Texte intégral
Merci beaucoup, Monsieur le président du Sénat Coutumier,
Honorable grand chef,
Messieurs les sénateurs,
Messieurs les présidents des Airs,
Monsieur le président, cher Roch,
Madame et Messieurs les ministres,
Madame et Messieurs les parlementaires,
Madame la maire,
Monsieur le président du gouvernement.
D'abord, permettez-moi d'exprimer ma reconnaissance de nous accueillir dans ce lieu. Vous nous recevez ce matin pour entamer cette visite sur les terres calédoniennes et à la fois la cérémonie coutumière et les propos que vous venez de tenir. C'est toujours pour moi à la fois émouvant et engageant parce que je n'ai jamais pris à la légère tout à la fois les déplacements effectués ici ou les décisions que j'ai eues à prendre depuis six ans. Je considère que par votre travail, votre engagement, vos initiatives, vous contribuez aussi à affirmer le rôle fondamental des autorités coutumières et à permettre de bâtir un chemin. Alors, je vous ai écouté, Président, je vais essayer de répondre au point que vous avez fait.
D'abord, il y a un acquis des dernières décennies et qui est le fruit du travail et de l'engagement de tous : c'est la paix. Je pense que, quand je dis que c'est un acquis, c'est le fruit d'un engagement, d'un processus, d'une négociation, de son respect, mais vous savez mieux que moi qu'il est toujours très fragile. Ainsi, je pense qu'au moment où nous nous parlons et cette visite que j'effectue se tient à un moment très particulier après les trois référendums, nous oblige, parce que nous avons tous ensemble réussi ce chemin de paix. Maintenant, ça n'est pas un point final, c'est un point-virgule, si je puis dire, qui a été décidé. Il faut construire la suite.
Alors, ça se construit sur la force d'une mémoire, le respect, justement, de ce que vous représentez conformément aux accords, et vous êtes revenu sur ces termes, et le processus de refondation et de réconciliation que vous évoquez ne peut se faire sans que se poursuive un travail de reconnaissance du passé. Je pense à cet égard que ce qui a été amorcé à travers le Comité vérité et réconciliation, à travers cette volonté de faire converger le Comité des Sages vers celui-ci, et faire un travail large, inclusif, est une bonne méthode. Je pense que vous y avez, et je l'évoquais hier soir, en décorant Madame TJIBAOU, vous y avez pleinement votre place, et je pense qu'il nous faut en effet bâtir, vous l’avez très bien dit, cette histoire commune, qui doit tout regarder et tout dire. Parce qu'on ne peut pas bâtir un avenir si le passé est encore fait de blessures non refermées, même si certaines, d'ailleurs, peut-être, n'ont pas vocation à se refermer ; mais il faut la regarder en face et avoir la même lecture, et pas considérer que ce passé soit indépassable. C'est un travail lent, humble, exigeant. Je pense qu'il est temps de s'y engager.
Vous m'aurez à vos côtés pour avancer sur ce travail de mémoire et d’histoire et pour aussi avancer sur ce travail de reconnaissance de l'identité kanak. Vous en avez redéfini les termes conformément d’ailleurs aux accords et préambule, et tout ça reste vrai et ne s'arrête pas. La question, c'est à mes yeux, comment construit-on le présent et l'avenir ? Je ne lis pas les notes qui m'ont été préparées, je réagis à ce que vous avez dit et j'essaie de le faire dans une maïeutique que je vais poursuivre jusqu'à demain, à vos côtés.
Le grand risque qui est le nôtre, c'est de faire du surplace. C'est de s'enfermer dans une vérité qui serait celle d'une identité figée et d'un débat institutionnel, avec à nouveau, des rendez-vous pour voter. Je pense que compte tenu de ce que nous avons su faire ces dernières décennies, la réponse, elle est dans une politique de reconnaissance et de projets. Reconnaissance pleine et entière de l'identité kanak, travail par la culture, se faisant démontrer les racines profondes, le caractère intangible de cette culture, mais aussi le chemin qu'elle a fait. Je parle sous le contrôle de plusieurs d'entre vous qui la connaissez infiniment mieux que moi, continuer de la servir, de la promouvoir, de l'exprimer ou de l'exposer.
Une culture comme une identité n'est pas figée. Elle se métisse, elle évolue avec le temps, elle se frotte à l'évolution des terres, des femmes et des hommes. Je pense que le risque, ce serait de fantasmer une identité qui, elle, serait totalement figée et qui conduirait à vivre dos-à-dos, nous interdirait de penser à l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. Ainsi, il y a tout un travail qui s'appuie sur ce travail d'histoire, de mémoire, mais je dirais un travail culturel profond qui doit nous inspirer pour aussi reconnaître ce mouvement. Et puis, je crois que si les débats institutionnels sont d'importance, on aura l'occasion d'y revenir demain avec les forces politiques, j’y reviendrai durant ce voyage et j'aurai l'occasion de m'exprimer. Il n'épuise pas tout, il doit servir un projet commun.
Ce projet est un projet qui doit être géopolitique, économique, culturel, éducatif, sanitaire, qui va permettre à la population de vivre mieux, de produire sur son sol, tout en respectant nos objectifs environnementaux, développer une agriculture qui corresponde, là aussi, à la relation avec la terre, mais qui permettrait d'aller vers plus d'autonomie alimentaire. Une pêche qui s'inscrit dans cette direction, une projection géopolitique dans cet espace si complexe et conflictuel où, je crois, la présence de la France offre de la sécurité et de la stabilité. Et puis, une capacité à faire face, vous l'avez aussi évoquée, au changement climatique et à ce qu'il implique de vulnérabilité de certains territoires, je le verrai tout à l'heure, d'ailleurs, avec plusieurs d'entre vous dans la province nord, où nous sommes prêts à nous engager davantage à vos côtés pour protéger, reloger, mais aussi protéger le trait de côte et, justement, faire de la Nouvelle-Calédonie, un territoire exemplaire à cet égard et mieux protégé que beaucoup d’autres voisins.
Je crois, ce qu'il nous faut aussi bâtir, en même temps que ce travail d'histoire, de mémoire, en même temps que le respect de la culture et de cette identité, c'est un projet d'avenir pour notre jeunesse, pour nos jeunesses, par lequel on construira l'unité véritable et dont les statuts et que les débats juridiques viendront servir.
Je pense qu'il nous faut garder la paix, qui est le grand acquis des dernières décennies. Il nous faut consolider le respect qui ressort de ces processus, mais il nous faut maintenant travailler davantage sur la confiance véritable dans l'avenir. La confiance véritable dans l'avenir, c'est aussi savoir nous projeter vers ce qui permettra à nos jeunes de répondre aux difficultés du temps. Je suis sensible à ce que vous avez dit sur l'importance de la structure familiale, sur l'importance de la tribu, sur ce qu'aussi la République a à fournir et qu'elle fait à travers le SMA, à travers les institutions. Tout ça est formidablement complémentaire. Et d'ailleurs, oserais-je vous dire que les problèmes que vous évoquiez sur la jeunesse, les événements récents ont montré que, en métropole, ils sont aussi là.
Il y a, en effet, un individualisme, peut-être une perte de repère, une forme d'anomie qui s'est installée. Mais c'est ici aussi, vous l'avez très bien dit avec beaucoup d'humilité. On doit savoir rebâtir cela. Mais je pense que notre jeunesse trouve un cadre quand elle a des structures de transmission qui sont là, des repères, elle sait d'où elle vient, mais qu'elle regarde avec aussi une certaine confiance, l'avenir. Ça, c'est notre travail. C'est aussi ce sur quoi je veux pouvoir œuvrer à vos côtés. J'aurai l'occasion de voir plusieurs jeunes, d'ailleurs, dans un instant, et de les retrouver au centre culturel pour voir plusieurs de ces dispositifs qui permettent, justement, de leur donner un cadre. On ira ensemble, je le disais, pour voir le travail face aux dérèglements climatiques et œuvrer pour certains territoires.
Je serai ensuite, cet après-midi, pour parler d'agriculture. En fin de journée, avec quelques-uns d'entre vous, pour parler du nickel et de l'avenir du territoire sur cette industrie essentielle, mais là aussi avec beaucoup de défis parce qu'au moment où nous parlons, nous savons que c'est une chance, mais nous savons aussi la grande difficulté, le soutien massif que l'Etat a apporté à cette industrie ; sinon, toutes ces usines auraient fermé. Mais le défi qui continue d'être là, compte tenu des prix, du défi énergétique, il faut le regarder aussi avec lucidité. Demain, nous aurons des discussions politiques, elles sont importantes, avec toutes les formations politiques, hors des cadres institutionnels qui sont la responsabilité du ministre de l'Intérieur et de l'Outre-mer et de la Première ministre, mais dans un dialogue d'échange comme celui que j'ai toujours eu avec vous de respect et d'ambition.
On ira au quartier Magenta pour voir aussi les réalisations communes et j'essaierai d'apporter cette expression d'avenir et de confiance. Elle s'inspirera en tout cas des mots que vous venez d'avoir, Monsieur le Président, et de ce que vous avez dit à l'instant de vos préoccupations, de vos propositions, et vous avez compris que j'y suis, pour plusieurs d'entre elles, ouverte, mais ma volonté profonde à l'issue de ce déplacement, et avant de me rendre dans la région où j'aurai à démontrer à la fois, au Vanuatu puis en Papouasie-Nouvelle-Guinée, la force de notre stratégie Indopacifique, c'est de vous dire que notre devoir commun, chacun d'où nous venons et où nous sommes, c'est maintenant de bâtir l'avenir.
Je crois que l'erreur dans laquelle nous ne devons pas nous enfermer, c'est de simplement regarder le passé et, au fond, de trouver une forme de confort dans une instabilité permanente. Tout ça parce que l'avenir peut-être et les clarifications qu'il peut conduire nous feraient peur. Je pense que ces dernières décennies, nous devons les prendre comme un socle de confiance. On a mis fin au conflit, on s'est respecté, on a solidifié des accords et on l'a fait conformément aux accords, étape par étape. Et donc tout ça doit nous donner, toujours avec beaucoup de respect et d'humilité, un devoir d'audace pour construire l'avenir. Sinon, nos jeunes vont nous regarder en disant : mais eux, ils nous parlent toujours du passé, toujours des institutions, jamais de notre avenir.
Il faut qu'on soit collectivement lucides, c'est ce qu'ils attendent de nous, de dire comment, face à tout ce qui nous fait peur, les défis géopolitiques, le changement climatique, les inégalités économiques et sociales, les violences qui existent, quel est le projet qui nous permet de vivre mieux demain et de bâtir un progrès ici, en Nouvelle-Calédonie, respectueux de cette histoire, avec ses pages d'ombre, ses morsures, respectueux de la culture Kanak, mais aussi de toutes les composantes de la Nouvelle-Calédonie, mais qui nous permet de regarder l'avenir en face.
C'est en tout cas le devoir que je me fixe, mais c'est l'invitation que je vous fais en tant que Sénat coutumier et honorable Grand chef, parce que je pense que ce devoir d'avenir, c'est maintenant le nôtre. Si je puis dire, à l'issue de ces trois référendums, on consolide tout ce qu'on a fait, rien ne s'efface, rien. Les principes dans lesquels nous nous inscrivons, préambule de l'accord, sont là. Mais on est plus forts que lorsqu’on a signé ces accords. Ne bégayons pas, soyons lucides. On est plus forts, tous, parce qu'on a tenu cette période. Soyons à la hauteur de ce devoir d'avenir.
Je ne serai pas plus long. Je vous remercie infiniment une fois encore pour votre accueil, vos mots, votre engagement, la place que vous avez prise, que vous prenez et, comme vous l'avez compris, que je souhaite que vous continuiez de prendre. Parce que je pense qu'à la fois sur ce travail d'histoire et de mémoire, mais pour définir ces projets d'avenir, vous avez un rôle absolument fondamental. Je compte sur chacune et chacun d'entre vous pour le jouer. De votre côté, sachez pouvoir compter sur mon engagement et l'honnêteté de la démarche que je veux porter avec vous pour notre avenir.
Je vous remercie.