Interview de Mme Laurence Boone, secrétaire d'État, chargée de l'Europe, à BFM Business le 9 juillet 2023, sur la construction européenne.

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  • Laurence Boone - Secrétaire d'État, chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux

Média : BFM Business

Texte intégral

Q - Bonjour Laurence Boone.

R - Bonjour.

Q - Merci d'être avec nous, secrétaire d'Etat auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, vous êtes spécifiquement en charge justement de l'Europe. Première question générale sur l'ambiance ici à Aix, un thème quand même assez anxiogène, "recréer l'espoir", c'est ce qu'on disait à l'antenne. Est-ce que pour vous, on est dans une période où en ce moment on a perdu espoir ? Est-ce que tout le monde est un peu désespéré, ou est-ce qu'on n'en est pas là, quand même ?

R - Je ne crois pas du tout qu'on ait perdu l'espoir, au contraire. On est en train, en Européens, justement, de booster l'espoir, j'ai envie de dire de gonfler l'espoir. D'abord parce que sur les quatre dernières années, on a transformé l'Europe en la région la plus écologique du monde, avec la transition énergétique, avec la reforestation, avec la biodiversité, donc vraiment on est à l'avant-garde. Ensuite parce que nous, Européens, on a vraiment la capacité de changer le monde. Je vais juste vous donner un chiffre : nous sommes 440 millions d'habitants, avec un pouvoir d'achat de 25 000 euros par an. Les Américains sont 340 millions, et n'ont pas un pouvoir d'achat beaucoup plus élevé. Nous sommes la première région au monde pour les investissements entrants, pour les investissements sortants, et la première région pour les échanges commerciaux. Donc nous avons un pouvoir d'influence colossal, il faut qu'on l'utilise pour la souveraineté, pour la transition, et bien sûr pour la sécurité du continent.

Q - Même si, alors évidemment influence indéniable de l'Europe, même si en ce moment, on est particulièrement malmenés, pour plein de raisons - des raisons économiques, des raisons géopolitiques, des raisons énergétiques -, entre les Etats-Unis et la Chine. Qu'est-ce qui vous préoccupe le plus dans tout ça, dans tous ces bras de fer en ce moment, dans tous les sens ?

R - Ce sur quoi on travaille le plus, j'ai envie de vous dire - pas préoccupé mais vraiment travaillé - il y a trois thèmes. Je dirais la souveraineté économique du continent. Et donc ça, ça veut dire avoir des prix de l'énergie suffisamment stables et bas pour la compétitivité des entreprises. Ça veut dire réindustrialiser le continent, et notamment la France, avec le Net-Zéro Industry Act, qui est le cadre européen du plan industriel vert que nous faisons en France. Ça veut dire former les talents. Ça veut dire aller sourcer les matières critiques de façon diversifiée, sans dépendre d'un seul ou de deux pays.

Q - La Chine, en l'occurrence.

R - Exactement. Ça veut dire construire l'industrie de la défense. Et puis ça veut dire construire un cadre pour savoir qui peut investir chez nous, ce qu'on peut vendre aux autres, où on va investir. C'est un chantier.

Q - Bon. Mais malgré tout, oui, il y a des avancées ; pour autant, tout le monde n'a que l'IRA à la bouche. Ici encore à Aix, tous les grands chefs d'entreprises en parlent beaucoup. Ça ne veut pas dire qu'ils le font, mais en tout cas c'est indéniablement une réussite, au moins du point de vue de la communication. Est-ce que l'Europe... On a le sentiment que l'Europe aussi fait des choses, mais ne marque pas autant les esprits. Est-ce que l'Europe n'est pas encore tout à fait à la hauteur du dispositif américain ?

R - Je pense que l'Europe était en avance sur le dispositif américain, et je vais vous expliquer pourquoi. Le dispositif américain, il répond à deux sujets. L'avancée qu'a prise l'Europe en matière de technologies de la transition, parce que ça fait plusieurs années qu'on travaille dessus ; donc vraiment, on était en train de prendre des parts du marché, de prendre un énorme avantage. Et la deuxième chose, c'est la même ambition de réindustrialisation que chez nous. Je crois que Joe Biden, comme le Président Macron, comme la plupart des chefs d'Etats et gouvernements européens ont compris que pour recréer de l'espoir, comme vous dites, il faut recréer beaucoup d'emplois industriels en France, sur nos territoires et en Europe, c'est ce à quoi le gouvernement s'est attaqué depuis six ans, et c'est vraiment ce que l'IRA, en fait, imite.

Q - Imite, oui. Imite, mais enfin sauf que là, maintenant, est-ce que ce n'est pas à notre tour d'essayer de faire un peu comme eux ? On a pris de l'avance, mais là maintenant ils en ont repris sur nous. Est-ce qu'on ne devrait pas... On n'a pas encore à ce stade, en Europe, un plan qui marque autant les esprits que cet IRA ?

R - En fait, si vous regardez...

Q - Par exemple, la France voulait un fonds de souveraineté. Pour l'instant, les Allemands n'en veulent pas. Ils ont dit non.

R - On en a un, la Commission vient de faire une proposition. Je vais vous dire...

Q - STEP, ce n'est pas ça. Eux-mêmes le disent : c'est un embryon de fonds de souveraineté.

R - D'abord, je vais vous dire : ce dont on a besoin c'est de simplifier, de vraiment couper la bureaucratie européenne. Ça c'est quelque chose sur lequel la France insiste depuis longtemps, et encore plus depuis l'IRA. On ne veut plus, par exemple, que pour obtenir une autorisation pour faire un projet entre trois entreprises de pays différents, ce qu'on appelle des PIIEC, ça prenne deux ans ; on veut que ça prenne quatre mois. Et ça c'est la première ambition. Et là-dessus, on a obtenu des résultats, puisque les seuils à partir desquels la Commission doit donner des autorisations, ont été relevés, donc ça veut dire qu'on va pouvoir faire beaucoup plus de choses. Ensuite, il y a la question du financement que vous soulevez. On autorise des aides d'Etat beaucoup plus importantes. Donc on ne va pas comparer que le fond de souveraineté. Pour comparer aux 367 milliards...

Q - De l'IRA ?

R - Voilà, il faut comparer les aides d'Etat nationales, il faut comparer le fond de souveraineté, et il va falloir comparer d'autres financements européens. Et en gros, vous avez le Président de la République, qui en février, pendant la conférence de presse suite au Conseil européen, a dit "on estime que c'est à peu près à 400 milliards d'euros". Donc on y est.

Q - On y est. Mais il va falloir le vendre, alors.

R - Exactement.

Q - Il va falloir faire le marketing. Cela étant dit, est-ce que l'Europe aussi ne parlerait pas un peu plus fort si la France et l'Allemagne travaillaient mieux ensemble ? Parce qu'en ce moment, il y a des divergences fondamentales, ça ne veut pas dire qu'on n'est plus amis, mais il y a vraiment des divergences - ce n'est pas à vous que je vais l'apprendre, Laurence Boone - sur l'énergie, sur la défense, sur la réforme des règles budgétaires. On ne voit pas les choses de la même manière, c'est un fait.

R - Vous avez raison. Je crois que d'abord, sur le plan politique, la France et l'Allemagne regardent dans la même direction quand il s'agit du soutien à l'Ukraine, quand il s'agit de l'élargissement, quand il s'agit des garanties de sécurité à l'OTAN, vous voyez qu'on est bien alignés. Après, vous voyez qu'au niveau de la concurrence économique, en matière de défense, d'énergie, effectivement de spatial, c'est vrai qu'il y a de la concurrence. Là-dessus, je dis deux choses. La première, c'est dans les traités européens : principe de neutralité technologique, donc on se battra jusqu'au bout, l'Allemagne n'a aucune raison de nous empêcher de faire du nucléaire, d'autant plus qu'ils importent de l'électricité à base de nucléaire. Et sur la défense, je crois que notre force de conviction doit être que pour construire vite des équipements, pour refaire les munitions qu'on a données à l'Ukraine, il faut qu'on se mette ensemble. C'est une manière de cohérence. Donc ça, j'ai bonne conscience qu'on va y arriver. On se parle tout le temps, à tous les niveaux, ministériels...

Q - Le Président n'a pas pu faire lundi à cause des émeutes.

R - Non absolument, mais moi j'y étais, et le président Steinmeier a parfaitement compris. C'est du travail, c'est laborieux, mais il faut remettre le métier à l'ouvrage, et à tous les niveaux de l'exécutif et du législatif.

Q - Ce sera le mot de la fin : c'est laborieux, mais on va y arriver, on garde espoir. Merci Laurence Boone, secrétaire d'Etat auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, en charge de l'Europe. Merci d'avoir répondu à nos questions.

R – Merci.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 juillet 2023