Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à Radio J le 26 juin 2023, sur les sanctions contre la Russie, l'inflation, la maîtrise des dépenses des comptes publics et la vie politique.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Radio J

Texte intégral

CHRISTOPHE BARBIER
Bruno LE MAIRE, bonjour et bienvenu.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour Christophe BARBIER.

CHRISTOPHE BARBIER
Alors, nous allons commencer ce lundi par interroger le ministre de l’Economie, et vous serez des nôtres aussi vendredi, et cette fois-ci c’est l’auteur de " Fugue américaine ", qui répondra à nos questions. Confusion en Russie après ce week-end, avec un raid avorté de Wagner sur Moscou. Bon, on ne comprend pas exactement tout ce qui s’est passé. Est-ce que vous partagez le sentiment d’Antony BLINKEN, l’Américain, " cela indique au moins la faiblesse de POUTINE " ?

BRUNO LE MAIRE
Je partage surtout le sentiment qu’a exprimé le président de la République ce matin, ça montre les divisions du pouvoir russe, et surtout je crois que ça justifie encore plus le soutien que nous apportons à l'Ukraine depuis maintenant le début du conflit, en apportant un soutien économique, un soutien militaire, pour permettre tout simplement à l'Ukraine de défendre sa souveraineté, son territoire.

CHRISTOPHE BARBIER
Les sanctions économiques qui se suivent, l'Europe a adopté vendredi le 11e train de sanctions, est-ce efficace, jusqu'où et pour quels résultats dans la guerre ?

BRUNO LE MAIRE
Moi je pense que ces sanctions sont très efficaces. Comme toutes les sanctions elles mettent du temps à produire leurs effets, mais elles sont efficaces. La Russie est en récession, la Russie est confrontée à des problèmes d'approvisionnement de ses chaînes automobiles, de son industrie aéronautique, donc elle est confrontée à des vraies difficultés économiques majeures, et dans le fond, l’économie russe ne tient que parce que quelques pays continuent d'acheter le pétrole et le gaz russes. Pour le reste, l'Europe a réussi à être indépendante, beaucoup plus indépendante désormais de l'énergie russe. Elle a réussi à construire très rapidement son indépendance, et les sanctions font leur effet.

CHRISTOPHE BARBIER
Ces pays qui continuent à acheter du gaz russe, est-ce que nous les Occidentaux nous pouvons les convaincre de participer aux sanctions ?

BRUNO LE MAIRE
Il faut poursuivre les discussions avec la Chine, poursuivre les discussions avec l'Inde, c'est ce que nous faisons, mais quand on regarde attentivement la situation de la Russie, pas simplement comme économie mais comme Nation, c'est une Nation qui est confrontée aujourd'hui à des difficultés démographiques absolument majeures, à une espérance de vie qui a reculé, elle aimait beaucoup moins de brevets que je que devrait aujourd'hui émettre un pays de cette taille-là, elle a un PNB qui est faible, elle est en récession, elle a des difficultés aussi en termes de finances publiques, donc en réalité, la réalité de l'économie russe aujourd'hui c'est un grand affaiblissement. Alors, on peut le regretter, on peut le déplorer, simplement la réalité est là, l'économie russe aujourd'hui est profondément affaiblie.

CHRISTOPHE BARBIER
Jean-Pierre CHEVENEMENT, qui était à votre place vendredi nous disait : " La grande perdante de la guerre, ça sera en fait l'Allemagne ". Fin du gaz peu cher pour l'économie allemande, incertitude sur le marché chinois, et récession probable en 2023, déjà deux trimestres négatifs pour l'Allemagne. Est-ce que vous partagez ce sentiment ?

BRUNO LE MAIRE
Non, je ne partage pas ce sentiment, surtout je me méfie de cette espèce de joie mauvaise, ou des " schlechte Freude " en bon allemand, qu'on peut parfois éprouver quand l'Allemagne rencontre des difficultés. Alors oui, l’Allemagne a des difficultés économiques conjoncturelles, elle est aujourd'hui en récession là où la France a une croissance qui reste positive…

CHRISTOPHE BARBIER
0,7 cette année, non ?

BRUNO LE MAIRE
Moi je maintiens notre prévision à 1%, on verra ensuite en septembre quand je présenterai la loi de programmation des finances publiques, où nous en serons exactement. Mais s'agissant de l'Allemagne, c'est une économie qui est solide, c'est une économie qui exporte, c'est une économie qui innove, et c'est notre intérêt que l'économie allemande soit solide, c'est notre premier partenaire commercial, c'est la première économie en Europe et en Zone euro, donc notre intérêt à nous Français, ce n'est pas de gagner un match contre l'Allemagne, c'est stupide, c'est qu’ensemble nous réussissions, pour que toute la zone euro soit tirée vers le haut, pour que nous créions des emplois, pour que nous innovions et que nous arrivions à faire notre place entre la Chine et les Etats-Unis. Donc je ne crois pas du tout que l'Allemagne soit la grande perdante, et je pense surtout que ce n'est pas notre intérêt.

CHRISTOPHE BARBIER
" Ce n'est pas notre intérêt ", que peut-on faire pour les aider, alors qu'ils ont fait un choix énergétique en renonçant au nucléaire, qui va peut-être les plomber pour des décennies ?

BRUNO LE MAIRE
Alors, nous nous sommes mis d'accord sur un point fondamental avec notre partenaire allemand : on ne commande pas les choix énergétiques du voisin. Nous en avons parlé très souvent avec son homologue allemand Robert HABECK, que je verrai dans quelques heures. Le président de la République en a parlé avec le chancelier SCHOLZ, nous sommes des Etats souverains, et je rappelle que l'Europe est construite sur des Etats souverains. Donc le choix énergétique, qui touche au coeur de la souveraineté d'un pays, personne n'a le droit de le commenter. Nous avons fait le choix du nucléaire, c'est un choix qui me paraît le meilleur en termes de réduction des émissions de CO2, combiné à la sobriété et aux énergies renouvelables. Les Allemands ont fait un autre choix, qui leur appartient, je suis convaincu que je choix français est un bon choix.

CHRISTOPHE BARBIER
L'impact de la guerre pour les Français, ça a été une saison d'inflation, 2022/2023, même si les racines étaient plus profondes et plus nombreuses. Est-ce que c'est fini, même si la guerre dure, est-ce que nous n'aurons pas de nouveau choc, de nouvelle vague d'inflation ?

BRUNO LE MAIRE
Eh bien nous sommes en train de gagner ce combat contre l'inflation. Ça a été long, ça a été difficile, ça a amené des choix, qui sont des choix parfois difficiles à vivre, le relèvement des taux d'intérêt par la Banque centrale européenne, avec un crédit qui est plus difficile à obtenir, c'est ce qui a permis d'endiguer l'inflation et de commencer à voir l'inflation ralentir. Le fait que nous renoncions à un certain nombre d'aides budgétaires pour ne pas alimenter l'inflation, ce ne sont pas des choix faciles non plus, mais les résultats sont là, l'inflation commence à reculer. Après des mois de combat contre l'augmentation des prix qui est dramatique pour tout le monde, nous commençons à gagner ce combat contre l'inflation. Alors, est-ce qu’à la sortie de cette crise inflationniste on gardera des niveaux d'inflation comme ceux que nous avons connus avant la crise du Covid, la réponse est non. Pour deux raisons très structurelles, la première c'est que nous avons décidé de remettre les chaînes de valeur en France, et que c'est plus cher de produire des batteries électriques en France que de les importer de Chine, donc ça a un effet structurellement inflationniste. Et la deuxième raison c'est la transition climatique. La transition climatique elle a un coût, elle va peser sur les prix dans les années qui viennent.

CHRISTOPHE BARBIER
Au bout de cette vague d'inflation, puisqu'on ne reviendra pas au taux d'avant, quelle est la bonne inflation sur laquelle vous vous voudriez atterrir ? C’est bon l'inflation notamment pour ceux qui sont un peu endettés, il faut quoi, du 1,5, du 2 d’inflation, tous les ans ?

BRUNO LE MAIRE
Alors, il y a un taux cible qui est défini par la Banque centrale européenne, et qui ne relève que de la Banque centrale européenne, c'est 2%, et c'est à la Banque centrale européenne de piloter la politique monétaire, pour qu'on reste autour des 2%. Mais on a connu des taux beaucoup plus faibles dans les années passées, je ne pense pas que nous revenions à ces taux très faibles, autour de 0%, que nous avons connus dans les années passées.

CHRISTOPHE BARBIER
Au terme de ce cycle, le pouvoir d'achat des Français aura-t-il été érodé, parce que les salaires n'ont pas suivi complètement la hausse des prix ?

BRUNO LE MAIRE
La réalité statistique c'est que nous avons protégé le pouvoir d'achat des Français. Beaucoup mieux que beaucoup d’autres pays européens. Nous avons fait, avec le président de la République et la Première ministre, un choix décisif qui a été le bouclier énergétique, c'est-à-dire qu'on à protégé les Français contre ceux qui tiraient le plus les prix vers le haut, le prix du gaz et le prix de l'électricité. Nous l'avons gelé ou nous l'avons plafonné. Alors, ce n'est pas vrai sur les prix alimentaires, vous me direz tout de suite qu'effectivement les prix alimentaires ont pesé, mais sur ce qu’est une composante majeure des dépenses des ménages, électricité et gaz, là où les prix ont littéralement flambé, nous avons protégé nos compatriotes. Maintenant il faut sortir de cette situation-là, les prix reviennent à la normale, il faut maintenant retirer ces boucliers.

CHRISTOPHE BARBIER
On n'aura plus les moyens de le faire une seconde fois, s'il y avait une flambée de ces prix énergétiques ?

BRUNO LE MAIRE
Tout l’objectif, justement, c'est de reconstituer des marges de manoeuvre financières, pour que si demain il devait y avoir une nouvelle crise énergétique ou une nouvelle crise sanitaire, nous puissions faire face. Quand je dis qu'il est indispensable, non seulement de sortir du quoi qu'il en coûte, nous le faisons depuis plusieurs mois, mais surtout de rétablir les finances publiques, c'est-à-dire de revenir à des niveaux de déficit et des niveaux de dette plus raisonnables, mais la raison principale c'est de reconstituer des réserves financières pour faire face le jour où il y a une nouvelle crise. Ce serait irresponsable de dire aux Français : on continue comme avant, on dépense beaucoup d'argent public, et puis advienne que pourra. Moi, ma responsabilité, ce n'est pas de dire advienne que pourra, c'est d'avoir un discours qui est parfois difficile à entendre, mais un discours responsable, qui est de reconstituer des réserves financières quand ça va bien, pour faire face quand ça va mal.

CHRISTOPHE BARBIER
Pourquoi ne pas faire une loi de finances rectificative, là en ce début d’été, comme c'était parfois la tradition ?

BRUNO LE MAIRE
Parce qu'il n’y en a pas besoin. Tout simplement on fait des lois de finances rectificatives quand il y en a besoin, il n’y a pas besoin de loi de finances rectificative, en revanche il y aura un rendez-vous important, c'est la loi de programmation des finances publiques, qui sera votée fin septembre, où on s'engage sur ce qu'on appelle une trajectoire de dépenses et de recettes pour les quatre années qui viennent, et je souhaite évidemment qu'on puisse se rassembler le plus largement possible autour de cette loi.

CHRISTOPHE BARBIER
La maîtrise des dépenses des comptes publics, le redressement des comptes, les élus locaux pensent que ça va se faire sur leur dos.

BRUNO LE MAIRE
Ils ont tort, et j’entends, je leur ai dit d’ailleurs très clairement aux Assises des finances publiques, certains ont fait le choix de ne pas venir, mais s’ils étaient venus, ils auraient pu entendre ce que j'ai dit. Moi j'ai salué la bonne gestion de la grande majorité des collectivités locales, et puis il faut avoir les grandes masses en tête, quand on est responsable des Finances publiques Les dépenses publiques c'est quoi ? C'est 50% de la dépense sociale, la moitié c'est de la dépense sociale. C'est les retraites, c'est la santé, c'est le modèle social français auquel nous sommes tous profondément attachés…

CHRISTOPHE BARBIER
Eh bien oui, d’ailleurs, dès qu’on annonce que l’on va moins rembourser les dents, ça urge.

BRUNO LE MAIRE
Bien sûr. 30% c’est l’Etat et 20% c'est les collectivités locales. Donc vous voyez que si vous voulez bien tenir les finances publiques, il faut savoir garder la proportion des dépenses. Et ensuite, toujours sur les collectivités locales, moi je crois à leur libre administration, je pense que l’on peut trouver des accords avec les collectivités locales qui seraient des accords de bonne gestion, je continue à leur tendre la main, et je recevrai prochainement l'ensemble des représentants des collectivités, départements, communes et régions, pour continuer à travailler avec elles sur un pacte, qui soit un pacte volontaire de bonne gestion des finances publiques.

CHRISTOPHE BARBIER
Donc c'est le social qui fournira un effort aussi, donc les Français, il faut que les Français…

BRUNO LE MAIRE
C’est tout le monde.

CHRISTOPHE BARBIER
…soient plus économies.

BRUNO LE MAIRE
Mais c'est tout le monde, à la juste mesure de ce qu'ils représentent dans la dépense publique. Ça va être l'Etat, sur l'Etat nous avons engagé un certain nombre de réductions de dépenses dans les politiques publiques…

CHRISTOPHE BARBIER
5%.

BRUNO LE MAIRE
Prenez les 5% de gel, on a rajouté 1%, 6%, je l'ai déjà annoncé mais je le confirme ; un certain nombre de dépenses qui sont gelées, ne seront pas libérées pour les ministères, c’est-à-dire que cela nous permettra de faire des économies.

CHRISTOPHE BARBIER
Mais ça, les Français seront ravis, mais si vous leur dites : vos dents, vos lunettes, votre santé, ça va râler.

BRUNO LE MAIRE
Oui, mais c’est nécessaire. Il y a la politique du logement sur laquelle nous avons pris avec Elisabeth BORNE des décisions courageuses, mais nécessaires du point de vue de la bonne tenue des finances publiques. Le dispositif Pinel, qui coûtait 2 milliards d'euros, qui est un avantage fiscal qui ne donnait pas les résultats attendus, on l’a supprimé, ça fait 2 milliards d'euros d'économies. C'est une autre politique publique sur laquelle nous allons travailler. Et sur tout ce qui est modèle social, nous la seule chose que nous voulons, c'est responsabiliser les acteurs. Prenez les arrêts maladie, ils ont explosé de 30%, il y a peut-être de bonnes raisons, je dis là…

CHRISTOPHE BARBIER
La Covid, le stress après la Covid etc.

BRUNO LE MAIRE
Il peut parfaitement y avoir de bonnes raisons, mais tout le monde sait qu'il y a des abus. Et ces abus ne sont pas acceptables. Et ce qu'il faut, c'est que nous nous mettions tous autour de la table le ministre de la Santé, les professionnels de la santé, les entreprises, pour que nous regardons tous ensemble comment éviter ces dérives et ces abus qui au bout du compte fragilisent tout le système social français.

CHRISTOPHE BARBIER
Un peu de politique. Le Parisien vous annonce ce matin, soit à Matignon, soit à l'Education nationale. Est-ce que ça vous fait plaisir ?

BRUNO LE MAIRE
Ecoutez, je suis ministre de l'Economie et des Finances, ministre de l'Economie et des Finances heureux de ce qu'il fait, très fier la mission qui lui a été confiée par le président de la République et qui souhaite continuer à exercer cette mission. Je le dis depuis maintenant plus de 6 ans, je crois à la stabilité dans les fonctions ministérielles, je pense que c'est ce qui donne le meilleur résultat au service des Français. Il ne faut pas oublier que ministre ça veut dire au service, nous sommes au service des Français. On doit toujours se demander comment est-ce qu'on est le plus efficace au service des Français, pour moi c'est la stabilité qui donne cette efficacité.

CHRISTOPHE BARBIER
Raymond BARRE avait traduit cette demande de stabilité, en cumulant pendant un temps Matignon et l'Economie, parce que la France traversait une période difficile. C'est un schéma d'exécutif qui pourrait être possible aujourd'hui ?

BRUNO LE MAIRE
Je cumule l'Economie, les Finances, la Souveraineté industrielle et numérique, ça fait déjà beaucoup.

CHRISTOPHE BARBIER
Dans votre travail vous avez affaire évidemment à l'Assemblée nationale et notamment au président de la Commission des finances Eric COQUEREL. Il agace la majorité qui se demande parfois s'il ne faut pas en changer. Est-ce qu'il vous a empêché, vous, de travailler ?

BRUNO LE MAIRE
Non, moi je travaille bien avec le président de la Commission des finances Eric COQUEREL. Après, les choix de président de la Commission des finances, de quelques commissions que ce soit, appartiennent au pouvoir législatif et uniquement au pouvoir législatif. Et je pense qu'il est bon que le pouvoir exécutif ne s'en mêle pas.

CHRISTOPHE BARBIER
Et pourtant, avoir une majorité relative, avoir un Parlement qui souvent se perd dans du tohu-bohu, ça gêne là, le redressement de la France.

BRUNO LE MAIRE
C'est difficile, mais ça s'appelle aussi la démocratie. Alors, la démocratie ce n'est pas le tohu-bohu, ce n'est pas les insultes, ce n'est pas les invectives, ce n'est pas la polémique pour la polémique, malheureusement trop souvent la vie politique française c'est ça, la polémique pour la polémique, mais ce que je constate, je l'ai vu encore au Sénat avec Roland LESCURE au cours des 15 derniers jours, quand on travaille bien, qu'on essaie de s'écouter et de se respecter, on arrive à faire adopter des textes largement. Nous avons fait adopter le projet de loi sur l'industrie verte au Sénat, à une majorité écrasante. Pourquoi, parce qu'on a écouté les remarques des sénateurs, écouté les remarques de la présidente des Affaires économiques, Sophie PRIMAS, amélioré notre texte, et donc quand le débat permet d'améliorer les textes, là on fait oeuvre utile. Quand le débat se solde par du chaos et du bruit, je pense qu'on ne sert pas bien les Français.

CHRISTOPHE BARBIER
Eh bien Bruno LE MAIRE, merci bonne journée, on vous retrouve vendredi.

BRUNO LE MAIRE
Merci à vous.

LEA MOSCONA
Merci messieurs. On retiendra " nous sommes en train de gagner le combat contre l'inflation ".


source : Service d’information du Gouvernement, le 27 juin 2023