Texte intégral
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, des dispositions restant en discussion du projet de loi visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces
(…)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.
M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics
Nous voici sur le point de franchir ensemble la dernière étape de l’examen de ce texte, après l’accord trouvé mercredi dernier par la commission mixte paritaire. Je remercie toutes celles et tous ceux qui ont rendu ce compromis possible et qui ont, durant les phases antérieures, contribué à enrichir ce texte.
Cet accord a été avalisé par le Sénat lundi et les sénateurs ont accepté six amendements de portée rédactionnelle, rédigés en collaboration avec les commissions des finances et des lois des deux chambres – j’y reviendrai.
Très largement adopté au Sénat à la fin du mois de mai, ce projet de loi a fait l’objet d’un vote à l’unanimité à l’Assemblée, le 21 juin dernier – c’est suffisamment rare pour être souligné.
M. Thibault Bazin
Eh oui !
M. Gabriel Attal, ministre délégué
Malgré les réserves exprimées par certains groupes, pas un seul député n’a voté contre. C’est pour moi, comme pour nos 17 000 douaniers, une très grande satisfaction.
Je remercie à nouveau toutes celles et ceux qui ont rendu possible ce vote unanime, en premier lieu les deux rapporteures, Mmes Nadia Hai et Élodie Jacquier-Laforge, qui ont conduit un travail remarquable en allant sur le terrain et en échangeant avec nos douaniers. Je remercie également les députés particulièrement investis sur ce texte – Sabrina Agresti-Roubache ou Mathieu Lefèvre par exemple. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.)
M. Sylvain Maillard
Très bien !
M. Gabriel Attal, ministre délégué
Je remercie évidemment le groupe Démocrate, notamment Christophe Blanchet, et le groupe Horizons.
M. Maxime Minot
Et nous ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué
Le texte ayant été très largement amélioré lors de son examen dans cet hémicycle et adopté à l’unanimité, je remercie les députés des oppositions, eux aussi particulièrement impliqués : Véronique Louwagie, Marie-Christine Dalloz, Émilie Bonnivard, pour les ajouts importants, notamment ceux liés à l’utilisation des voitures avant jugement ; M. Bouloux pour le groupe Socialistes et apparentés ; M. Léaument pour La France insoumise ; M. Sabatou pour le Rassemblement national ; Mme Regol, à l’origine de l’ajout d’une disposition très importante visant à sécuriser le recours à la procédure du coup d’achat douanier pour les espèces protégées.
Cela veut-il dire que nous sommes d’accord sur tout, ou que ce vote efface nos différences d’approche et de sensibilité ? Évidemment, non, mais cela signifie simplement que nous sommes capables de faire bloc lorsque la protection des Français est en jeu.
Voter ce texte, c’est tout simplement faire front uni derrière nos 17 000 douaniers, auxquels je veux rendre hommage. Voter ce texte, c’est soutenir celles et ceux qui servent l’État dans des conditions parfois très difficiles. J’apporte ici mon soutien aux policiers et aux gendarmes, comme à l’ensemble des forces de l’ordre, qui, ces derniers jours, ont lutté contre ceux qui cassent, qui brûlent, qui saccagent et qui pillent. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, RN, LR, Dem, SOC, HOR et LIOT.)
Tout au long de cet épisode, les douaniers ont été très mobilisés partout en France, même si l’on en a peu parlé. Ils ont participé au contrôle des matériels dangereux qui pouvaient alimenter les violences urbaines – mortiers, feux d’artifice, armes par destination. Ils ont également été mobilisés pour suppléer les forces de l’ordre dans leur mission de contrôle migratoire, leur permettant de se consacrer à l’urgence que constituait la sécurisation de la voie publique. Nous sommes avec eux, nous saluons leur courage et nous ferons tout ce qui est nécessaire – dans le cadre de la loi – pour maintenir l’ordre républicain.
En votant ce texte, vous donnerez à nos douaniers des outils supplémentaires pour lutter contre les trafics, mieux protéger nos frontières et, donc, mieux protéger les Français. Ce projet de loi, nos douaniers l’attendent car ils en ont besoin pour agir dans un cadre clair, et avec des moyens nouveaux. C’est le point d’aboutissement de mois de travail, en collaboration étroite avec les organisations syndicales, associées à chaque étape de l’élaboration du texte.
Nous avons également travaillé en lien permanent avec le Conseil d’État afin de nous assurer que l’équilibre trouvé est bien conforme aux exigences du Conseil constitutionnel. Il me semble que le compromis qui vous est soumis est le meilleur possible, entre efficacité opérationnelle et respect des libertés.
Oui, nous devons faire bloc derrière nos douaniers. Faire bloc, c’est d’abord leur donner les moyens d’exercer leurs missions. C’est l’objet du contrat d’objectifs et de moyens dont nous avons doté la douane pour 2022-2025. Ce contrat prévoit que la douane bénéficiera de plus de 148 millions d’euros supplémentaires et d’une garantie de stabilité de ses effectifs.
J’ai parfaitement conscience des critiques exprimées par certains groupes, notamment à gauche de cet hémicycle, sur les effectifs et sur la création de la réserve opérationnelle. Je le répète, il s’agit seulement de constituer une force d’appoint mobilisable lors d’événements exceptionnels. Regardez ce qui s’est passé pour la gendarmerie ou la police nationale : la création de réserves opérationnelles n’a absolument pas empêché la croissance des effectifs, bien au contraire.
Faire bloc derrière nos douaniers, c’est aussi sécuriser leur action sur le plan juridique. Je pense bien sûr au droit de visite. Les articles 1er à 5 du projet de loi assurent sa mise en conformité, par trois grands moyens.
D’abord, en inscrivant dans la loi les principes issus, au fil des années, de la jurisprudence de la Cour de cassation. Sont ainsi codifiés le caractère contradictoire des contrôles, l’interdiction de la fouille à corps et la limitation du maintien à disposition des personnes au temps strictement nécessaire aux opérations de visite.
Ensuite, le texte conserve une prérogative de contrôle étendue dans la zone frontière, que justifie la nature même des infractions douanières. Le droit de visite continuera à s’exercer sans modification dans le rayon des douanes, fixé à 40 kilomètres des frontières, ainsi que dans les ports, les aéroports et les gares ferroviaires et routières internationales.
Enfin, le projet de loi encadre le droit de visite à l’intérieur du territoire. Cette prérogative s’exercera désormais dans deux cas précis : sur le fondement de raisons plausibles de soupçonner que la personne contrôlée a commis une infraction douanière, ou après information préalable du procureur de la République – j’insiste : information, et non autorisation préalable, pour préserver la fluidité du travail des douaniers.
Nous avons eu des débats nourris, notamment sur le rayon des douanes, sur le rôle du procureur de la République et sur la durée maximale d’opérations de contrôle consécutives. Sur l’article 2, comme sur les autres dispositions du texte, la commission mixte paritaire a abouti à un compromis très satisfaisant. Je ne défendrai aujourd’hui, au nom du Gouvernement, que six amendements rédactionnels, qui visent à clarifier le texte avant son adoption définitive. Ils ont été élaborés en concertation étroite avec les divisions des lois et les commissions des finances et des lois du Sénat et de l’Assemblée nationale. Le Sénat a adopté des amendements rédigés dans les mêmes termes, avec un avis favorable du rapporteur. J’invite donc votre assemblée à les voter conformes, afin que la loi puisse être promulguée dans les tout prochains jours, sécurisant définitivement l’action des douaniers.
Vous l’avez compris, ce projet de loi ne consiste pas seulement à assurer la mise en conformité d’une prérogative essentielle ; il s’agit aussi d’adapter nos moyens d’action, pour que les douaniers puissent lutter le plus efficacement possible contre les menaces d’aujourd’hui et de demain.
Je le répète, nous n’avons pas le droit de perdre la bataille contre le trafic de drogues. Dans ce domaine, nous obtenons des résultats : près de 105 tonnes de stupéfiants ont été saisies l’année dernière, dont plus de 70% l’ont été par les douaniers.
Le texte qui vous est soumis conserve un apport essentiel introduit lors de l’examen par l’Assemblée nationale, pour lutter contre les précurseurs chimiques, des substances légales utilisées pour la confection de drogues de synthèse. Comme j’en ai déjà fait part à la représentation nationale au cours des débats, mes homologues de la douane américaine m’ont alerté sur les ravages que provoquent aux États-Unis les opioïdes de synthèse, en particulier le fentanyl. Il est indispensable de prendre des mesures pour éviter que ce fléau ne s’abatte sur notre pays. Votre assemblée a ainsi adopté un dispositif novateur, accepté par le Sénat. Il permettra aux douaniers de retenir pour examen l’ensemble des substances susceptibles d’être utilisées pour la fabrication illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes. De plus, il tend à inclure ces importations dans le champ des incriminations douanières. La CMP a amélioré la rédaction de cet article ; le résultat convient au Gouvernement.
Nous voulons aussi donner à nos douaniers les moyens de lutter contre la cyberdélinquance et la cybercriminalité. L’article 9 les autorise, au cours d’une retenue douanière, à prendre connaissance d’objets et de documents, y compris sur support numérique, qui se rapportent à un flagrant délit douanier. La rédaction issue de la CMP conserve le dispositif autorisant les agents des douanes à réaliser une copie des données saisies. En contrepartie, elle intègre une obligation indispensable pour le Sénat : l’autorisation " écrite et motivée " du procureur de la République pour décider de la restitution. C’est un bon équilibre : je félicite votre rapporteure, Nadia Hai, pour l’accord qu’elle a su trouver en CMP. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE et Dem.)
Vous le savez, un nombre croissant d’infractions douanières sont commises à partir de contenus en ligne, par exemple la vente de produits de contrefaçon ou de tabac de contrebande. C’est pourquoi l’article 12 permet aux agents d’exiger des plateformes qu’elles procèdent au retrait de ces contenus. Si elles ne répondent pas, nos agents pourront demander aux moteurs de recherche de procéder au déréférencement du contenu ou à la suspension du nom de domaine. La navette a permis à l’Assemblée nationale de préciser le dispositif de sanction pécuniaire introduit par le Sénat, afin de garantir l’effectivité des décisions de retrait et de suspension que le tribunal judiciaire peut prononcer à l’issue de la procédure. La CMP a conservé cet équilibre.
De plus, le texte prévoit d’utiliser les nouvelles technologies en matière d’enquête et de renseignement douaniers. Nous avons longuement débattu du dispositif de lecture automatisée des plaques d’immatriculation (Lapi) et de la retenue temporaire d’argent liquide circulant à l’intérieur du territoire ; je pense aussi à la réforme du délit de blanchiment douanier et à l’ajout des cryptoactifs à la liste des fonds pouvant relever du délit de blanchiment douanier.
Vous le voyez, l’objectif est d’offrir aux agents la panoplie la plus complète possible pour mener à bien leurs missions, en veillant scrupuleusement au respect du droit. En effet, il faut donner aux douaniers les moyens d’agir et tout faire pour éviter de les entraver, tout en demeurant dans le cadre déterminé par nos principes. Pour ma part, j’approuve l’amendement déposé par plusieurs députés du groupe Les Républicains et adopté par l’Assemblée nationale rendant le secret professionnel inopposable aux douaniers pendant une enquête. Le compromis issu de la CMP doit être précisé, pour garantir que l’ensemble des pouvoirs d’enquête seront concernés. Tel est l’objet de l’amendement rédactionnel adopté par le Sénat à l’initiative du Gouvernement, et qui vous est logiquement proposé en séance aujourd’hui.
Ce projet de loi assure également que l’identité des douaniers sera protégée chaque fois que nécessaire, afin qu’ils exercent leurs missions dans les conditions de sécurité les plus strictes. C’est la raison pour laquelle votre assemblée a souhaité améliorer le régime d’anonymisation des agents des douanes. La CMP a légèrement remanié le mécanisme voté en première lecture. En accord avec les rapporteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat, le Gouvernement propose de préciser la rédaction de l’article 10 bis AA, issue de la CMP, pour garantir que le renvoi au régime d’anonymat prévu par le code de procédure pénale soit bien de portée générale. Ce sera également l’objet d’un amendement.
Vous le savez, ce texte tend aussi à mieux lutter contre le trafic de tabac. À cet égard, il prévoit un renforcement massif des sanctions applicables dans ce domaine.
M. Thibault Bazin
Très important !
M. Gabriel Attal, ministre délégué
Ces trafics sont une plaie pour la santé et la sécurité des Français, pour les finances publiques, et pour les 24 000 buralistes de notre pays.
C’est l’occasion pour moi de leur rendre hommage, eux qui ont été très durement touchés ces derniers jours. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, RN, LR et Dem.) Ils ont été spécifiquement ciblés : près de 450 bureaux de tabac ont été attaqués ; plus de 200 d’entre eux ont été totalement saccagés ou incendiés. C’est inadmissible. Les buralistes sont indispensables : ils préservent le lien social dans nombre de territoires, de quartiers, de villages ; ils assurent des missions de service public. Dans les prochains jours, j’annoncerai une aide spécifique à l’intention de ceux qui ont été victimes des émeutes et des pillages. (Mêmes mouvements.)
Nous agirons donc beaucoup plus fermement contre le trafic de tabac, qui pourrit les centres-villes. Nous voulons par exemple créer une peine complémentaire d’interdiction du territoire pour les étrangers qui ont fait l’objet d’une condamnation pour contrebande de tabac. Pour lutter contre la vente clandestine, notamment dans les épiceries de nuit, le texte renforcera le dispositif de fermeture administrative, grâce à un amendement de Mme Sabrina Agresti-Roubache. (M. Thomas Rudigoz applaudit.)
M. Sylvain Maillard
Très bien !
M. Gabriel Attal, ministre délégué
Ces dispositions ont suscité un large consensus, je m’en réjouis.
Enfin, depuis la présentation initiale du texte, j’ai présenté une feuille de route gouvernementale concernant la lutte contre toutes les fraudes aux finances publiques. Certaines des mesures qu’elle contient sont déjà présentes dans ce projet de loi. C’est le cas en particulier de la transformation du service d’enquêtes judiciaires des finances, le SEJF, en Office national antifraude aux finances publiques, Onaf, qui sera référent en matière d’enquête judiciaire sur les fraudes graves et complexes. Je me félicite que la CMP ait conservé intégralement ces dispositions essentielles aux orientations que je soutiens.
Mesdames et messieurs les députés, tels sont les enjeux de ce texte. Bien plus qu’une modernisation juridique, nous engageons une mobilisation générale, contre les trafics et les réseaux, pour celles et ceux qui œuvrent chaque jour à protéger nos frontières et les Français : nos douaniers. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem. – Mme Valérie Bazin-Malgras applaudit également.)
source https://www.assemblee-nationale.fr, le 12 juillet 2023