Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Olivier KLEIN, bonjour.
OLIVIER KLEIN
Bonjour.
NICOLAS DEMORAND
Et bienvenu à ce micro. Malgré un déploiement de forces spectaculaire, 40 000 policiers et gendarmes mobilisés, la nuit a été marquée par une nouvelle vague de violence en région parisienne, mais aussi à Toulouse, Nantes, Lyon, Vénissieux, Pau, Orléans, Marseille. 12 bus brûlés dans un dépôt à Aubervilliers ; à Roubaix, un incendie a ravagé un bâtiment industriel de La Redoute. Je m'arrête là. Question simple : quel bilan faites-vous de cette nuit ? A-t-elle été pire que la précédente ?
OLIVIER KLEIN
D'abord, je le rappelais, la tristesse et l'émotion du Gouvernement après la mort d'un jeune homme de 17 ans qui est les raisons de cette colère qui s'exprime. Oui, la nuit a été très difficile, il faut le reconnaître.
YAËL GOOSZ
Pire que la précédente ?
OLIVIER KLEIN
Probablement, en nombre de bâtiments attaqués, de mobilisation et en même temps il y avait une très forte mobilisation des forces de l'ordre que je salue, qui ont fait un travail difficile, des fonctionnaires, des élus locaux qui ont été présents sur le terrain.
YAËL GOOSZ
En nombre d’interpellés aussi ; on en compte 667.
OLIVIER KLEIN
Oui, il y a un nombre d'interpellations extrêmement important parce que la méthodologie de la police cette nuit était différente. Il y avait cette volonté maintenant de rompre avec cette spirale de la violence parce que la violence, elle est injustifiable. Oui, il y a de la colère, il faut l'entendre, il faut la comprendre ; mais les mots qui ont été ceux du Président de la République, de la Première ministre, de moi-même, en direction de la famille de Nahel, sont des mots justes. La Justice est en route. Le gardien de la paix, le policier a été mis en examen et placé en détention provisoire. Donc, moi, vraiment j'appelle au calme parce que la République a besoin de calme ; les quartiers populaires ont besoin de ce calme. N'allons pas prendre des risques d'avoir un nouvel accident. On ne peut pas casser son propre quartier : les bibliothèques, les écoles. C'est ce qui fait la force de ces quartiers, l’éducation, l’accès à la Culture.
NICOLAS DEMORAND
On va venir à ces différents points, mais factuellement, d'abord sur la nuit, des magasins, des supermarchés ont été attaqués et pillés. Qu'en est-il des bâtiments publics ? Y en a-t-il eu aussi et combien ?
OLIVIER KLEIN
Oui. Alors, on est encore en train d'évaluer. Il y a eu un nombre de bâtiments publics attaqués assez important, notamment des mairies, des commissariats, des polices municipales, et puis, à un moment dans la nuit, des attaques en direction de magasins, des pillages, donc des scènes inqualifiables. Je veux le redire, ce sont des scènes inqualifiables, injustifiables à ce titre.
YAËL GOOSZ
Y compris sur votre ancienne mairie ? Vous étiez maire de Clichy-sous-Bois ; y compris à Clichy-sous-Bois ?
OLIVIER KLEIN
Oui, y compris à Clichy-sous-Bois. Beaucoup d'événements ont eu lieu en Seine-Saint-Denis. La bibliothèque de Clichy a été abîmée cette nuit. Il y a eu des attaques en direction de la mairie, fort heureusement, sans dégradation importante. Mais ce n'est pas le plus important que ça se passe à Clichy-sous-Bois ; ça se passe partout. Et notre mobilisation, la mobilisation du Gouvernement pour que ça cesse, mais qu'en même temps, on reste attentifs à pourquoi ça a démarré, et respecter le deuil. Moi, c'est ça qui me paraît le plus important aujourd'hui ; respectons le deuil de cette famille. Et le deuil de cette famille passe par un retour au calme, la mobilisation de tous les adultes dans nos quartiers pour appeler à ce retour au calme.
YAËL GOOSZ
On poursuit sur le bilan de la nuit, bilan factuel, y a-t-il eu des blessés ?
OLIVIER KLEIN
Il y a eu 28 blessés cette nuit. Vous savez, on est encore tôt le matin. Il y a une cellule qui se réunit ; l’ensemble des chiffres seront donnés par le ministre de l'Intérieur dans quelques minutes. Mais oui, il y a eu des blessés, des blessés légers fort heureusement, parce que c'est aussi la crainte : un accident sur l'accident, on sait que ça pourrait avoir des conséquences encore extrêmement désastreuses.
YAËL GOOSZ
Il y a eu des consignes passées justement pour éviter le surincident et ne pas aller au contact de manière trop brutale de la part des forces de l'ordre ? Quelles ont été les consignes passées dans la nuit ?
OLIVIER KLEIN
Non mais la consigne, c'est toujours d'éviter d'avoir des jeunes qui sont blessés ou des policiers qui sont blessés. Les policiers ont fait un travail remarquable et difficile tout au long de la nuit. Donc oui, évidemment, la consigne de base c'est d'éviter qu'un jeune soit blessé et il y a des risques. C'est pour ça que moi, je suis extrêmement mobilisé sur ce retour au calme.
NICOLAS DEMORAND
En 2005, le Gouvernement VILLEPIN, lors des précédentes grandes émeutes de banlieue, le Gouvernement VILLEPIN avait attendu 12 nuits de violences urbaines pour déclencher l'état d'urgence dans 25 départements dont toute la région Ile-de-France. C'était une première depuis la guerre d'Algérie. Hier, des appels à déclencher l'état d'urgence, sans délai, ont été mis à droite par Eric CIOTTI ; à l'extrême-droite par Eric ZEMMOUR. Que leur répondez-vous sur ce point ?
OLIVIER KLEIN
Ce n’est pas le temps de la polémique. Ce qu'il faut, c'est regarder quel est le plus utile pour le retour au calme ? Moi, je crois à la responsabilité des adultes dans ce moment, des parents, des élus locaux, des associations. Et puis ensuite, on verra quels sont les meilleurs moyens pour atteindre ce retour au calme.
YAËL GOOSZ
Pourquoi ce n'est pas le bon moyen d'y revenir au calme, un état d'urgence ?
OLIVIER KLEIN
Mais parce que c'est d'abord un aveu d'échec. Enfin, c'est mon sentiment. Et donc, on a aujourd'hui, je crois, encore d'autres pistes mais si...
YAËL GOOSZ
Lesquels ?
OLIVIER KLEIN
Parler, convaincre que l'action du Gouvernement permet ce retour au calme. La colère, elle est entendue et elle est entendable. Mais cette colère ne doit pas se retourner contre son propre quartier. Qu'est-ce qu'on gagne ? Qu'est-ce que les enfants de Clichy-sous-Bois qui ont utilisé cette bibliothèque depuis des jours pour préparer leur baccalauréat, leur brevet des collèges, ont gagné à ne pas pouvoir y retourner dès cet après-midi pour continuer à travailler ? Donc moi, je le dis et ça sera évidemment le sens. Et cet après-midi, les élus locaux vont continuer à travailler partout en France, j’en suis certain, pour parler.
NICOLAS DEMORAND
L'état d'urgence n'est pas sur la table pour le moment ?
OLIVIER KLEIN
Ecoutez, c'est de la responsabilité du Président de la République et de la Première ministre et de nous tous, avec le ministre de l'Intérieur, de réfléchir aux meilleurs outils. On verra comment les choses évoluent dans les jours qui viennent.
YAËL GOOSZ
Toute la journée d’hier, Olivier KLEIN, vous, les ministres, les membres du Gouvernement, vous avez défié devant des bâtiments publics pris pour cible pendant les émeutes. Par exemple, Eric DUPOND-MORETTI qui était à la prison de Fresnes ; Elisabeth BORNE devant la mairie incendiée de Garges-lès-Gonesse. Le message c'était de ne pas vous tromper de cible. Mais le message n'a pas été entendu. Donc vous dites " nous, on fait l'effort de l'apaisement, mais derrière ça ne suit pas. "
OLIVIER KLEIN
Mais, oui, on ne peut pas dire que cette nuit a été calme. Mais pourquoi ? On ne peut pas renoncer à cet objectif normal de retour au calme. Et j'appelle à la responsabilité de tout à chacun. Aujourd'hui, on ne peut pas avoir un discours qui est autre que celui-là.
YAËL GOOSZ
Même après deux nuits d'émeutes et autant de dégâts ?
OLIVIER KLEIN
Mais parce qu’on ne va pas renoncer et on va continuer, on va travailler à avoir ce retour au calme. On va continuer à mobiliser les forces de police qui font un travail remarquable. On va continuer à mobiliser les médiateurs dans nos quartiers, les associations. Moi, j'en appelle aux parents à Clichy et ailleurs, on a vu des jeunes, très jeunes, dans nos quartiers, en train de s'attaquer aux équipements publics ; d'abord, se mettre en danger eux-mêmes, mettre en danger la police. Et donc moi, j'en appelle à la responsabilité de tout à chacun et les parents : aucun enfant ce soir, aucun jeune ce soir dans la rue. Oui, mais cet état d'urgence, c'est le nôtre, c'est à nous de…
NICOLAS DEMORAND
Et donc il faut un couvre-feu partout si on vous suit.
OLIVIER KLEIN
Mais à un couvre-feu, c'est d'abord est-ce qu'on est capable de le faire appliquer, de le faire respecter ? Et est-ce que ça ne donne pas envie d'avoir une espèce de surenchère ? Donc, trouvons les bons moyens, les moyens de l'apaisement. Et moi, j'y contribue, avec l'ensemble des élus locaux, on va rencontrer dans le cadre du conseil interministériel de la ville, en fin de matinée, des élus, des militants associatifs. Ce conseil interministériel de la ville était prévu et ça sera encore un temps d'échange et de réflexion sur ce qui est le meilleur moyen pour aller vers ce retour au calme.
NICOLAS DEMORAND
Là, encore factuellement, l'hypothèse de couvre-feu, au pluriel, est sur la table, Olivier KLEIN ?
OLIVIER KLEIN
J'ai vu que, dès hier, des maires l'ont proposé. On va échanger…
YAËL GOOSZ
Ce n’est pas un niveau supérieur ?
OLIVIER KLEIN
On va échanger avec les préfets pour voir qu'est-ce qui leur est utile pour maintenir le calme.
NICOLAS DEMORAND
Aujourd’hui ?
OLIVIER KLEIN
Et des décisions seront prises aujourd'hui en fonction des quartiers et des moyens souhaités par les préfets, les élus locaux, pour accompagner ce nécessaire retour au calme.
NICOLAS DEMORAND
Dans la nuit de mercredi à jeudi, on l'a beaucoup dit, les violences et les dégradations ont visé des lieux symboliques, des services publics, à Garges-lès-Gonesse, Yaël en parlait, c'est la mairie qui a été incendiée, des écoles ont été visées, des postes de police sur tout le territoire, écoles, commissariats, mairies, pour vous, Olivier KLEIN, qu'est-ce que cela dit, c'est une rupture avec l'Etat ?
OLIVIER KLEIN
Moi, je crois d’abord qu’on ne peut pas laisser penser qu'on n’a rien fait dans ces quartiers, j'entends trop depuis quelques jours la politique de la ville, ça ne marche pas, dans ces quartiers, on a beaucoup investi, le gouvernement précédent, la politique de la ville, elle a 40 ans, mais néanmoins, je crois qu'on n'a pas investi assez vite, on a aussi des populations qui changent, on le sait, dans ces quartiers, les populations, quand elles vont mieux, elles quittent ces quartiers, et donc, on a cette nécessité à donner envie aux habitants des quartiers populaires d'y rester, parce que ceux qu'on accompagne, qui vont mieux et qui quittent ces quartiers, eh bien, sont toujours remplacés par des populations plus difficiles, plus fragiles, et qui sont impatients, à juste titre, de voir les choses changer pour eux. La bibliothèque de Clichy-sous-Bois qui a été abîmée cette nuit, c'est une bibliothèque qui a été refaite grâce à l'argent de l'Agence nationale du renouvellement urbain, grâce à l'argent de la région, donc on investit en permanence, on a inauguré un conservatoire à Garges, on a une inauguré Le Cube, qui est un magnifique équipement culturel, donc on fait des choses, mais il reste une rancune, parce que les choses ne vont pas assez vite, parce qu'on a le sentiment quand on habite dans ces quartiers d'être discriminé, et ça aussi, ça fait partie des enjeux que le président de la République a commencé à détailler à Marseille, cette lutte contre les discriminations, le testing, pour qu'on se sente complètement au coeur de la République quand on habite un quartier populaire.
YAËL GOOSZ
Et pourtant, Olivier KLEIN, la politique de la ville est souvent considérée comme l'angle mort de la politique d'Emmanuel MACRON, par de nombreux élus, par de nombreux acteurs du secteur, on se souvient du grand coup de gueule de Jean-Louis BORLOO en 2018, quand le président avait enterré son plan pour les banlieues, en 2017, sa promesse, c'était un projet d'émancipation pour les quartiers populaires, son ennemi c'était, c'est toujours, l'assignation à résidence, est-ce que vous avez le sentiment que l'assignation à résidence a reculé depuis 6 ans ?
OLIVIER KLEIN
D'abord, j'ai le sentiment qu'on a beaucoup fait pour les quartiers de depuis 6 ans, et franchement, je ne serais pas là si je n'avais pas ce sentiment-là, quand j'ai pris la présidence de l'ANRU en 2017, le gouvernement HOLLANDE avait mis 5 milliards, quand j'ai terminé mon mandat de président de l'ANRU, il avait 12 milliards, on a multiplié par plus de deux, les CP à 12, les CE1…
NICOLAS DEMORAND
Redites-nous, c’est les classes de CP…
OLIVIER KLEIN
Les classes de CP, les classes de CE1, les grandes sections de maternelle dédoublées, ça produit un effet fantastique sur l'apprentissage des enfants dans nos quartiers, les cités éducatives qui étaient au coeur du travail de de Jean-Louis BORLOO, ce moyen de faire travailler ensemble l'école, les associations, les clubs sportifs, l'Etat, comme dit Jean Louis, il, faut toute une ville pour élever un enfant c'est ça les cités, les cités éducatives, et ça marche ,et par exemple, dans les annonces du président de la République à Marseille, c'est la multiplication des cités éducatives dans toutes les villes où il y a un quartier en politique de la ville, on en avait 200, on en aura 600, parce qu'on sait ce qui marche, il faut aller plus vite, il faut aller plus loin. Et la politique de la ville, elle produit ses fruits, on ne peut pas penser que ça ne marche pas, parce que, on le voit, quand on est comme moi, un acteur de ce quartier, quand on y vit, on voit la différence, mais oui, il y a encore tellement à faire, et surtout, il faut que ça aille plus vite.
NICOLAS DEMORAND
Mais ce sentiment d'assignation à résidence, est-ce que vous pensez qu'il a reculé en 6 ans ?
OLIVIER KLEIN
D'abord, les quartiers populaires sont différents, c'est aussi le sens de ce que je porte dans Quartiers 2030, chaque quartier populaire doit avoir son action en phase avec la réalité de ce quartier, faire de la politique de la ville à Pissevin à Nîmes, ce n'est pas la même chose qu’aux Bosquets à Montfermeil ou à Mamoudzou à Mayotte. Et donc, ce qu'on veut, c'est construire du sur-mesure. Donc il y a des endroits où l'assignation à résidence a reculé, bien évidemment, et d'autres moins, notamment les grandes copropriétés restent des lieux d'assignation à résidence, parce que c'est les lieux… dans le règlement des grandes copropriétés dégradées qui accueillent les plus pauvres, on parle, on stigmatise trop souvent le logement social, le vrai lieu du problème aujourd'hui, c'est la copropriété dégradée qui accueille les plus fragiles…
YAËL GOOSZ
Et dans moins d’une heure, vous serez à Matignon, et non pas à Chanteloup-les-Vignes, comme c'était prévu initialement, Matignon qui accueille le comité interministériel sur la politique de la ville, avec un plan Quartiers 2030, eh bien, dites-nous ce qu'il y a dedans dans ce plan, qu'est-ce que vous allez en faire de cette réunion dans ce contexte très particulier d’émeutes urbaines ?
OLIVIER KLEIN
D'abord, dans ce contexte très particulier, cette réunion va être le moment pour continuer à échanger avec les élus, les associations actrices de la politique de la ville, de cette situation extrêmement difficile que l'on vit, au fond du coeur, je dirais, pour les acteurs de la politique de la ville. Donc d'abord, il va y avoir ce temps d'échanges pour réfléchir ensemble à ce qu'on peut faire, là, pour le retour au calme. Et puis, il y a ce grand plan Quartiers 2030 qui permet d'aller plus loin de ce que l'on a déjà fait, je parlais des cités éducatives, le président de la République l'a dit, la scolarisation précoce, je suis désolé de parler souvent d'école, mais tout commence par l'école, les collèges, les enfants, là, donc qu’on voit… le collège ouvert de 8h à 18h pour qu'il n’y ait pas des enfants en déshérence le soir après l'école, pour qu'on accompagne le devoir, qu'on soit en rupture avec les difficultés d'apprentissage des enfants de ces quartiers, et puis, un grand plan autour de l'emploi, de l'entreprenariat, parce qu’on croit à l'émancipation, à la lutte contre les discriminations, on croit à l'énergie de ces quartiers, et non seulement, on y croit, mais on aime ces quartiers, le président… nous étions à Marseille, il y a quelques jours, regardez les images, la manière dont le président de la République est accueilli dans ces quartiers, la manière dont on peut échanger, la manière dont il y a une énergie dans ces quartiers, et donc il faut accompagner cette énergie, donner les moyens aux jeunes des quartiers d'avoir la meilleure école possible, le meilleur et collège possible, et les moyens de l'émancipation, et puis, de trouver un emploi, et il y a cet appel aux entreprises, 5.000 entreprises qui vont accompagner les jeunes à trouver un emploi, 100.000 entrepreneurs dans les quartiers que l'on souhaite avoir, c'est un plan qui poursuit l'action de la politique de la ville, moi, je suis un ouvrier de la politique de la ville, je veux continuer cette action, l'amplifier, mais aussi dire que beaucoup a déjà été fait, mais ça reste difficile, on ne peut pas le nier, on voit ce qui se passe en ce moment dans nos quartiers, et on doit continuer à travailler ensemble.
Source : Service d’information du Gouvernement, le 30 juin 2023