Déclaration de M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, au Sénat le 6 juin 2023.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Christophe Béchu - Ministre chargé de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Circonstance : Audition au Sénat devant la Commission d'enquête rénovation énergétique

Texte intégral

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous achevons la semaine prochaine nos travaux sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, que nous avons entamés fin janvier. Nous avions commencé par l'audition de l'ensemble des ministres qui, depuis 2012, ont eu en charge les portefeuilles de la transition écologique, de la transition énergétique ou du logement.

Monsieur le ministre, nous venons d'auditionner Mme Agnès Pannier-Runacher. Nous allons à présent vous entendre avant de recevoir, la semaine prochaine, le ministre du logement, Olivier Klein.

Vous occupez cette fonction depuis juillet 2022. Auparavant, vous avez eu de nombreux mandats électifs, et plus particulièrement ceux de maire d'Angers, de 2014 à 2022, de sénateur, de 2011 à 2017, de président du Conseil général de Maine-et-Loire de 2004 à 2011, et de député européen de  2009 à 2011.

Nous avons demandé à tous vos prédécesseurs depuis les dix dernières années de tirer un bilan de la politique publique de rénovation énergétique, des freins qu'ils ont pu constater et des améliorations préconisées pour améliorer à la fois l'efficacité de cette politique et son pilotage, au niveau ministériel, mais aussi au niveau administratif.

J'aimerais également connaître votre réponse à cette question, à l'exception du bilan, puisque vous avez pris récemment vos responsabilités ministérielles.

Nous avons entendu un grand nombre d'acteurs de la rénovation énergétique. Le sujet de la confiance est ressorti très souvent de ces auditions. Face aux fraudes, face aux malfaçons, à l'instabilité normative, comment peut-on redonner confiance dans la politique publique de rénovation énergétique ?

Seriez-vous favorable à une plus grande mutualisation des contrôles de chantiers de rénovation, ainsi qu'à une évolution vers une conditionnalité des aides à des contrôles a posteriori ?

Le dispositif Mon Accompagnateur Rénov', qui va se mettre en place à partir du 1er septembre et qui permettra à des acteurs privés d'accompagner les ménages dans leur parcours de rénovation énergétique ne risque-t-il pas de renforcer ce manque de confiance ? Ne faudrait-il pas plutôt s'appuyer sur le réseau d'accompagnement public existant, qui revêt un gage de neutralité évident, et qui est très souvent mis en place par les collectivités ?

Les personnes entendues nous ont également soumis de nombreuses propositions. Que pensez-vous de l'idée d'une loi de programmation pluriannuelle de la rénovation énergétique pour permettre aux ménages, mais aussi au secteur, de disposer d'une plus grande visibilité ?

Vous avez été pendant de nombreuses années élu local. Comment comptez-vous parvenir à une plus grande association des collectivités et des acteurs locaux à la mise en oeuvre des politiques publiques de rénovation énergétique ?

Aujourd'hui, même les antennes locales de l'Anah n'ont aucune prise sur MaPrimeRénov' pour aider nos concitoyens qui sont souvent perdus ou en attente de réponses, et qui risquent donc de se décourager. Ne faut-il pas également remettre les entreprises artisanales de nos territoires au coeur de cette politique en débloquant leur accès au label " reconnu garant de l'environnement " (RGE) ?

J'aimerais également que vous reveniez sur le Conseil national de la transition écologique, le 22 mai dernier, présidé par Mme la Première ministre, durant lequel l'interdiction des chaudières à gaz, dans la lignée de celle des chaudières au fioul, a été annoncée. Pourriez-vous revenir sur cette mesure ? Nous identifions deux potentiels effets de bord. D'une part, une telle mesure peut encourager le changement des systèmes de chauffage au détriment de l'isolation des logements. D'autre part, une électrification accélérée des chauffages interroge sur la capacité des réseaux d'électricité à faire face à une telle évolution. Quelles réponses pouvez-vous apporter à ces deux craintes ?

Enfin, comment ne pas évoquer la réelle déception, à l'issue du Conseil national de la refondation sur le logement, au regard du travail fourni par le groupe consacré à la transition écologique des logements ? Renouveler les annonces sur le déploiement de France Rénov' et de Mon Accompagnateur Rénov' ou indiquer une mesure technique sur le prêt avance rénovation, dont pas plus d'une centaine a été accordée à ce jour, nous semble vraiment peu de choses.

Quant à porter le nombre de rénovations performantes à 200 000 en 2024 grâce au renforcement de MaPrimeRénov', c'est bien, mais c'est une ambition sans guère de perspectives aujourd'hui, alors que la stratégie nationale bas-carbone en programmait plus de 500 000 en moyenne et 700 000 dans les années à venir.

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois ans à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite donc, monsieur le ministre, comme pour toute commission d'enquête, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : " Je le jure ".

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Béchu prête serment.

Je vous laisse la parole avant que notre rapporteur et nos collègues puissent vous poser un certain nombre de questions complémentaires.

M. Christophe Béchu, ministre. - En vous écoutant, je me demande si je vais vous infliger une intervention ou si je ne vais pas tout de suite répondre aux questions que vous me posez.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Cela nous convient très bien.

M. Christophe Béchu, ministre. - Comme l'a sans doute dit Agnès Pannier-Runacher, MaPrimeRénov' a peut-être des défauts, mais elle a le mérite d'exister. 1,5 million de rénovations ont eu lieu, des dispositifs de lutte contre la fraude se sont mis en place et il existe des réflexions sur la manière de les intensifier.

Tout d'abord, je me réjouis qu'on prenne le temps de se pencher sur ce qui est un des principaux leviers de la planification écologique. On sait qu'un certain nombre de transformations provoquent des irritants parce qu'elles conduisent à des changements de comportement ou à des alourdissements de frais qui fragilisent une partie de nos concitoyens, les interrogent et les font assimiler la transition écologique à un prétexte pour augmenter les impôts et faire en sorte de restreindre un certain nombre de libertés.

La rénovation est sans doute le lieu où on peut concilier quelque chose qui est bon pour la planète, bon pour l'emploi et pour les retombées économiques, mais également pour le pouvoir d'achat, en faisant en sorte de diminuer une partie des factures qui y sont liées.

C'est donc un combat qui est aussi consensuel que l'est le photovoltaïque en matière d'énergies renouvelables, non que je souhaite pointer des domaines qui le seraient moins, mais nous savons que le chemin de la transition écologique nécessite une certaine ampleur dans la baisse de nos émissions. Or certains domaines de la transition écologique sont plus irritants que d'autres. Cela ne veut pas dire que tout est simple - vous avez parlé des chaudières à gaz, et je vais évidemment répondre à votre question -, mais on sent bien qu'il existe un domaine dans lequel on peut faire en sorte que la transition écologique au sens large ne soit pas seulement une occasion d'affrontement. On en a profondément besoin à bien des égards.

Cette politique de rénovation énergétique comporte un angle mort, celui des bâtiments publics. On a globalement un dispositif qui a été conçu pour les particuliers, avec ses avantages et ses défauts, mais il n'y avait rien auparavant - ou très peu de choses - pour les autres bâtiments. En parallèle, un milliard de mètres carrés abritent des bâtiments tertiaires. Environ 40% relèvent des collectivités locales et de l'État, avec des dispositifs qu'on doit faire monter en puissance en termes de rénovation énergétique.

La rénovation est le premier motif de demande de fonds vert à l'échelle des collectivités locales. Lundi dernier, nous étions à 12 116 dossiers déposés, dont environ 4 800 portant sur la rénovation thermique de bâtiments. Si vous ajoutez à cela un peu plus de 2 000 dossiers concernant les réseaux d'éclairage public, environ 50 % des collectivités ont déposé un dossier.

Le tiers financement est une première réponse. Le texte qui a été voté à l'unanimité par le Sénat et l'Assemblée nationale fait l'objet de décrets d'application depuis quelques jours. Nous essayons de tirer de cette loi un mode d'application simplifiée pour les collectivités locales en faisant travailler le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) sur une fiche-type. Nous allons réunir quelques collectivités de divers niveaux - départements pour les collèges, villes pour plusieurs bâtiments - de manière à tester le dispositif et à étudier comment ce levier complémentaire au dispositif et aux aides pourrait être mis en place.

Il faut évidemment ne pas oublier les dispositifs collectifs, comme le fonds Chaleur de l'Ademe qui permet, indépendamment de tous les gestes de particuliers, de proposer des solutions d'évolution énergétique puissantes afin de conduire une politique à la fois écologique et sociale.

Une de mes fiertés en tant que maire d'Angers est d'avoir lancé deux réseaux de chaleur dans les deux quartiers de la politique de la ville où nous réalisions le tram, en profitant des trous dans les rues causés par l'arrivée des rails pour poser des canalisations permettant, dans un quartier composé à 66 % de logements sociaux et un autre à 52%, de bénéficier de réseaux de ce type.

Vous m'avez posé un certain nombre de questions précises, et je vais faire en sorte d'y répondre autant que possible.

Je commencerai par la plus stratégique, qui porte sur l'intérêt qu'il y aurait à bénéficier d'une loi de programmation pluriannuelle de la rénovation.

La stratégie nationale bas-carbone est complétée par une programmation pluriannuelle de l'énergie. La loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC) doit comporter un volet sur la rénovation énergétique. Plutôt qu'une loi de programmation proprement dite, je pense que le Parlement doit s'assurer que cette dimension est bien prise en compte.

Le rapport Pisani-Ferry est d'ailleurs très explicite sur le fait que la rénovation sera l'un des domaines où l'argent public devra être mobilisé dans les années qui viennent. Il y aurait une vraie logique, dans la continuité de tous ces rapports, à faire en sorte de s'assurer qu'il existe une déclinaison dans la LPEC dédiée à la rénovation énergétique.

Je relie ce sujet à la question des chaudières...

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Qui n'a pas fini de faire parler !

M. Christophe Béchu, ministre. - Qui va commencer à faire parler, jusqu'au 28 juillet...

Ce qui a été posé, c'est le lancement de la concertation sur les perspectives que nous avons. Nous sommes globalement à un peu plus de 25% de baisse de nos émissions par rapport à 1990. Le chemin qui nous reste à parcourir est équivalent à celui qu'on a déjà fait. Tenir cette ambition en 2030 suppose de doubler le rythme.

La planification consiste à prendre les 408 millions de tonnes d'émissions de gaz à effet de serre que nous avons au 1er janvier 2023, à regarder les 270 millions de tonnes auxquels nous devons être à la fin de l'année 2030 et nous demander comment aller chercher la diminution secteur par secteur.

Je ne sais si ce travail vous avez été présenté dans sa vision globale, mais quand on regarde les choses en détail, on s'aperçoit que ce qui est aujourd'hui majeur dans les émissions du secteur hors construction, ce sont les émissions liées aux énergies fossiles, le gaz pour beaucoup, le fioul énormément.

Tenir la trajectoire veut dire globalement être en capacité de baisser de manière continue le nombre de chaudières au fioul dans ce pays. De ce point de vue, le mécanisme est enclenché. On atteint depuis le milieu du dernier quinquennat approximativement 180 000 à 200 000 remplacements de chaudières par an. Pour tenir le rythme fixé par la planification, il faudrait être aux alentours de 300 000 remplacements, ce qui ne nous semble pas inatteignable.

La question de la chaudière à gaz est différente. Vous avez pointé deux risques : j'en ajoute un troisième. Vous attiriez l'attention sur le fait qu'on pourrait ne plus se préoccuper d'isolation pour se concentrer sur le mode de chauffage et sur la capacité de notre système électrique à faire face à cette évolution. Nous sommes plutôt compétents en matière d'installation et de production de chaudière à gaz. Les pompes à chaleur sont, en matière de chauffage, ce que les voitures électriques sont aux voitures thermiques, avec une domination chinoise sur une partie de ce secteur. À une nuance près : il y a d'excellents fabricants, en particulier dans l'Est de la France, qui sont en train de monter en puissance et en gamme. On a déjà une filière européenne - en particulier polonaise - relativement forte, mais je nous invite à intégrer, dès la planification écologique de l'évolution des chaudières à gaz, ce que nous sommes en train de faire pour les voitures, c'est-à-dire la modification de certains critères.

Personne ne peut contester le fait que, si l'on veut baisser nos émissions, il nous faut diminuer la part de gaz naturel dans nos intérieurs. En revanche, on sait qu'on a quelques angles morts, comme les bâtiments collectifs. À partir d'une certaine puissance, la pompe à chaleur ou la biomasse ne suffisent pas, et il nous faut une part de gaz. Cette réalité nous incite à ne pas exclure le biogaz de l'équation. On en a besoin dans le mix énergétique. Il faut faire preuve d'humilité, surtout avec l'hiver qu'on a vécu.

La hauteur de la marche liée à l'électrification est forte. Les changements de motorisation et d'énergie ne doivent pas nous faire oublier que sobriété et efficacité énergétiques sont toujours les premiers leviers sur lesquels il faut jouer. Paradoxalement, isoler un logement pour diminuer la quantité d'énergie dont on a besoin est toujours pertinent avant de changer une chaudière, de manière à ne pas trop tirer sur le secteur.

Vous avez évoqué Mon Accompagnateur Rénov' et l'appui des collectivités locales. Dans ce domaine, je pense qu'il faut aller plus loin dans la décentralisation et la déconcentration. Ma conviction est que, sur le modèle de la délégation des aides à la pierre, qui fonctionne, où l'État transfère les crédits et les objectifs, nous gagnerions à nous appuyer sur les collectivités volontaires pour mettre en oeuvre MaPrimeRénov'.

Je ne dis pas que c'est une position qui est partagée par tout le monde, mais, pour la cohésion des territoires et la transition écologique que je représente, le maire ou le président de l'intercommunalité - parce qu'il est vraisemblable qu'il ne faille pas descendre à un niveau municipal pour une compétence de ce type - est le tiers de confiance qui peut rassurer celui qui cherche une aide pour rénover son logement et fiabiliser le processus de recrutement des accompagnateurs. On peut être certain qu'il veillera à ce que ceux qui sont enregistrés dans une commune de taille humaine soient capables d'accompagner leurs concitoyens, une part de service public pouvant remplacer ou accompagner ce qui se fait. La tendance naturelle pour tenir les objectifs sera d'ajouter un peu de moyens ou assurer davantage de communication pour que les choses fonctionnent.

La délégation des aides à la pierre, aujourd'hui, fonctionne avec un double standard : la possibilité d'une prise de compétence départementale et la possibilité pour les agglomérations de plein droit de demander la compétence, les deux systèmes pouvant cohabiter dans certains départements ou dans des endroits, au contraire, où aucun des deux niveaux de la collectivité n'a pris la responsabilité. Je pense que ce serait un bon système qui nous permettrait de réaliser une partie de la quadrature du cercle, qui répond à la question de savoir si le réseau public ne serait pas plus efficace que celui des accompagnateurs, et dans quelle mesure les collectivités devraient s'engager.

Enfin, vous avez évoqué la conditionnalité des aides. Je ne vais pas dire qu'on est passé d'un standard à l'autre, mais on est passé globalement d'un dispositif où on traitait beaucoup d'aides, et où on s'est demandé tout d'un coup s'il n'existait pas un risque de fraude important, à un dispositif dans lequel la mise en place d'un certain nombre de contrôles a conduit à allonger les délais de paiement et à justifier une forme d'insatisfaction.

Je pense que la confiance de nos concitoyens dans le dispositif est majeure. Je préfère un délai de paiement un peu plus long, mais avoir l'assurance qu'il n'y a pas de fraude, plutôt que de se retrouver rattrapé par une autre patrouille sur le fait que nous aurions été inconséquents avec les deniers publics.

De quoi parlons-nous ? On parle de délais qui sont globalement aux alentours de 28 jours pour l'attribution de la subvention, cette durée constituant une moyenne et étant moins importante lorsque le dossier est complet. Ce n'est pas un mauvais score, même si cela peut refléter des disparités. Nous avons peu évolué concernant ce délai.

Là où le délai s'est envolé, c'est en matière de paiement. Globalement, en août 2022, nous étions à un délai d'un peu moins de 30 jours. Nous sommes à 45 jours d'après les derniers chiffres que j'ai en ma possession, qui datent du mois d'avril 2023.

J'ai pris août 2022 comme référence, parce que c'est le moment où un certain nombre de décisions ont été arrêtées, dans la continuité du rapport de l'IGF, mais le délai de paiement était encore un peu plus faible au printemps 2022.

Néanmoins, ces contrôles sur place ont permis de fiabiliser un dispositif. Faut-il payer d'abord et faire en sorte de récupérer l'argent après ? On s'aperçoit malheureusement à l'usage que, dans un certain nombre de cas, quand les choses sont organisées, une fois que les crédits ont été versés, il est beaucoup plus compliqué de retrouver les sommes versées.

Je plaide donc pour que le dispositif actuel soit maintenu. Des délégations de compétences seraient un moyen de pouvoir expérimenter des dispositifs sur une partie du territoire national et de pouvoir recueillir les bonnes pratiques.

Enfin, vous avez abordé le Conseil national de la refondation et la manière dont, hier soir, ce conseil a clôturé sa phase de concertation. Vous ne m'interrogez pas sur le logement neuf et la situation globale de la remontée des taux d'intérêt, mais, je l'ai bien compris, sur la partie plus spécifique qui concerne nos ambitions de rénovation et de planification.

J'ai lu beaucoup de choses sur ce Conseil, à défaut d'avoir pu y participer hier. Certains en ont fait une sorte de rendez-vous définitif sur ces questions de logement, alors que cela n'était qu'un point d'étape, en particulier pour ce qui concerne la planification. Il serait baroque de prétendre établir les conclusions définitives d'un sujet aussi vaste début juin au milieu de toutes les évolutions que nous connaissons, alors que la planification écologique globale est prévue pour début juillet et qu'il existe, en parallèle, un certain nombre de rendez-vous, avec un autre angle mort, celui du logement social, que vous connaissez parfaitement, madame la présidente, pour lequel il existe un dispositif pour les particuliers et un dispositif pour les collectivités publiques dont j'ai dit un mot et qui doit faire l'objet d'une montée en puissance, sans parler de la question plus large des bailleurs sociaux.

Le parc moyen de ces bailleurs sociaux est globalement mieux entretenu que le parc global. Cependant, une hausse d'un point de livret A représente l'équivalent de 1,3 milliard d'euros de « charges » entre guillemets sur les fonds propres associés au livret. Il s'agit d'un coût comparable au coût de la réduction du loyer de solidarité (RLS), mais, dans la tendance que nous connaissons, on mesure l'impact sur les fonds propres. Si on le couple aux augmentations des prix des matériaux, on mesure les difficultés que rencontre le secteur du logement social.

Il faut donc, au-delà de la question de la production de logements, ne pas oublier la question de la rénovation. 1,5 million de logements sont vides, tout comme 3 millions de mètres carrés de bureaux à Paris et en Île-de-France. La question des bailleurs sociaux mérite par ailleurs d'être traitée.

Le point de rendez-vous, c'est le pacte de confiance avec les bailleurs sociaux. Un des principaux leviers réside sans doute dans le dispositif Deuxième vie. À partir d'un certain niveau de rénovation, il serait pertinent de pouvoir rouvrir les droits aux exonérations. Je ne dis pas que cela suffise, parce qu'il y a aussi la question des fonds propres, mais cela permettrait de délivrer de nouveau un agrément. C'est très important culturellement de gagner la bataille de la rénovation pour ne pas laisser penser qu'il y aurait d'un côté ce qui serait noble - faire un logement neuf - et, de l'autre côté, ce qui serait une forme d'investissement au rabais, qui consisterait à investir dans la rénovation.

Le sujet du soutien à la production de logements neufs est donc à corréler à d'autres sujets. Celui de la rénovation, de manière plus spécifique, n'est pas le seul.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je partage avec vous l'idée que la transition écologique apporte des solutions efficaces et constitue une vraie réponse sociale, quelles que soient les orientations dans lesquelles on s'engage.

Je rappelle que le but de cette commission d'enquête est d'évaluer les politiques publiques depuis les dix à quinze dernières années, et de voir comment l'argent public a été utilisé. La commission s'est volontairement concentrée sur le logement, qui constitue un sujet déjà très vaste.

On peut diviser le logement en trois blocs, le logement individuel privé, où on trouve le dispositif MaPrimeRénov', la copropriété, qui présente d'autres dispositifs auxquels il faut réfléchir, et le logement social, qui est plutôt en avance, avec des bâtiments qui ont déjà, pour la plupart, fait l'objet d'une rénovation.

Le logement social est un levier très fort. Les opérateurs et les bailleurs sont prêts, d'après ce qu'ils nous ont dit lors des auditions, à tenir les objectifs dont ils ont l'expertise. En outre, la rénovation thermique permet d'améliorer globalement le logement en termes de confort, d'espace urbain, etc.

La seule chose qui manque, c'est le financement. On peut estimer que ce secteur pourrait permettre de booster très rapidement la rénovation thermique s'il était correctement financé. Pourquoi ne pas prioriser le financement de la rénovation du parc social ?

Pour ce qui est des copropriétés, un certain nombre de réflexions sont à mener en matière de prise de décisions et de financement. Un DPE collectif permettrait peut-être d'accélérer les prises de décisions.

En matière de logement individuel, 600 à 700 000 dispositifs MaPrimeRénov' ont été débloqués. Les choses sont donc plutôt positives, mais, si l'on regarde de plus près, on est plutôt sur un changement de chaudières. Certes, cela fait chuter très rapidement les émissions de carbone, mais on est très en deçà des objectifs, et on voit bien qu'on pèche vraiment en matière de rénovation globale. C'est peut-être le point sur lequel on doit réfléchir plus précisément s'agissant des dispositifs à mettre en place pour simplifier ce parcours.

On entend un discours qui consiste à dire qu'il faut s'appuyer sur ce qui existe. On a cependant le sentiment que les collectivités locales pour lesquelles cela a fonctionné ont l'impression de devoir se réadapter et sont parfois court-circuitées, alors que l'ingénierie avait déjà été mise en place par le biais des plateformes de rénovation ou des agences locales de l'énergie et du climat (Alec). Les collectivités peuvent donc estimer que ce n'est plus la peine de s'en charger.

La question du financement des collectivités locales se pose également. Faire fonctionner de plateformes de rénovation et d'ingénierie locale nécessite d'augmenter les budgets de fonctionnement. Comment en tenir compte dans le cadre de la rénovation thermique et, plus généralement, de la transition écologique ? Comment mieux s'adapter localement ?

Par ailleurs, quelle est votre perception du pilotage national de la rénovation énergétique et la coordination qui peut exister entre les différents ministères ? Les anciens ministres que nous avons auditionnés nous ont souvent fait part du lien entre le ministère du logement et celui de l'écologie, qui avait son importance. Comment améliorer la coordination ?

Enfin, quel est votre bilan de la coordination interministérielle du plan de rénovation ? Pensez-vous que son action soit suffisante par rapport à l'ensemble des politiques des différents ministères ?

M. Christophe Béchu, ministre. - Action Logement a finalisé son plan global de décarbonation. Sa puissance de feu n'est évidemment pas comparable à tous les bailleurs, mais ils vont avoir l'occasion de détailler leur action. Ce n'est pas neutre puisque cela représente 30% du parc social. D'une manière générale, il est toujours bon, quels que soient les domaines, d'avoir des exemples qu'on peut ensuite suivre pour étalonner les éléments.

On ne part pas de rien. Je veux ici rendre hommage à quantités d'offices gérés par des élus locaux qui n'ont pas attendu que la cathédrale soit complète pour lancer des opérations. Des maires ont fixé des objectifs à leur bailleur et ont fait en sorte d'accompagner les différents dispositifs.

Je partage l'idée que c'est un moyen d'avoir des résultats rapides. On le sait, une des difficultés vient du fait que MaPrimeRénov', en moyenne, fonctionne mieux pour les maisons individuelles, les copropriétés ralentissant une partie de la prise de décision.

La principale difficulté pour faire des travaux dans les copropriétés n'est donc pas l'unanimité, puisqu'il y a généralement une unicité de décision - sauf quelques cas très particuliers.

En outre, la part du gaz dans les logements sociaux est plus importante : quatre logements sur dix sont généralement chauffés au gaz. Cette proportion dépasse les six sur dix dans le parc social, l'inquiétude n'étant pas la même sur le reste à charge et la manière d'avancer, les réseaux de chaleur urbains ou de dispositifs de ce type pouvant participer à une meilleure visibilité des prix et avoir un impact social par rapport aux décisions qui sont prises.

La dynamique est double, avec une articulation financière et une difficulté conjoncturelle supplémentaire.

Je n'irai guère plus loin aujourd'hui, puisque ce sera le coeur de mes discussions dans les prochains jours, en particulier avec l'Union sociale pour l'habitat (USH) pour trouver la manière de signer ce pacte de confiance autour de l'enjeu de la rénovation.

On est tous d'accord sur le fait qu'il est préférable de faire plusieurs gestes plutôt qu'un seul. Je ne sais ce que j'aurais fait si j'avais été amené à concevoir le dispositif. Je ne me mettrai pas à la place de ceux qui en avaient la charge à l'époque. Il n'est pas certain qu'on ait mesuré que peu de dispositifs iraient plus loin.

En moyenne, ceux qui ont conduit ces opérations de rénovation ont réalisé 793 euros d'économies, ce qui n'est pas rien et constitue une vraie réussite en matière de ciblage social. Certaines choses sont à améliorer pour en avoir davantage pour son argent d'un point de vue climatique, mais il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain - si j'ose dire.

On a enclenché une dynamique, on se demande comment l'améliorer et l'approfondir. Elle a le mérite d'exister, car on trouvait peu de choses auparavant. C'est la limite par rapport aux Alec. C'est le jour et la nuit en termes d'échelle, de montants, de dispositifs financiers et de suivi.

Vous avez raison : on ne pourra pas transférer le système d'accompagnement aux collectivités locales en leur disant de se débrouiller. Ce n'est pas le sens de ma proposition. Le sujet au coeur des discussions que nous avons en matière de logement est celui des compétences qu'il serait pertinent de décentraliser, car les situations sont très disparates d'un endroit à l'autre.

C'est vrai pour la rénovation, mais cela peut l'être dans d'autres domaines. Est-ce que les zonages doivent forcément être déterminés depuis Paris ? Les expériences du Pinel breton permettant d'imaginer des dispositifs de soutien à l'opération ne pourraient-elles pas être reprises ? Je salue néanmoins la fin du dispositif, car il n'était pas suffisamment ciblé. Il avait le mérite de soutenir la promotion, mais je ne suis pas sûr que, d'un point de vue social et climatique, on en ait eu pour notre argent. Cela a permis de soutenir l'effort de construction, mais le ciblage méritait sans doute d'évoluer.

Vous évoquez la question du pilotage et de la coordination du dispositif. Le simple fait que vous soyez amenés à recevoir trois d'entre nous dans le cadre de cette commission d'enquête permet de mesurer qu'il existe des marges d'amélioration dans ce domaine.

Je plaide simplement pour qu'on tienne compte du fait qu'on passe d'un système à l'autre et qu'il y a aussi des améliorations que nous sommes en train de tester. L'organisation est particulière. Le Président de la République et la Première ministre ont souhaité avoir un ministère de la transition écologique qui englobe des secteurs très émetteurs - transports et logement - qui ont de grandes latitudes dans beaucoup de domaines, mais qui peuvent être rattachés sur la question de la planification, ce qui me vaut le plaisir d'être ici aujourd'hui.

Je pense que ce n'est pas une erreur d'avoir un ministère de la transition écologique en lien direct avec des ministères très émetteurs. Cela permet une forme d'unicité dans la vision et la planification. D'autre part, le contexte que nous connaissons depuis quelques mois avec la volatilité des prix de l'énergie et la hauteur de la marche en matière d'électrification, d'urgence de la relance du programme nucléaire et d'accélération des énergies renouvelables justifie pleinement une ministre en charge de ces questions.

Il existe un coordinateur gouvernemental. Les contacts sont constants. On a sans doute besoin de davantage de coordination, mais le pilotage de la transition écologique au sens large est forcément collectif.

J'ai échangé avec le ministre Roland Lescure à propos de la question de la fabrication des pompes à chaleur. De la même manière, on ne peut pas négliger les constructeurs automobiles, les collectivités locales gestionnaires de réseaux de transport de proximité, les régions qui gèrent les TER ou les pistes cyclables qui permettent de favoriser les mobilités actives. On est, par définition, très imbriqué dans ces sujets.

Il faut parfois une logique de chef de filât ou de chef d'orchestre, mais on ne peut résumer l'orchestre de la rénovation énergétique à une personne. Ce n'est pas possible. On a besoin de partenaires. J'ai évoqué l'Ademe, mais il y en a d'autres.

M. Franck Montaugé. - Monsieur le ministre, quelle forme concrète pourrait prendre la planification aux différents niveaux que vous avez évoqués, jusqu'au niveau territorial des communes ou des EPCI ? Avez-vous dans l'idée de contractualiser avec ces différents échelons territoriaux par rapport aux objectifs qui doivent être atteints, eu égard à la question du logement et autres aspects que vous venez d'évoquer à l'instant ?

Par ailleurs, le contenu du plan d'action est-il aujourd'hui cerné autour des différentes thématiques qui ont un effet sur les objectifs à atteindre ?

M. Christophe Béchu, ministre. - J'ai réuni toutes les associations d'élus le 11 mai dernier et je leur ai présenté, avec le secrétariat général à la planification écologique (SGPE), la feuille de route globale de la planification en leur expliquant qu'il allait falloir trouver comment atterrir, ces associations étant concernées par la moitié des cases.

Certaines ont besoin d'argent, d'autres d'une délégation de compétences. Dans d'autres cas, il faut discuter. J'ai demandé au représentant de l'Association des maires de France (AMF), sur la partie stockage de carbone, de nous aider à défendre les haies afin de les sanctuariser dans le cadre des plans locaux d'urbanisme. On les subventionne, on sait que c'est une forme de forêt en termes de stockage. Si on n'a pas les moyens de s'opposer à une opération de démembrement ou de remembrement, on n'a pas de levier permettant de préserver un investissement qui s'inscrit dans une stratégie de planification.

M. Franck Montaugé. - Le monde de l'agriculture est partie prenante du sujet !

M. Christophe Béchu, ministre. - Bien sûr. Je vous apporte ici le témoignage de ce que me dit l'AMF. Cela ne veut pas dire que cela se fait en opposition aux Safer ou aux chambres d'agriculture qui, dans beaucoup de cas, sont sur la même ligne. J'ai eu l'occasion d'échanger avec le ministre Marc Fesneau il y a quelques jours. Non seulement il ne s'y oppose pas, mais il se demande même comment on pourrait éviter trop d'allers-retours sur ces sujets. Je ne voulais pas ouvrir ici un débat sur les haies, mais donner cet exemple pour montrer que cela va plus loin.

Je pense que les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) pourraient être la bonne échelle de planification. On en a un peu plus de 1 000. On pourrait discuter de leurs ambitions et les décliner dans les différents domaines. La rénovation est évidemment un levier très important, mais on aura aussi besoin des collectivités en matière de transport et de stockage, de lutte contre l'étalement urbain.

J'aurai le grand bonheur d'échanger avec le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires en sortant de cette audition pour discuter du texte qui arrive au Sénat, en commission la semaine prochaine et dans l'hémicycle dans quinze jours. Rendre le dispositif applicable et tenir l'objectif de diviser par deux la consommation d'énergie est crucial pour tenir la ligne de la planification écologique au sens large.

Je pense qu'il existe des marges. Par exemple, nous n'avons pas eu le temps de l'évoquer, mais il y aura la question de la fiscalité du zéro artificialisation nette (ZAN). Il faudra qu'on donne les moyens aux maires de renchérir le coût de l'artificialisation, parce qu'on ne peut pas seulement raisonner en termes d'argent public pour dépolluer les friches s'il est plus coûteux de s'y attaquer plutôt que de faire en sorte de limiter une partie de l'impact.

Je vais aller plus loin : je pense qu'il faudrait baisser la taxe sur le foncier non bâti. L'agriculture va globalement devoir se passer d'une partie des intrants et faire face à des difficultés de ressources. Plus le niveau de l'impôt est fort, plus on incite à aller vers des rendements élevés. Sans être dans une logique de décroissance, je pense qu'il ne serait pas stupide d'avoir une réflexion sur le foncier non bâti si on veut soutenir une agriculture de production qui permet de favoriser les produits courts.

Tout le chantier de la transition fiscale et la manière dont on le connectera aux CRTE sont devant nous. On ne pourra pas continuer à raisonner de manière française sur la question des poids lourds qui viennent sur une partie de notre territoire et qui, ne payant pas la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), qui sert à assurer l'entretien des infrastructures, ne participent pas au financement de la décarbonation rendu possible par l'Agence de financement des infrastructures de transport (Afit).

Je ne veux pas ouvrir tous les débats, mais simplement dire que, lorsqu'on commence à tirer le fil de la planification, il faut ouvrir ce sujet. Je crois aux CRTE et je crois au fonds vert. Il faut en établir un véritable bilan et, idéalement, en augmenter le montant pour le connecter à ce projet. Il a certainement des défauts et il faudra qu'on vérifie qu'il n'y a pas eu trop d'applications disparates sur le territoire, mais le montant de crédits demandé, de 4,2 milliards d'euros, qui génèrent 17 milliards d'euros d'investissement dans la transition écologique au sens large, exactement la hauteur de la marche qu'il faudrait que les collectivités assurent, comme l'expliquent les think tanks, permet d'avoir une idée des effets de levier sur lesquels on peut jouer.

C'est aussi un angle nouveau, pour lequel nous faisons confiance aux collectivités locales en mettant les crédits et en demandant ensuite aux préfets de regarder quelle est la bonne porte en matière de biodiversité et de rénovation, sans en ouvrir autant que de sujets.

Je pense qu'on a besoin de ce message de confiance, car il permet à nos concitoyens de s'approprier ces enjeux de transition. Je n'évacue pas la question du fonctionnement. Ne mesure-t-on pas qu'il peut y avoir un besoin d'ingénierie spécifique dans le plan climat-air-énergie territorial (PCAET) ou dans les dispositifs de soutien ? C'est une certitude. Cela doit-il passer par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), les agences, France services, les opérateurs de l'État, ou prendre la forme d'un soutien direct ? Ce sont des choix dont on peut discuter.

Je suis frappé par la capacité d'un hémicycle à s'invectiver - nettement moins ici qu'à l'Assemblée nationale - en faisant comme s'il était scandaleux que tout n'aille pas plus vite. Qu'on me cite un pays au monde qui, aujourd'hui, en termes de lutte contre le dérèglement climatique, a trouvé le bon tempo, à part le Costa Rica, dans un contexte très différent et avec un pays dont la taille est très différente de la nôtre ! Ce n'est pas comme s'il existait un exemple à suivre à l'échelle de la planète. Dans certains domaines, des pays font mieux que nous. Dans d'autres, c'est nous qui faisons mieux qu'eux. Aujourd'hui, tout le monde cherche le chemin.

Le gouvernement allemand qui vient d'autoriser 144 projets routiers au grand dam de son aile verte, en expliquant qu'il fallait tenir compte d'une partie de l'aspect social, a temporisé sur la partie gaz, là où le calendrier était assez ambitieux pour aller vers une diminution du parc.

Le Royaume-Uni qui, à bien des égards, n'est pas un exemple, est un modèle en matière d'éolien offshore. Ils ont vraiment réussi, sous l'impulsion de Boris Johnson, à aller très loin.

Il y a des exemples dont on peut s'inspirer dans les pays scandinaves, mais il n'existe pas aujourd'hui de matrice pour dire ce qu'il conviendrait de faire, et les pays dans lesquels des écologistes sont aux responsabilités ne font pas en moyenne mieux que ceux dans lesquels il n'y en a pas.

M. Franck Montaugé. - Je suis étonné de votre réponse. Les données scientifiques mesurent de mieux en mieux les phénomènes et les impacts.

Je m'interroge sur la mobilisation des parties prenantes dans les territoires. Je pense qu'il faut indiquer des objectifs clairs en matière de consommation d'énergie, en tonne équivalent carbone économisée ou en trajectoire d'émission carbone. Il faut des objectifs parlants pour les élus qui vont être en charge de faire vivre ces contrats et de mener l'action, mais c'est tout aussi utile, voire davantage, pour les citoyennes et les citoyens français. Il est nécessaire d'embarquer tout le monde. C'est absolument fondamental pour la réussite finale du plan.

C'est le sens de la question que je vous posais par rapport aux indicateurs qui nous serviront à réaliser le suivi de l'action et de son efficacité.

M. Christophe Béchu, ministre. - J'ai compris votre question comme étant la suite de la planification au sens large et du dialogue global avec les élus, tous secteurs confondus.

Mais revenons-en à la rénovation. Il existe bien sûr beaucoup de données. On a d'abord toutes celles qui permettent d'arrêter les pseudo-débats sur le fait de savoir s'il y a ou non un dérèglement climatique. Il n'y a pas de sujet : il est causé par l'homme ! Je le dis car certains reconnaissent le changement climatique, mais estiment maintenant qu'il s'agit d'un phénomène cyclique et naturel.

Je vous invite à lire le dernier rapport de la Fédération Jean Jaurès sur le complotisme : selon 41 % des sondés, le dérèglement climatique sert de prétexte pour restreindre les libertés des peuples.

Nous disposons d'énormément de données. Nous pouvons en fiabiliser deux ou trois. Je ne veux pas esquiver le sujet lié au DPE. Il peut arriver que, faute de formation, il existe des écarts. On devrait améliorer la situation dans les semaines qui viennent. Il reste deux sujets, l'un sur les petits logements avec des soupentes et l'autre sur les logements en altitude, pour lesquels les données scientifiques peuvent semer le trouble alors qu'il est difficile de changer de classe.

Il faut se méfier de la généralisation de certains processus qui sont simples, comme l'isolation par l'extérieur, notamment pour des maisons en pierre, où l'on peut produire de la condensation intérieure. Il faut tenir compte des matériaux utilisés, de la réalité du site sur lequel on se trouve. Il faut parfois réintroduire un peu de subtilité.

Sur le fond, mon rêve est que l'on compte en carbone et, en tant que ministre de la transition écologique, que la planification débouche un jour sur un budget carbone, sur un amendement d'irrecevabilité climatique, une sorte d'article 40 - sans lien avec l'actualité à l'Assemblée nationale. On pourrait considérer qu'un texte qui propose une augmentation des émissions doive faire l'objet d'une compensation ou d'une justification solide pour lever le gage. Je pense qu'on aurait intérêt à publier des chiffres tous les mois si l'on veut s'apercevoir de difficultés en cours d'année et établir une sorte de budget climatique rectificatif pour aller rechercher du carbone là où on n'en a pas trouvé.

Je suis tout à fait prêt à aller plus loin, mais basons cela sur la science, avec des éléments objectifs, pas uniquement une comptabilité en euros, et en passant un pacte avec les collectivités locales.

Mme Sabine Drexler. - Monsieur le ministre, en Alsace, mais aussi ailleurs en France, les propriétaires bailleurs réalisent des travaux d'isolation et appliquent sur des maisons en pierre ou à pans de bois des techniques et des matériaux inadaptés qui vont conduire à une altération définitive de ce type de bâti.

Il ne s'agit pas uniquement du patrimoine monumental, mais aussi du patrimoine résidentiel, des maisons à colombage, des petits hameaux du Massif central. Beaucoup pensent bien faire, mais la majorité des acteurs ne sont pas informés des caractéristiques propres à ce type de bâti.

D'autres renoncent à engager des travaux, parce que c'est trop compliqué ou qu'ils n'ont pas l'argent pour le faire. Les maisons sont délaissées et se dégradent très vite. Les promoteurs cherchent alors à acquérir les terrains et démolissent ces maisons. Je crains que le ZAN accentue ce phénomène, avec une banalisation de nos régions et la disparition du patrimoine bâti.

Nous étions hier au Parlement européen, à Bruxelles. On nous a parlé d'une possible flexibilité pour le patrimoine dans les directives à venir. De quel type de patrimoine parle-t-on ? Il est très important de ne pas oublier ce petit patrimoine qui fait la France. Ne faut-il pas passer par une identification de celui-ci, voire une inscription dans les documents d'urbanisme ?

Une autre de mes questions porte sur les matériaux spécifiques à ce type de bâti, biosourcés, locaux, qu'on utilisait lorsqu'on a construit ces maisons. Où en est-on des normes si on veut pouvoir développer l'isolation du bâti résidentiel ancien avec ce type de matériaux ?

Enfin, ne faudrait-il pas s'accorder un temps pour créer une sorte de DPE adapté au bâti ancien, qui prendrait ses spécificités en compte ? Je pense par exemple à l'inertie ou au confort d'été.

M. Christophe Béchu, ministre. - Il me semble que vous avez auditionné il y a quelques jours un architecte des Bâtiments de France, Gabriel Turquet de Beauregard, accompagné d'associations du patrimoine. Je l'ai moi-même reçu au ministère pour avoir une discussion. Il m'a indiqué que j'allais recevoir ses préconisations sur le DPE, le bâti ancien et les matériaux à la fin de cette semaine.

J'ai demandé qu'on m'aide à y voir plus clair afin d'éviter de trop normaliser les choses et tenir compte de cette spécificité, en particulier parce que l'isolation par l'extérieur risque de faire disparaître nos façades et pose donc une difficulté. Cela en soulève d'autres, parfois dans des secteurs qui n'ont pas forcément beaucoup d'intérêt, comme l'impact éventuel que cela peut avoir sur la rupture des alignements de façades voire, dans certains secteurs où on a calculé les choses au plus juste parce qu'on a hérité de rues étroites, quelques conséquences sur les largeurs disponibles par rapport à d'autres obligations touchant les personnes à mobilité réduite (PMR). Je ne dis pas que c'est la norme, mais il faut qu'on fasse très attention à ne pas se retrouver face à des logiques qui se télescopent.

Je ne peux cependant pas être d'accord avec une partie de ce que vous dites. Il ne faut pas accuser le ZAN de tous les maux. Je crois à vrai dire exactement l'inverse. Je pense que si l'on ne préserve pas notre patrimoine naturel, on aura du mal à valoriser notre patrimoine tout court.

Ce qui fait la beauté de nombre de coins de France, ce sont les vides qu'on a été capable de préserver. Je ne suis pas certain que les quarante dernières années soient celles qui aient marqué le génie du patrimoine français. Je pense que les endroits les plus nobles ne sont pas toujours les moins denses. Des alignements de façades sont parfois plus majestueux que des pavillons entourés par des jardins de 1 500 m2. Je comprends le souhait de beaucoup de nos concitoyens d'y vivre, et ce n'est absolument pas une critique, mais une remarque par rapport à la question du patrimoine et de la rénovation.

On peut discuter de l'impact du ZAN sur le prix. C'est objectif, et c'est un débat que je comprends. On peut discuter de la difficulté de le mettre en oeuvre en fonction des trajectoires et des évolutions, mais je pense que, s'agissant de la question de la rénovation, le débat n'est pas crucial. Si on soulève de faux débats, on aura du mal à se concentrer sur les vraies réponses.

Nous avons des marges d'amélioration concernant le patrimoine, mais je suis frappé de voir que, s'agissant des passoires énergétiques, on a tendance à oublier les locataires. On plaint le propriétaire qui va devoir faire des travaux, faute de quoi il ne pourra plus louer sa passoire énergétique. Je le comprends, mais je suis parfois choqué que l'on fasse comme s'il n'y avait personne dans le logement, alors que les prix du chauffage ne cessent d'augmenter parce qu'un minimum de travaux d'isolation n'a pas été réalisé. Après tout, ce patrimoine peut malgré tout se vendre, et d'autres feront peut-être les travaux. Cela s'inscrit dans une logique qui permet de ne pas figer la situation.

Vous avez pleinement raison sur le fait qu'il faut faire attention à ne pas se focaliser uniquement sur le grand patrimoine. Le petit patrimoine participe du charme de notre territoire. A-t-on suffisamment inscrit ou classé le patrimoine dans un certain nombre de secteurs ? Tout le débat que l'on a sur la rénovation énergétique doit aussi reposer sur la fréquence d'utilisation. Une église qui est une passoire thermique ou énergétique ne fait pas l'objet d'un usage quotidien. L'investissement n'est donc écologiquement pas souhaitable par rapport aux matériaux et au montant financier nécessaire. Concentrons-nous sur les logements occupés par des gens modestes. C'est la priorité absolue, sans insulter l'avenir.

Mme Sabine Drexler. - Je suis totalement d'accord avec vous pour ce qui est du ZAN, qui peut constituer une magnifique opportunité pour le patrimoine si on le réinvestit comme il faut, mais en Alsace, on a détruit une maison au nom du ZAN. Je pense qu'il faut rester vigilant.

Mme Daphné Ract-Madoux. - Je voudrais revenir sur la question de la prise en compte de la réversibilité immobilière et urbaine ainsi que de la surélévation, corollaires du ZAN et de l'objectif de rénovation des bâtiments. Les professionnels nous en ont parlé tout à l'heure.

La question de la réversibilité, qui figure dans nos textes actuels et dans le code de l'urbanisme, est trop peu prise en compte pour permettre l'accélération des PLU et des permis de construire avec des usages évolutifs. Ce qu'on est capable de faire sur les bâtiments des JO 2024, on doit pouvoir être capable de le faire de manière plus large, mais il faut accélérer.

L'inflation des règles, la question assurantielle ou celle de la certification technique freinent également les choses. Les matériaux biosourcés, par exemple, permettent de répondre à deux objectifs, la décarbonation du secteur de la construction et le confort énergétique. L'entreprise Qarnot, qui chauffe les bâtiments grâce à la chaleur émise par les données numériques, a mis du temps à obtenir les certifications lui permettant de développer un système adapté aux entrepôts, aux entreprises et aux logements collectifs. L'homogénéisation des règles en matière de réglementation incendie doit aussi permettre la réversibilité dans les bâtiments et les matériaux.

Enfin, pour pouvoir conserver nos puits de carbone, il faut renforcer selon moi les moyens à la disposition des collectivités. Une fois que des arbres et des haies sont coupés, les maires ont trop peu de moyens pour être efficaces dans ce domaine.

M. Christophe Béchu, ministre. - Je n'ai aucun désaccord avec ce qui vient d'être dit. Il existe, en particulier sur les matériaux biosourcés, des injonctions contradictoires. Le dépérissement de la forêt, qui s'accélère sous l'ampleur du dérèglement climatique, conduit à ce que nous ne soyons pas au rendez-vous en matière de stockage.

Pourtant, la forêt progresse, mais d'une manière qui n'est pas organisée. Dès lors, cela ne permet pas le stockage. Il faut donc réaliser un stockage dans les meubles ou dans les structures.

En ce moment, un des sujets porte sur la réglementation incendie des immeubles à l'intérieur desquels on trouve une part de bois prépondérante. Des discussions ont lieu cette semaine pour éviter de se placer dans la même logique qui conduisait, il y a encore trois mois, à estimer qu'il fallait de l'eau potable au fond des toilettes au nom d'une sorte de principe de précaution qui fait qu'on ne bouge rien. Penser qu'on affrontera ce qui arrive sans rien changer est pure folie. Là encore, il faut trouver le bon équilibre.

S'agissant de la réversibilité, la loi Climat et résilience a posé un principe qu'elle s'efforce de favoriser en insistant sur la potentialité. On n'a pas encore le bon réflexe. Pourtant, cela devrait profondément changer une partie de ce que nous faisons. Un des meilleurs exemples est celui des parkings souterrains, qui ont été longtemps la norme, et qui présentent quelques inconvénients, en particulier en matière d'artificialisation du sous-sol et par rapport aux conséquences que cela peut avoir vis-à-vis du géothermique. À l'inverse, le rez-de-chaussée à usage de parking qui peut être transformé s'il y a un jour moins de voitures est un modèle qui a une certaine utilité.

La mauvaise foi qui consiste à faire porter le coût de la réversibilité sur un équipement destiné aux voitures peut freiner les choses. Il faut le faire entrer dans les têtes et être capable d'expliquer que la réversibilité est une forme d'assurance contre une mauvaise adaptation. Je pense que cela fait sens.

Je ne reprendrai pas l'exemple de Qarnot. Le fait de s'appuyer sur de telles entreprises est un sujet extrêmement important en termes de rénovation des logements.

Enfin, 3 millions de mètres carrés de bureaux sont disponibles, même si certains maires ne voient pas nécessairement d'un bon oeil l'abandon de mètres carrés par rapport au rendement de la cotisation foncière des entreprises. Les bâtiments ne sont en outre pas forcément adaptés, et il peut exister une difficulté fiscale pour l'entreprise qui possède ces bureaux compte tenu de la valorisation.

Quant à la surélévation, elle représente un véritable enjeu, mais on n'est plus tout à fait dans la rénovation au sens large. On se rapproche au contraire de la forme urbaine et d'autres questions de ce type.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Si ce n'est, monsieur le ministre, qu'on est quand même dans la rénovation énergétique, ne serait-ce que pour les copropriétés. Un projet de surélévation peut permettre de trouver des fonds qui vont permettre aux copropriétés d'engager la rénovation énergétique de leurs logements. C'est dans cette perspective qu'on a débattu avec les professionnels de l'immobilier.

M. Christophe Béchu, ministre. - Je n'ai aucun tabou sur le sujet. Je suis intimement convaincu que cela peut être la bonne solution dans certains endroits. La difficulté vient plutôt des vis-à-vis et du contexte urbain, ainsi que la nature technique du bâtiment. En revanche, cela permet de diviser la charge par un nombre de mètres carrés plus grand et d'avoir une réserve d'urbanisation.

De toute façon, nous ne pourrons pas faire l'économie d'une réflexion sur le vote des travaux de rénovation en copropriété. Dans le cadre de la loi d'orientation des mobilités, quand il s'agit d'aller poser des bornes de recharge, le principe de la majorité s'apprécie de manière différente. Je m'interroge sur le fait de savoir dans quelle mesure il ne faudrait pas assouplir les possibilités de vote pour permettre la rénovation énergétique.

Cela pose une difficulté potentielle, celle des niveaux d'avance souhaitables par rapport à l'hétérogénéité des situations des propriétaires. Il faut simplifier le vote pour avoir une majorité plus simple, mais il faut aussi qu'une sorte d'avance puisse être versée à la copropriété pour éviter que certains ne doivent sortir des sommes qu'ils n'ont pas.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - On peut accorder un prêt collectif aux syndics de copropriété.

M. Christophe Béchu, ministre. - C'est ce que je pense, et je vais plus loin : la difficulté vient du fait que le refus de la copropriété de réaliser certains travaux peut empêcher le changement de classe de certains biens. Le propriétaire d'un appartement au nord, au rez-de-chaussée, pourra faire tout ce qu'il veut, il va se retrouver face à une déperdition potentielle de son bien le jour où il le vendra, son étiquette énergétique conduisant à ce que l'acquéreur en profite pour faire baisser le prix. Je suis profondément démocrate : s'il existe une large majorité favorable et que les systèmes de vote empêchent de faire les travaux, il faut qu'on trouve quelque chose pour modifier cela.

M. Jean-Jacques Michau. - Monsieur le ministre, le DPE va certes devenir un thermomètre fiable et objectif dans les semaines à venir, mais aujourd'hui, cet élément n'engendre pas la confiance des personnes.

Par ailleurs, les propriétaires bailleurs de passoires énergétiques ont bien compris les enjeux, mais ce n'est pas le cas des propriétaires occupants qui, bien souvent, ne voient pas le retour sur investissement dans un délai raisonnable. Comment peut-on les inciter à réaliser des travaux, lorsque la copropriété compte des propriétaires bailleurs et des propriétaires occupants pour qu'ils n'en viennent pas aux mains lors des prochaines années ?

M. Christophe Béchu, ministre. - On a un sujet sur les droits de vote et la solvabilité. Le ministre délégué à la ville et au logement sera heureux de vous en parler et d'aborder le sujet des copropriétés dégradées. À certains égards, peut-être faudrait-il une agence nationale pour la rénovation des copropriétés, sur le modèle de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru).

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Pour faire le lien avec le DPE, quel est le calendrier ?

M. Christophe Béchu, ministre. - La feuille de route devrait être publiée à l'été 2023.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci beaucoup.


Source https://www.senat.fr, le 28 juin 2023