Interview de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, à France 24 le 22 juin 2023, sur le sommet pour un nouveau pacte financier mondial pour lutter contre les inégalités.

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Circonstance : Sommet pour un nouveau pacte financier mondial

Média : France 24

Texte intégral

Q - L'ambition est immense, pour la France, mais aussi pour la planète : réformer un système financier mondial qui, selon les mots d'Emmanuel Macron, a été construit sur un consensus dépassé. Est-ce que c'est quelque chose de possible, dans un temps réduit, tant l'urgence est importante ?

R - Nous le pensons, nous l'espérons et nous sommes à l'œuvre pour cela, parce que, en effet, les inégalités continuent de croître dans le monde, mais pour la première fois depuis des décennies la pauvreté et l'extrême pauvreté augmentent. Il faut donc réagir et la France a pris l'initiative de ce sommet pour un nouveau pacte financier mondial, pour se mettre d'accord, trouver un consensus sur les principes et les objectifs d'une réforme profonde du système international, pour qu'il puisse mieux répondre aux besoins de développement. Alors comment ? Ici, il s'agit de se mettre d'accord sur les grands principes et les priorités. Ensuite, il faudra les décliner. L'objectif est d'aider les pays en développement à avoir un meilleur accès aux financements internationaux dont ils ont besoin. Meilleur accès, cela veut dire à la fois plus de financements, des accès facilités et plus rapides ; recréer de la solidarité ; faire travailler ensemble mieux qu'auparavant le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, et je crois pouvoir ajouter que la désignation d'un nouveau président de la Banque mondiale, qui est beaucoup plus ouvert à ces idées que son prédécesseur, va nous aider. Et puis, il faut tenir nos engagements, aussi, je veux le dire : des engagements avaient été pris par la communauté internationale pour accompagner la transition climatique. Tous n'ont pas été tenus. La France tient les siens. Il faut appeler les autres à le faire, mais aussi faire plus, notamment en augmentant les droits de tirage spéciaux "DTS", les réserves du Fonds monétaire international, de façon à les verser aux objectifs de développement. Nous pouvons le faire. Et je crois que si à l'issue de ce sommet, un consensus sur ces principes et ces priorités se dégageait, qu'on pourrait appeler le consensus de Paris, eh bien, nous aurions recréé, voilà, la première étape de ce qui avait permis de mettre sur pied un système financier international. Désormais, il faut le rénover et même le transformer.

Q - Vous avez souligné qu'un certain nombre d'objectifs n'avait pas totalement été atteint, c'est peut-être ce qui a contribué à éroder un peu la confiance d'un certain nombre de pays, de pays du Sud. Emmanuel Macron veut qu'ils soient totalement impliqués dans ce nouveau consensus, qu'il a évoqué ce matin. Comment rétablir cette confiance qui a été un peu mise à mal ? Quels seraient peut-être les premiers éléments, en priorité, à mettre en place pour rétablir cette confiance ?

R - En effet, nous voulons le faire avec eux, et ils sont très nombreux à être présents ici, à Paris. Ce n'est pas les pays développés qui sont là et qui décideraient pour d'autres ! Ce nouveau consensus, il faut le bâtir ensemble et trouver ensemble les moyens de mieux faire pour que l'intérêt général, car nous avons tous fondamentalement intérêt à ce développement équilibré, se réalise désormais dans de meilleures conditions. Cela veut dire, pour les pays développés, trouver de nouveaux mécanismes, tenir leurs engagements, je l'ai dit, aller peut-être vers des financements innovants, prendre en compte, pour les pays les plus vulnérables et qui sont aussi exposés aux chocs climatiques, la question de la dette.

Nous avons un certain nombre de réflexions pour peut-être étaler les mécanismes de remboursement des dettes, trouver des solutions, les faire partager et les mettre en œuvre. Nous pensons que c'est possible avec un nouveau consensus que, d'ici demain, nous nous efforcerons de faire émerger.

Q - L'idée, c'est de voir naître une organisation du monde et de la finance renouvelée. Vous étiez en Afrique du Sud, tout récemment, vous avez évoqué la possibilité que la France puisse participer au sommet des BRICS, qui se tient justement en Afrique du Sud, à la fin du mois d'août. Est-ce que cela préside de cette même logique de désenclavement et de travail au niveau mondial, plutôt qu'avec des organisations qui travaillent chacune de son côté ?

R - Tout le monde travaille ensemble, tout le monde est ici, il y a 134 pays, ici. Mais peut-être pas assez, vous avez raison. Et donc, nous associons nos partenaires, nous les écoutons, nous subissons parfois leurs critiques, et parfois elles sont justifiées. Mais nous devons être au plus près de leurs préoccupations, aller les voir ; nous le faisons, les uns et les autres ; les faire venir ici, mais pourquoi pas, développer, de façon un peu plus organisée, ce dialogue entre les pays les plus développés et les grands pays émergents, qui ont à leur tour leur responsabilité, vis-à-vis non seulement d'eux-mêmes, mais vis-à-vis d'autres plus pauvres qu'eux sur la planète. Il faut travailler plus ensemble et s'efforcer de dégager ce que nous pouvons, ensemble, avoir de commun, qui est beaucoup plus important que ce que nous imaginons souvent.

Q - Une dernière question. Si la France était amenée à participer à ce sommet, il faut rappeler qu'il y a l'Inde, la Chine, l'Afrique du Sud, mais il y a aussi la Russie. Est-ce qu'on pourrait imaginer que Vladimir Poutine et Emmanuel Macron se retrouvent au même endroit ?

R - D'une part la disposition que nous avons manifestée à parler aux pays du G20, elle existe déjà au niveau ministériel, nous nous retrouvons dans différentes formations Affaires étrangères, Économie. Ensuite, sur la question d'un sommet, je crois que je ne vais pas parler pour l'Afrique du Sud, mais la question des invitations, et en particulier de l'invitation du président Poutine, objet d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale international pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité, n'est pas une question tranchée. J'ai posé évidemment la question à mes homologues, lorsque j'étais sur place. Je comprends que cette question n'est pas encore tranchée.

Q - Merci beaucoup, Madame la Ministre.

R - Merci à vous.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 juin 2023