Interview de M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice, à France Inter le 3 juillet 2023, sur la réponse judiciaire aux émeutes après la mort d'un jeune tué par un policier.

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Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
Eric DUPOND-MORETTI, bonjour.

LÉA SALAME
Bonjour.

ERIC DUPOND-MORETTI
Bonjour.

NICOLAS DEMORAND
Bienvenue à ce micro. Nous allons évoquer avec vous le projet de loi justice adopté par le Sénat il y a 15 jours, qui arrive aujourd’hui à l’Assemblée nationale, mais commençons évidemment par l’actualité de ces huit derniers jours en France, après la mort de Nahel tué par un policier à Nanterre mardi dernier le pays a connu six nuits d’émeutes urbaines, de tensions, de pillages, la nuit dernière, comme la précédente, a été plus calme, avec le maintien d’un dispositif policier de grande ampleur. Diriez-vous, Eric DUPOND-MORETTI, que nous assistons à une décrue et à un début de retour à la normale ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, mais il faut naturellement rester très prudent, il faut que nous soyons concentrés, que le gouvernement soit sur le pont, et il l’est, que le régalien réponde présent, que les forces de l’ordre, les magistrats, les greffiers, soient au rendez-vous des obligations qui sont maintenant les nôtres.

LEA SALAME
Mais vous dites il y a une décrue, c’est le début de la fin de cette poussée de fièvre, vous diriez ça ?

ERIC DUPOND-MORETTI
En tous les cas je l’espère fortement.

LEA SALAME
Dans la nuit de samedi à dimanche il y a eu cette attaque d’une exceptionnelle gravité qui a visé le domicile du maire de l’Haÿ-les-Roses, Vincent JEANBRUN, son épouse et l’un de ses deux jeunes enfants ont été blessés, une enquête pour tentative d’assassinat a été ouverte, c’est de ça qu’il s’agit, tenter d’assassiner un ému et sa famille ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Ah c’est en tous les cas la qualification qui pour le moment a été retenue par le procureur de Créteil, il s’en est d’ailleurs expliqué, il a fait une conférence de presse, un point presse, extrêmement clair, et je pense que pénétrer de cette façon dans un domicile, et puis toutes les conséquences qui s’en sont suivies, démontre à l’évidence, en tous les cas on peut le penser, et c’est ce que pense le procureur, qu’il y avait une volonté d’attenter à la vie.

NICOLAS DEMORAND
Le dispositif policier, je le disais d’un mot, est considérable depuis quelques jours, la droite demande l’état d’urgence, Marine LE PEN des couvre-feux sectoriels, faut-il maintenir le même niveau de dispositif policier cette semaine en dépit de la légère décrue que nous mentionnions ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui. Je pense que nous avons souhaité, sans écarter aucune possibilité, nous avons souhaité une gradation, donc forte mobilisation des forces de l’ordre et rendez-vous de la justice, notamment j’ai pris une circulaire…

LEA SALAME
Une circulaire, alors justement oui, cette circulaire parue vendredi, vous avez demandé une réponse judiciaire rapide, ferme et systématique à l’encontre des auteurs des violences, y compris…

ERIC DUPOND-MORETTI
Non, mais vous savez que la comparution immédiate qui au fond est la justice du flagrant délit est une justice toujours rapide, on n'a pas inventé une procédure, mais j'ai demandé des déferrements systématiques, j'ai demandé effectivement que les procureurs requièrent des mesures de sûreté de l'emprisonnement pour être clair.

LEA SALAME
Et ça a été le cas ce week-end ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Chaque fois qu'on s'en prend aux personnes, bien sûr, je rappelle qu'il y a beaucoup de blessés parmi les forces de l'ordre, parmi les élus, je rappelle qu’un vigile a failli brûler vif au tribunal de proximité d'Asnières, où je me suis rendu, que des agents pénitentiaires ont été victimes de tirs, et qu'ils ne doivent leur vie et leur salut qu'à l'épaisseur d'une vitre. Donc tout cela, ce sont des crimes et qui peuvent être qualifiés de cette façon, j'ai demandé une réponse ferme, et également, une réponse ferme pour les atteintes aux biens les plus graves.

LEA SALAME
C'est ça, c'est-à-dire qu'on l'a vu ce week-end, il y a même eu de la prison ferme pour certains jeunes qui n'ont pas de casier judiciaire et qui ont volé deux paires de baskets, et c'est ça que vous demandez aujourd’hui ?

ERIC DUPOND-MORETTI
C'est ça que je demande, mais nous ne nous asseyons pas sur les grands principes qui sont les nôtres, car vous savez que le juge du siège entend naturellement les réquisitions et qu'il a ensuite la possibilité, bien sûr, de personnaliser et de prononcer une peine au vu du parcours des uns et des autres.

LEA SALAME
Et de manière générale, le garde des Sceaux dit : je veux de la fermeté…

ERIC DUPOND-MORETTI
Ah oui, le Garde des sceaux dit très clairement : je veux de la fermeté, je veux également attirer l'attention des parents de deux façons d'abord, un discours qui est un discours de morale publique, Mesdames, Messieurs, faites attention à vos enfants, et un discours qui est un discours beaucoup plus dur, qui consiste à rappeler que, quand les parents sont d'une désinvolture telle qu'ils mettent en cause et en péril l'éducation des enfants, leur santé, leur sécurité, c'est une infraction qui est punie de 2 ans d'emprisonnement, de 30.000 euros d'amende.

LEA SALAME
Mais cet appel aux parents, ça a pu choquer certains, qui disent pourquoi vous pointez du doigt les parents, c'est souvent dans ces quartiers-là des familles monoparentales, c'est des mères seules, nul n'est. Exemplaire, même les gens ici autour de la table, parfois, ils peuvent faillir avec leurs enfants.

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, mais ceux qui poussent des cris d’orfraie n'ont pas entendu ce que j'ai dit, Madame SALAME, car j'ai dit bien sûr qu'il n'était pas question de rajouter de la misère à la misère, la maman qui travaille la nuit pour nourrir sa famille, il n’est pas question d'aller l'ennuyer, mais ceux qui en responsabilité peuvent, et c'est cela que j'ai dit, assurer l'autorité parentale et qui ne le font pas, soit par désinvolture, soit, et c’est pire, par intérêt, eh bien, je pense qu’il faut quand même qu'on leur rappelle un certain nombre de choses, et puis, voyez, il y a autre chose qu'il convient de rappeler, c'est que les parents, là, ça, c'est de la responsabilité civile classique, ils paient chaque fois que les enfants sont condamnés à indemniser, ce n'est pas les enfants qui paient, c'est les parents, donc il faut aussi qu'ils le sachent, et puis, on peut aussi attirer l'attention des parents sur le fait que la dégradation des services publics ou d'ailleurs des magasins, etc, etc, qui en sont les premières victimes, si ce n’est les parents ? Donc tout ça, il faut remettre, me semble-t-il, la pendule à l’heure.

NICOLAS DEMORAND
On était à plus de 3.000 interpellations dimanche matin, on s’approche du bilan des émeutes de 2005, il y avait eu 3.200 interpellations en flagrant délit, en 3 semaines d'émeutes, 3 semaines, si toutes les interpellations n'aboutissent pas à des poursuites, la justice risque-t-elle l'embolie, là ?

ERIC DUPOND-MORETTI
On a pour le moment, mais c'est évolutif évidement, 570 déferrements en 3 jours, mais vous savez, pour les chiffres, il y a toujours un décalage entre les interpellations, bien sûr, et les déferrements, décalage d'environ 48 heures, le président de la République qui, vous l'imaginez, suit les choses avec beaucoup d’attention, m'a demandé de lui donner les chiffres très précisément, ce que, demain, je serai vraisemblablement en mesure de faire. Pour le reste, la justice, elle est là, elle est présente, elle est sur le pont, je veux redire merci aux magistrats, aux greffiers, aux agents administratifs, aux avocats aussi, qui se sont organisés pour les comparutions immédiates.

LEA SALAME
Mais vous mettez des moyens supplémentaires, notamment en Ile-de-France où les tribunaux sont déjà totalement engorgés, la justice est à bout, on va y venir, de toutes les manières, aujourd'hui, quand ils traitent 150 gardes à vue pour la seule nuit de jeudi à vendredi, en Seine-Saint-Denis, 200 pour celle de vendredi à samedi, ça veut dire beaucoup, beaucoup de dossiers sur la table des magistrats, vous mettez une aide particulière ou non, il n’y en a pas ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, on permet les déplacements des juges placés, ce que d’ailleurs j’évoque dans ma circulaire, c’est un des aspects de la circulaire que nous n’avons pas évoqué, et puis, puisque vous me parlez des moyens, je voudrais dire, mais on en parlera dans un instant, que le projet de loi que je porte, il a pour but de renforcer les moyens de la justice, en personnels notamment, parce que la justice en a besoin.

NICOLAS DEMORAND
Cette colère, vous le savez, a surgi à la mort de Nahel, 17 ans, lors d’un contrôle routier, une mort qualifiée par Emmanuel MACRON lui-même d’inexplicable et d’inexcusable. Est-ce que vous comprenez cette colère, Eric DUPOND-MORETTI, et est-ce qu’il aurait pu en être autrement après la mort du jeune Nahel ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Enfin, d’abord, personne n’est insensible à la mort d’un gamin de 17 ans, un gamin de 17 ans à recevoir une balle dans le thorax, et mourir, enfin. Donc naturellement, ça suscite beaucoup d’émotion. Et dans cette émotion, il y a aussi de la colère. Mais c’est pour moi l’occasion de dire que piller un magasin, ça n’a rien à voir avec cette émotion. Et c’est devenu, comme l’a dit d’ailleurs la grand-mère de ce jeune garçon, un prétexte, et ça, c’est insupportable.

LEA SALAME
Un prétexte à quoi, à votre avis ? Un prétexte à quoi ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Un prétexte à piller, à dégrader des mairies, à dégrader le tribunal de proximité d’Asnières, de jeter un cocktail molotov dans le tribunal de Nanterre, d’aller dégrader une maison du droit à Rouen, de dégrader des commissariats, d’agresser des élus, etc, etc, etc.

LEA SALAME
Est-ce que ces violences sont à vos yeux la preuve du processus

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, on permet les déplacements des juges placés, ce que d’ailleurs j’évoque dans ma circulaire, c’est un des aspects de la circulaire que nous n’avons pas évoqué, et puis, puisque vous me parlez des moyens, je voudrais dire, mais on en parlera dans un instant, que le projet de loi que je porte, il a pour but de renforcer les moyens de la justice, en personnels notamment, parce que la justice en a besoin.

NICOLAS DEMORAND
Cette colère, vous le savez, a surgi à la mort de Nahel, 17 ans, lors d’un contrôle routier, une mort qualifiée par Emmanuel MACRON lui-même d’inexplicable et d’inexcusable. Est-ce que vous comprenez cette colère, Eric DUPOND-MORETTI, et est-ce qu’il aurait pu en être autrement après la mort du jeune Nahel ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Enfin, d’abord, personne n’est insensible à la mort d’un gamin de 17 ans, un gamin de 17 ans à recevoir une balle dans le thorax, et mourir, enfin. Donc naturellement, ça suscite beaucoup d’émotion. Et dans cette émotion, il y a aussi de la colère. Mais c’est pour moi l’occasion de dire que piller un magasin, ça n’a rien à voir avec cette émotion. Et c’est devenu, comme l’a dit d’ailleurs la grand-mère de ce jeune garçon, un prétexte, et ça, c’est insupportable.

LEA SALAME
Un prétexte à quoi, à votre avis ? Un prétexte à quoi ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Un prétexte à piller, à dégrader des mairies, à dégrader le tribunal de proximité d’Asnières, de jeter un cocktail molotov dans le tribunal de Nanterre, d’aller dégrader une maison du droit à Rouen, de dégrader des commissariats, d’agresser des élus, etc., etc., etc.

LEA SALAME
Est-ce que ces violences sont à vos yeux la preuve du processus de décivilisation qui est en œuvre en France, c’est en tout cas le mot qu’avait employé Emmanuel MACRON, est-ce que vous l’employez, vous aussi, est-ce qu’on vit un moment de décivilisation ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Il est certain que moment qu’on vit ce n’est pas un moment de pacification civilisationnelle, pardon, oui ça s’inscrit, c’est une des illustrations, à l’évidence, bien sûr, mais le président de la République a dit qu’après tout cela, parce qu’on ne peut pas traiter les choses dans l’urgence, d’abord rétablir l’ordre républicain, et ensuite, de façon minutieuse, aller voir de plus près ce qui se passe, parce qu’il y a des tas de choses qui se mélangent là, et bien malin est celui qui peut dire " c’est à cause de ça ou c’est à cause de ça ", voyez, " il y a qu’à, faut qu’on " fleurissent, mais attention, prudence, ça mérite un examen attentif, minutieux, pour que l’on puisse ultérieurement en tirer les conséquences, et comme notre président de la République n’a pas les deux pieds dans le même sabot, moi j’ai la certitude que ce travail sera fait. Il y a, si vous me le permettez, autre chose que je voudrais faire passer comme message, il me paraît très important, les gamins ils communiquent par Snapchat et ils ont la certitude qu’ils ne feront jamais prendre, bon !

LEA SALAME
Ah bah là c’est fini puisque vous avez dit on va aller les chercher derrière le téléphone portable.

ERIC DUPOND-MORETTI
Depuis 2021 il est possible d'aller chercher les adresses IP et donc les titulaires et on peut naturellement les poursuivre, et je veux le redire ici, parce que je veux que l'on entende que l'utilisation du téléphone portable ce n'est pas l'impunité et ça ne permet pas de tout cacher.

LEA SALAME
La mort de Nahel a rouvert la question de l'usage des armes à feu par les policiers, beaucoup demandent l'abrogation de la loi de 2017 et comparent la situation en Allemagne et en France, ils disent " en Allemagne il y a eu un seul tir mortel en 10 ans pour un refus d'obtempérer contre 16 en France depuis un an et demi ", qu'en pensez-vous, pensez-vous comme Yaël BRAUN-PIVET qu'il faut réexaminer cette loi ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Je pense, Madame, qu’il est toujours très mauvais de légiférer sous le coup de l'émotion, c'est ce que je viens de tenter de dire il y a un instant, la loi de 2017 qu'on appelle la loi Cazeneuve, certains la critiquent, moi je ne suis contre rien, je suis un ministre qui consulte beaucoup, on peut envisager pourquoi pas de la modifier, mais je pense que le temps n'est pas venu, la priorité, là maintenant, je le redis pour la troisième fois, c'est le rétablissement de l'ordre républicain et ensuite nous aurons une analyse totale, introspective s'il le faut, et nous en tirerons un certain nombre de conséquences.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 10 juillet 2023