Interview de Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, à France Culture le 28 septembre 2023, sur la lutte contre la précarité à l'université, la réforme du système des aides, la crise du logement étudiant et l'insertion professionnelle des jeunes.

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Média : France Culture

Texte intégral

GUILLAUME ERNER
Comment se nourrir, comment se loger, comment poursuivre ses études en master ? Les quelque 3 millions d'étudiants qui ont fait leur rentrée universitaire ont bien des raisons de s'inquiéter, et on ne parle pas des examens, alors comment améliorer les conditions de vie des étudiants ? Bonjour Sylvie RETAILLEAU.

SYLVIE RETAILLEAU
Bonjour.

GUILLAUME ERNER
Vous êtes ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. À 7h25 il y a eu le reportage de la rédaction signé Hakim KASMI, qui était donc aujourd'hui à Strasbourg, et qui rendait compte des conditions de vie extrêmement difficiles des étudiants pour se loger, pour se nourrir. Vous avez annoncé un plan, concrètement ce plan, pour ces étudiants qui sont dans des conditions difficiles, que va-t-il changer ?

SYLVIE RETAILLEAU
Alors, déjà, merci de me donner l'occasion de le présenter parce que c'est vraiment effectivement par rapport à l'étudiant, et aider et améliorer, et il va changer, ce plan, un fil conducteur, aider plus d'étudiants, aider mieux les étudiants donc, qu'est-ce qu'il va changer ? C'est une première étape de la réforme des bourses, cette première étape, elle consiste finalement à permettre à tous les étudiants d'avoir des bourses mieux rémunérées, de bénéficier des bourses, donc 37 euros d'augmentation pour tous les étudiants, pour chaque échelon d'étudiants, ça représente en gros entre 6 % et 34 % d'augmentation, ça, c'est pour tous, mais ça veut dire qu'il y aura aussi, parce qu'on a changé le barème, 35.000 nouveaux étudiants boursiers, en plus, et il y aura aussi 140.000 étudiants qui vont changer d'échelon, c'est-à-dire qui bénéficieront d'un montant de bourses plus élevé. Donc, en gros, ces étudiants-là vont bénéficier entre 66 euros par mois, jusqu'à 126 euros de plus, 127 euros de plus par mois. Donc, mieux rémunérer les bourses et aider plus d'étudiants.

GUILLAUME ERNER
Ça semble être une somme, Madame la ministre, très faible pour vivre, pour se nourrir.

SYLVIE RETAILLEAU
127 euros par mois, enfin, déjà 37 euros pour le premier échelon, c'est 34 % d'augmentation.

GUILLAUME ERNER
Non, je veux bien qu'en termes d'augmentation ça soit une somme…

SYLVIE RETAILLEAU
C'est 500 millions.

GUILLAUME ERNER
Mais en termes de valeur absolue c'est quelque chose qui paraît extrêmement modeste s'il s'agit de se nourrir, on a entendu les difficultés de ces étudiants, le prix du paquet de pâtes, 34 euros, je ne vous fais pas de dessin.

SYLVIE RETAILLEAU
Vous avez raison, je pense qu'il ne faut pas minimiser l'augmentation de ces bourses, ça fait 10 ans qu'il n'y a pas eu cette augmentation, c'est 500 millions d'euros de plus que le gouvernement met sur la table…

GUILLAUME ERNER
Encore une fois, la somme globale peut paraître importante, mais par étudiant…

SYLVIE RETAILLEAU
Alors, par étudiant il y a cette augmentation, qui n'est pas négligeable, et en plus, ce qu'il faut voir, c'est qu'en France les aides ce ne sont pas les bourses ou autre chose, on a un paquet d'aides, c'est-à-dire que notre modèle social, en particulier pour les étudiants, et on va l'améliorer, c'est aussi le repas, c'est-à-dire les CROUS qui permettent à tous les étudiants un repas à 3,30 euros, ça c'est le tarif social pour tous, sachant que le repas revient à 7 euros…

GUILLAUME ERNER
Mais vous vous rendez compte, 3,30 euros avec une bourse à 34 euros, ça fait dix repas par mois.

SYLVIE RETAILLEAU
Mais, pour les boursiers c'est 1 euro, et non seulement pour les boursiers, et je voudrais insister là-dessus, c'est ce gouvernement qui a mis le repas à 1 euro, pendant la crise Covid, nous l'avons pérennisé à cette rentrée, donc c'est-à-dire que l'on a donné la compensation de façon pérenne dans les CROUS, c'est quand même important à le dire, et surtout ce n'est pas que pour les étudiants boursiers, c'est automatique pour les étudiants boursiers, mais tous les étudiants précaires peuvent bénéficier de ce repas à 1 euro, et ceci de façon très simple, il suffit de se loguer sur le site du CROUS, là j'insiste, on a fluidifié les process pour avoir accès à ce repas. Et puis il y a le logement, on en parlera…

GUILLAUME ERNER
Justement, j'allais y venir, les difficultés de logement, là aussi on voit des situations tout à fait étonnantes, des étudiants obligés de camper.

SYLVIE RETAILLEAU
Alors sur le logement, on voit qu'aujourd'hui effectivement c'est peut-être le point de la rentrée qui est mis en exergue par rapport au logement, peut-être plusieurs points. Tout d'abord le logement c'est une crise pas que pour les étudiants, les étudiants subissent, peut-être particulièrement parce qu'ils ont cet accès au logement par rapport au coût du logement qui est souvent leur premier coût de dépenses, mais en fait, c'est une crise générale au niveau du logement. Pour les étudiants, je voudrais d'abord rappeler qu'il y a le CROUS, que ce CROUS, eh bien, nous avons aussi gelé les loyers du CROUS, comme nous avons gelé les tarifications pour tous les étudiants…

GUILLAUME ERNER
Mais c'est un problème de disponibilité, il n'y a pas assez de logements étudiants !

SYLVIE RETAILLEAU
Tout à fait. Donc ce CROUS permet, et nous les rénovons, parce qu'il y a les conditions aussi, donc il y a un grand plan de rénovation, et nous travaillons avec le ministre du Logement, puisque, comme je vous le disais, on le sait, c'est un problème plus vaste, à augmenter le nombre de logements, en particulier pour les étudiants, parce qu'un des problèmes, ce n'est pas tant un problème de financement, c'est un problème de foncier. Donc nous avons lancé depuis plusieurs mois une mission de terrain, qui identifie avec les acteurs locaux, puisque, là, je dirais, on travaille avec les acteurs locaux pour augmenter, après, ça, c'est un travail que l'on fait, vous savez que construire des logements prend un peu de temps, donc c'est vrai que pour cette rentrée, nous avons en parallèle, pour les étudiants, un plan d'urgence que l'on mène avec les recteurs, avec les présidents d'université pour ne pas laisser les étudiants dans la rue, quitte à payer des chambres d'hôtel, etc, aux étudiants, le temps de trouver…

GUILLAUME ERNER
Combien, combien de chambres d'hôtels, combien ?

SYLVIE RETAILLEAU
Alors, comme je vous le disais, c'est une gestion, dans l'Enseignement supérieur et de la recherche, c'est une gestion en local, c'est-à-dire que les présidents…

GUILLAUME ERNER
Non, mais j'imagine que le prévisionnel prévoit, a priori, un nombre national, non ?

SYLVIE RETAILLEAU
Non, parce que... ah non, mais les chambres, comme vous le dites, d'hôtels, c'est vraiment le plan d'urgence, c'est-à-dire, nous étions, il y a quelques semaines, avec le président d'Angers, qui justement regardait les étudiants en difficulté, donc, nous ne faisons pas de prévision du plan d'urgence, mais nous nous activons à accompagner nos étudiants dans l'urgence.

GUILLAUME ERNER
Mais alors, Madame la Ministre, est-ce que vous pourriez par exemple vous engager à ce qu'il n'y ait aucun étudiant qui soit aujourd'hui à la rue, obligé de camper ?

SYLVIE RETAILLEAU
Alors, mais bien sûr, l'idée, c'est : on a passé des consignes, je vois demain les recteurs, nous allons en rediscuter pour avoir ce plan d'urgence, et le ministère est prêt évidemment à apporter sa contribution, on l'a dit, et l'idée, c'est que tous les étudiants, et en particulier, en passant par leur université, parce que l'université est le point où les étudiants peuvent aller demander de l'aide, et pour pouvoir effectivement – mais ce sont des logements d'urgence en attente – pour pouvoir les aider à avoir ces logements, donc oui, le message, comme le message pour les repas, c'est aller au CROUS pour bénéficier du repas à 1 euro, là, c'est manifestez-vous pour... il n'est pas question de laisser un étudiant à la rue dehors, sans pouvoir lui apporter une aide, même d'urgence.

GUILLAUME ERNER
Pourquoi au vu de la difficulté de ces aides, de la complexité des mécanismes, pourquoi ne pas aller vers un revenu étudiant, c'est une idée qui est dans l'air, Sylvie RETAILLEAU, Madame la Ministre, pourquoi ne pas l'établir tout de suite, votre nom resterait ainsi parmi les ministres qui ont apporté une vraie réponse aux besoins des étudiants ?

SYLVIE RETAILLEAU
Alors, d'abord, je pense que ce qui me motive, c'est le bien des étudiants, et ça, ça fait 35 ans par rapport à ma carrière à l'université…

GUILLAUME ERNER
Puisqu'auparavant, vous dirigiez l'université Paris-Saclay…

SYLVIE RETAILLEAU
Voilà, donc vu ma carrière auparavant la motivation, elle est d'abord pour le bien des étudiants, c'est clair, et justement, pour ce bien des étudiants, d'abord, je voudrais dire que ces problèmes de précarité, de bourse, on en discute lors de concertations depuis un an, qu'on a lancées le 7 octobre dernier, avec les organisations représentatives étudiantes, et dans les territoires, avec tous les acteurs…

GUILLAUME ERNER
Un revenu étudiant, Madame la Ministre…

SYLVIE RETAILLEAU
Ce point de revenu étudiant, en fait, vous avez deux choses, soit, vous cherchez l'autonomie, soit, vous cherchez à combattre la précarité, moi aujourd'hui, et vous avez commencé par ça, parce que c'est une vraie urgence, ma priorité, c'est le combat de la précarité des étudiants, ce n'est déjà pas la même chose. Et je ne vois pas en quoi…

GUILLAUME ERNER
Pourquoi ce n'est pas la même chose, expliquez-nous…

SYLVIE RETAILLEAU
Eh bien, je vais vous expliquer, je ne vois pas en quoi donner un revenu universel à tous les étudiants, c'est-à-dire même à ceux qui n'en ont pas vraiment besoin, qui ont des moyens, ça aiderait ceux qui en ont le plus besoin, moi, ma ligne, c'est aider plus ceux qui en ont le plus besoin, et en plus, les étudiants, ce sont des adultes, on est à l'université…

GUILLAUME ERNER
Pour considérer par exemple que le fait d'étudier est un investissement pour la nation, et que, donc, la nation accompagne ses étudiants…

SYLVIE RETAILLEAU
Alors, un investissement, puisque la France, dans les diplômes nationaux, de licence, de master, de doctorat, je vous rappelle les prix, c'est autour de 200 euros, un peu moins en licence, un peu plus en master, le coût d'une formation en France, c'est entre 10.000, 15.000, 18.000 euros. Donc quand vous parlez d'investissement…

GUILLAUME ERNER
Alors, c'est plutôt moins de 10.000 pour l'université et plus de 15.000 pour les classes préparatoires…

SYLVIE RETAILLEAU
Non, non, non, vous confondez la dépense au coût réel. C'est-à-dire que là, vous confondez peut-être…

GUILLAUME ERNER
Non, mais je parle du coût.

SYLVIE RETAILLEAU
Non, certains chiffres qui sont donnés, ce qu'on investit au niveau de ce que coûte..., vous savez, les universités ont des ressources propres, et le coût complet d'une formation, je vous confirme que c'est plus proche des 10.000 euros, même en licence, vous ne trouverez pas un coût complet à 3.000 euros…

GUILLAUME ERNER
Mais vous êtes d'accord sur le fait qu'un étudiant en classe préparatoire coûte beaucoup plus cher à l'État…

SYLVIE RETAILLEAU
Coûte à l'État, ça ne veut pas dire que sa formation coûte. Moi, je parle du coût de la formation…

GUILLAUME ERNER
J'ai bien compris. Mais moi, je parle du fait que les universités sont les parents pauvres aujourd'hui de l'Enseignement supérieur, et qu'elles sont doublement pauvres...

SYLVIE RETAILLEAU
Oui, mais on ne peut pas résoudre…

GUILLAUME ERNER
À la fois parce que les étudiants sont pauvres, et parce que les formations sont sous-financées…

SYLVIE RETAILLEAU
Alors, vous avez raison, mais vous posez plusieurs problèmes sur la table, et là où je vous rejoins, c'est que lorsque l'on résout un problème, on ne peut pas les résoudre indépendamment, parce que notre modèle, il est systémique, c'est-à-dire qu'effectivement, il faut le regarder dans sa globalité, si on prend un bout de ci, un bout de ça, on n'aura pas quelque chose de cohérent, de global. Ceci dit ce n'est pas parce qu'il y a des différences de coûts que l'on aide de la même façon, et un étudiant de classe préparatoire, je vous signale qu'il est étudiant, donc si vous faites le revenu universel, il le touchera de la même façon. Donc vous voyez, on ne parle pas de la même chose.

GUILLAUME ERNER
Et alors, si je vous ai bien suivie, Madame la Ministre, en fait, vous nous dites, ce revenu universel, je n'y crois pas, parce qu'il y aurait un effet d'aubaine pour des étudiants qui ont déjà les moyens d'étudier finalement ?

SYLVIE RETAILLEAU
Alors, deux choses, parce que je n'avais pas fini, ce que je vous disais, c'est que pour moi, il n'apporte pas obligatoirement la solution magique à la précarité de ceux qui en ont besoin, première chose. Et deuxième chose, je pense qu'on est encore une fois à l'université, donc avec des adultes, on forme des gens pour s'insérer, mais on forme des citoyens, et ces citoyens qui vont vivre en France, eh bien, je pense qu'il faut aussi leur apprendre ce qui est notre modèle social, qui est basé sur la solidarité. Donc il y a une philosophie à mener, c'est pour ça que je remets le modèle des bourses…

GUILLAUME ERNER
Eh bien, ils attendent cette solidarité justement…

SYLVIE RETAILLEAU
Mais on leur a répondu avec, comme je disais, 500 millions d'euros, ce n'est pas rien, 500 millions d'euros, sur la table…

GUILLAUME ERNER
Ce n'est pas rien à l'échelle de l'État, mais c'est parfois trop peu à l'échelle individuelle.

SYLVIE RETAILLEAU
Non, mais c'est pour ça qu'on accompagne avec, encore une fois, diverses solutions, c'est pour ça qu'on travaille aussi avec les associations, on a subventionné les associations de 100 millions d'euros pour pouvoir aussi apporter des réponses, mais la première réponse doit être en amont, la première réponse doit être dans le portefeuille de l'étudiant, et pas effectivement dans les queues des banques alimentaires. Mais pour aider les étudiants et la précarité, effectivement, nous agissons sur tous les volets, sur tous les domaines. Et je pense que ce travail, que nous avons commencé il y a un an, sur lequel cette première étape des bourses, et je répète qu'il n'est pas rien historiquement, qui est depuis dix ans…

GUILLAUME ERNER
Ça, on vous a entendue, vous nous l'avez dit…

SYLVIE RETAILLEAU
Voilà, mais je pense qu'il est important…

GUILLAUME ERNER
Mais le revenu universel, il n'y en aura pas…

SYLVIE RETAILLEAU
Le revenu universel, de toute façon, on remet les bourses, et complètement à plat le modèle des bourses, on y travaille pour la rentrée 2025, dans le cadre aussi de la solidarité avec le ministère de la Solidarité, encore une fois, je pense que c'est important, on a aussi les APL pour les étudiants dans le logement, les étudiants peuvent émarger les APL, la garantie Visale, donc ces droits, ce modèle global, je pense qu'il est important…

GUILLAUME ERNER
Mais c'est pour ça, si vous sommiez tout cela, ça permettrait de faire un revenu universel

SYLVIE RETAILLEAU
Alors, vous faites un tout petit calcul, le revenu universel, 1.000 euros par étudiant, 2.400.000, et j'enlève les apprentis, donc 2.400.000 étudiants sur 10 mois, 24 milliards, le budget de mon ministère total, 25 milliards, le budget de toute la vie étudiante, 3 milliards. Donc vous voyez, même qu'en sommant, malheureusement, on est loin des coûts, mais je pense que le premier point est d'abord la philosophie effectivement de ce que nous voulons faire, et c'est aider plus ceux qui en ont le plus besoin.

GUILLAUME ERNER
Madame la ministre de l'Enseignement supérieur, Sylvie RETAILLEAU, on se retrouve dans une vingtaine de minutes, on évoquera les formations, la manière dont vous imaginez aujourd'hui le rôle d'une université, d'un enseignement supérieur.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 29 septembre 2023