par le projet de loi industrie verte, mais effectivement, les exemptions fiscales sont placées dans le projet de loi de finances. Et j'allais dire, c'est de bonne guerre, c'est l'habitude.

ORIANE MANCINI
Un mot sur une étude de BPI France ; seuls 29 % des dirigeants de PME et de ETI industriels envisagent de recruter des collaborateurs étrangers dans les cinq prochaines années. Est-ce qu'on peut relancer l'industrie française sans recours à la main-d'œuvre étrangère ?

ROLAND LESCURE
Non. Parce que vous dites "seulement 30 %" ; mais ça veut quand même dire qu'aujourd'hui plus d'un tiers, près d'un tiers des entreprises françaises dans l'industrie considèrent que pour remplir aujourd'hui 60 000 jobs, les centaines de milliers de jobs qu'il va remplir, on va avoir besoin de main-d'œuvre étrangère. Ça ne veut pas dire que ça va se faire au détriment de main-d'œuvre française. On a besoin d'un million d'emplois dans les dix ans qui viennent. Évidemment, une bonne partie va venir de main-d'œuvre française qu'il faut former, qu'il faut attirer, notamment des jeunes femmes qui ne vont pas assez dans l'industrie. On va aussi avoir, notamment pour les personnels qualifiés, avoir besoin…

ORIANE MANCINI
Donc, vous dites comme Geoffroy ROUX de BEZIEUX, il faut des textes plus clairs pour pouvoir aider les patrons à recruter à l'étranger ?

ROLAND LESCURE
Moi, je pense surtout, et c'est le cas de cette enquête d'ailleurs, il faut que les chefs d'entreprise affirment ça. Parce que ça va calmer un peu le débat sur l'immigration qu'on a parfois tendance un peu à caricaturer, simplifier et réduire aux enjeux de sécurité et d'immigration clandestine. C'est important de gérer ça. Mais n'oublions pas que la France est une terre d'immigration, qui s'est construite, dont l'économie s'est construite sur l'immigration. L'intégration économique, c'est la meilleure manière de réussir l'immigration, faisons-le.

STÉPHANE VERNAY
Mais clairement, ce que vous êtes en train de nous dire, c'est que tout ça doit passer par la création des quotas pour les métiers en tension et l'organisation, en fait, de cette immigration, de cette main-d'œuvre étrangère ?

ROLAND LESCURE
Aujourd'hui, dans le projet de loi tel qu'il est envisagé, on ne parle pas de quotas mais on parle de régularisation pour des gens qui aujourd'hui en France qui sont dans les métiers en tension.

ORIANE MANCINI
Donc, c'est un message au LR, on ne peut pas se passer de ça. Pour l'industrie française, on ne peut pas se passer de cette régularisation.

ROLAND LESCURE
Moi, je dirais, parlez-en aux chefs d'entreprise dans mon territoire. Mezza-voce ; pas besoin de le faire sur les plateaux télé ; ils vous diront ce que je vous dis aujourd'hui, on va en avoir besoin, sinon on n'y arrivera pas.

STÉPHANE VERNAY
Donc, il faut régulariser ?

ROLAND LESCURE
Mais bien sûr, bien sûr.

ORIANE MANCINI
Merci Roland LESCURE.

ROLAND LESCURE
Merci à vous.

ORIANE MANCINI
Merci beaucoup d'avoir été notre invité. On suivra, bien sûr, pendant trois jours, l'examen de ce projet de loi industries vertes au Sénat. Merci d'avoir été avec nous. À la Une de Ouest France "un plan pour freiner le tourisme de masse", c'est à la Une de votre journal, Stéphane


source : Service d'information du Gouvernement, le 21 juin 2023