Interview de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, à France Info le 22 juin 2023, sur le sommet pour un nouveau pacte financier mondial.

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Circonstance : Sommet pour un nouveau pacte financier mondial

Média : France Info

Texte intégral

Q - Bonjour, Catherine Colonna.

R - Bonjour.

Q - Ministre des affaires étrangères. Merci d'être avec nous sur France Info, au palais Brongniart,…

R - Merci de votre invitation.

Q - Merci à vous… où se tient le sommet pour un nouveau pacte financier. Vous avez accueilli, ce matin, des délégations du monde entier. Ce sommet part du constat que le système actuel ne permettra pas de lutter à la fois contre le changement climatique, pour la biodiversité, et contre la pauvreté. Il faut une nouvelle approche, de nouvelles idées, et de l'argent, beaucoup d'argent ; on parle de milliers de milliards de dollars. Quelles propositions peuvent être faites à Paris pour trouver de telles sommes ?

R - Vous avez raison d'abord de dire qu'on vit un moment historique très particulier, qui peut être grave. Et donc il faut agir pour qu'il ne devienne pas plus grave encore. Pour la première fois depuis des décennies les inégalités dans le monde s'accroissent fortement, et la pauvreté s'accroît aussi, des dizaines de millions de personnes sont plongées dans l'extrême pauvreté. Le Secrétaire général des Nations unies vient de le dire. Il faut donc repenser le système financier international, qui ne marche plus suffisamment pour assurer à la fois les capacités de développement, de lutte contre ces inégalités, de lutte maintenant contre le changement climatique.

Nous avons à l'œuvre beaucoup à faire, mais il y a ici, réunis à Paris, la plupart des pays de la communauté internationale et pratiquement toutes les grandes organisations internationales. 134 pays, je crois, le Secrétaire général des Nations unies, les dirigeants de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international, de grandes organisations internationales, qui peuvent nous aider à traiter ce problème. Comment ? Et c'est votre question. L'ambition, ici, à Paris, est de dégager un nouveau consensus sur les principes et les priorités d'une réforme profonde du système financier international, en retissant de la solidarité, en aidant les pays en développement à accéder plus facilement aux financements internationaux -plus facilement, cela veut dire à la fois en avoir plus et en avoir plus rapidement, plus aisément- ; en prenant en compte aussi la situation particulière des pays qui sont à la fois très endettés et très vulnérables au changement climatique, et qui ne doivent pas être mis devant ce choix impossible de devoir décider s'ils donnent la priorité à la lutte contre la pauvreté et à leur développement ou aux autres conséquences qu'ils subissent du fait des chocs climatiques qu'ils ont. Et puis, il faudra aussi faire travailler mieux ensemble le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Je crois que la désignation d'un nouveau président de la Banque mondiale, nettement plus sensible à ces questions que son prédécesseur, va nous aider à créer ce consensus pour créer un choc et une vraie transformation.

Q - Ajay Banga, le nouveau président de la Banque mondiale.

R - Exactement.

Q - Est-ce à dire qu'il faut réformer le système issu de l'après-guerre, le système de Bretton Woods, l'époque à laquelle ont été créés la Banque mondiale et le Fonds monétaire internationale ? Il faut réformer ces deux institutions ?

R - Tout à fait. Elles ont très grandement réussi leur mission, mais la mission qui correspondait à l'époque où elles ont été conçues et mises sur pied. Aujourd'hui, il faut les réformer, et certains disent même les transformer. Il faut aller plus loin dans une conception différente de leur rôle qui aujourd'hui, on le voit, ne permet pas de répondre aux grands problèmes auxquels le monde est confronté, notamment la double problématique du développement et du changement climatique combinés. Ça fait trop d'efforts à faire pour trop de pays.

Q - Que propose la France à l'occasion de ce sommet ? Y a-t-il des promesses, des annonces, côté français ?

R - D'abord notre ambition est de dégager ce consensus, et je crois que c'est possible, sur ces priorités, ce mode de faire, ces objectifs, et ensuite chacun les déclinera. Pour ce qui nous concerne, nous continuons de tenir nos engagements en matière climatique, pour contribuer à cette transition qui doit être accompagnée financièrement par les pays développés, à hauteur, vous le savez, de 100 milliards de dollars par an. Nous faisons notre part. L'Union européenne fait sa part. Il faut appeler les autres à faire la leur. Nous pensons aussi qu'il est possible d'utiliser un autre mécanisme, que sont les droits de tirage spéciaux. L'objectif a été fixé de 20 % de droits de tirage spéciaux…

Q - Ce sont les réserves du FMI, en quelque sorte.

R - Les réserves, voilà, du FMI, merci de l'expliciter ; utiliser ces réserves en les augmentant pour, par priorité, permettre aux pays en développement d'en bénéficier. 20 % était l'objectif, la France fait 30 % ! Et je crois qu'il serait bon d'appeler tous ceux qui n'ont pas encore atteint leur objectif de le faire, et de le faire rapidement, il y a aussi une question de rythme et d'urgence, beaucoup l'ont dit ; et d'augmenter aussi, car c'est possible, nous le pensons, nous l'avons fait, d'augmenter la part qui est consacrée aux pays en développement.

Q - Vous citiez cet engagement de 100 milliards de dollars, qui avait été pris par les pays développés en 2019, 100 milliards par an…

R - Par an.

Q - … pour les pays en développement, pour lutter contre le changement climatique. Trois ans plus tard, avec beaucoup de retard, donc, cette somme serait peut-être atteinte aujourd'hui. Mais n'y a-t-il pas tout de même un problème de confiance entre les pays du Sud et les pays du Nord ?

R - Cette somme n'est pas tout à fait atteinte, c'est vrai, et c'est regrettable, je le dis très, très ouvertement. Ne laissons pas penser que rien n'aurait été fait, puisque l'an dernier, on en était à peu près à 85 milliards de dollars pour l'année. Et nous espérons vraiment progresser collectivement, cette année. Vous avez raison, néanmoins, il y a un problème de confiance. Et si nous laissions cette situation perdurer, la fragmentation du monde, dont on voit qu'elle apporte beaucoup de dangers, évidemment aussi sur le plan géopolitique, serait sans doute encore plus problématique qu'elle ne l'est aujourd'hui. L'objectif premier, si je dois résumer les choses, du sommet de Paris, c'est de recréer cette confiance, de remettre tout le monde au travail ensemble, d'oublier les difficultés qui ont pu nous opposer parfois et de chercher des solutions communes. Nous avons beaucoup plus à faire ensemble que nous le pensons ; et nous pouvons le faire. C'est un message de confiance qu'on veut faire partir de Paris aussi, avec un consensus, que peut-être vous appellerez le consensus de Paris.

Q - Très rapidement, dernière question, à part l'Allemagne, les pays du G7 ne sont pas représentés au plus haut niveau de l'Etat, peut-on vraiment avancer dans ces conditions ?

R - D'abord ils sont représentés à bon niveau, et nous aurons l'occasion ensuite de décliner dans les différentes enceintes compétentes les principes et les priorités du sommet de Paris. Je parlais du G20, puisqu'il n'y a pas que le G7, nous sommes plus nombreux en G20 ; il se réunit dès le mois de septembre et, j'espère, pourra avancer.

Q - Merci, Catherine Colonna, ministre des affaires étrangères, qui était avec nous sur France Info, au palais Brongniart, où se tient jusqu'à demain ce sommet pour un nouveau pacte financier.

R - Merci beaucoup.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 juin 2023